Alors que la mode durocksteady, ancêtre du reggae, se termine en1968[4], dès sa naissance, en Jamaïque, le reggae évolue et de nouveaux sous-genres émergent. Entre 1968 et 1970 émerge le early reggae (tempo rapide, dû aux influences dumento local encore très rythmé, prédominance de labasse). Entre 1970 et 1976 émerge le one-drop (tempo medium, rythme plus lent, temps fort de la caisse claire sur le3e temps). Entre 1977 et 1980 émerge le rockers, parfois décliné stepper (avec les 4 temps frappés à la batterie, ainsi qu'une caisse claire très tonique). En1981, c'est au tour du early dancehall ourub-a-dub (tempo lent, prédominance de la basse et de la batterie avec balance entre un coup de grosse caisse sur le premier temps et un coup de caisse claire sur le troisième) puis en1985 duraggamuffin ou early digital (rythmique rapide, entièrement composé surboîte à rythmes). C'est à partir de 1973, avec le succès deBob Marley and the Wailers puis d'autres groupes comme lesGladiators etBlack Uhuru, que le reggae prend une dimension internationale. Dès lors, non seulement il continue à évoluer en Jamaïque, mais il reprend aussi son métissage à travers le monde.
Abordant des thèmes souvent liés à des questions politiques et sociales, le reggae s'est forgé une réputation de musique des opprimés[5]. Intimement lié aumouvement rastafari, lui-même né en Jamaïque, le reggae n'en est pas indissociable et est même rejeté par certains adeptes de cette foi[6]. Ayant pris une dimension mondiale, le reggae est désormais joué par des groupes d'origines diverses, est chanté dans une large variété delangues et est composé de différents sous-genres. En2018, l'UNESCO classe cette musique au patrimoine immatériel de l'Humanité[7].
L'édition de 1967 duDictionary ofJamaican English répertorie le reggae comme« une autre orthographe derege », comme dansrege-rege, un mot qui signifie« chiffons, vêtements déchirés » ou« une querelle, une dispute »[8]. Le reggae en tant que terme musical est apparu pour la première fois dans la chansonDo the Reggay deToots and the Maytals qui a défini le genre en développement en lui donnant son nom.
L'historien du reggaeSteve Barrow attribue àClancy Eccles la modification du mot de patois jamaïcainstreggae (fille de joie) enreggae[9],[10]. Cette étymologie est également fournie par le grand producteur de reggaeBunny Lee qui l'explique au musicien et musicologue spécialiste de la JamaïqueBruno Blum dans le filmGet Up Stand Up, l'histoire du reggae[11], précisant que les radios n'avaient pas aimé le mot péjoratif« streggae ». Cependant,Toots Hibbert a déclaré :
« Il y a un mot que nous utilisions en Jamaïque et qui s'appelait « streggae ». Si une fille marche et que les gars la regardent et se disent : « mec, elle est streggae », cela veut dire qu'elle ne s'habille pas bien, elle a l'air loqueteuse. Les filles diraient ça aussi des hommes. Ce matin-là, mes deux amis et moi étions en train de jouer et je me suis dit :« OK mec, let's do the reggay ». C'était juste quelque chose qui est sorti de ma bouche. Nous commençons donc simplement à chanter« Do the reggay, do the reggay » et avons créé un rythme. Les gens me disent plus tard que nous avions donné son nom au son. Avant cela, les gens l'appelaient« blue-beat » et toutes sortes d'autres choses. Maintenant, c'est dans le Guinness World of Records[12]. »
Bob Marley aurait affirmé que le motreggae vient d'un terme espagnol désignant« la musique du roi »[13]. Les notes de couverture deTo the King, une compilation de reggae chrétien sur l'évangile, suggèrent que le mot « reggae » dérive du latinregi qui signifie« au roi ».
