Rabindranath Thakur ditTagore (রবীন্দ্রনাথ ঠাকুর (Rabīndranāth Thākur)Écouterⓘ), né le àCalcutta enInde britannique et mort le dans la même ville, connu aussi sous le surnom deGurudev, est un compositeur, écrivain, dramaturge, peintre et philosopheindien dont l'œuvre a eu une profonde influence sur la littérature et la musique duBengale à l'orée duXXe siècle. Il est couronné par leprix Nobel de littérature en 1913[1]. Nombre de ses romans et nouvelles ont été adaptés au cinéma, notamment par le cinéasteSatyajit Ray.
Issu de la caste desbrahmanes pirali deCalcutta, Tagore compose ses premiers poèmes à l'âge de huit ans. À seize ans, il publie ses premièrespoésies substantielles sous le pseudonyme deBhanushingho (« le lion du soleil »), et écrit ses premières nouvelles et drames dès 1877. Son instruction à domicile, sa vie àShilaidaha (où son grand-père a construit une maison de campagne) ainsi que ses voyages font de Tagore un non-conformiste et un pragmatique. Il fait partie des voix qui se sont élevées contre leRaj britannique et il soutient commeGandhi lemouvement pour l'indépendance de l'Inde.Sa vie est tragique — il perd quasiment toute sa famille et est profondément affligé par le déclin duBengale — mais ses œuvres lui survivent, sous la forme depoésies, romans, pièces, essais et peintures ainsi que l'institution qu'il a fondée àShantiniketan, l'université Visva-Bharati.
Tagore a écrit des romans, des nouvelles, des chansons, des drames dansés ainsi que des essais sur des sujets politiques et privés.Gitanjali (L’Offrande lyrique),Gora etGhare-Baire (La Maison et le Monde) sont parmi ses œuvres les plus connues. Ses vers, nouvelles et romans — dans lesquels il a fréquemment recours au lyrisme rythmique, au langage familier, au naturalisme méditatif et à la contemplation philosophique — ont reçu un accueil enthousiaste dans le monde entier. Tagore fut aussi un réformateur culturel et unpolymathe qui modernisa l'art bengali en rejetant les restrictions qui le liaient aux formes indiennes classiques. Deux chants de son canonrabindrasangeet sont devenushymnes nationaux respectifs duBangladesh et de l'Inde :Amar Shonar Bangla etJana Gana Mana.
Rabindranath et sa femme Mrinalini Devi vers 1883.
Tagore[2] (surnommé « Rabi ») est le plus jeune des quatorze enfants survivants deDebendranath Tagore et Sarada Devde. Il voit le jour à la résidence familiale (laThakurbari) de Jorasanko àCalcutta. Fils d'un des fondateurs du mouvementBrahmo Samaj, et petit-fils deDvarkanath Tagore, Tagore est élevé dans une famille d'artistes et de réformateurs sociaux et religieux opposés au système des castes et favorables à une amélioration de la condition de la femme indienne.
Envisageant de devenir avocat, Tagore s'inscrit en 1878 dans un établissement secondaire privé deBrighton enAngleterre. Il étudie le droit à l'University College deLondres, mais rentre au Bengale en 1880 avant d'avoir obtenu son diplôme. Le, il épouse Mrinalini Devi, âgée de 10 ans (née Bhabatarini, 1873–1902). De cette union naîtront cinq enfants, dont deux mourront avant d'atteindre l'âge adulte. En 1890, Tagore commence à administrer le domaine familial de Shilaidaha (une zone qui appartient désormais auBangladesh). Il y est rejoint par sa femme et ses enfants en 1898. Surnommé « Zamindar Babu », Tagore vit sur la luxueuse péniche familiale, laPadma, et parcourt le grand domaine pour collecter les redevances (essentiellement des gages) des paysans et se consacrer à leurs doléances. En retour, les villageois organisent des fêtes en son honneur. Ces années, qui constituent la période Sadhana de Tagore (de 1891 à 1895), ainsi baptisée d'après un de ses magazines, sont parmi ses plus fécondes sur le plan littéraire. Il y écrit plus de la moitié des 84 histoires de son ouvrageGalpaguchchha en trois tomes. Elles dépeignent avec ironie et émotion un large éventail de modes de vie, en particulier des villageois.
