Rainer Werner Fassbinder nait le àBad Wörishofen, enBavière[2]. Fils d’un médecin, Hellmuth Fassbinder (1918-2010) et d’une traductrice,Liselotte (« Lilo ») Pempeit (1922–1993), il estenfant unique, au grand dam de ses parents, qui divorcent en 1951 : le jeune Rainer a alors six ans. Sa mère se remarie en 1959 avec le journaliste, Wolff Eder.
Bénéficiant d'une éducation libérale, voire libertaire[3], il s'intéresse très jeune et de manière autonome au cinéma, dévorant film sur film. Pourtant, il n’accomplit pas son vœu de faire une école de cinéma (il n'est pas admis à l'école de cinéma de Berlin), et sort d’uneécole Steiner sans obtenir sonAbitur. Il vit de divers métiers. Il est, par exemple,journaliste auSüddeutsche Zeitung.
En 1965, Rainer Werner Fassbinder réalise un premier court métrage (This Night) qui semble avoir été perdu. En 1966, il réaliseLe Clochard, un hommage au film d’Éric Rohmer,Le Signe du lion[4] ; puis il finit par collaborer avec des troupes de théâtre expérimental. Après s'être essayé à l'écriture depièces radiophoniques dans la grande tradition allemande (Hörspiel), il se fait connaître, lors de la saison théâtrale 1967-1968, àMunich pour ses mises en scène qui relisent de manière anticonformiste des textes classiques ou valorisent des œuvres contestataires[5]. Il connaît cependant une première expérience infructueuse. Sur l'exemple duBerliner Ensemble deBertolt Brecht dont les théories l'influencent toute sa carrière (distanciation,écriture épique, éducation des masses), il fonde sa propre troupe, l’Antiteater, pour laquelle il écrit la majorité de ses pièces de théâtre de 1968 à 1971.Hanna Schygulla, travaille déjà avec lui. Il joue dansLe Fiancé, la Comédienne et le Maquereau deJean-Marie Straub et Danièle Huillet en 1968, auxquels il rend hommage dans son premierlong-métrage en 1969[5].
Influencé par lesmélodrames deDouglas Sirk — auteur qu’il rencontre en 1971 et auquel il emprunte la rhétorique de l'excès, la flamboyance et l'éclat des couleurs —, il revendique également une filiation avec laNouvelle Vague française :Jean-Pierre Melville pour la maîtrise plastique de sa réalisation et l'archétype dufilm de gangsters,Éric Rohmer pour sa dimension littéraire et sa peinture des sentiments dans les sociétés modernes ou encoreClaude Chabrol pour son art de l'ambiance, son ironie et sa représentation à l'eau-forte de la vie provinciale[6]. Dans une moindre mesure, l'œuvre de Fassbinder porte l'empreinte deJean-Luc Godard pour sa relecture critique des genres classiques, son art de la citation, son contenu sociologique, politique ou militant et son goût de l'expérimentation (faux raccord, dialogues en décalage, mouvements de caméra ou plans identiques répétés d'un personnage à l'autre, etc.)[3],[6]. Le cinéaste est également proche dufilm noir ou des films policiers des grands réalisateurs hollywoodiens tels queJohn Huston,Raoul Walsh etHoward Hawks[6],[3].
En incluant ces diverses influences dans une démarche artistique singulière, Fassbinder entreprend son premier projet cinématographique avec sa troupe. Ainsi naissent, en1969,L'amour est plus froid que la mort (Liebe ist kälter als der Tod) etLe Bouc(Katzelmacher). Il ne distingue pas les techniques théâtrales de celles duSeptième Art ; de fait, entre 1969 et 1971, il accouche de nombreuses pièces de théâtre tout en produisant en un temps record des films alternatifs. La vie et le travail de la troupe ne font qu’un, ce qui explique pour partie la fécondité de Fassbinder qui, en l’espace de treize ans, a réalisé quarante films. Désirant ne pas connaître le même sort qu'Orson Welles dont la carrière fut compromise parHollywood, Fassbinder se veut unauteur complet et maître de son œuvre, sur le plan commercial, financier et artistique[5]. Producteur et scénariste de ses films, il en réduit le budget et le mode de production (jusqu'auMariage de Maria Braun) puis écrit et tourne vite[5]. Il passe sans distinction du théâtre au cinéma, en passant par la télévision, qui lui apporte les revenus nécessaires pour financer et réaliser ses films[7].