D'autres explications existent, comme celle qui en fait la contraction des expressions« regular guy »,« regular people », en somme une musique faite pour« l'homme de la rue » selonBob Marley. Selon d'autres sources, il serait la contraction et l'altération du terme anglais « raggamuffin » (littéralement« va-nu-pieds »)[14]. Une autre hypothèse suggère que « reggae » désignerait une tribu de languebantou originaire dulac Tanganyika[15]. Enfin, le guitariste de studio Hux Brown soutient que le terme « reggae » découlerait de la spécificité de son rythme — « a ragged rhythm » (un « rythme déguenillé » ou « irrégulier »)[16].
« Il y a d'abord lemento, notre musique locale traditionnelle. Leska, lerocksteady et le reggae ont pris au mento le jeu à contretemps de la guitare rythmique, et aussi certaines chansons transformées. Si on essaie d'établir des relations entre les musiques, et de voir quelles continuités existent d'une période à une autre, on peut isoler le jeu à contretemps de la guitare, que l'on peut entendre dans le mento avec le banjo, le ska, et qui correspond aussi au contretemps dans lerhythm and blues et en particulier dans le pianoboogie-woogie. C'est le« beat » entre les temps, c'est leTin-Cutin'-Cutin'-Cutin', c'est le un ET deux ET trois ET… Tu le retrouves dans toutes nos musiques, le reggae, le calypso, le mento, la musique de la Martinique, de la Guadeloupe, tu le retrouves dans le hi-life, mérengue. De plus cette attirance vers l'« after-beat » se retrouve dans les églises, avec les rythmes des tambourins, des claquements des mains… Une grande part du mento provient de la musique populaire. Mais nous avons aussi des traditions folk très fortes, qui pénètrent dans la musique à différentes étapes de son développement. Par exemple tu as la musique burru, le tambour traditionnel africain sur lequel les gens font des chansons sur les évènements locaux. Ces chansons sont celles qu'ils chantent en creusant dans les champs, desdiggin'songs. »
À ces influences s'ajoutent celles demusiques africaines, dumouvement rastafari et des chantsnyabinghi, qui utilisent les tambours dérivés des cérémonies Buru afro-jamaïcaines. Ce métissage ne s'arrête pas là : de nos jours, nombre de styles de par le monde s'inspirent du style reggae, l'intègrent ou le reprennent. Le reggae est maintenant une musique universelle, comme le souhaitait son principal ambassadeur,Bob Marley[réf. souhaitée].
Bunny Wailer, un des ambassadeurs majeurs du reggae à travers le monde, lors du Smile Jamaica Concert 2007.
La question de la paternité du reggae en tant que genre musical proprement dit fait l'objet de controverses, contrairement à celle durocksteady : certains attribuent le premier disque de reggae auxMaytals avecDo the Reggay en.
« Pendant l’hiver 1968, le rythmerocksteady mesuré a laissé place à un son plus rapide, plus enjoué, plus dansant. Le reggae était né. Toots (Toots Hibbert) annonça ce nouveau son avec le titre précurseurDo the Reggay, monstre complexe avec du groove faisant la publicité de « la nouvelle danse qui se répandait en ville ». Toots voulait « faire du Reggae, avec vous ! » …De 69 à 71 Toots ne pouvait pas se tromper en enregistrant pourLeslie Kong. Avec les Beverley’s All-Stars (Jackie Jackson, Winston Wright, Hux Brown, Rad Bryan,Paul Douglas et Winston Grennan), noyau de musiciens constant et la brillante harmonie des Maytals, Toots écrivit et chanta de son inimitable voix sur tous les sujets imaginables[20]. »
Cependant, siToots est certes le premier à utiliser le mot« reggae » dans une chanson, d'autres morceaux au tempo un peu plus rapide que le rocksteady ont déjà préfiguré le style au cours de l'année 1968. D'autres compositions se disputent le titre de premier reggae, dont leBang a Rang deStranger Cole etLester Sterling (pourBunny Lee), leNanny Goat de Larry Marshall et Alvin (sous la direction deJackie Mittoo, pourStudio One), la première version méconnue duSoul Rebel de Bob Marley parue chez JAD et leNo More Heartache des Beltones.Pop-a-Top de Lynford Anderson annonçait aussi en 1969 un nouveau style de rythme.