Rabindranath Tagore fréquente d'abord l'Oriental Seminary. Peu disposé à un système éducatif formel, il commence à étudier à domicile sous la houlette de professeurs particuliers. Son inscription en 1875 auCollège Saint-Xavier de Calcutta, fondé et tenu par lesjésuites belges, constitue l'ultime tentative de sa famille de lui faire suivre un cursus classique. Il a connu là une bien meilleure expérience avec les enseignants et ses camarades. Rabindranath Tagore se souvient : « Je garderai toujours un souvenir de Saint-Xavier, la mémoire de ses enseignants ». Dans son livreMes mémoires, il mentionne explicitement le Père Alphonse de Peñaranda (1834-1896), qui était professeur de mathématique et astronome.
« Nous avions eu une demi-heure pour remplir nos cahiers, et à un moment, la plume à la main, je suis devenu distrait et mes pensées erraient çà et là. Ce jour-là, le P. de Peñaranda était responsable de la classe. Il allait et venait derrière nos bancs. Il a dû remarquer plus d'une fois que ma plume ne bougeait pas. Tout d'un coup, il s'arrêta derrière mon siège. Penché sur moi, il posa doucement sa main sur mon épaule et tendrement demanda : « N'êtes-vous pas bien, Tagore ? » C'était une simple question mais je n'ai jamais pu oublier. »
Photographie de Rabindranath Tagore, prise aux alentours de1905 par Sukumar Ray (père deSatyajit Ray).
En 1901, Tagore quitte Shilaidaha et déménage àSantiniketan (Bengale-Occidental) pour fonder unashram, qui par la suite prendra de l'importance et comprendra une salle de prière dallée de marbre (« leMandir »), une école expérimentale, des pépinières, desjardins et unebibliothèque. C'est là que meurent la femme de Tagore ainsi que deux de ses enfants. Son père décède le, et il commence à percevoir des versements mensuels de sa part d'héritage. Il reçoit également un revenu supplémentaire duMaharaja deTripura, vend une partie des bijoux de famille, son bungalow au bord de la mer àPurî et perçoit de minces droits d'auteur pour ses œuvres (2 000 Rs.).
Ces travaux lui valent un large soutien des lecteurs bengalis, aussi bien qu'étrangers. Il publie ainsiNaivedya en 1901 etKheya en 1906, tout en traduisant ses poèmes envers libres.
Le, Tagore apprend qu'il a remporté leprix Nobel de littérature. Selon l'académie suédoise, ce prix lui a été attribué pour le caractère idéaliste — et accessible aux lecteurs occidentaux — d'une petite partie de son œuvre traduite, dontGitanjali (L’Offrande lyrique) parue en 1912. En 1915, Tagore accepte d'être faitchevalier de la couronne britannique. En 1919, après leMassacre d'Amritsar, il renonce à cette distinction pour se tenir au côté de ses compatriotes.
En 1921, Tagore et l'économiste agricoleLeonard Elmhirst fondent l'Institut pour la reconstruction rurale (qui sera par la suite renommé par Tagore enMaison de la Paix), à Surul, un village voisin de l'ashram deSantiniketan. Par ce moyen, Tagore pense procurer une alternative au symbole du mouvement deGandhi, basé sur la revendication, qu'il désapprouve[3]. Il recrute des spécialistes, des donateurs et des soutiens officiels de nombreux pays pour aider l'institut à mettre en œuvre la scolarisation, comme moyen de « libération des villages des fers de l'impuissance et de l'ignorance » en « revitalisant le savoir ».
Au début des années 1930, il se préoccupe davantage de « l'anormale conscience de caste » en Inde et du sort desintouchables, faisant des cours sur ces maux, écrivant des poèmes et des drames, avec des protagonistes intouchables et en appelant les autorités du temple de Gurovayoor à admettre lesdalits.
Au cours de sa dernière décennie, Tagore continue de rester sous les feux de la rampe, reprochant publiquement àGandhi d'avoir présenté le tremblement de terre deBihar, survenu le, comme un châtiment divin pour l'oppression desdalits. Il déplore également le début du déclin socio-économique duBengale, et la pauvreté endémique deCalcutta.
Il compose son dernier poème en prose. Dans cette œuvre de cent vers, il utilise unediplopie dépouillée qui préfigure le film deSatyajit RayApur Sansar (Le monde d'Apu).
Tagore rassemble aussi 15 compilations de ses écrits, dont lespoèmes en prosePunashcha (1932),Shes Saptak (1935), etPatraput (1936). Il poursuit ses expérimentations littéraires en composant des chants en prose et des drames dansés dontChitrangada (1914),Shyama (1939), etChandalika (1938). Il écrit également des romans :Dui Bon (1933),Malancha (1934), etChar Adhyay (1934). Dans ses dernières années, Tagore se prend d'intérêt pour lessciences et écritVisva-Parichay (une série d'essais) en 1937. Ses explorations de labiologie, de laphysique et de l'astronomie ont des conséquences sur sapoésie qui souvent fait une large place au naturalisme et souligne son respect pour les lois scientifiques. Ainsi, il décrit la démarche scientifique (y compris des histoires de scientifiques) dans de nombreusesnouvelles parues dans des volumes tels queSe (1937),Tin Sangi (1940), andGalpasalpa (1941).