À partir de 1972, ses films évoluent : ils deviennent plus professionnels, personnels et étoffés. Rainer Werner Fassbinder est désormais acclamé par la critique à chaquefestival de Berlin, mais reste ignoré par les jurys successifs jusqu'à son avant-dernier film,Le Secret de Veronika Voss (Die Sehnsucht der Veronika Voss), qui reçoit l'Ours d’or en 1982.
Dans lesannées 1970, il crée des personnages féminins mythiques qui comptent parmi les plus fascinants du cinéma d’après-guerre et dont les films éponymes sont passés à la postérité :Maria Braun,Effi Briest etLale Andersen, toutes trois incarnées parHanna Schygulla, mais aussiLola, jouée parBarbara Sukowa, ou encorePetra von Kant, incarnée parMargit Carstensen. À travers ces portraits de femmes, Fassbinder brosse un tableau vaste et sans concession de la société allemande, des heures sombres dunazisme au « miracle économique »[3]. Il évoque en effet, l'intolérance, le racisme affiché ou refoulé, les illusions perdues, les bassesses, la vilenie et les compromissions d'un pays pressé d'enterrer un passé tragique pour s'adonner aux joies dulibéralisme économique[3].
Il écrit et met en scène des pièces de théâtre (Preparadise Sorry Now, etc.) jusqu'en 1976, année où il provoque le scandale avec sa pièceLes Ordures, la ville et la mort, dans laquelle l'un des personnages est dénommé le « juif riche » : on l'accuse alors d'antisémitisme et l'éditeurSuhrkamp décide de retirer l'ouvrage de la vente et de le mettre au pilon (Daniel Schmid a adapté la pièce au cinéma sous le titreL'Ombre des anges, mais le film a, lui aussi, été déprogrammé[8]).
En 1977, Fassbinder réaliseDespair, une adaptation du roman deVladimir Nabokov dontDirk Bogarde est la vedette.Despair est le premier film de Fassbinder tourné en anglais et est aussi le premier dont il n'est pas le scénariste. En effet, c'est le dramaturgeTom Stoppard qui signe l'adaptation du roman. Fassbinder enchaine avecL’Année des treize lunes, film qui porte sur le mal de vivre d'une femme transgenre.
C'est l'année suivante que Rainer Werner Fassbinder présente ce qui deviendra son film le plus célèbre,Le Mariage de Maria Braun dans lequelHanna Schygulla incarne une arriviste qui fera fortune dans l'Allemagne de l'après-guerre.
Il travaille sans relâche, à un rythme effréné. Lui et Hanna Schygulla collaborent une dernière fois en 1980 avecLili Marleen, un film se déroulant durant la montée du nazisme et dans lequel Schygulla joue une jeune chanteuse. Fassbinder tourne ensuiteLola, une femme allemande, une relecture du filmL'Ange bleu deJoseph von Sternberg transposé dans le contexte des années 1950 et dont les vedettes sontBarbara Sukowa etArmin Mueller-Stahl, puisLe Secret de Veronika Voss, film tourné en noir et blanc et dont le thème principal, celui d'une actrice sur le déclin, renvoie à celui deBoulevard du Crépuscule. C'est grâce à ce film, dont le rôle principal est tenu parRosel Zech, que Fassbinder obtient finalement l'Ours d'or du Festival du film de Berlin.
Rainer Werner Fassbinder meurt à Munich le d’unerupture d'anévrisme à seulement trente-sept ans, alors qu’il travaille au montage de son dernier film,Querelle, adapté d’un roman deJean Genet (1946), et qu’il prépare deux films :Cocaïne, prévu pour 1983 et adapté du roman dePitigrilli, avecRomy Schneider en tête d'affiche (la mort de l'actrice le 29 mai 1982 puis celle de Fassbinder douze jours plus tard empêcheront le projet d'arriver à terme) et un autre surRosa Luxemburg, finalement réalisé en 1987 parMargarethe von Trotta. Certains affirment que son décès est consécutif à un mélange decocaïne et debenzodiazépine et qu’il s’est peut-être suicidé[10].