Cette première phase d'évolution du reggae, qualifiée de « période du early reggae », est caractérisée par un tempo plus rapide et l'accentuation du contretemps déjà présent dans le mento, leska et le rocksteady. Puis letempo ralentit, la basse se fait plus lourde encore, mais le reggae garde cette base rythmique basse avec batterie prédominante et ce mouvement chaloupé qui lui est propre.Lee « Scratch » Perry est également à l'origine d'un des premiers succès reggae de 1968,Long Shot (interprété par lesPioneers, avec les jeunes frèresAston « Family Man » Barrett etCarlton Barrett à labasse/batterie), où il utilise une rythmique reggae. Scratch travaille alors pourJoe Gibbs et le quittera pour ne pas avoir été crédité pour son travail sur ce morceau[réf. nécessaire]. Il reprendra cet arrangement de basse/batterie à son compte et en fera sonPeople Funny Boy, un succès jamaïquain, en se lançant dans la production, avec son propre label Upsetter. Scratch utilise par la suite des pratiques innovantes qui transforment le reggae, comme l'introduction de bruitages (l'origine dusample). Il fonde également le studioBlack Ark où seront enregistrés, entre autres,Bob etThe Wailers,The Congos,Max Romeo etJunior Murvin.
On voit apparaître les premierssound systems en 1940 : une sono embarquée dans un camion, faisant le tour de laJamaïque. Unsound system est constitué d'unselecter, un programmateur qui choisit les musiques pour faire bouger, et dutoaster (terme qui disparaît dans les milieuxelectro,techno ouhip-hop pour devenirMC) qui commente et anime la session du selecter au micro. Les premierssound systems sont très rudimentaires : uneplatine vinyle, unamplificateur et deuxenceintes. Tom Wong, alias Tom the Great Sebastian, Jamaïcain d'origine chinoise, est le premier à faire bouger les rues deKingston au début desannées 1950. Un autresound system très connu est celui de Clement Seymor Dodd, aliasSir Coxsone Downbeat, qu'il monte en plein ghetto deKingston. Il engage Count Matchuki (précurseur du rap et dubeatboxing)[21],[22],[23] commedeejay. Le milieu dessound systems est très rude, et la concurrence féroce envoie souvent des hommes de mains saccager lessound« adverses » : on arrache les étiquettes des disques, détruit le matériel, etc. (c'est pour cela par exemple que Coxsone engagePrince Buster, boxeur amateur, qui sauve d'ailleursLee Scratch Perry). Vers la fin des années 1950, le courant recule aux États-Unis et lesselecter ont beaucoup de mal à s'approvisionner en disques. Ils se tournent alors vers l'industrie du disque locale. C'est à ce moment-là que Coxsone crée son propre label : le Studio One.
Lesound system enFrance émerge au début des années 1980 dans les squats. Les premiers grossound avec plus de cent personnes ont été organisés vers 1982 à l'église des Panoyaux, à Ménilmontant dans le20e arrondissement deParis, avec Ras Gugus et Papa Ange. La scènesound system française est, dans les années 2000, en pleine expansion, avec en chef de file dessound systems tels que Blackboard Jungle, Jah Wisdom, Legal Shot, Zion Gate, Soul Stereo, Jah Militant, Salomon Heritage, Lion Roots ou Chalice Sound. Des acteurs plus locaux, présents dans de nombreuses villes deFrance, sont également à l'origine de l'engouement du grand public pour ce type de soirée. Lesound système fait son apparition enAfrique du Sud vers la fin des années 1980. Les artistes du reggae utilisent ce canal pour soutenir la lutte contre leracisme dans leur pays. Senzo est un artiste de reggae qui utilise son style depuis les années 90 pour imposer sa musique reggae gospel[24].