Les quatre dernières années de la vie de Tagore sont marquées par une douleur chronique et deux longs épisodes de maladie. Le premier débute quand Tagore perd conscience fin 1937 : il reste dans le coma au seuil de la mort pendant une longue période. Trois ans plus tard, fin 1940, un épisode similaire survient, dont il ne se remettra jamais. La poésie qu'il compose au cours de ces trois années compte parmi sa meilleure et se distingue par sa préoccupation pour la mort. Après de grandes souffrances, Tagore meurt le (22 Shravan 1348 dans le calendrier bengali) dans une chambre à l'étage de sa demeure deJorasanko, le quartier de Calcutta où il a grandi.
L'anniversaire de sa mort est un jour de deuil dans l'administration, partout dans le monde bengalophone.
Tagore (au centre à droite) rend visite à des universitaires chinois à l'université Tsinghua en 1924.
Animé d'une remarquable soif de voyages, Tagore a visité plus de trente pays sur les cinqcontinents entre 1878 et 1932. Nombre de ces déplacements furent primordiaux pour familiariser des publics non-indiens à ses travaux et pour diffuser ses idées politiques. En 1912, il apporte enAngleterre un échantillon de ses œuvres traduites, où elles impressionnent le missionnaire et protégé de GandhiCharles F. Andrews, le poète anglo-irlandaisWilliam Butler Yeats,Ezra Pound,Robert Bridges,Ernest Rhys,Thomas Sturge Moore, et bien d'autres. Ainsi, Yeats signe la préface de la traduction anglaise deGitanjali, tandis qu'Andrews rejoint Tagore àSantiniketan. Le, il part pour les États-Unis et leRoyaume-Uni, où il résidera à Butterton dans leStaffordshire avec des ecclésiastiques, amis d'Andrews.
Du à, Tagore poursuit ses tournées deconférences auJapon et auxÉtats-Unis, durant lesquelles il fustige lenationalisme, en particulier celui du Japon et des États-Unis. Il écrit aussi l'essai intitulé « Nationalisme en Inde », qui lui vaut à la fois dérision et éloges (ces derniers de la part de pacifistes, parmi lesquelsRomain Rolland).
En avril 1921, il est reçu en France parAlbert Kahn dans sa propriété deBoulogne-Billancourt ainsi que dans sa villa du Cap Martin. Le banquier philanthrope lui ouvre le "cercle" de ses connaissances, parmi lesquelles le philosopheBergson.
Peu avant de rentrer en Inde, âgé de 63 ans, Tagore se rend auPérou, à l'invitation du gouvernement péruvien, et il visite leMexique dans la foulée. Les deux gouvernements accordent à l'école Visva-Barati à Shantiniketan une donation de 100 000 US$[Quoi ?] en commémoration de sa venue.
Une semaine après son arrivée, le, àBuenos Aires enArgentine, c'est un Tagore malade qui déménage à la Villa Miralrío sur l'insistance deVictoria Ocampo. Il repartira pour l'Inde en. Le, Tagore rallieNaples enItalie. Il rencontre le dictateur fascisteBenito Mussolini àRome le jour suivant. Leurs rapports cordiaux prennent fin avec l'allocution du de Tagore contre Mussolini.
Tagore (premier rang, troisième personnage depuis la droite) rencontre des membres duMajlis d'Iran àTéhéran en avril ou. Tagore visitaChiraz au cours de la même année.
Le, Tagore et deux compagnons entament un périple de quatre mois en Asie du Sud-Est, passant parBali,Java,Kuala Lumpur,Melaka,Penang,Siam, etSingapour. Les notes de voyage de Tagore sont compilées dans l'ouvrage « Jatri ».
