Sa vie bohème et fantasque lui fait endosser de multiples habits :révolutionnaire sans le sou,fugitif traqué par la police, homme à femmes,confident intime du roiLouis II de Bavière, critique et analyste musical,intellectuel – ami deMikhaïl Bakounine – travaillé par l'antisémitisme de son époque qui sera utilisé, après sa mort et dans un contexte entièrement différent, par lesnazis ; son comportement et ses œuvres laissent peu de gens indifférents. Aussi doué pour nouer des amitiés dans les cercles artistiques et intellectuels que pour les transformer en inimitiés, sachant créer le scandale comme l'enthousiasme, il suscite des avis partagés et souvent enflammés de la part de ses contemporains.
Ses conceptions artistiques avant-gardistes ont eu une influence déterminante dans l'évolution de la musique dès le milieu de sa vie.Richard Wagner est considéré comme l'un des plus grands compositeurs d'opéras duXIXe siècle et occupe une place fondamentale dans l'histoire musicale occidentale.
Wilhelmine « Minna » Planer, première épouse de Wagner, par Alexander von Otterstedt (1835).
Richard Wagner naît le auno 3 de la rueBrühl au deuxième étage de l'hôtelZum roten und weißen Löwen (« l'Hôtel du Lion Rouge et Blanc ») dans le quartier juif deLeipzig, seconde ville duroyaume de Saxe. Il est le neuvième enfant du couple formé en 1798 par Carl Friedrich Wagner (1770–1813),greffier de la police municipale de Leipzig, homme cultivé, acteur et amateur de théâtre, et de Johanna Rosine Paetz (1774–1848), fille d'un boulanger, dénuée de culture mais ouverte intellectuellement[2]. De familleprotestante, Richard Wagner est baptisé à l’église Saint-Thomas de Leipzig le sous le nom de Wilhelm Richard Wagner. Son père meurt dutyphus, séquelles de labataille de Leipzig, six mois après sa naissance. Le, sa mère épouse probablement[3] l'ami de Carl Friedrich, l'acteur et dramaturgeLudwig Geyer. La famille Wagner emménage àDresde dans le domicile de Geyer qui meurt en 1821, non sans avoir transmis au jeune Wagner sa passion pour le théâtre ainsi que son nom que Richard porte jusqu'à ses 14 ans, aussi pense-t-il certainement durant son enfance que Geyer est son père biologique[4]. Dans le premier jet manuscrit de sesMémoires,Mein Leben (« Ma Vie »), Wagner se présentait comme le fils de Ludwig Geyer. À l'initiative deCosima Wagner, cette mention du père fut, par la suite et dans la version imprimée (1880 pour la première édition), supprimée et remplacée par le nom de Friedrich Wagner[5]. DansLe Cas Wagner, le philosophe allemandFriedrich Nietzsche le considère comme fils adultérin de Geyer avec des origines juives (Geyer étant considéré comme un patronyme juif en Allemagne)[6], au point que, du vivant du compositeur, les humoristes viennois le qualifieront de « grand rabbin de Bayreuth »[7]. Ainsi, l'antisémitisme de Richard Wagner pourrait provenir de ce douloureuxsecret de famille qu'il connaissait, l'enfant ayant développé une haine inconsciente envers son beau-père Ludwig Geyer, à l'instar deMime, personnage de son opéraDer Ring des Nibelungen et figure du mauvais père[8],[9].
Richard suit une scolarité chaotique, sa famille déménageant au gré des engagements de sa sœur Rosalie (1803–1837),actrice :Leipzig,Dresde,Prague[10]. Son oncle Adolf Wagner (1774–1835),philologue, exerce une forte influence sur sa formation intellectuelle, Richard y lisant dans sa bibliothèque les œuvres d'Homère, deShakespeare,Dante,Gœthe[11]. Il nourrit d'abord l'ambition de devenirdramaturge. En 1827, la famille Wagner retourne à Leipzig où Richard prend entre 1828 et 1831 des leçons d'harmonie avec le professeur de musique Christian Gottlieb Müller[12]. Ayant commencé à apprendre la musique, il décide de l'étudier en s'inscrivant le à l'université de Leipzig où il trouve enChristian Theodor Weinlig (1780 – 1842), alorsThomaskantor de l'église Saint-Thomas, le mentor selon ses vœux. Parmi les compositeurs qui exercent sur lui à cette époque une influence notable, on peut citerCarl Maria von Weber,Ludwig van Beethoven[13] etFranz Liszt[14].
La même année, le[16], Wagner épouse l'actriceMinna Planer. Le couple emménage alors àKönigsberg puis àRiga, où Wagner occupe le poste de directeur musical. Après quelques semaines, Minna le quitte, avec sa fille Nathalie qu'elle avait eue à l'âge de15 ans, le pour un autre homme qui la laisse bientôt sans le sou[17]. Elle retourne alors auprès de Wagner, mais leur mariage entre dans un délitement qui se termine dans la souffrance trente ans plus tard.
Maison à Meudon habitée en 1841 par Richard Wagner.
Avant même 1839, le couple est criblé de dettes et doit fuir Riga pour échapper aux créanciers (les ennuis d'argent tourmenteront Wagner le restant de ses jours). Pendant sa fuite àLondres, le couple est pris dans une tempête, ce qui inspire à WagnerLe Vaisseau fantôme. Le couple vit ensuite quelques années àParis (Maison Wagner à Meudon) où Wagner gagne sa vie en réorchestrant les opéras d'autres compositeurs[13].
Le séjour dresdois du couple prend fin en raison de l'engagement de Wagner dans les milieuxanarchistes. Dans les États allemands indépendants de l'époque, un mouvementnationaliste commence en effet à faire entendre sa voix, réclamant davantage de libertés ainsi que l'unification de la nation allemande. Wagner, qui met beaucoup d'enthousiasme dans son engagement, reçoit fréquemment chez lui des anarchistes, tels leRusseBakounine[13].
Le mécontentement populaire contre le gouvernement saxon, largement répandu, entre en ébullition en, quand le roiFrédéric-Auguste II de Saxe décide de dissoudre le parlement et de rejeter la nouvelleconstitution que le peuple lui présente. En mai, uneinsurrection éclate (Wagner y participe, se dressant sur les barricades[18]). Larévolution naissante est rapidement écrasée par les troupes saxonnes et prussiennes et de nombreuses interpellations de révolutionnaires ont lieu. Le, la police de Dresde lance un mandat d'arrêt contre Wagner[19] qui réussit à fuir, grâce à un passeport périmé fourni par un ami, d'abord àParis, puis àZurich (Suisse)[20]. De Zurich, il effectue deux séjours à Bordeaux en mars-avril puis en mai 1850 pour retrouver sa maîtresse Jessie Laussot, femme d'un notable bordelais. Il est obligé d'écourter son second séjour, où il séjourne à l'hôtel des Quatre Soeurs, à cause d'un passeport périmé[21].
Exil et influences conjuguées de Liszt, de Schopenhauer et de Mathilde Wesendonck
C'est en exil que Wagner passe les douze années suivantes. Ayant achevéLohengrin avant l'insurrection de Dresde, il sollicite son amiFranz Liszt, le priant de veiller à ce que cet opéra soit joué en son absence. Liszt, en bon ami, dirige lui-même la première àWeimar, le[22].