Ledub est un dérivé du reggae dont le nom signifie« remixage » depuis 1968[25]. Il prend ses racines dans l'ajout de solistes de jazz sur des rythmiques préenregistrées, commeThe Return of Django de Val Bennett & the Upsetters, un succès britannique de 1968 produit parLee« Scratch » Perry. Au début desannées 1970, les ingénieurs du sonKing Tubby et Errol Thompson approfondissent significativement ce genre pionnier, le sophistiquant et le perfectionnant.King Tubby est un créateur important et très influent, qui enseigne ses pratiques à nombre de disciples, parmi lesquels King Jammy, Scientist et Lee « Scratch » Perry. À la fin des années 1980, le dub commence à influer de façon importante sur toute la musique populaire de danse mondiale[26], qui adopte le principe du remixage, né en Jamaïque[27].
Le travail des ingénieurs du son pratiquant ledub consiste à effectuer un remixage des morceaux présents sur la face A des45 tours de vinyle, et à les publier en face B ; la face A est donc le morceau original et la face B la version dub. Le style se caractérise alors par son accentuation rythmique, lourde et dépouillée, une basse et une batterie très présente. La voix disparaît le plus souvent. On y ajoute des effets comme des échos, de la réverbération et autres apparitions et disparitions de pistes. Ces variations instrumentales permettent aux toasters (disc jockeys du reggae) de développer leurs improvisations dans les soirées dansantes dessound systems. Cette nouvelle pratique est elle aussi pionnière. Elle s'exporte àNew York et est à l'origine du rap américain[25]. Le dub devient alors un style à part entière et se développe dans le monde entier de façon indépendante du reggae dont il est issu,au point que le public du dub actuel ignore souvent son origine[réf. souhaitée].
Ladub poetry est un dérivé du rap jamaïcain. La poésie dub jamaïcaine s'intéresse de près à l'acte artistique, à l'engagement politique. Le poète « dub » prononce ses paroles sur des musiques composées spécifiquement pour elles[28], alors que le DJ improvise sur des musiques préexistantes[25]. Lesdub poets de référence sontMichael Smith,Sister Breeze, Oku Onuora, Mutabaruka et l'anglo-jamaïcainLinton Kwesi Johnson, mieux connu, qui n'est pasrasta mais est engagé dans un mouvement très marqué par la gauche britannique et les écrits deC. L. R. James notamment. Ce style s'implante alors dans les milieux culturels et intellectuels. Des artistes américains commeBenjamin Zephaniah ouThe Last Poets participent à l'évolution du genre en l'orientant vers lehip-hop et l'electro.
L'appellationlovers rock, lancée àLondres au milieu desannées 1970, définit un reggae doux, au rythme moins marqué, qui parle d'amour et de situations sentimentales et s'oppose en cela au reggae roots. Il est devenu synonyme du reggae« romantique » dont les figures jamaïcaines les plus représentatives sontGregory Isaacs,John Holt,Dennis Brown etFreddie McGregor. Ce style perdure enJamaïque dans lesannées 1980 avec Sugar Minott, Cocoa Tea ou Frankie Paul, puis dans les années1990 avecBeres Hammond, Sanchez, Jack Radics,Glen Washington, George Nooks, Richie Stephens, Wayne Wonder et, durant les premières années de sa carrière,Luciano. Il est également resté assez populaire en Angleterre, où même des groupes reggae roots comme Aswad ou Matumbi s'y sont adonnés. Les artistes lovers rock britanniques actuels sontDon Campbell, Peter Huningal, Nereus Joseph ou Peter Spence. Il a en particulier suscité de nombreuses carrières d'artistes féminines telles Carol Thompson, Louisa Marks et Janet Kay.
L'early reggae se démarque durocksteady par un tempo plus rapide, un skank à l'orgue souvent doublé et une influencefunk dans le jeu de basse alors que la batterie marque le troisième temps d'une mesure de quatre temps, à la façon du rocksteady (dans leska, il s'agissait des deuxième et quatrième temps). Ce style est également influencé par le mento traditionnel, influence retrouvée dans leskank dédoublé et dans certaines lignes de basse rapprochées du jeu d'une rumba box. Ce reggae, très nerveux et mené par le jeu de l'organiste, connut beaucoup de succès enAngleterre auprès des skinheads anglais, au point qu'il prit parfois le nom de skinhead reggae[réf. nécessaire].