Au début de 1930, il quitte le Bengale pour un voyage de près d'un an en Europe et aux États-Unis. Une fois revenu au Royaume-Uni, tandis que ses peintures sont exposées àParis et àLondres, il séjourne dans la communauté desAmis àBirmingham. Là il rédige uneconférence Hibbert pour l'Université d'Oxford (qui traite de « l'idée de l'humanité de notre Dieu, ou la divinité de l'Homme éternel») et s'exprime lors du rassemblement annuel desquakers à Londres. Là (au sujet des relations entre Britanniques et Indiens, un sujet auquel il se collètera durant les deux années suivantes), Tagore parle d'un « sombre fossé de séparation ». Il rend plus tard visite àAga Khan III, résidant à Dartington Hall (Devon), puis il part pour leDanemark, laSuisse et l'Allemagne de juin à mi-septembre, et enfin se rend enUnion soviétique. En, Tagore — qui a eu connaissance des légendes et des œuvres du mystique perseHafez — est invité en tant qu'hôte personnel duShah d'IranReza Shah Pahlavi.
Les initiales de Tagore en bengali, les lettres র et ঠ, inscrites dans un sceau de bois, montrent de proches similitudes avec les motifs employés dans les sculptures traditionnelleshaida. Tagore agrémentait souvent ses manuscrits de telles figures.
La réputation littéraire de Tagore est principalement fondée sur ses poèmes. Toutefois, il est l'auteur d'un nombre important de romans, essais, nouvelles, récits de voyage, drames et de milliers de chansons.
À la fin de sa vie, il s'adonna également à la peinture.Parmi ses œuvres en prose, ce sont sans doute les nouvelles qui recueillent le plus d'estime ; on lui doit notamment la genèse du genre en langue bengalie. Ces œuvres sont fréquemment remarquées pour leur nature rythmée, optimiste et lyrique. De telles histoires s'inspirent de sujets simples en apparence : la vie de gens ordinaires.
Durant la période Shilaidaha, ses poèmes ont pris une teinte lyrique, s'exprimant par l'intermédiaire dumanush maner (« l'homme dans le cœur » desbauls), ou méditant sur ladevata jivan (le Dieu vivant intérieur). Cette représentation illustre la recherche d'une relation au divin à travers l'attrait de la nature et l'interaction émotionnelle du drame humain. Tagore a mis en œuvre de telles techniques dans ses poèmes Bhānusiṃha (qui relatent l'histoire d'amour de Radha etKrishna), qu'il a plusieurs fois retravaillés durant 70 ans.
Tagore répondit à la brutale émergence du modernisme et du réalisme dans la littérature bengalie en composant des œuvresexpérimentales dans les années 1930. On peut citer par exempleAfrica etCamalia, qui sont ses deux poèmes tardifs les plus connus. Il eut parfois recours auShadhu Bhasha (une forme littéraire du Bengali proche dusanskrit) ; par la suite, il se mit à utiliser leCholti Bhasha (une forme plus populaire). Parmi ses autres travaux remarquables on peut citerManasi,Sonar Tori (le Bateau d'Or), Balaka (Oies Sauvages - métaphore des âmes migrantes) etPurobi. Le plus célèbre poème duSonar Tori, dont le thème est celui de la nature éphémère de la vie et de la réussite, se termine par ces vers envoûtants : « শূন্য নদীর তীরে রহিনু পড়ি / যাহা ছিল লয়ে গেল সোনার তরী » (« Shunno nodir tire rohinu poŗi / Jaha chhilo loe gêlo shonar tori » — « Tout ce que j'avais réalisé était [parti] à bord du bateau d'or / et moi je restais en arrière. ») Sur le plan international,Gitanjali (গীতাঞ্জলি) est l'œuvre la plus connue de Tagore, et elle lui a valu le prix Nobel de littérature. Chant VII (গীতাঞ্জলি 127) deGitanjali :
« Mon chant a dépouillé ses parures. Je n’y mets plus d’orgueil. Les ornements gêneraient notre union ; ils s’interposeraient entre nous, et le bruit de leur froissement viendrait à couvrir tes murmures. »
« Ma vanité de poète meurt de honte à ta vue. Ô Maître-Poète ! je me suis assis à tes pieds. Que seulement je fasse de ma vie une chose simple et droite, pareille à une flûte de roseau que tu puisses emplir de musique. »
L’œuvre poétique de Tagore a été mise en musique par divers compositeurs, parmi lesquels on peut citer le compositeur classique Arthur Shepherd (triptyque pour soprano et quatuor à cordes),Alexander von Zemlinsky avec sa célèbreSymphonie lyrique,Josef Bohuslav Foerster (cycle de chansons d'amour).Leoš Janáček, impressionné par une lecture publique de Tagore sur la littérature bengalie à l'Université Charles, utilisa le texte duJardinier de Tagore pour son fameux chœur « Potulný šílenec » (« Le fou errant ») pour soprano, ténor, baryton et chœur d'hommes, JW 4/43. En 1917, ses mots furent traduits et habilement mis en musique par le compositeur anglo-néerlandais Richard Hageman pour devenir une des chansons anglaises considérée comme un des meilleurs morceaux : « Do not go my love » (Ed. Schirmer NY 1917). En 1936,Darius Milhaud écrit la musique de scène de la pièce de théâtre « Amal et la lettre du roi », traduite de l'anglais par André Gide. Le second mouvement du « One Evening » de Jonathan Harvey (1994) commence par l'extrait d'une lettre de Tagore : « As I was watching the sunrise... » Auparavant, ce compositeur avait déjà choisi un texte du poète bengali pour sa pièce intitulée « Song Offerings » (1985). De même, le « Praan » du compositeur de musiques de filmsGarry Schyman est une adaptation du poème « Stream of Life » tiré deGitanjali. Ce dernier a été composé et enregistré avec la voix du chanteur américain Palbasha Siddique comme accompagnement de la vidéo virale du développeur de jeu vidéoMatt Harding[4].
