Ministre à plusieurs reprises,président du Conseil puis président de la République de 1913 à 1920, Raymond Poincaré fut l'une des plus grandes figures politiques de laIIIe République. Il fut également, en tant que président de la République, l'un des personnages centraux de laPremière Guerre mondiale, conflit durant lequel il appelaGeorges Clemenceau à la présidence du Conseil, en 1917. Après son mandat présidentiel, il est à nouveau président du Conseil de 1922 à 1924 et de 1926 à 1929.
Raymond Nicolas Landry Poincaré naît dans une famille aisée deBar-le-Duc, le. Il est le fils de Nicolas Anthony Poincaré (1825-1911),polytechnicien (1845), ingénieur, puis inspecteur général desPonts et Chaussées. En remontant sa généalogie paternelle aussi loin que le permettent les archives, on trouve auXVIIe siècle un Jean Poincaré natif deLandaville, près deNeufchâteau (Vosges)[1]. Sa mère,Nanine Marie Ficatier (1838-1913), apparentée au général baronFlorentin Ficatier, est profondément croyante[2]. Raymond Poincaré passe son enfance dans la maison bourgeoise des grands-parents Ficatier, rue du docteur Nève, à Bar-le-Duc ; ces derniers avaient fait fortune àNeuilly-sur-Seine dans le commerce du bois[3].
Comme beaucoup de Français de sa génération, il est marqué par ladéfaite de 1870[6]. La maison parentale est réquisitionnée par l'occupantprussien[7]. À la suite de cet épisode, en 1871, il donne à son chien le nom deBismarck, en référence au chancelier impérial d'Allemagne[3]. Après des études àNancy, il termine sa scolarité aulycée Louis-le-Grand à Paris avant de poursuivre des études de droit à lafaculté de droit de Paris. Licencié en droit et en lettres, il devient avocat stagiaire et finit major de laconférence du barreau[2].
Poincaré enfant avec son père Nicolas et son chien.
Il devient secrétaire de MeHenry du Buit, célèbre avocat d'affaires. En 1883, il prononce un discours à l'ouverture de la Conférence des Avocats dans lequel il fait l'éloge du républicainJules Dufaure, ancienbâtonnier et ex-président du Conseil décédé deux ans auparavant :
« S'il est à souhaiter que l'éloge d'un mort illustre éveille chez nous le désir de l'imiter, le simple récit de la vie de Dufaure contiendra, je crois, pour notre génération, un précieux exemple de travail, d'indépendance et de dignité. »
— Éloge de Dufaure à l'ouverture de la Conférence des Avocats 1883, Barreau de Paris
Formé à la politique parJules Develle, dont il est pendant dix-huit mois directeur de cabinet auministère de l'Agriculture en 1886, élu ensuiteconseiller général ducanton de Pierrefitte dans laMeuse, Poincaré se forge une réputation derépublicain modéré et conciliant dès son premier mandat de député pour laMeuse en 1887. Cela n'empêche pas ce fils de polytechnicien, entré avec réticence sur la scène politique, de s'y imposer rapidement.
En 1895, il ouvre son cabinet, qui obtient rapidement un grand succès et détient une clientèle très prestigieuse pour les affaires depresse — il est avocat du Syndicat de la presse parisienne —, les affaires littéraires — il est notamment l'avocat de l'écrivainJules Verne[8] — et ledroit des sociétés — il compte parmi ses clients les plus grandes entreprises industrielles et financières du moment.
À trente-six ans, il a déjà été trois fois ministre : de l'Instruction publique (1893), sousDupuy, puis desFinances dans lesecond cabinet Dupuy, après la victoire électorale des modérés (1894-1895), et de nouveau chargé de l'Instruction publique, dans lecabinet Ribot, en 1895. Il est partisan de lalaïcité mais éloigné de l'anticléricalisme radical. Il prône en effet une « école neutre », dont la vocation serait de produire de vraispatriotes. Poincaré devient alors l'un des chefs de file en vue des modérés, qui arborent l'étiquette « progressiste » qui a remplacé l'ancienne appellation d'« opportunisme » utilisée parGambetta etJules Ferry. Au fil du temps, ces « républicains progressistes » évoluent du centre gauche vers le centre droit, suivant le phénomène dusinistrisme.