Le skinhead reggae proprement dit naît dans les années 1969 et 1970 en Angleterre, à la suite du mélange desmods et desrudies jamaïcains fans de reggae, donnant naissance à desskinheads auxquels ils ont transmis le goût de cette musique : des groupes se sont mis alors à jouer ce style spécifique pour répondre à leurs attentes. Les principaux artistes issus de l'émigration caraïbe (Jamaïque, laBarbade, Guyane britannique…) qui faisaient allusion aux skinheads étaientLaurel Aitken, Dandy,Derrick Morgan,Symarip, The Rudies, Hot Rod Allstars (The Cimarons),The Pioneers et les producteurs Joe Mansano, Lambert Briscoe, Webster, Shrowder et Desmond Bryan.
L'année 1995 marque le début de la vague« new roots » amorcée l'année précédente par la mort du chanteurGarnett Silk. Sur le plan des textes, le new roots, aussi appelédancehall roots, désigne le retour de la mode des textes conscients et« culturels » (moins présents depuis la seconde moitié desannées 1980 où les textes les plus mis en avant traitaient souvent de manière ambiguë d'armes à feu ou de sexe) dans le reggae jamaïcain, sous le renouveau de l'influence rasta[réf. nécessaire].
Sur le plan de la texture musicale, le new roots se traduit par le retour du reggae à un son moins digital voire de plus en plus« acoustique ». La plupart du temps, le son reste néanmoins semi-digital puisque l'ossature des« riddims » (basse-batterie-skank) reste généralement exécutée à l'aide de synthétiseurs/boîtes à rythmes tandis que viennent se greffer autour des instruments non digitaux plus traditionnels (cuivres,guitare,piano,orgue Hammond).
Les labels phares de la vague new roots de 1995 sontX-Terminator (Phillip« Fattis » Burrell), Digital B (Bobby« Digital » Dixon), Penthouse (Donovan Germain), Startrail (Richard« Bello » Bell), puis par la suite à un niveau moindre, X-rated (Barry O'Hare), Kariang (Jah Mike), Black Scorpio (Jack Scorpio), Kings of Kings (Colin« Iley Dread » Levy) et Fateyes (Fatta Marshall & Bulby York). Mais cette vague très influente en Jamaïque jusqu'en 1998 cède ensuite la place à un retour du dancehall hardcore, le dancehall bogle (appelé de plus en plusdancehall tout court), jusqu'en 2004, époque à laquelle on recommence à parler de new roots pour désigner un nouveau retour à un reggae plus classique dans la rythmique. Ce nouveau cycle de la musique jamaïcaine prend également le nom deone drop, terme qui désignait à l'origine le rythme roots reggae le plus« traditionnel » (les autres étant le flying cymbal, le rockers et le rub-a-dub) mais qui devient de plus en plus synonyme d'une rythmique roots reggae, quelle qu'elle soit.
Depuis peu, le reggae one drop à l'ancienne reprend ses droits enJamaïque[réf. nécessaire] aux dépens d'un dancehall qui régnait en maître ces dix dernières années. De plus en plus influencé par lehip-hop américain, ce genre musical peine alors à se renouveler. Il n'en faut pas plus pour que quelques jeunes artistes, appelés« nouvelle garde », s'engouffrent dans une brèche ouverte en 2002 parWarrior King et son tubeVirtuous Woman, son premier véritable succès. Cette chanson séduit le public jamaïcain non seulement pour sa qualité et son côté novateur, mais aussi pour l'histoire autobiographique qu'elle raconte. En effet, cette chanson est destinée à son ex-petite amie qui, en l'entendant à la radio, décidera de retourner avec lui, charmée par cette preuve d'amour. Lesyardies, friands de contes de fées, ont littéralement accroché. S'ensuit l'album nomméBreath of Fresh Air, un succès d'estime autant que commercial.