1965-1966 :Gouttes d'eau sur pierres brûlantes (Tropfen auf heiße Steine), montée par Klaus Weiße. TheaterFestival, Munich, 1985La pièce a été adaptée au cinéma parFrançois Ozon avec le filmGouttes d'eau sur pierres brûlantes.
1966 :Qu'une tranche de pain (Nur eine Scheibe Brot), montée par Georg Schuchter, Volkstheater Wien/Bregenzer Festspiele, 1995
1968 :Axel Caesar Haarmann, montée par l’auteur et l’Action-Theater, Munich
1968 :Katzelmacher (Le Bouc), montée par Peer Raben et l’auteur, Action-Theater, Munich
1968 :Chung, montée par l’auteur et l’Action-Theater, Munich
1968 :Orgie Ubuh de Rainer Werner Fassbinder etPeer Raben, d’après la pièceUbu roi d’Alfred Jarry, montée par l’auteur, Antiteater, Munich
1968 :Iphigénie en Tauride (lphigenie auf Tauris) de Fassbinder d’après la pièceIphigénie en Tauride deGoethe, montée par l’auteur, Antiteater, Munich
1968 :Ajax de Rainer Werner Fassbinder, d’après la pièceAjax deSophocle, montée par l’auteur, Antiteater, Munich
1968 :Le Soldat américain (Der amerikanische Soldat), montée par l’auteur et Peer Raben, Antiteater, Munich
1969 :L'Opéra de gueux (Die Bettleroper) de Fassbinder, d’après la pièce deJohn Gay, montée par l’auteur, Antiteater, Munich
1969 :Le Café (Das Kaffeehaus) de Fassbinder, d’après la pièce deCarlo Goldoni, montée par l’auteur et Peer Raben, Theater der Freien Hansestadt Bremen
1969 :Loup-garou (Werwolf), de Rainer Werner Fassbinder et Harry Baer, montée par Rainer Werner Fassbinder, Antiteater au Berliner Forum Theater
1970 :Le Village en flammes (Das brennende Dorf) de Fassbinder, d’après la pièce deLope de Vega, montée par Peer Raben, Theater der Freien Hansestadt Bremen
1971 :Du sang sur le cou du chat (Blut am Hals der Katze), montée par l'auteur et Peer Raben, Antiteater aux Städtischen Bühnen Nürnberg
1974 :Effi Briest (Fontane - Effi Briest oder: Viele, die eine Ahnung haben von ihren Möglichkeiten und Bedürfnissen und dennoch das herrschende System in ihrem Kopf akzeptieren durch ihre Taten und es somit festigen und durchaus bestätigen)
Les larmes amères de Petra Von Kant (1973) - Gagnant de meilleur photographie et meilleur rôle principal féminin, rôle secondaire féminin, nommé pour meilleur film
Despair (1978) - Gagnant pour meilleur réalisateur
Robert Katz,L’amour est plus froid que la mort. Une vie de Rainer Werner Fassbinder, Paris, Presses de la Renaissance, 1988
Yann Lardeau,Rainer Werner Fassbinder, Paris, éd. de l’Étoile/Cahiers du cinéma, 1990
Thomas Elsaesser,Rainer Werner Fassbinder. Un cinéaste d’Allemagne, Centre Pompidou, 2005
Terrorisme, mythes et représentations. La RAF de Fassbinder aux T-shirts Prada-Meinhof, essai de Thomas Elsaesser avec le DVD du filmL’Allemagne en automne (1977-1978), film collectif d’Alexander Kluge, Rainer Werner Fassbinder, Volker Schlöndorff, etc.,éd. Tausend Augen, 2005
Alban Lefranc,Attaques sur le chemin, le soir, dans la neige, Marseille / Montréal, Le Quartanier, 2005 (biographie fictive de Fassbinder)