« Mythe national », la Révolution française a légué de nouvelles formes politiques, notamment au travers de laDéclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui proclame l'égalité descitoyens devant la loi, les libertés fondamentales et lasouveraineté de laNation, se constituant autour d'unÉtat. Elle a entraîné la suppression de lasociété d'ordres, de laféodalité et desprivilèges, une plus grande division de la propriété foncière, la limitation de l'exercice du pouvoir politique, le rééquilibrage des relations entre l'Église et l'État et la redéfinition des structures familiales. Les valeurs et les institutions de la Révolution dominent encore aujourd'hui la vie politique française.
Elle a été marquée par des périodes de grande violence, notamment pendant laTerreur (1793-1794), au cours de laguerre de Vendée, cause de la mort de centaines de milliers de personnes, au cours desinsurrections fédéralistes ou dans le cadre des luttes entre factions révolutionnaires, qui ont abouti à la mort successive des principales figures révolutionnaires (girondins,hébertistes,dantonistes puisrobespierristes).
La Révolution française « diffère des autres révolutions par ses exigencesuniversalistes en ce qu'elle est destinée à bénéficier à toute l'humanité[2] ». Dès son commencement, la portée universelle des idées de la Révolution française a été proclamée par ses partisans et l'ampleur de ses conséquences soulignée par ses détracteurs[3].
Considérée par la majorité des historiens comme un des événements majeurs de l'histoire mondiale[4], la Révolution a été un objet de débats[5] ainsi qu'une référence controversée durant les deux siècles qui l'ont suivie, en France et dans le monde[6]. Elle a créé des divisions immédiates et durables entre les partisans des idées révolutionnaires et les défenseurs de l'ordre ancien, ainsi qu’entre lesanticléricaux et l'Église catholique.
Elle marque le début en France d’une période d'instabilité institutionnelle, au cours de laquelle se succèdent trois monarchies constitutionnelles (1789-1792, 1814-1830, 1830-1848), deux républiques (1792-1804, 1848-1851) et deux régimes impériaux (1804-1814 et 1851-1870), jusqu’à l’établissement définitif de la République dans lesannées 1870. Toute l'histoire contemporaine est marquée par les héritages de la Révolution française que la plupart des mouvements révolutionnaires ont perçue comme un événement précurseur[1]. Sesgrandes phrases et ses symboles culturels[pas clair] sont devenus les étendards d'autres bouleversements majeurs de l'histoire moderne, y compris lors de larévolution russe plus d'un siècle plus tard[7].
Chronologie et périodisation
Elle est traditionnellement placée entre l'ouverture desétats généraux, le, et lecoup d'État du 18 Brumaire deNapoléon Bonaparte, le, qui inaugure la période duConsulat et aboutit, cinq ans plus tard, à l'avènement de l'Empire. Cependant, elle a été partiellement perpétuée par Napoléon lors de l'expansion du Premier Empire français.
Si la plupart des manuels d'histoire et nombres d'historiens découpent la Révolution en quatre périodes — Constituante, Législative, Convention, Directoire —Jules Michelet et l'historiographiemarxiste en placent la fin à la chute deRobespierre. Cettepériodisation a souvent dépendu des convictions ou arrière-pensées politiques des intéressés en faveur soit de la République « parlementaire », soit de la « souveraineté populaire »[8]. L'historiographie distingue classiquement deux temps, deux révolutions successives, qui ont transformé d'abord leroyaume de France en unemonarchie constitutionnelle, puis enPremière République, mettant fin à unesociété d'ordres et aux anciensprivilèges.
Lasociété sous l'Ancien Régime repose sur l'existence de trois ordres hiérarchisés (leclergé, lanoblesse, et letiers état qui représente à lui seul 97 % de la population[9]) et d'une mosaïque de droits dont disposent les corps constitués (parlements, communautés, villes, universités,métiers)[10], ou qui peuvent différer d'une province à l'autre et sont des héritages de lasociété médiévale et des agrandissements successifs du royaume. Le poids des impôts repose exclusivement sur letiers état, qui doit notamment verser des impôts auprès des deux autres ordres.