Puis, en 2003-2004, c'est toute une génération qui émerge du genre reggae, rebaptisée une nouvelle foisnew roots pour l'occasion. C'est d'abordRichie Spice, le cadet de la famille Banner, à qui l'on doit les chanteurs Pliers et Spanner Banner, qui atteint la première place avec trois singles consécutifs, dans l'ordre :Earth a Rune Red,Marijuana etFolly Living. Il est, depuis, devenu l'icône du renouveau du reggae et son albumSpice In Your Life figure déjà au panthéon de la musique jamaïcaine moderne. À ses côtés se trouve le label Fifth Element, équipe de production/management également responsable d'autres artistes à la mode comme Chuck Fender et Anthony Cruz. Puis apparaissent Chezidek et sonLeave The Trees, Natty King avec sesNo Guns to Town etMr Greedy,Fantan Mojah avecHail the King etHungry Days,Mr. Perfect avecHandcart Boy. D'ailleurs, ce dernier possède une histoire similaire à celle deWarrior King. Sa chanson narre une histoire tirée de sa propre vie, à savoir celle d'un pauvre rasta pousseur de charrette amoureux d'une belle fille de bonne famille, et qui parvient malgré tout à la séduire. Enfin,Gyptian connaît un très grand succès avec sa chansonSerious Times sur un rythmenyabinghi-FM. Le leader de ce nouveau mouvement reggae, Jah Cure, effectue un séjour en prison, pour une affaire contestée de viol, de 1999 à 2007. Il est libéré sur parole le. Trois jours après sa libération, il sort son quatrième album intituléTrue Reflections...A New Beginning (Des pensées profondes... Un nouveau début), qu'il a pu enregistrer dans sa cellule. Depuis, cela a donné des idées à certains et même les artistesdancehall se mettent au one drop, notammentElephant Man qui se met soudainement à chanterrastafari.
À des lieues du dancehall et de sa glorification fréquente desguns et des grosses voitures, le reggae one drop évolue constamment dans un climat positif et constructif. Les chansons ont bien souvent comme thème l'appel à l'amour, la condamnation de laviolence, l'éloge de l'herbe ou encore la dénonciation de la corruption presque traditionnelle. Même si elles découlent de causes identiques, il existe des différences entre la vague nu roots de 2004 et celle de 1995 :
celle de 1995 repose sur des labels assez anciens et très puissants, qui forment de véritables familles artistiques avec leurs artistes (X-Terminator, Startrail) et imposent chacun un son particulier (les fameux sons Penthouse ou Digital B). À l'inverse, celle de 2004-2005 est basée sur une génération de nouveaux artistes. Les labels« dominants » (il n'y en a pas vraiment, mis à part Downsound) sont plus modestes, bien moins puissants et moins charismatiques au niveau des productions (on ne reconnaît pas vraiment ces labels à leur son, à part peut être ceux de Don Corleon, dont les riddims nu roots facilement abordables sont tous basés sur à peu près la même rythmique). L'aspect familial mis en avant en 2004 a disparu (départs de Chuck Fender et Anthony Cruz du Fifth Element, de Junior Kelly de Downsound, de Luciano de chez X-Terminator) ;
le son est de plus en plus acoustique en 2004, alors qu'il restait assez digital en 1995. Par ailleurs, il est aussi plus léger (basses parfois mises en retrait lors du mixage) et plus« lover's » que le son lourd de 1995 ;
le reggae nu-roots n'est pas exclusivement jamaïcain. Bien que l'Europe soit principalement tournée vers le reggae dit roots, le nu-roots est une musique jouée et écoutée sur toute la planète.
Danakil lors du festivalVerjux Saone System le 13 juin 2009.
Le reggae est une musique ayant une structure rythmique très marquée. Cette structure peu remplie mais très tranchante est donnée par la guitare rythmique qui accentue le second et le quatrième temps par unecroche ou deux doubles croches et labatterie qui accentue le troisième par un coup de caisse claire et de grosse caisse synchronisés. À cette structure découpée s'ajoute le pilier central, moins anguleux : la basse, qui assure le fondement mélodique du rythme. Les« riddims », structure rythmique au fondement des musiques jamaïcaines à partir de 1967[29], sont généralement déterminés par leur ligne de basse).