Tagore a écrit huit romans et quatre romans courts (novella), parmi lesquelsNashta-nirh (Chârulatâ) (1901),Chokher bali (1903),Naukadubi (Le Naufrage) (1905),Gora (1910),Chaturanga (A quatre voix) (1916),Ghare baire (La Maison et le Monde) (1916),Yogayog (Kumudini) (1929),Shesher kabita (1929),Char adhyay (Quatre chapitres) (1934).
Ghare baire (La Maison et le Monde) dénonce - à travers le prisme duzamindar idéaliste Nikhil - l'émergence du nationalisme indien, le terrorisme, le zèle religieux dans lemouvementSwadeshi. C'est une franche expression des sentiments conflictueux de Tagore, qui ressortirent après un accès de dépression en 1914. Quoi qu'il en soit, ce roman se termine sur une scène de violence sectaire entre musulmans et hindous, et la blessure (probablement mortelle) de Nikhil.
D'une certaine manière,Gora (du nom de son héros) partage le même thème, en amplifiant les questions controversées au sujet de l'identité indienne. Comme dansGhare Baire, les questions de l'identité personnellejāti, de la liberté individuelle et de la religion sont développées autour d'une histoire familiale et d'un triangle amoureux.
Yogayog (Liaison) est une autre grande histoire dans laquelle l'héroïne Kumudini, liée par l'idéal deShiva-Sati (Dakshayani) est déchirée entre la pitié pour la faillite de son frère aîné progressiste et compatissant et son mari, exploiteur, avare et patriarcal. Tagore montre là ses vues féministes, usant dupathos pour dépeindre la situation critique des femmes bengalies, piégées par la grossesse, le devoir et l'honneur familial. Simultanément, il évoque la décadence de l'oligarchie des propriétaires terriens.
D'autres romans sont plus réjouissants :
Shesher kabita (La poésie de la fin) constitue son roman le plus lyrique, entrecoupé de poèmes et de passages rythmés composés par le personnage principal (un poète). Il contient toutefois des éléments de satire et de post-modernisme. Des personnages-types s'en prennent unanimement à la réputation d'un vieux poète démodé à la renommée accablante qui, par une forme d'auto-dérision, porte le nom de Rabindranath Tagore.
Pourtant ces romans demeurent parmi les moins appréciées de ces œuvres. Ils ont cependant bénéficié d'un regain d'intérêt à travers les adaptations cinématographiques de réalisateurs commeSatyajit Ray. Ce fut notamment le cas le cas pourCharulata (tiré deNashta nirh,Le nid détruit) etGhare Baire, réalisés par ce dernier (respectivement en 1964 et 1984), ainsi que pourChokher Bali (Le grain de sable [dans l'œil]), d'abord adapté par Satu Sen en 1938, du vivant même de l'auteur, puis en 2003 (Chokher_Bali). Dans leurs bandes originales figurent des extraits de sonRabindra sangeet.Plusieurs de ces romans ont aussi donné lieu à des adaptations au théâtre.
La période « Sadhana » de Tagore, qui se situe entre 1891 et 1895, tient son nom d'un de ses magazines dans lequel il publia nombre de ses nouvelles. C'est une des plus fécondes, au cours de laquelle sont écrites plus de la moitié des histoires contenues dans le recueil en trois volumesGalpaguchchha (A Bunch of Stories,Bouquet d'histoires), recueil qui en comprend 84. Il demeure une des recueils les plus populaires de la littérature bengalie, inspirant de nombreux films à succès et pièces de théâtre (certaines publiées en français dansÉpousailles et autres histoires etLe vagabond et autres histoires).