Wagner se trouve néanmoins dans une situation très précaire, à l'écart du monde musical allemand, sans revenu et avec peu d'espoir de pouvoir faire représenter les œuvres qu'il compose. Sa femme Minna, qui a peu apprécié ses derniers opéras, s'enfonce peu à peu dans une profondedépression.
Pendant les premières années qu'il passe à Zurich, Wagner produit des essais (L'Œuvre d'art de l'avenir,Opéra et Drame) ainsi qu'un ouvrageantisémite,Le Judaïsme dans la musique. AvecL'Œuvre d'art de l'avenir, il présente une nouvelle conception de l'opéra, laGesamtkunstwerk ou « œuvre d'art totale ». Il s'agit de mêler de façon indissociable la musique, le chant, la danse, la poésie, le théâtre et les arts plastiques.
Au cours des années qui suivent, Wagner utilise trois sources d'inspiration indépendantes pour mener à bien son opéra révéré entre tous,Tristan et Isolde.
Musicalement, il est influencé en particulier par son ami Liszt, ce qu'il refusera toujours de reconnaître publiquement. Ainsi, en juin et, peu après les premières auditions du prélude deTristan und Isolde, le musicologueRichard Pohl fait paraître un panégyrique dans lequel il attribue directement à Liszt la substance harmonique de l’œuvre. Le, Wagner écrit àBülow :« Il y a nombre de sujets sur lesquels nous sommes tout à fait francs entre nous ; par exemple que je traite l’harmonie de manière tout à fait différente depuis que je me suis familiarisé avec les compositions de Liszt. Mais quand l’ami Pohl le révèle au monde entier, qui plus est en tête d’une notice sur mon prélude, c’est pour moi une indiscrétion ; ou dois-je penser que c’est une indiscrétion autorisée[23]. »
Philosophiquement, la première source d'inspiration de Wagner estSchopenhauer. Wagner prétendra plus tard que cette expérience est le moment le plus important de sa vie[réf. nécessaire]. L'admiration n'est cependant pas réciproque[24]. La philosophie de Schopenhauer, axée sur une vision pessimiste de la condition humaine, est très vite adoptée par Wagner. Ses difficultés personnelles ne sont vraisemblablement pas étrangères à cette adhésion. Il restera toute sa vie un fervent partisan de Schopenhauer, même quand sa situation personnelle sera moins critique.
Selon Schopenhauer, la musique joue un rôle central parmi les arts car elle est le seul d'entre eux qui n'ait pas trait au monde matériel[25]. Cette opinion trouve un écho en Wagner qui l'adopte très vite, malgré l'incompatibilité apparente avec ses propres idées selon lesquelles c'est la musique qui est au service du drame. Quoi qu'il en soit, de nombreux aspects de la doctrine de Schopenhauer transparaîtront dans ses livrets ultérieurs :Hans Sachs, le poète cordonnier desMaîtres chanteurs, est une création typiquement schopenhauerienne[précision nécessaire].
C'est sous l'influence de Schopenhauer (fortement influencé par laphilosophie indienne, levédanta et lebouddhisme[26]) que Richard Wagner devientvégétarien et défenseur de la cause animale dont il développera une apologie dansArt et Religion[27]. Il transmettra plus tard, mais temporairement, ce point de vue àNietzsche.
SelonÉlisabeth de Fontenay, leParsifal de Wagner illustre ce thème, où « le héros, d'abord (...) mal dégrossi, accède à la pitié (...) en contemplant un cygne qu'il a blessé de sa flèche. C'est la souffrance animale qui sera son initiatrice, et Wagner n'hésite pas à rapprocher du Dieu supplicié l'animal martyrisé. [Cette] analogie s'origine (...) dans une irrépressible compassion pour les bêtes et dans la reconnaissance de la commune innocence qui apparente tous les animaux, même sauvages ou nuisibles, au Dieu qui prend sur lui les péchés du monde. »[28]
Dans sonJournal, Wagner raconte combien il répugnait à passer devant la boutique d'un boucher, tueur de volaille ; soulignant : « Si je ressens une souffrance comme profonde, c'est que ma sensibilité à moi est profonde (...). Ainsi ma sensibilité fait-elle une vérité de la souffrance d'un autre. Plus l'être dont je puis partager la douleur est petit, plus grand se manifeste le cercle de ma capacité émotive[29]. »
L'autre source d'inspiration de Wagner pourTristan et Isolde est la poétesse et écrivaineMathilde Wesendonck, femme du riche marchandOtto Wesendonck. Il rencontre le couple à Zurich en 1852. Otto, grand admirateur de Wagner, met à sa disposition en une petite maison de sa propriété, « l’Asile »[30]. Au bout de quelques années, Wagner s'éprend de Mathilde mais, bien qu'elle partage ses sentiments, elle n'a pas l'intention de compromettre son mariage. Aussi tient-elle son mari informé de ses contacts avec Wagner[réf. nécessaire]. On ne sait pas néanmoins si cette liaison a été uniquementplatonique. Wagner n'en laisse pas moins de côté, brusquement, la composition de laTétralogie — qu'il ne reprend que douze ans plus tard — pour commencer à travailler surTristan et Isolde. Cette œuvre, issue d'unecrise psychosomatique déclenchée par cet amour non réalisable, correspond à la perfection au modèle romantique d'une création inspirée par des sentiments contrariés. Du reste, deux desWesendonck-Lieder,Träume etIm Treibhaus, composés d'après les poèmes de Mathilde, seront repris, étoffés, dans l'opéra.Träume donnera « Descend sur nous nuit d'extase » etIm Treibhaus l'inquiétant prélude du troisième acte et ses sombres accords confiés auxvioloncelles etcontrebasses.
Le, Minna intercepte une lettre enflammée de Wagner à Mathilde. Le couple décide de se séparer : Minna est envoyée faire une cure aux eaux de Brestenberg, les Wesendonck quittent Zurich pourVenise tandis que Wagner reste à Zurich pour continuer sonTristan et Isolde. Minna et les époux Wesendonck revenus, les tensions entre les deux couples deviennent trop fortes dans « l’Asile », aussi Minna quitte le domicile familial pourDresde et Richard part à son tour pour Venise, sa course s'achevant aupalais Giustinian(it) qu'il a loué pour quelques jours[31]. L'année suivante, il retourne à Paris afin de superviser le montage d’une nouvelle version deTannhäuser, en français, à l’opéra Le Peletier. Trois représentations, en mars1861, provoquent un scandale mémorable : Wagner annule les suivantes et quitte la ville[13].
Quand il peut enfin retourner en Allemagne, Wagner s’installe àBiebrich, où il commence à travailler surLes Maîtres chanteurs de Nuremberg. Cet opéra est de loin son œuvre la plus joyeuse. Sa seconde femme,Cosima, écrira plus tard : « Puissent les générations futures, en cherchant du rafraîchissement dans cette œuvre unique, avoir une petite pensée pour les larmes qui ont mené à ces sourires ![réf. nécessaire] ». En 1862, Wagner se sépare de Minna, mais il continue de la soutenir financièrement jusqu’à sa mort, en 1866 (ou du moins ses créanciers le feront-ils).