Cependant, face à cette concurrence, la noblesse réimprime le principe de la supériorité de la naissance sur la fortune et l'instruction : c’est laréaction seigneuriale et nobiliaire.
Inspirés par lesphysiocrates, les seigneurs cherchent par ailleurs à optimiser les revenus tirés de l'exploitation de leurs terres et remettent en vigueur des privilèges comme l'exploitation exclusive des communaux, avec pour effet d'en priver et d'appauvrir les paysans non propriétaires[12].
Par ailleurs, alors que les banques parisiennes connaissent un très important développement, et que l'arrivée deJacques Necker à la direction des finances est faite notamment sous leur influence[18], une crise budgétaire de l’État due à la dette énorme du gouvernement (4 500 000 000 livres en 1788)[19], en partie due à la participation de la France à laguerre d'indépendance des États-Unis (qui aurait coûté plus d'un milliard de livres selon l'historien françaisJean-Clément Martin[20]), et une inflation élevée causée par une quantité sans précédent de monnaie en circulation[21], l'oblige à envisager une nouvelle levée d'impôts et pour ce faire, à convoquer les états généraux : ce sera dans ce contexte de tensions, l'évènement déclencheur de la Révolution française.
Résistance à la monarchie absolue et désir de réforme
En 1788, le pouvoir repose sur le modèle politico-social d'unemonarchie absolue de droit divin : le roi, représentant de Dieu sur Terre, est « délié des lois » tout en devant respecter les « lois fondamentales du Royaume »[22]. Il est le garant de la sécurité, de la justice et de la foi de ses sujets. Il ne tire sa souveraineté d'aucune instance humaine mais doit gouverner avec le consentement des corps constitués. Les contradictions internes du modèle vont ouvrir la voie à la Révolution[23].
Dans leur immense majorité, les Français restent attachés à la forme monarchique. Le roi, aimé et respecté[Note 3], est perçu comme un « père du peuple », de « laNation »[24], puis comme « père des Français »[25]. En 1788, une réforme de l’État est espérée sous son autorité et avec son consentement[26].
Les corps constitués, quand ils s'opposent au pouvoir royal, le font pour la défense de leurs intérêts propres sans cependant le remettre en cause ou s'y opposer idéologiquement. LesParlements, cours de justice d'Ancien Régime, et lesétats provinciaux instrumentalisent leurdroit de remontrance lors de l'enregistrement des lois pour s'opposer aux réformes ministérielles duConseil du roi. Bien qu'ils protègent avant tout leurs privilèges, ils se pensent et passent aux yeux de l'opinion publique naissante, dans une rhétorique de défense du peuple contre ledespotisme ministériel, comme les représentants de la Nation. La monarchie en dépit de la pression fiscale demeure respectueuse de ces corps intermédiaires jusqu'au coup de force du chancelierMaupeou qui rompt l'équilibre en1771[27]. Ses membres les plus radicaux rejoignent ce qu'on appelle le « parti patriote », fer de lance de la contestationpré-révolutionnaire. La synthèse de leurs combats et de leurs revendications, dans leur dialogue avec les thèsesrousseauistes, devait à la faveur des événements de 1789, donner corps aux prémicesidéologiques de la Révolution[28].
En définitive, les remises en cause de l'absolutisme sont rares et marginales avant 1789. Elles sont avant toutphilosophiques etreligieuses avant d'être politiques ou sociales[29]. On trouve par contre un désir unanime de réforme chez les Français, porté par leurs députés qui expriment le souhait d'un État plus efficace et d'une monarchie régénérée[30].