Ces histoires sont souvent prétexte à Tagore pour des réflexions sur son environnement, sur des idées modernes et à la mode, ou encore sur des jeux de l'esprit (auxquels Tagore s'adonnait pour tester son intelligence). Tagore associait ses premières histoires (comme celles de la période « Sadhana »), avec une exubérance de vitalité et de spontanéité : ces caractéristiques sont intimement reliées à sa vie dans les petits villages de Patisar, Shajadpur et Shidala, entre autres, tandis qu'il administrait les grands domaines familiaux. Là, il contemplait la vie des pauvres et des gens ordinaires. Il porte alors un regard pénétrant dans l'examen de ces vies, une singularité dans la littérature indienne jusqu'alors.
DansLe Vendeur de fruits de Kaboul (Kabuliwala, 1892), Tagore s'exprime à la première personne, comme citadin et romancier qui rencontre par hasard le marchandafghan. Il tente d'instiller le sentiment de nostalgie ressenti par ceux retenus longtemps prisonniers du confinement mondain et tâtonnant de la vie urbaine en Inde, rêvant d'une autre vie dans les montagnes lointaines et sauvages. «C'était des matins d'automne, à l'époque des conquêtes des rois d'antan ; et moi, frissonnant depuis mon petit quartier de Calcutta, je laissais vagabonder mon esprit à travers le vaste monde. Au simple nom d'un autre pays, mon cœur bondissait vers lui... Il me fallait m'abandonner au tissage d'une trame onirique : les montagnes, les vallées, la forêt... » De nombreuses autres histoires de Galpaguchchha sont écrites durant la période Sabuj Patra, de 1914 à 1917, ainsi nommée d'après un des magazines de Tagore.
DansAtithi (Le Vagabond, 1895; également adapté au cinéma), le jeune brahmane Tarapada est accueilli à bord du bateau d'unzamindar (propriétaire terrien) en croisière d'agrément. Le garçon révèle qu'il a fui sa maison pour entamer une longue errance. Le prenant en pitié et s'attachant à lui, le zamindar l'adopte et va jusqu'à arranger quelques mois plus tard, le mariage avec sa propre fille. Mais la nuit qui précède la noce, Tarapada fugue à nouveau.
Strir Patra (La Lettre de l'épouse) est au sein de la littérature bengalie une des premières descriptions de l'émancipation montante des femmes. Mrinal, l'héroïne, mariée à un bourgeois bengali patriarcal typique rédige une lettre tandis qu'elle est en voyage. Dans sa lettre (qui constitue la nouvelle), elle détaille la petitesse de sa condition et ses luttes. Elle conclut en déclarant qu'elle ne retournera pas au domicile conjugal par ces mots :Amio bachbo. Ei bachlum, c'est-à-dire « Et je veux vivre. Là, je vis ».
DansHaimanti, Tagore s'en prend au mariage hindou et à la morne existence des femmes mariées bengalies, à l'hypocrisie qui afflige la bourgeoisie indienne. Haimati, une jeune femme sensible, doit se résoudre à sacrifier sa vie, à cause de sa liberté de penser. Dans le dernier passage, Tagore attaque directement la coutume indienne de glorifier la tentative d'auto-immolation de Sita pour se disculper aux yeux de son époux Rama.
Il décrit aussi les tensions entre hindous et musulmans dansMusalmani Didi, un texte qui à bien des titres résume l'essence de l'humanisme de Tagore.
Dans un tout autre registreDarpaharan met en avant la tendance de Tagore à l'introspection, en décrivant un jeune-homme nourrissant des ambitions littéraires. Bien qu'aimant sa femme, il souhaite étouffer sa carrière littéraire, la jugeant peu féminine. Il semble que Tagore ait lui-même eu de telles vues dans sa jeunesse.Darpaharan décrit l'humiliation finale de l'homme à travers l'acceptation des talents de son épouse.
Jibito o Mrito a donné aux Bengalis un de leurs épigrammes les plus en usage :Kadombini moriya proman korilo she more nai (« Kadombini est morte, prouvant ainsi que non »).
Tagore est aussi sorti du champ de la fiction et a écrit sur des sujets aussi variés que l'histoire de l'Inde ou la linguistique. À côté de ses œuvres autobiographiques, ses journaux de voyages, essais et conférences ont été compilés dans de nombreux volumes, au nombre desquels on peut citerIurop Jatrir Patro (Lettres d'Europe) etManusher Dhormo (La religion de l'Homme).
Âgé de 16 ans, Tagore expérimente pour la première fois le théâtre en tenant le rôle principal dans une adaptation par son frère Jyotirindranath duBourgeois gentilhomme deMolière.