Durant l’affaire Dreyfus, il adopte une attitude prudente. Il fait d'abord partie de ceux qui souhaitent étouffer un scandale qu'ils jugent contraire à la raison d'État. Il se rallie finalement au camp dreyfusard, plus par légalisme (attitude consistant à s’en tenir strictement à la lettre de la loi) que par conviction[Quoi ?] .
Bien que républicain et laïque — signe sûr, à laBelle Époque, d'une appartenance à lagauche — Poincaré demeure cependant prudent envers les gauches, et reste très modéré. En juin 1899, le président de la RépubliqueÉmile Loubet le pressent comme président du Conseil[10]. Mais il n'arrive pas à mettre d'accord les différentes tendances républicaines pour composer un gouvernement, tandis queClemenceau déclarait :
« Le don de Poincaré n'est pas à dédaigner : c'est l'intelligence. Il pourrait faire remarquablement à côté de quelqu'un qui fournirait le caractère[10] »
Plus tard, c'est auSénat que Poincaré décide de se présenter. Il est élu sénateur dans laMeuse en 1903. À la chambre haute, il se fait connaître par la qualité de ses discours et sa vaste culture classique[2]. Il quitte le Sénat en 1913, date à laquelle il est élu à l'Élysée, puis reprend ses fonctions en 1920 et ce jusqu'en 1929 où il démissionne à cause de son état de santé.
En 1906,Clemenceau, qui juge pourtant Poincaré un peu trop mou — c'est lui qui aurait inventé l'expression « poincarisme » dans son hebdomadaireLe Bloc du[11] — lui propose néanmoins d'entrer dans songouvernement. Poincaré, peut-être par animosité, s'y refuse[11].
Bien davantage du fait de sa proximité avec le milieu littéraire qu'en raison de sa notoriété littéraire (il n'a jusqu'alors publié que trois modestes études), il est élu à l’Académie française en 1909[12]. Il est également professeur aux écoles HEI-HEP dans les années 1900[13].
En janvier 1912, il est nommé président du Conseil et forme ungouvernement de républicains modérés avecBriand à la Justice ;Théophile Delcassé à la Marine ;Jules Pams à l'Agriculture ;Albert Lebrun aux Colonies etLéon Bourgeois au Travail et à la Prévoyance sociale. Il s'octroie le portefeuille des Affaires étrangères et se donne comme ligne diplomatique le rapprochement avec l'Angleterre, la consolidation de l'alliance avec l'empire des tsars et la fermeté avec l'Allemagne. La presse parisienne lui fait alors une réputation flatteuse de détermination[14].
Du 6 au, il est en visite officielle enRussie dans le cadre de l'alliance franco-russe et assiste à des revues militaires. Il y apprend plus en détail l'importance de la Russie auprès de laLigue balkanique[15].
Le Petit Journal annonçant l'élection de Raymond Poincaré.Raymond Poincaré à Reims en 1913.
Alors que le mandat présidentiel d'Armand Fallières touche à sa fin, Poincaré se présente comme candidat à l'élection présidentielle de 1913. Le président du Conseil est en lice face au président de la Chambre,Paul Deschanel, et au président du Sénat,Antonin Dubost. AvecClemenceau, lesradicaux soutiennentJules Pams, le ministre de l'Agriculture, une personnalité considérée comme effacée et dont la candidature vise essentiellement à contrer Poincaré[11].
Selon la tradition républicaine, un scrutin préparatoire a lieu pour choisir le candidat du « camp républicain » ; les « modérés » (républicains de droite) d'un côté, de l'autre lessocialistes, refusent toutefois d'y participer. Au troisième tour, Pams l'emporte avec 323 voix contre 309 pour Poincaré, classé à gauche à l'époque (dreyfusard, laïc, il s'était mariécivilement, puis religieusement en 1912[11]). La discipline républicaine aurait voulu que, battu à ces primaires, il se retire, et c'est ce que lui demande une délégation conduite par Combes et Clemenceau[11].
Mais Poincaré refuse, sachant que lors du scrutin officiel, il serait soutenu par la droite républicaine : il se présente donc àVersailles, et est élu le au deuxième tour, avec 482 voix contre 296 à Pams et 69 pour le socialisteÉdouard Vaillant[11]. Clemenceau conservera une rancune tenace contre Poincaré pour n'avoir pas respecté la discipline républicaine, que lui-même respectera lors de l'élection présidentielle de 1920.