Le reggae peut-être caractérisé par unrythme à quatre temps, avec accentuation par labasse qui exécute de petits riffs d'une mesure souvent en figure de croche etbatterie sur les temps faibles. Leskank qui désigne lecontretemps (ou after-beat) propre au reggae (en fait une accentuation du second et quatrième temps), généralement marqué par un accord plaqué joué par la guitare rythmique ou le clavier. le reggae se caractérise aussi par un coup decaisse claire sur le one drop (3e temps).
Laguitare rythmique : elle est toujours électrique (très rares exceptions) et l'effet utilisé est absolument crucial. Le skank est parfois doublé par un mouvement d'aller-retour rapide (lepickin) ou par l'utilisation d'une boîte analogique à écho (delay, en anglais). Les accords en contretemps sont parfois dotés d'un effetWah.
Laguitare solo : dit principal, le jeu de la lead guitar est un court motif, souvent joué cordes étouffées, basé sur la répétition très rapide d'une même note. Unelead guitar peut reprendre la ligne de base, ou avoir sa propre ligne.
Labasse : à l'origine lescontrebasses marquaient le temps sur les rythmes ska. Les basses reggae sont électriques et ont plus de liberté mélodique. Elles utilisent les fréquences les plus basses et apportent un effet alourdissant volontairement le riddim. La guitare basse forme le noyau central du riddim avec la batterie, musique fondamentalement rythmique, des mots même de Lee Perry. Les lignes de basses les plus marquantes (Rockfort Rock, The Heathen…) sont simples mais jouées avec une précision absolue afin de maintenir une rythmique marquée au travers des accords. L'importance de la basse s'accroît avec la naissance du roots, et plus encore dans le dub.
Lescuivres : dominants durant le ska, presque absents du rocksteady, ils reprennent place avec le reggae. S'ils interviennent presque toujours de manière synchronisée et harmonisée, ils marquent parfois le skank (ex :They don't Know Jah des Wailing Souls) et remplacent plutôt l'espace occupé par l'orgue au début des années 1970 : intro et refrain. Ils interviennent rarement en solo. Certains artistes, tels queBurning Spear font perpétuellement appel à une section cuivre.
De 1975 à 1980, le reggae évolue sous une nouvelle forme : le rockers développé parSly Dunbar. Il est caractérisé par des coups decharleston vifs et saccadés et surtout, par une accentuation de chaque temps à lagrosse caisse, emprunté audisco. Ce style très militant présentant moins de cuivres met un terme à la domination deStudio One, et ouvre la grande phase de domination du studio Channel One et de son groupe phare lesRevolutionaries. Il survient après le flying cymbal, style caractéristique du producteur Bunny Lee (écouter lehitNone Shall Escape The Judgement par Johnny Clarke) style caractérisé par deux coups de charleston ouvert sur les2e et4e temps (contretemps rythmique) tssss-tssss.
À partir de 1981, un nouveau style debatterie qui a perduré jusqu'à aujourd'hui règne en maître : leearly dancehall parfois appelé Rubadub. Il s'agit d'un balancier binaire grosse caisse (1er temps) caisse claire (3e temps). Le nouveaubacking band deChannel One, lesRoots Radics, sont considérés comme les maîtres absolus du Dancehall instrumental. Les producteurs les plus en vue changent etJunjo Lawes etLinval Thompson occupent le devant de la scène. C'est à cette même période qu'explose ledub, sur les instrumentaux dancehall, et une nouvelle vague de mixeurs à l'image deScientist. C'est aussi la période du déclin des chanteurs et en particulier des trio harmoniques et la domination progressive des deejays au phrasé parlé. À l'approche du milieu des années 1980, leRubadub intègre des paroles de plus en plus sexuellement explicites et les deejays utilisent des boucles redondantes de mélodie vocale caractéristiques de cette époque (écouter Peter Ranking ou Yellowman). En 1985, le riddim digitalSlengteng produit par Prince Jammy porte le coup létal à un Channel One déjà agonisant.