À 20 ans, il écrit son premier opéra dramatiqueValmiki Pratibha (Le Génie de Valkimi, 1881), qui relate comment le bandit Valkimi amende son comportement, est béni parSarasvatī et compose leRāmāyana. À travers cette œuvre, Tagore explore avec vigueur un large palette de style et d'émotion dramatiques, recyclant par exemple deskirtans et des adaptations de mélodies populaires anglaises et irlandaises comme deschansons à boire.
Parmi ses autres drames musicaux, on peut citerMayar khela (Les Jeux de l'enchantement, 1888) etChitrangada (Chitra, 1892), ainsi que le ballet chantéPhalguni (Le cycle du printemps, 1916).
En 1890 il composeVisarjan (Le Sacrifice), adapté de son romanRajarshi (le Sage royal, 1887), considéré comme son meilleur drame parmi les premiers.
Ses premiers drames composés en langue bengalie comportent encore des intrigues secondaires et des monologues étendus. Mais progressivement, mêlant étroitement courant lyrique et rythme émotionnel chevillés à une idée centrale, ils vont se distinguer des drames bengalis antérieurs, cherchant à articuler, selon les propres mots de Tagore, « le jeu des sentiments et non de l'action ». Plus tard, les drames de Tagore vont aussi utiliser des thèmes plus philosophiques et allégoriques.
Raktakarabi (Red Oleanders,Les Lauriers de sang, 1926) compte aussi parmi ses plus fameux drames : c'est l'histoire d'un roi kleptocrate qui s'enrichit en obligeant ses sujets à extraire des minerais. Nandini, l'héroïne, parvient finalement à rallier les gens ordinaires pour détruire les symboles de l'assujettissement.
Chandalika (Jeune fille intouchable, 1933) est construit d'après une ancienne légende bouddhiste, dans laquelleAnanda (le disciple deGautama Bouddha) demande de l'eau à une jeune filleAdivasi (d'origine tribale).
Parmi les autres pièces de Tagore, on peut encore citerRaja (Le roi de la chambre sombre, 1910) etMuktadhara (La Machine, 1922).
Les drames dansés tirés des pièces de Tagore sont couramment désignés comme lesRabindra Nritya Natya.
Dancing Girl, une encre sur papier non datée de Tagore.
Tagore a été un musicien prolifique. Il est le compositeur d'environ 2 230 morceaux, au nombre desquels sonRabindra Sangeet (রবীন্দ্র সংগীত— « Chant de Tagore »), désormais partie intégrante de la culture bengalie. Sa musique est indissociable de son œuvre littéraire, puisque les paroles de ses chansons sont très souvent des extraits de ses romans, histoires ou pièces. D'abord influencées par le stylethumrî de lamusique classique hindoustanie, elles explorent toute la gamme des émotions humaines, de ses premiers chants funèbres - tels que les hymnes de dévotion Brahmo - jusqu'à des compositions quasi-érotiques. Elles empruntent la couleur tonale desragas classiques dans des proportions variables. Dans certains cas, ces chansons adoptent scrupuleusement la mélodie et le rythme d'un raga donné, dans d'autres il se permet d'assembler des éléments de différents types de ragas pour créer des formes novatrices.
Pour lesBengalis, l'attrait de ces chansons, produit par l'effet conjugué de leur puissance émotive et de leur beauté, surpasse même lapoésie de Tagore. Au point que le magazine londonienModern Rewiew fait observer qu'«auBengale il n'y a pas un foyer cultivé où les chansons de Tagore ne sont pas chantées ou au moins tentées de l'être. Même les villageois illettrés les entonnent ». Le critique musical Arthur Strangways deThe Observer est le premier à introduire des non-Bengalis auRabindrasangeet avec son livreThe Music of Hindostan (La musique de l'Hindoustan), où il le décrit comme le « médium d'une personnalité... [qui] va puiser dans l'arrière-plan de tel ou tel système musical, pour transporter à une telle beauté du son qui surpasse tous les systèmes. ».
Âgé de soixante ans, Tagore se remet au dessin et à la peinture. Cette entrée tardive en peinture s'explique par l'admiration qu'il vouait à l'œuvre picturale de son neveu, le peintreAbanindranath Tagore. Longtemps, il se limita donc à employer son œil artistique pour sa propre calligraphie, embellissant les gribouillis, les rayures et la disposition des mots de ses manuscrits avec de simples leitmotivs artistiques, dont des motifs purement rythmiques. Quand il se résolut à prendre les pinceaux, il fut, comme pour ses autres disciplines, très prolifique. Plusieurs expositions réussies de ses œuvres ont lieu enEurope, d'abord àParis, encouragé par des artistes rencontrés dans le Sud de laFrance.