Il pousse à la fermeté laRussie lors de son voyage officiel du 13 au en Russie, afin de renforcer les alliances deux semaines après l'attentat de Sarajevo[16]. Avec Briand etClemenceau, et contreJaurès et laSFIO, Raymond Poincaré soutient laloi des trois ans, qui prolonge le service militaire à trois ans. En échange, il concède au Parlement hostile à la guerre unimpôt progressif sur le revenu dont le débat s'ouvre au Sénat le 3 juillet 1914, quelques jours après l'attentat de Sarajevo[17]. C'est cependant une mesure très peu appréciée jusque dans son propre parti[18]. Il a ainsi pu être surnommé« Poincaré la Guerre »[2], notamment parÉdouard Herriot[19].
Raymond Poincaré aurait déclaré vouloir préserver la paix en ordonnant un éloignement de 10 km de la frontière franco-allemande des troupes de couverture en juillet 1914[20]. Cependant, cet ordre sera qualifié de« purement diplomatique » et« pour l'opinion publique anglaise », et sera officiellement levé le 2 août 1914, 24 h avant la déclaration de guerre allemande[21].
Déclaration du Gouvernement à la Chambre des députés et au Sénat, lue par René Viviani, président du Conseil. Paris, 4 août 1914.Archives nationales de France.Raymond Poincaré etJoseph Joffre sur le front de la Somme, 1916.
Le 4 août, son message est communiqué aux Chambres parRené Viviani : la France« sera héroïquement défendue par tous ses fils, dont rien ne brisera devant l’ennemi, l'Union sacrée, et qui sont aujourd’hui fraternellement assemblés dans une même indignation contre l’agresseur, et dans une même foi patriotique ». Il participa à la cérémonie du transfert des cendres deRouget de Lisle auxInvalides le, durant laquelle il prononça un discours célèbre où il explique sa vision du déclenchement de laPremière Guerre mondiale.
Il n'hésite pas, parfois au péril de sa vie, à venir au front (essentiellement dans laMeuse et dans laSomme) afin de juger du moral des troupes et des populations déplacées. Il visite à plusieurs reprises la partie de l'Alsace redevenue française dès le : aucol de la Schlucht, àThann,Masevaux,Saint-Amarin etDannemarie entre le et le. Il visite leBois-le-Prêtre le et le. Il dira par la suite :
« De toutes les visions d’horreur que la guerre m’a offerte, c’est au Bois-le-Prêtre que j’ai peut-être vu les plus effroyables. J’y suis allé plusieurs fois, et j’y ai vu aux premiers jours d’hiver nos soldats merveilleux d’endurance au milieu de l’humidité et de la boue… »
Fin 1917, il nomme le radical-socialisteClemenceau, qu'il n'apprécie guère mais dont il admire la fermeté de caractère, comme président du Conseil. Son rôle devient alors plus discret, et il se plaint même, dans ses écrits, d'être mis de côté. Il conserve toutefois une certaine influence : selon l'historienMichel Winock, une certaine forme decohabitation se met en place entre les deux hommes.
Dans les dernières semaines de la guerre, il est partisan avecPétain de poursuivre les Allemands jusque chez eux alors que Clemenceau qui estime que la guerre a été suffisamment meurtrière veut obtenir un armistice dans les meilleurs délais[2]. Il ne participe pas autraité de Versailles où la France est représentée par Clemenceau. Il sera toutefois très critique à son égard[2].
Sa présidence nous est bien connue notamment par ses mémoires en dix volumesAu service de la France qu'il publie entre 1926 et 1934. On y découvre un chef d'État désabusé par les limitations de sa fonction. À la différence de ses prédécesseurs, il s'efforce de dépasser le rôle de représentation et de magistère moral qui est alors celui du président de la République, en faisant connaître son avis personnel et en agissant par des intermédiaires. Il doit néanmoins rester dans le cadre contraint auquel l'interprétation dominante de la Constitution le limite[2].
Dès 1920, alors que son mandat n'est pas achevé, il se fait éliresénateur de laMeuse sur la demande d'André Maginot dans le but d'empêcher la prise d'un siège par les conservateurs, puis accède à la présidence de lacommission des Affaires étrangères du Sénat.Aristide Briand ayant démissionné de la présidence du Conseil à la suite des critiques subies du fait de ses prises de position en matière de politique étrangère à laconférence de Cannes, Poincaré accepte de redevenir président du Conseil en, à la demande du président de la République,Alexandre Millerand.