Cosima Wagner, deuxième épouse du compositeur (1877).
La carrière de Wagner prend un virage spectaculaire en 1864, lorsque le roiLouis II accède au trône deBavière, à l'âge de18 ans. Le jeune roi, qui admire les opéras de Wagner depuis son enfance, décide en effet de faire venir le compositeur àMunich : leur rencontre le aupalais de la Résidence met fin aux soucis financiers de Wagner qui ne parvenait toujours pas à vivre de ses droits d’auteur, le roi devenant sonmécène[32]. Le journal du roi[33] ainsi que des lettres[34] montrent son homosexualité et son adoration passionnée de Wagner dont il est probablement amoureux[35], sans qu'on puisse en conclure à une liaison entre les deux hommes[36]. Il règle ses dettes considérables (son amour du luxe et des femmes fait qu'il accumule continuellement les dettes[réf. nécessaire]) et s'arrange pour que son nouvel opéra,Tristan et Isolde, puisse être monté. Malgré les énormes difficultés rencontrées lors des répétitions, la première a lieu le et rencontre un succès retentissant.
Wagner se trouve ensuite mêlé à un scandale du fait de sa liaison avecCosima von Bülow. Il s'agit de la femme deHans von Bülow, un fervent partisan de Wagner, qui a œuvré comme chef d'orchestre pourTristan et Isolde. Cosima est la fille deFranz Liszt et de la comtesseMarie d'Agoult, et est de vingt-quatre ans la cadette de Wagner. En avril 1865, elle accouche d'une fille naturelle qui est prénommée Isolde. La nouvelle s'ébruite rapidement et scandalise tout Munich. Pour ne rien arranger, Wagner tombe en disgrâce auprès des membres de la Cour qui le soupçonnent d'influencer le jeune roi. En, Louis II est contraint de demander au compositeur de quitter Munich. En effet, la population munichoise pense que le roi dépense trop d'argent pour Wagner, se rappelant la relation dispendieuse qu'avait le grand-père du roi,LouisIer de Bavière, avec sa maîtresseLola Montez. Cela vaut à Wagner d'être surnommé « Lolus » par les Munichois. Louis II caresse l'idée d'abdiquer pour suivre son héros en exil, mais Wagner l'en aurait rapidement dissuadé[37].
Wagner part s'installer à Tribschen, près deLucerne, sur les bords dulac des Quatre-Cantons. Son opéraLes Maîtres chanteurs de Nuremberg est achevé en 1867 et présenté à Munich le de l'année suivante. En octobre, Cosima convainc son mari de divorcer. Le[38], elle épouse Wagner qui, deux mois plus tard, compose l’Idylle de Siegfried pour son anniversaire. Ce second mariage dure jusqu'à la mort du compositeur. Ils ont une autre fille, Eva, et un fils prénomméSiegfried, qui doit son nom à l'opéraSiegfried, auquel travaille Wagner au moment de sa naissance.
Une fois installé dans sa nouvelle vie de famille, Wagner met toute son énergie à terminer laTétralogie. Devant l'insistance deLouis II, on donne àMunich des représentations séparées (première deL'Or du Rhin le et première deLa Walkyrie le). Mais Wagner tient à ce que le cycle complet soit réuni dans un opéra spécialement conçu à cet effet.
Richard Wagner photographié parPierre Petit en 1861.
En 1871, il choisit la petite ville deBayreuth pour accueillir sa nouvelle salle d'opéra. Les Wagner s'y rendent l'année suivante et la première pierre duFestspielhaus (« Palais des festivals ») est posée. Louis II et la baronneMarie von Schleinitz, une des proches amies des Wagner, s'investissent pour aider à financer le bâtiment. Afin de rassembler les fonds pour la construction, Wagner entreprend également une tournée de concerts à travers l'Allemagne et diverses associations de soutien sont créées dans plusieurs villes. Il faut cependant attendre une donation du roi Louis II en 1874 pour que l'argent nécessaire soit enfin rassemblé. Un peu plus tard dans l'année, les Wagner emménagent à Bayreuth dans une villa que Richard surnommeWahnfried (« Paix des illusions »).
D'un point de vue artistique, ce festival est un succès remarquable. Tchaïkovski, qui y a assisté en tant que correspondant russe, écrit : « Ce qui s'est passé à Bayreuth restera dans la mémoire de nos petits-enfants et de leur descendance[réf. nécessaire] ». Financièrement, c'est toutefois un désastre absolu. Wagner doit renoncer à organiser un second festival l'année suivante et tente de réduire le déficit en donnant une série de concerts àLondres.
En 1877, Wagner s'attelle à son dernier opéra,Parsifal, qu'il finit àPalerme pendant l'hiver 1881-82. Il loge dans la villa des Whitaker, futurGrand Hotel et des Palmes. Pendant la composition, il écrit également une série d'essais sur la religion et l'art.
Il met la dernière main àParsifal en, et le présente lors du secondFestival de Bayreuth. Pendant l'acte III de la seizième et dernière représentation, le, le chefHermann Levi est victime d'un malaise. Wagner entre alors discrètement dans la fosse d'orchestre, prend la baguette et dirige l'œuvre jusqu'à son terme[réf. souhaitée].
À la fin de sa vie, Wagner est gravement malade du cœur mais continue de mener ses activités habituelles. Après leFestival de Bayreuth, il se rend àVenise avec sa famille pour y passer l'hiver. Le, aupalais Vendramin, dont il avait pris en location le premier étage mezzanine (étage non noble, 18 pièces), il est emporté par une crise d'angine de poitrine plus violente que celles qu'il avait déjà éprouvées. Sa dépouille est rapatriée enAllemagne, au cours de funérailles grandioses tant àVenise que sur le chemin du retour. Il est inhumé dans les jardins de sa maisonWahnfried, àBayreuth.
Richard Wagner laisse un catalogue de 43 œuvres musicales achevées. Une cinquantaine de partitions sont soit perdues (13), esquissées ou inachevées (22), ou sont des arrangements d'œuvres d'autres compositeurs (16). Le reste est constitué, par exemple, de mélodies et de pages d'albums pour piano.
Wagner a composé 14 opéras. On peut schématiquement les séparer en deux groupes : 4 opéras de jeunesse, et 10 opéras de maturité, inscrits au répertoire du festival de Bayreuth.
Parmi les opéras de jeunesse on trouveDie Hochzeit (Les Noces, inachevé et jamais représenté),Die Feen (Les Fées),Das Liebesverbot (La Défense d'aimer) etRienzi. Ils sont rarement joués.
L'Anneau du Nibelung (Der Ring des Nibelungen), surnommé laTétralogie, est un ensemble de quatre opéras inspirés desmythologies allemande et scandinave. Ce gigantesque ensemble est écrit et composé sur une longue période de trente ans, débutant avant l'écriture deTristan et Isolde et finissant en 1874[39].