Il a été avancé que Tagore était atteint deprotanopie (une forme dedaltonisme) ou d'une déficience partielle dans le discernement des couleurs (rouge-vert dans le cas de Tagore). Il peignait en effet dans un style caractérisé par des singularités dans les ordonnancements esthétiques et picturaux.
Parmi ses nombreuses inspirations dans des genres divers, on peut noter celui de l'art du peuple Malanggan du Nord de laNouvelle-Irlande, enPapouasie, des sculptureshaida des peuples amérindiens de la côte ouest duCanada, ou des gravures sur bois deMax Pechstein.
La plupart des œuvres de Tagore ont été traduites de l'anglais dans les années 1910-1930. Publiées chez Gallimard, les rééditions reprennent ces versions. Les traductions à partir du bengali, plus fidèles, sont à préférer.
L'Esquif d'or, Anthologie de l'œuvre poétique de R.Tagore, (The Golden Boat, 1932), Gallimard, 1997. Traduit du bengali par S.G.Banerjee(ISBN9782070746996)
Le Message de l'Inde au Japon, Conférence faite à l'Université Impériale de Tokio le, traduite de l'anglais par Andrée Jouve, et publiée dans le numéro d' de la revueLes cahiers idéalistes français (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65576372/f5.vertical)
La Religion de l'homme (The Religion of Man, 1931), Paris, Rieder, 1933. Traduit de l'anglais par J. Droz-Viguié.
Nationalisme (Nationalism, 1917), Paris, Delpeuch, 1931. Traduit de l'anglais par Cecil Georges-Bazile.
Lettres à un ami, Rieder, 1931.
Souvenirs d'enfance (Chelebela, 1940,Boyhood Days), NRF, 1964. Traduit du bengali par C.Bossenec et R.Datta.
La Demeure de la paix, Stock, Philosophie, 1998, Traduit du bengali par Renée Souchon(ISBN9782234049796)
Le Christ, Editions Brepols, 1995.
Une école sans murs. Arts, nature et cosmopolitisme au cœur de l'éducation, Édition préparée et présentée parNormand Baillargeon et Chantal Santerre, Écosociété, Montréal, 2021.
Les artistesWill Oldham (aka Bonnie Prince Billy) et Mick Turner (aka Marquis de Tren) ont mis en musique quelques poèmes tirés deGitanjali dans l'album Get On Jolly (2000).
1938 :Chokher Bali, filmfilm indien bengali réalisé par Satu Sen, adaptation du roman éponyme
1957 :Kabuliwala, film indien bengali réalisé parTapan Sinha, adaptation de la nouvelle éponyme (Le vendeur de fruits de Kabul, 1892)
1960 :Kshudhita Pashan, film indien bengali réalisé parTapan Sinha, adaptation de la nouvelle éponyme (Les pierres affamées, 1895)
1961 :Trois filles (Teen Kanya), film indien bengali réalisé parSatyajit Ray, adaptation en triptyque des nouvellesLe Receveur des postes (1891),Manihara (Les bijoux perdus, 1898) etSamapti (La Conclusion, 1893)
The Indian Runner deSean Penn (1991). La phrase de Tagore« Every new born child brings the message that God is not yet discouraged of man » est citée avant le générique.
« Car il y a de graves questions que la civilisation occidentale a posées devant le monde, et auxquelles elle n'a pas complètement répondu. Les conflits entre l'individu et l'État, le travail et le capital, l'homme et la femme ; les conflits entre l'avidité du gain matériel et la vie spirituelle de l'homme, entre l'égoïsme organisé des nations et les idéaux les plus élevés de l'humanité ; les conflits entre toutes les complexités laides, inséparables des organisations gigantesques du commerce et de l'État, et l'instinct naturel de l'homme criant vers la simplicité, la beauté, et la plénitude du loisir, — tout cela doit se résoudre en harmonie ; comment ? on ne peut même encore le concevoir. »Le Message de l'Inde au Japon, Conférence faite à l'Université Impériale de Tokyo le.
Mohammed Taleb, "Tagore, l’Europe et l’Universel. Pour une approche goethéenne du dialogue des cultures".Rencontre avec l’Inde, Conseil Indien pour les relations Culturelles, tome 40, n° 1, pp. 39–63.
(en)Biographie sur le site de lafondation Nobel (le bandeau sur la page comprend plusieurs liens relatifs à la remise du prix, dont un document rédigé par la personne lauréate — leNobel Lecture — qui détaille ses apports)