Il n'est pas apprécié par la gauche. Le, dans un discours àCharenton,Paul Vaillant-Couturier l'attaque :« Il est l'homme du militarisme et de la petite-bourgeoisie. Il est le défenseur des petits-bourgeois porteurs de valeurs russes. Il est surtout celui qui, par sa diplomatie secrète, déchaînera demain sur le pays une nouvelle guerre. »[27]. C'est dans ce contexte queL’Humanité, reprenant une photographie prise lors de la visite d'un cimetière de Verdun aux côtés de l'ambassadeur des États-Unis, prétend y voir un rictus et le surnomme, en juin 1922,« l'homme qui rit dans les cimetières »[28].
Face à l’Allemagne, qui refuse de payer lesréparations de guerre, Raymond Poincaré recourt à la force, faisantoccuper la Ruhr par les troupes françaises, décision fortement critiquée par les alliés[6]. De plus, sa politique de rigueur budgétaire le rend impopulaire. En 1924, après la victoire duCartel des gauches, il doit présenter sa démission, tout comme le président Millerand[29].
Président du Conseil : quatrième et cinquième gouvernements (1926-1929)
Tract pour les élections législatives de 1932 faisant référence à la « prophétie » de Raymond Poincaré.
On le rappelle à la tête du gouvernement en 1926, devant l’ampleur de la crise financière[30]. Il forme alors un cabinet d’union nationale, en conservant Aristide Briand aux Affaires étrangères, et en revenant à une politique d’austérité financière ; lefranc germinal est remplacé par lefranc Poincaré d’une valeur cinq fois moindre, dévaluation qui se borne à entériner le change réel[30]. Il parvient cependant à présenter un budget de l'État en équilibre, ce qui n'arrivera plus qu'en 1965 ensuite[31]. Malade et fatigué, il démissionne en 1929[30].
La tombe de Raymond Poincaré et de son épouse Henriette au cimetière de Nubécourt (Meuse).
Il est inhumé dans l'intimité familiale, le 21 octobre dans l'enclos privé de la famille Gillon au cimetière deNubécourt, dans son département natal de la Meuse, après des funérailles en l’église Saint-Martin du village célébrées par MonseigneurGinisty, évêque de Verdun. Sont présents dans l'église l'amiralLe Bigot, qui représente Albert Lebrun,André Tardieu etÉdouard Herriot, ministres d'État,Alexandre Millerand, ancien président de la République, tous accueillis par MM. Catusse,préfet du département, Charlet, maire du village et le généralGuitry, commandant le1er corps d'armée[36].
Au service de la France, neuf années de souvenirs,1926-1934.
L'Invasion 1914,Paris,Plon (livre tiré à 100 exemplaires qui retrace le septennat du président).
Ce que demande la cité, Hachette, 1911. Vingt textes de Raymond Poincaré extraits de la revue pour enfantsAu seuil de la vie (Hachette, 1910). Réédition en 2010 aux Éditions Nouvelles Mémoires (voir bibliographie).
↑Le patronymePoincaré désigne celui qui avait le « poing carré », surnom d'un homme fort ou bagarreur (dans le même esprit, on trouve les patronymes Poindefer et Poindefert (pour « poing de fer ») enNormandie et enPicardie). On trouve aussi des variantes du patronyme avec la même signification : Poincarré, Poincarret (Sources :Généanet.org/onomastique).
↑GisèleBerstein et SergeBerstein,Dictionnaire historique de la France contemporaine: 1870-1945, Editions Complexe,(ISBN978-2-87027-549-8,lire en ligne)
↑Christopher Clark (trad. de l'anglais par Marie-Anne de Béru),Les Somnambules : Été 1914 : Comment l'Europe a marché vers la guerre, Paris, Flammarion,, 668 p.(ISBN978-2-08-121648-8)
Alain Ostenga et Christian Gérini,Raymond Poincaré. Ce que demande la cité, Pierrefeu du Var, Éditions Nouvelles Mémoires, diffusion : HDiffusion, 6 rue de la Sorbonne, 75005 Paris, 2010.