L'histoire du reggae est indissociable de celle dessound systems. À l'industrie phonographique locale et comparable à une sono mobile, lesound system désigne à la fois le matériel utilisé, l'équipe qui l'anime et la soirée elle-même. Toute musique produite enJamaïque est diffusée en sound-system et lesdisc jockeys (DJ) animent les danses depuis les années 1950. Pour des raisons économiques ces soirées, qui diffusent de la musique préenregistrée, remplacent les orchestres. Les DJ y pratiquent letoasting (le terme « toaster » signifie « bonimenteur ») pour introduire les morceaux. On trouve ici les racines durap. Lessound-systems sont donc de grands rassemblements festifs, en plein air qui attirent une large frange de la population jamaïcaine, en particulier celle des quartiers pauvres deKingston, la capitale. On peut citer notamment parmi les plus célèbressound-systems ceux de SirCoxsone Dodd (Studio One) etDuke Reid qui se sont longtemps affrontés avant de monter chacun leur propre studio, respectivement Studio One et Treasure Isle.
Depuis les années 2000, le reggae se diffuse particulièrement sous la formedub enEurope, grâce auxsound systems, d'abordanglais puisfrançais,suisses... Les possesseurs desound systems sont souvent également producteurs (Aba Shanti I, Jah Shaka, Salomon Heritage…). Le termedub est parfois un abus de langage, bien que très utilisé, pour désigner la musique diffusée lors de ces soirées - alors qu'il serait plus correct de parler de reggae, duroots, jusqu'au digital. Mais ce terme permet également de différencier des courants très différents, entre l'école dite anglaise (jouée dans cessound systems), et l'école plus française du reggae/dub, représentée à différents niveaux parHigh Tone,Danakil,Naâman, par certaines productions deBrain Damage et bien d'autres[30].
Le reggae autour du monde connaît donc un nouveau regain de public, porté notamment par cessound systems, mais également par des groupes au sens traditionnel, se produisant sur scène
Leroots reggae ou reggae roots est un sous-genre de reggae qui traite de la vie quotidienne et des aspirations des artistes concernés, y compris du côté spirituel durastafari et de l'honneur deDieu, appeléJah par les rastafari et à l'utilisation ducannabis comme plante sacrée[39]. Il est également identifié à la vie de souffrance dans les ghettos et des pauvres des zones rurales. Ce genre a différents thèmes pour ses chansons notamment laspiritualité et la religion, lapauvreté, la fierté d'être noir, les questions sociales, la résistance augouvernement et de l'oppression raciale, et du rapatriement de l'Afrique.
Le reggaestep est un genre defusion entre le reggae et ledubstep ayant gagné en popularité en ligne, en particulier surSoundCloud. L'un des morceaux de reggaestep les plus populaires à partir de2013 estMake It Bun Dem de l'artisteaméricain demusique électroniqueSkrillex, dont le clip a recueilli plus de200 millions de vues surYouTube, ainsi que plus de cinq millions de hits surSoundCloud, et vendu à plus de500 000 exemplaires[40]. Malgré cela, le genre est relativement inconnu, mais assez répandu surSoundCloud[40]. LeHuffington Post reconnait le reggaestep comme genre musical dans son article surMake It Bun Dem[40].
Musicalement, le reggaestep se caractérise par une percussion et unemélodie similaires à celles du reggae, lekick étant au début de la mesure et la boucle au deuxième ou troisième temps, mais a tendance à utiliser les percussions dedubstep.
↑Marisol Rodríguez Manrique,La musique comme valeur sociale et symbole identitaire, Harmattan,,p. 21.
↑Jérémie Kroubo Dagnini,Les origines du reggae. Retour aux sources : Mento, ska, rocksteady, early reggae,Éditions L'Harmattan,,p. 26.
↑a etbMatthew Sherman, « The Rise of Reggae and the Influence of Toots and the Maytals » (essai), sur The Dread Library, n.d., Web. 18 Sept. 2016 (http://debate.uvm.edu/dreadlibrary/sherman.html).
DaReggaeData.com Base de données (database) spécialisée sur le Reggae (depuis 2009) répertoriant les artistes reggae avec leurs albums et les tracklists de ceux-ci, ainsi que le nom des riddims des chansons.