Le dernier opéra de Wagner,Parsifal, est une œuvre contemplative tirée de la légende chrétienne dusaint Graal.
À travers ses œuvres et ses essais théoriques, Wagner exerça une grande influence dans l'univers de la musique lyrique. Mariant le théâtre et la musique pour créer le « drame musical », il se fit le défenseur d'une conception nouvelle de l'opéra, dans laquelle l'orchestre occupe une place au moins aussi importante que celle des chanteurs. L'expressivité de l'orchestre est accrue par l'emploi deleitmotivs (petits thèmes musicaux d'une grande puissance dramatique qui évoquent un personnage, un élément de l'intrigue, un sentiment…)[40], dont l'évolution et l'enchevêtrement complexe éclairent la progression du drame avec une richesse infinie.
Wagner a écrit lui-même ses livrets, empruntant la plupart de ses arguments à des légendes et mythologies européennes, le plus souvent germaniques, mais parfoisindiennes. Par sa lecture de l’Introduction à l’histoire du bouddhisme indien d'Eugène Burnouf, il sera en effet influencé par les légendes bouddhiques et lesrâgas de lamusique classique indienne (ces références sont présentes dansDie Sieger(en),Parsifal)[41]. Ses œuvres acquièrent de ce fait une unité profonde ou parfois plus complexe, dans laquelle se rejoignent lebouddhisme, lechristianisme, les mythologies païennes, la philosophie et la tradition médiévale.
Des extraits des opéras sont fréquemment joués en concert comme des pièces à part entière, dans des versions éventuellement légèrement modifiées. Par exemple :
Prélude et mort d'Isolde, pièce qui réunit le prélude du premier acte deTristan et Isolde prolongé par la fin de l'opéra,La Mort d'Isolde, dans laquelle la soprano est remplacée par une instrumentation.
L'Entrée des dieux dans le Walhalla, à la fin deL'Or du Rhin ;
À côté de ses opéras, qui constituent l'essentiel de son œuvre musicale, Wagner a écrit un certain nombre de pièces diverses, qui occupent environ cent numéros du catalogue de ses œuvres, leWagner Werk-Verzeichnis (WWV).
Il a composé un certain nombre de pièces pourpiano, parmi lesquelles on peut citer :
L'ouvertureRule Britannia, composée en1836 et consistant en la transcription de l'ode en l'honneur de la Grande-Bretagne deThomas Arne.
Plusieurs sonates ;
Élégie en la bémol majeur, longtemps appelée par erreurThème de Porazzi. Étroitement liée à la composition deTristan et Isolde, celle de l’Élégie a commencé en 1858, probablement comme esquisse pour Tristan finalement rejetée au bout de huit mesures. En 1882, il se pencha de nouveau sur cette ébauche, la conclut par six mesures nouvelles, et l'offrit ainsi terminée à Cosima. La veille de sa mort à Venise, il la joua encore : ce fut sa dernière expression musicale[48].
Des transcriptions pour piano d'airs d'opéras à la mode, que Wagner composa lors de son premier séjour à Paris.
Il n'a pratiquement pas abordé la musique de chambre. Citons néanmoins l'Idylle de Siegfried (Siegfried-Idyll), une pièce pour treize instrumentistes écrite pour l'anniversaire de sa seconde femmeCosima. Wagner en écrivit ensuite la version orchestrale, la plus souvent interprétée de nos jours. Ce morceau réunit plusieurs motifs (leitmotive) deSiegfried.
La Cène des apôtres (Das Liebesmahl der Apostel). Cette pièce pour chœurs d'hommes et orchestre date de début 1843. Au début de l'année, Wagner vient de faire jouerRienzi à Dresde ; c'est un grand succès. En revanche,Le Vaisseau fantôme a connu un échec cuisant. Élu en début d'année au comité d'une association culturelle de la ville de Dresde, Wagner reçoit une commande qui doit évoquer le thème de la Pentecôte. La première de cette œuvre a lieu à la Dresdner Frauenkirche le, interprétée par une centaine de musiciens et près de 1 200 choristes. Cette interprétation reçoit un accueil chaleureux.
Wagner est un écrivain extrêmement prolifique. On compte à son actif des centaines de livres, poèmes et articles, en plus de sa volumineuse correspondance. Ses écrits couvrent un large éventail de sujets, comme lapolitique, laphilosophie, ou encore l'analyse de ses propres opéras. Parmi les essais les plus significatifs, on peut citerOper und Drama(de) (Opéra et Drame,1851) etDas Kunstwerk der Zukunft (L'Œuvre d'art de l'avenir,1849). Il a également écrit une autobiographie,Ma vie (1880)[49]. Une partie de ces écrits a été traduite et annotée par Christophe Looten dans son ouvrageDans la tête de Richard Wagner, archéologie d'un génie, Fayard, 2011.
Wagner est à l'origine de plusieurs innovations théâtrales, telles que la conception et la construction duFestspielhaus deBayreuth, inauguré en 1876. Ce bâtiment à l'acoustique légendaire a été spécialement construit pour y jouer ses propres œuvres. Chaque été, des milliers d'amateurs d'opéra viennent du monde entier assister au célèbreFestival de Bayreuth. Pendant les représentations, le public est plongé dans l'obscurité et l'orchestre joue dans une fosse, hors de la vue des spectateurs.
Dans sa jeunesse, Wagner aurait voulu êtreShakespeare avant d'êtreBeethoven[50]. Wagner était l'auteur de ses livrets d'opéra, cas fort rare dans l'histoire de la musique de scène. Toutefois, Wagner ne souhaitait pas que sa poésie fût appréciée pour elle-même, mais qu'elle soit toujours considérée en relation avec la musique[51].
Richard Wagner a entièrement transformé la conception de l'opéra à partir de 1850, le concevant non plus comme un divertissement, mais comme une dramaturgie sacrée. Les quatre opéras deL'Anneau du Nibelung illustrent cette réforme wagnérienne à la perfection. Dans laTétralogie, chaque personnage (l'Anneau y compris) est associé à un thème musical autonome dont les variations indiquent dans quel climat psychologique ce personnage évolue : c'est le fameux « leitmotiv » (en allemand : motif conducteur), procédé préexistant que Wagner a poussé aux limites ultimes de la dramaturgie sonore. Ainsi, lorsqueWotan évoque l'Anneau, les thèmes musicaux associés se mêlent en une nouvelle variation. On peut y voir une manifestation de « l'art total » au travers d'une musique reflétant à la fois les personnages et leurs sentiments, tout en soutenant le chant et soulignant l'action scénique. Mais l'apport de Richard Wagner à la musique sur le plan technique (harmonie etcontrepoint) est tout aussi considérable, sinon plus encore[52]. C'est principalement dans son œuvre la plus déterminante à cet égard, à savoirTristan et Isolde, que Wagner innove de manière radicale. Conçu dans des circonstances psychologiques très particulières, plus rapidement que les autres opéras,Tristan constitue une singularité, et aussi une charnière tant dans l'œuvre de Wagner que dans l'histoire de l'harmonie et du contrepoint[53].