1789 : fin de la monarchie absolue et de l’Ancien Régime
Bien qu'elle soit dépourvue de toute autorité législative, la réunion desétats généraux a suscité de grands espoirs parmi la population française[31]. Les paysans espèrent une amélioration de leurs conditions de vie avec l'allègement, voire l'abandon des droits seigneuriaux[32]. La bourgeoisie espère l'instauration de l'égalité devant la loi et plus confusément, l'établissement d'une monarchie parlementaire ou d'un gouvernement représentatif[33]. Elle peut compter sur le soutien d'une petite partie de la noblesse acquise aux idées nouvelles et du bas-clergé sensible aux difficultés du peuple. Dès la fin de l'année 1788, mémoires, libelles et périodiques sur la convocation prochaine se multiplient[34]. Villes et villages français s'informent ainsi des débats sur la composition et l'organisation des États du Royaume. La tradition avait sanctionné la pratique d'un vote par ordre qui met letiers en minorité. Enseptembre 1788, leParlement de Paris confirme que les États doivent prendre les formes de1614[35].
Le, les députés arrivent àVersailles. Alors que ceux du clergé (291) et de la noblesse (270) sont reçus en grand apparat, ceux du tiers état (584)[37] sont ignorés. Le 5 mai, le roi ouvre lesétats généraux. Son discours met en garde contre tout esprit d'innovation ; celui deNecker n'aborde que les questions financières. Aucune évocation des réformes politiques tant attendues n'est faite. Le pouvoir ne prend pas clairement position sur les modalités du vote. Les députés tiers s'engagent alors dans un processus de résistance et d'insubordination mené parBarnave,Mounier,Mirabeau etRabaut Saint-Étienne. Ils refusent de se réunir séparément des deux autres ordres. Dans le courant du mois de mai, les assemblées du clergé et de la noblesse acceptent de renoncer à leurs privilèges fiscaux. Au bout d'un mois de discussions, sur une motion de l'abbéSieyès, le tiers état prend l'initiative de vérifier les pouvoirs des députés parbailliage et sénéchaussée en l'absence des ordres privilégiés. Le, trois curés répondent à l'appel. Le 16, ils sont dix.
Le, le tiers et quelques députés de la noblesse et du clergé, sur proposition deLegrand et à l'invitation de Sieyès, prennent le titre d’« Assemblée nationale »[38]. Le, le clergé, qui compte une minorité de curés sensibles aux problèmes des paysans, décide de se joindre aux députés du tiers état pour la vérification des pouvoirs. Le, le roi fait fermer lasalle des Menus Plaisirs, lieu de réunion du tiers état. Ceux-ci se dirigent alors vers unesalle de Jeu de paume voisine.
Dans un grand enthousiasme, ils prononcent leserment du Jeu de paume, par lequel ils s’engagent à ne pas se séparer avant d’avoir donné uneconstitution écrite à la France.
Lors de laséance royale du 23 juin 1789, Louis XVI, jusqu'alors silencieux[39], définit un programme de travail, proposant aux députés de réfléchir aux réformes concrètes dont il esquisse l'économie et ordonne aux députés de siéger en chambres séparées. Alors que les députés de la noblesse et du haut clergé obéissent, les députés du tiers état et ceux du bas clergé restent immobiles.Bailly, élu président en tant que doyen, répond aumarquis de Dreux-Brézé leur sommant de se retirer que la« Nation assemblée n'a d'ordre à recevoir de personne » et Mirabeau l'apostrophe en affirmant que seule la force pourrait les faire quitter les lieux[40]. Face à cette résistance, le roi invite le les trois ordres à débattre ensemble[41].
L’Assemblée reprend alors immédiatement sa marche en avant. Le, elle se proclameAssemblée nationale constituante. Durant ces journées, elle réalise une autre révolution décisive : beaucoup de députés, effrayés par la tournure des événements, démissionnent ; l’Assemblée déclare qu’elle tient son mandat non pas des électeurs individuellement pour chaque député, mais collectivement de la Nation tout entière. C'est la mise en application du principe de lasouveraineté nationale défendu parDiderot[42]. Cette assemblée peut s’appuyer sur les espoirs de la majorité de la Nation, sur les réseaux de « patriotes ». En face, il n’y a que des ministres divisés, un gouvernement sans ressource financière et un roi velléitaire qui recule. Des rumeurs d'arrestation des députés du Tiers circulent alors à Versailles, à Paris et en province[43].