Certes, comme le ditWilhelm Furtwängler, il n'est pas dansTristan un seul accord qui ne puisse être analysé tonalement, et cela a été démontré par le musicologue françaisJacques Chailley dans une très précise et très fouillée analyse du fameux « Prélude », où tous les accords et modulations sont ramenés, une fois éliminées lesnotes de passage, lesappoggiatures, leséchappées et autresbroderies, à des enchaînements harmoniques parfaitement répertoriés. Il s'agissait il est vrai pour Chailley de faire un sort aux analyses qu'il trouvait tendancieuses deArnold Schönberg et plus tard dePierre Boulez[réf. nécessaire].
Cela ne retire rien au génie de Wagner, bien au contraire, puisqu'il a su justement faire du neuf avec du vieux : si presque tous ses accords peuvent se retrouver dans leschorals deJohann Sebastian Bach ou chezWolfgang Amadeus Mozart, leur emploi de manière isolée et expressive est une nouveauté géniale. Ainsi, le célébrissime« accord de Tristan », qui intervient dès les premières mesures du Prélude, peut être interprété de diverses façons, toutes finalement relativement traditionnelles : il s'apparente à un accord de neuvième sans fondamentale, mais on peut aussi l'analyser comme une septième d'espèce, ou encore, voulant échapper à une tradition française ne considérant que la verticalité, comme une sixte augmentée « à la française » avecappoggiature/note de passage du sol# conduisant au la, préparant traditionnellement, depuis le « style classique » duXVIIIe siècle, l'accord de dominante. En effet, chez Wagner, le contrepoint influence l'harmonie et non le contraire, technique germanique qu'il importe deCarl Maria von Weber et surtout de l'abbé Vogler.
Wagner va cependant, avec des audaces moins connues, bien plus loin : résolution d'une neuvième mineure par sa forme majeure,appoggiature de neuvième mineure formant dissonance avec la tierce (formule dont lejazz fait un fréquent usage), emploi simultané d'appoggiatures, broderies et autres notes étrangères amenant aux limites de l'analyse de l'accord réel[réf. nécessaire], etc.
Par ailleurs, l'analyse deTristan montre l'influence de Bach[réf. nécessaire], notamment de sonL'Art de la fugue, dont les formules contrapuntiques se retrouvent dans les enchaînements harmoniques du prélude deTristan. Bach attaque dans leContrapunctus IV une neuvième mineure sans préparation (Contrapunctus IV, mesure 79) cent ans avantTristan. Wagner a certes, peu pratiqué lafugue, mais en réalité les entrées fuguées, camouflées ou non, sont nombreuses dansTristan, et permettent de plus grandes audaces harmoniques encore que les agrégations harmoniques « inédites ».
Wagner est également réputé pour avoir innové de façon décisive sur le plan de l'orchestration : certes, c'est d'abord son génie proprement musical qui fait vibrer l'orchestre tel que Beethoven le laisse à la fin de sa vie (IXe Symphonie etMissa Solemnis) d'une sonorité jamais entendue jusqu'alors. Wagner doit certaines formules àGluck, à Beethoven et àWeber, l'ensemble sonnant pourtant… comme du Wagner. Wagner étire en effet des accords sur lesquels ses devanciers ne restent que deux notes, il utilise massivement des combinaisons que Beethoven n'a fait qu'employer une ou deux fois, son emploi des redoublements voire triplements de timbre qu'il reprend de Gluck[réf. nécessaire] et même deHaydn[réf. nécessaire] devient systématique, avec l'effet « magique » bien connu qui souvent se révèle, à la lecture de la partition, obtenu avec une étonnante économie de moyens. L'innovation s'observe également dans son orchestration des mélodies, qui, doublées extensivement, changent imperceptiblement d'un instrument à l'autre, certainement à l'origine de laKlangfarbenmelodie queSchönberg étendra[réf. nécessaire].
Wagner était, il faut l'avoir constamment à l'esprit, un autodidacte qui a toute sa vie acquis du métier en innovant. Comme tous les autodidactes efficaces[précision nécessaire], il a su être très conventionnel à ses débuts afin d'apprendre les ficelles de son art et faire éclore son génie. On a été jusqu'à affirmer que le génie de Wagner venait de ses lacunes mêmes. Et de fait, Wagner n'a jamais réussi à créer de musique de chambre ou de musique instrumentale : ses essais dans ces domaines se sont soldés par de piètres résultats. Seul un motif scénique l'inspirait. Et pourtant, paradoxalement, transcrites pour piano seul ou petit ensemble, ses pages symphoniques de scènes conservent intacte leur magie : mystère insondable de tous les créateurs…
On ne peut négliger ce qui fait encore une spécificité de Wagner, à savoir l'influence considérable qu'il a eue sur ses successeurs, et notamment le plus illustre,Arnold Schönberg. Schönberg, par son génie même, est sans doute le responsable d'un grand malentendu. Seul Schönberg a su à ses débuts pasticher, ou plutôt continuer Wagner, avec un niveau égal de qualité. La poignanteNuit transfigurée, les monumentauxGurre-Lieder et le génial poème symphonique (dévalué de manière contestable parRené Leibowitz)Pelleas und Melisande sont les seuls véritables exemples de continuation, non de Wagner, mais des techniques inventées par lui dansTristan, avec un génie équivalent à celui du maître. Schönberg en a déduit qu'une tendance évolutive était à l'œuvre dans l'harmonie moderne, et c'est bien Schönberg, mais aussi des compositeurs commeAnton Bruckner,Hugo Wolf,Gustav Mahler etRichard Strauss qui ont cru pouvoir faire progresser une tradition musicale exclusivement germanique, de Wagner vers, en ce qui concerne des compositeurs commeHauer ouSchönberg, l'atonalité et ledodécaphonisme.
SelonKarol Szymanowski : "Le caractère historiosophique de l’œuvre de Richard Wagner a également trouvé son expression dialectique dans laNaissance de la tragédie de Nietzsche qui est devenue à son tour (jusqu’à l’agacement plus tard de l’auteur lui-même) l’évangile de l’idéologie artistique allemande de la fin du XIX e siècle"[54]. Ainsi, cette historiosophie se trouve par exemple dans son ouvrageL'Art et la Révolution (dans lequel il explique son vœu de voir l'entrée des spectacles de théâtregratuite au public, comme au temps des Grecs), ouvrage où Richard Wagner écrit :
« (...) Nous devons aimer tous les hommes, pour pouvoir nous aimer de nouveau nous-mêmes et retrouver la joie de vivre[55]. »
L'antisémitisme de Wagner et l'appropriation de sa musique par leIIIe Reich
Cet aspect de la personnalité de Wagner a donné lieu à une abondante littérature polémique, largement alimentée tant par la récupération de sa musique par le régimenational-socialiste que par l'amitié de l'épouse de son fils Siegfried,Winifred, avecAdolf Hitler[7].
Dans sa prime jeunesse, Wagner n'était pas antisémite, il l'est devenu au fil du temps. Le premier amour de Richard Wagner est une certaine Leah David, une jeune fille juive, fille d'un banquier juif de Leipzig et amie de sa sœur Luise, ainsi que le compositeur en témoigne dans son autobiographie. Lors de son séjour à Paris, de 1840 à 1842, Wagner était en contact avec de nombreux artistes juifs dont le poèteHeinrich Heine. Il a notamment bénéficié de l'aide du célèbre musicienGiacomo Meyerbeer, qui lui écrivait des lettres de recommandation. Mais devant l'insuccès de ses œuvres et ses difficultés pécuniaires, Wagner finit par nourrir une rancœur tenace à l'endroit de Meyerbeer[58][réf. incomplète]. Dans ses conversations, dans ses écrits, Richard Wagner n'a cessé d'émettre des opinions « anti-judaïques », en ce qui le concernait, pas sur des préjugés raciaux mais sur le reproche adressé aux juifs de « demeurer juifs » et donc de n'être pas Allemands, ou de ne pas vouloir le devenir. À Paris, Wagner a pourtant été en contact avecFromental Halévy[59][réf. incomplète], dont il a écrit la version piano-chant deLa Reine de Chypre et qu'il admirait, qualifiantLa Juive etLa Reine de Chypre de« monuments qui marqueront dans l'histoire de l'art musical »[60].
Le premier essai de Wagner,Das Judenthum in der Musik, est publié en 1850 dans la revueNeue Zeitschrift für Musik sous le pseudonyme de « K. Freigedank » (« libre pensée »). Wagner s'est donné pour but d'expliquer la prétendue « aversion populaire » envers la musique des compositeurs juifs tels queFelix Mendelssohn ouGiacomo Meyerbeer. Il écrit notamment que le peuple allemand est « repoussé » par les Juifs en raison « de leur aspect et de leur comportement d'étrangers » ; les Juifs « sont des anomalies de la nature » jasant « de leurs voix grinçantes, couinantes et bourdonnantes ». Wagner allègue que les musiciens juifs, n'étant pas en relation avec l'esprit authentique du peuple allemand, ne peuvent qu'écrire une musique artificielle, sans aucune profondeur, et rabâcher la vraie musique à la manière des perroquets. L'article attire peu l'attention. Cependant, après que Wagner l'a publié de nouveau en1869 sous la forme d'un pamphlet signé de son véritable nom, de vives protestations s’élèvent dans le public lors d'une représentation desMaîtres chanteurs. Dans l'article de 1850 Wagner va tout de même jusqu'à solliciter des Juifs leur « auto-annihilation » (gommée par la suite au profit « d'auto-résolution ») ; appelant à leur « disparition. » Devenu davantage connu, il édulcore en 1869 l'article initial.
Wagner a également manifesté son antisémitisme dans d'autres essais ; dansQu'est-ce qui est allemand ? (1879), il écrit, par exemple :
« Les Juifs [tiennent] le travail intellectuel allemand entre leurs mains. Nous pouvons ainsi constater un odieux travestissement de l'esprit allemand, présenté aujourd'hui à ce peuple comme étant sa prétendue ressemblance. Il est à craindre qu'avant longtemps la nation prenne ce simulacre pour le reflet de son image. Alors, quelques-unes des plus belles dispositions de l'espèce humaine s'éteindraient, peut-être à tout jamais. »
Mais, selon Warshaw cet antijudaïsme serait fort différent de l'antisémitisme qui repose sur des distinctions raciales[réf. nécessaire]. Par conséquent, ce serait une injustice, un anachronisme, et une méconnaissance de la réalité objective de confondre l'antijudaïsme tel que le manifestait Wagner comme nombre de ses contemporains, avec l'antisémitisme racialiste des nazis durant le siècle suivant. Wagner préconisait sincèrement l'assimilation des Juifs à la culture germanique[réf. nécessaire], tandis que les nazis n'admettront pas cette assimilation et la combattront systématiquement. Par ailleurs, l'assimilation était aussi un sujet de débat intense entre les intellectuels juifs eux-mêmes[7].
En dépit de tels écrits, Wagner avait plusieurs amis juifs[7]. Le plus représentatif d'entre eux fut sans doute le chef d'orchestreHermann Levi, un Juif pratiquant que Wagner choisit pour diriger la première représentation deParsifal. Le compositeur souhaita d'abord que Levi se fît baptiser, mais il renonça finalement à cette exigence. Cependant, lorsqu'il analyse le détail des péripéties de cette valse-hésitation telles que les rapporte Carl Glasenapp[61],Theodor W. Adorno, dans sonEssai sur Wagner[62], résume en ces termes cet épisode, qui relevait, selon lui, du côté « démoniaque » de Wagner :
« Une envie sadique d'humilier [Levi], une humeur conciliante et sentimentale, et surtout la volonté de s'attacher affectivement le maltraité, se réunissent dans la casuistique du comportement de Wagner. » De son côté, Levi maintint toujours ses relations amicales avec Wagner et porta même son cercueil lors de ses funérailles. Un autre de ces amis futJoseph Rubinstein. »
Notons enfin que l'antijudaïsme de Wagner n'est presque jamais évoqué, dans ses abondants écrits, par son plus fervent admirateur, le viennoisArnold Schoenberg (1874-1951), fils de commerçants juifs convertis, qui allait réembrasser la foi judaïque dans les années 1930.
Après la mort de Wagner à Venise en1883, Bayreuth allait devenir le lieu de rassemblement d'un groupe antisémite, soutenu parCosima et formé d'admirateurs zélés du compositeur, notamment du théoricien racialisteHouston Stewart Chamberlain[63]. À la mort de Cosima et deSiegfried en1930, la responsabilité du festival échoit à la veuve de ce dernier,Winifred, amie personnelle d'Adolf Hitler. Hitler est lui-même un zélateur de Wagner, donnant une lecture national-socialiste aux thèmes germaniques qui jalonnent l'œuvre, visant ainsi à inscrire le maître de Bayreuth dans l'idéologie nazie. Les nazis font un usage courant de sa musique et la jouent lors de leurs grands rassemblements. Il n'est pas le seul compositeur qu'ils voudront « enrôler » :Bruckner, et mêmeBeethoven seront aussi récupérés par le régime[7].
Pour ces raisons historiques, les œuvres de Wagner continuent à ne pas être représentées, en public, enIsraël (largement influencée, à l'origine, par des Juifs d'Europe centrale imprégnés de civilisation germanique), ainsi il n'est pas inscrit dans le répertoire de l'Orchestre philharmonique d'Israël ; cependant, la musique de Wagner est couramment diffusée par des stations de radio et des chaînes de télévision israéliennes, tout comme partout dans le monde. Par contre, jusqu'à présent, toutes les tentatives de représentation publique directe (notamment par le pianiste et chef d'orchestreDaniel Barenboim, qui a dirigé le prélude deTristan et Isolde àTel Aviv en2001), ont déclenché les plus vives protestations, certains auditeurs ayant même quitté la salle. Ce n'est que depuis le début duXXIe siècle que de nombreux Israéliens soutiennent qu'il est possible d'apprécier le génie musical de Wagner, sans que cela implique l'acceptation de ses idées politiques ou sociales. En2010, un avocat israélien mélomane, Jonathan Livny, fonde une « Société wagnérienne israélienne » afin de mettre fin au boycott de l'œuvre du compositeur dans son pays[64].
Nietzsche, décriant tout ce qu'il pressent de particulièrement dérangeantnon tant chez Wagner en soi que chez les admirateurs de Wagner[réf. souhaitée], écrit cependant :
« J'aime Wagner. »
— Ecce homo, « Pourquoi j'écris de si bons livres, Le Cas Wagner, I »
L'adjectif « wagnérien », dérivé de « Wagner », est entré dans la langue courante depuis 1861, et comme substantif depuis 1873 sous la plume d'Alphonse Daudet dans son recueilContes du lundi[65].
Gabriel Fauré etAndré Messager,Souvenirs de Bayreuth - Fantaisie en forme de quadrille sur les thème favoris de l'Anneau des Nibelung de Richard Wagner
Peter Schickele,Last Tango in Bayreuth pour quatuor de bassons
Oscar Straus,Die lustigen Nibelungen, opérette burlesque
Anna Russell,The Ring of the Nibelungs (An Analysis)
Paul Hindemith,Ouvertüre zum „Fliegenden Holländer“, wie sie eine schlechte Kurkapelle morgens um 7 am Brunnen vom Blatt spielt (littéralement :Ouverture du “Vaisseau Fantôme” comme exécuté par un mauvais orchestre de station thermale à 7 heures du matin à la fontaine du village), fantaisie pour quatuor à cordes
La musique de Wagner a été très utilisée par l'industrie cinématographique, telle l'attaque des hélicoptères rythmée par laChevauchée des Walkyries dansApocalypse Now deFrancis Ford Coppola (1979), ou le prélude deLohengrin au son duquelCharlie Chaplin, déguisé en Hitler, joue avec un globe dansLe Dictateur (1940). LaChevauchée des Walkyries accompagne égalementMarcello Mastroianni dans ses fantasmes lorsqu'il s'imagine coursant et fouettant des femmes dans une ronde infernale, dansHuit et demi deFederico Fellini (1963). On en retrouve également les notes dansLa Horde sauvage, thème musical d'Ennio Morricone illustrant la charge de 150 cavaliers sans foi ni loi dansMon nom est Personne (1973). En 2018, le thème deTristan et Isolde est utilisé dans l´épilogue de l'adaptation cinématographique deChien, deSamuel Benchetrit.
En 2017, dansAlien: Covenant deRidley Scott,L'entrée des dieux au Valhalla, composante de la scène 4 deL'Or du Rhin, joue un rôle important pour l'un des personnages, David, et donc, ouvre et ferme le film[66].
Entre autres sources d'inspiration (revendiquée) pourStar Wars deGeorge Lucas figure laTétralogie :Luke Skywalker etLeia Organa partagent avec Siegmund et Sieglinde la gémellité amoureuse. Leur père,Dark Vador, est proche de Wotan dans sa volonté de pouvoir contrariée par ses propres enfants. Leleitmotiv de Dark Vador évoque celui desGéants et, symboliquement, il est immolé sur unbûcher pour clore le cycle.
Martin Gregor-Dellin,Richard Wagner. Traduit de l'allemand par Odile Demange, Jean-Jacques Becquet, Elisabeth Bouillon et Pierre Cadiot. Fayard 1981, traduction de l'ouvrage allemand:Richard Wagner, sein Leben, sein Werk, sein Jahrhundert, Piper & Co Verlag, Munich et Zurich, 1980.
Guy de Pourtalès,Wagner, histoire d'un artiste, Gallimard, 1910.
Adolphe Jullien,Richard Wagner, sa vie et ses œuvres, ouvrage orné de quatorze lithographies originales par M. Fantin-Latour, de quinze portraits de Richard Wagner et de quatre eaux-fortes et de 120 gravures, scènes d'opéras, caricatures, vues de théâtres, autographes, etc., Librairie de l'Art, 1886 ;livre sur IA.
Opéra et Drame, Delagrave, Paris, 1910. Exposé des idées de Wagner sur le drame musical.
Ma vie. Cette autobiographie couvre la période 1813-1864. Il existe deux éditions de la traduction en français :
texte français et notes de Martial Hulot avec la collaboration de Christiane et Melchior de Lisle, Paris, éditions Buchet-Chastel, 1978.
traduction de Noémi Valentin et Albert Schenk, en 3 vol., Plon, 1911-12 ; traduction revue par Jean-François Candoni, choix, préface, notes et annexes de Jean-François Candoni, « Folio classique »no 5559, Paris, Gallimard, 2013.
Le Carnet brun - Journal intime (1865-1882), posthume, éd. et trad. fr. Nicolas Crapanne, préf. Jean-François Candoni, Paris, Gallimard, coll. "Hors série Connaissance", 384 p., 2023(ISBN978-2072943331)
Richard Wagner,Lyriques, traduits de l'allemand par Judith Gautier, Louis Pilate de Brinn'Gaubast, Alfred Ernst et Charles Nuitter. Choisis et présentés par Joël Schmidt,Éditions de la Différence, coll. « Orphée », Paris, 1989.
Richard Wagner,L'Anneau du Nibelung, traduction d'Henri Christophe, Lyon : Symétrie, 2015, 416 p.(ISBN978-2-36485-026-2)
AvecFranz Liszt :Correspondance R.W. - F.L., coll. « Les Classiques allemands », trad. de L. M. Schmidt et J. Lacant, Gallimard, Paris, 1975 ; nouvelle édition revue et augmentée par Danielle Buschinger, présentée et annotée parGeorges Liébert, Gallimard, 2013(ISBN978-2-07-077100-4)
AvecLouis II de Bavière : R.W. et Louis II,Lettres 1864-1883, intod. et choix de Blandine Ollivier, Plon, 1960 ;L'Enchanteur et le Roi des Ombres, choix de lettres traduites et présentées par Blandine Ollivier, Librairie Académique Perrin, 1976(ISBN2-262-00046-8).
AvecMinna Wagner :Lettres de R.W. à M.W., coll. les Classiques allemands, trad. de Maurice Remon, NRF, Gallimard, 1943.
AvecMathilde Wesendonk :R.W. à M.W., Journal et lettres (1853-1871), 2 vol., trad. par Georges Khnopff, Alexandre Duncker, éditeur, 1905 ;texte sur wikisource
AvecOtto Wesendonck (1852-1870) :Lettres à O.W., P., Calmann-Lévy, 1924.
AvecCharles Nuitter :Correspondance, réunie et annotée par Peter Jost, Romain Feist et Philippe Reynal, Mardaga,(ISBN9782870097854).
Lettres françaises de Richard Wagner, Bernard Grasset, 1935.
Wagner et Liszt (d'après leur correspondance), William Cart, Stalker Éditeur, 2008.
Alain Badiou,Cinq Leçons sur le « cas » Wagner, Paris, Nous, 2010.
Charles Baudelaire,Naissance de la musique moderne. Richard Wagner etTannhäuser à Paris, édition établie, annotée et postfacée par Christophe Salaün, Paris, Mille et une nuits, 2013.
Élisabeth Brisson et René Palacios (coord.),Découvrir Wagner, Paris, Ellipses, 2013.
Danielle Buschinger,Richard Wagner. L'Opéra d'une vie, Genève, Slatkine, 2012(ISBN978-2051024419)
Fanny Chassain-Pichon,De Wagner à Hitler, Portrait en miroir d'une histoire allemande, Passés/Composés/Humensis, mars 2020(ISBN978-2-3793-3069-8)
Patrice Chéreau,Lorsque cinq ans seront passés, Toulouse, Éditions Ombres, coll. « Petite Bibliothèque Ombres », 1994. Patrice Chéreau raconte le travail de sa production devenue emblématique de laTétralogie du centenaire à Bayreuth, 1976-1980.
Christophe Looten,Dans la tête de Richard Wagner, archéologie d'un génie, Fayard, 2011 ; aborde une centaine de sujets (de « atome » à « Wotan » en passant par « musique et gymnastique » ou « Gobineau ») en se fondant sur lesŒuvres en prose (retraduites) et leJournal de Cosima(ISBN9782213662435)
Bruno Lussato, avec Marina Niggli, 'Voyage au cœur du Ring. Wagner - L'Anneau du Nibelung, Paris, Fayard, 2005 - en deux volumes :Poème commenté etEncyclopédie
Thomas Mann,Wagner et notre temps, Paris, Hachette, Pluriel, 1978.
Jean-François Marquet,Wagner, le crépuscule de la chevalerie, dansMiroirs de l'identité, Paris, Hermann, 1996.
Jean-Jacques Nattiez,Tétralogies, Wagner, Boulez, Chéreau. Essai sur l'infidélité, Paris, Christian Bourgeois Éditeur, coll. « Musique/Passé/Présent », 1983.
Jean-Jacques Nattiez,Les Esquisses de Richard Wagner pour « Siegfried’s Tod » (1850), essai de poïétique, Paris : Société française de musicologie, 2004, 160 p.(ISBN978-2-85357-013-8)
Jean-Jacques Nattiez,Analyses et interprétations de la musique. La mélodie du berger dans le Tristan et Isoldede Wagner, Paris, Vrin, coll. « Musicologies », 2013, 400 p.(ISBN978-2711625123)
Timothée Picard,Wagner, une question européenne : Contribution à une étude du wagnérisme, 1860-2004, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Interférences », 2006, 550 p.(ISBN2-7535-0302-8)
Numa Sadoul,40 ans à l'opéra - Ego-dictionnaire de l'art lyrique, Pietraserena, Ed. Dumane, 710 p. dont 230 consacrées à Wagner.(ISBN978-2-915-94316-0)
Friedlind Wagner[70] et Page Cooper,Héritage de feu, souvenirs de Bayreuth, Plon, 1947.
Wolf Siegfried Wagner[71],La Famille Wagner et Bayreuth 1876-1976, Chêne, 1976.
André Tubeuf,Bayreuth et Wagner, cent ans d'images 1876-1976, Jean-Claude Lattès, 1981.
Gottfried Wagner[72],L'Héritage Wagner, une autobiographie, NiL éditions, 1998. Traduction du livreWer nicht mit dem Wolf heult, éditions Kiepenheuer & Witsch, Köln, 1997.
Michal Piotr Mrozowicki,Richard Wagner et sa réception en France, Première partie - Le musicien de l'avenir 1813-1883, Presses Universitaires de Gdansk (Wydawnictwo Uniwersytetu Gdanskiego), 2013, 444 p.(ISBN978-83-7865-049-2)
Michal Piotr Mrozowicki,Richard Wagner et sa réception en France, vol. 3 La Belle Époque (1893-1914), Symétrie, Lyon, 2020, 512 p.(ISBN978-2364850972)
Michal Piotr Mrozowicki,Richard Wagner et sa réception en France, vol. 4 Chronique d'un nouvel âge d'or (1919-1939), Presses Universitaires de Gdansk (Wydawnictwo Uniwersytetu Gdanskiego), 2023, 600 p.(ISBN978-83-8206-533-6)
Luc-Henri Roger,Les Voyageurs de l'Or du Rhin. La réception française de la création munichoise du Rheingold., BoD, 2019, 404 p.(ISBN978-23-2210-232-7)
Sur(en)www.dlib.indiana.edu, partitions gratuites :Der fliegende Holländer,Lohengrin,Die Meistersinger von Nürnberg,Parsifal,Der Ring des Nibelungen,Tannhäuser,Tristan und Isolde
« Wagner » (partitions libres de droits), surl'IMSLP
↑Richard Wagner mentionne ce mariage dans son autobiographieMa vie(en) mais aucun document civil ne l'atteste. Source : Richard Wagner,Ma vie, Éditions Buchet/Chastel, Paris, 1978,p. 7
↑Le silence des bêtes, Élisabeth de Fontenay, éditions Fayard, page 722,(ISBN978-2-213-60045-1)
↑Lettre à Mathilde Wesendonck, Venise, 1er octobre 1858, dans Richard Wagner,Parsifal, préface de M. Beaufils, Paris, Aubier, 1964, p.18, cité dansLe Silence des bêtes, Élisabeth de Fontenay, éditions Fayard, page 722,(ISBN978-2-213-60045-1)
↑L'ordre des différentes parties de la Tétralogie est ici celui de leur composition, tandis que l'écriture de leur livret a eu lieu dans l'ordre inverse.
↑Source : jaquette du CD vol. II (Réf. : 313 062 H1) de l'intégrale des œuvres pour piano de Richard Wagner, piano et présentation de Stephan Möller.
↑Pour lire les textes de Wagner (en anglais), se reporter à la sectionRéférences et liens.
↑« Sans doute lui [Adolf Wagner] parla-t-il de Shakespeare d'une manière fort vivante, car Richard (Wagner) vit son idole en rêve. Avec le temps, Beethoven s'ajouta à Shakespeare. » Richard Wagner, p. 60, Martin Gregor-Dellin, Fayard.
↑À ce propos, on peut lire « Wagner librettiste » dansWagner guide raisonné, Barry Millington, éditions Fayard.
↑Sur la question des apports dus à Wagner sur le plan technique, on peut lire dansHistoire de la musique II vol.1 follio essais l'article de M. Beaufils, notamment pages 608 à 618.
↑Lire à ce propos dansGuide de la théorie de la musique fayard. Henry Lemoine, page 310-311 « Le choc de Tristan ».
↑Textes réunis parGustave Samazeuilh : I.-Naissance de ma foi wagnérienne, extrait deRichard Wagner et son œuvre poétique, Charavay, 1882 ; II.-Séjour à Lucerne et à Munich (1869), texte deLe Troisième Rang du Collier ; III. -Lucerne (1870) - Bayreuth (1876-1881), extraits deRichard Wagner et son œuvre poétique, Charavay, 1882 ; IV. -Histoire d'une collaboration, texte de l'articleLes Grandes et Petites Querelles de Richard Wagner.
↑Friedlind Wagner, née en 1918, est sœur de Wieland et Wolfgang Wagner.
↑Wolf Siegfried Wagner, né en 1943, est le deuxième enfant de Wieland Wagner.
↑Gottfried Wagner, né en 1947, est le deuxième enfant de Wolfgang Wagner.