Or l'ensemble de la population parisienne est agitée : la bourgeoisie a peur pour la survie de l’Assemblée ; le peuple, lui, craint que les troupes ne coupent les routes du ravitaillement des Parisiens alors que le prix du pain est au plus haut. Début juillet, des émeutes éclatent aux barrières d’octroi. Le roi renvoie ses ministres jugés trop libéraux, parmi lesquelsNecker, contrôleur des Finances, remercié le et invité à sortir du Royaume[46]. La nouvelle est connue à Paris le 12. Les Parisiens s'arment et manifestent. Dans l’après-midi, dans les jardins duPalais-Royal, le journalisteCamille Desmoulins exhorte la foule à se mettre en état de défense. Il considère le renvoi de Necker comme une attaque contre le peuple. Dans les jardins des Tuileries et aux Invalides, les Parisiens se heurtent aurégiment dit du Royal-Allemand du prince de Lambesc dont les soldats sont accusés d'avoir tué des manifestants[47].
Prise de la Bastille, le. Huile sur toile anonyme, vers 1789-1791.Un homme incarnant letiers état se réveille, se débarrasse de ses chaînes et empoigne un fusil, au grand effroi de la noblesse et du clergé. Au second plan, on distingue la démolition de la Bastille. Réveil du tiers état, gravure anonyme, Paris,musée Carnavalet, vers 1789.
Laprise de laBastille s'explique d'abord par la volonté de trouver la poudre nécessaire aux milices bourgeoises desdistricts mais elle est immédiatement élevée au rang d'acte fondateur de la révolution populaire[50]. Le, les émeutiers dufaubourg Saint-Antoine se rendent autant maîtres d'une forteresse royale que d'un symbole du despotisme. C'est aussi la première manifestation des foules révolutionnaires organisées[51]. Le matin, les émeutiers pillent l'arsenal de l’hôtel des Invalides où ils trouvent des armes et des canons. Ils arrivent ensuite aux portes de la prison royale de laBastille et y retrouvent d'autres émeutiers massés devant la forteresse du faubourg Saint-Antoine depuis le matin[52],[53],[54].
Face à la foule marchant sur la Bastille, songouverneur, le marquisde Launay, accède à la demande de médiateurs venus de l'Hôtel de Ville et accepte par écrit la reddition de la forteresse sous la promesse qu'il ne sera fait aucun mal à la garnison. Il laisse la foule pénétrer dans la première cour. Il se ravise et fait tirer à la mitraille : il y a des morts. DesGardes françaises mutinées amènent alors des canons pris aux Invalides : le gouverneur cède et abaisse les ponts-levis. Il est cinq heures de l'après-midi. LesVainqueurs de la Bastille se dirigent ensuite vers l'Hôtel de Ville avec leurs prisonniers. Sur le chemin,Launay est massacré. Sa tête est découpée au canif[55]. Arrivés à l’Hôtel de Ville, les émeutiers accusent leprévôt des marchandsFlesselles de trahison. Il est lui aussi lynché et sa tête promenée au bout d’une pique avec celle deLaunay. Toute la journée, des barrières et des bâtiments fiscaux parisiens sont attaqués et incendiés.
Pendant ce temps, la renommée des « Vainqueurs de la Bastille » gagne la France entière. La force l'a emporté, venant au secours des réformateurs. Très vite, une interprétation symbolique de la prise de la Bastille est élaborée. La Bastille y représente l'arbitraire royal. Les bruits les plus fous se répandent, qui décrivent des cachots souterrains emplis de squelettes et inventent le personnage fabuleux du comte de Lorges, victime exemplaire de cet arbitraire. Le « patriote »Palloy fait fortune en entreprenant la démolition de la Bastille et en commercialisant de nombreux souvenirs commémoratifs.
La prise de la Bastille s'inscrit dans une vague d'agitation sociale qui touche toutes les provinces. Dès le début du mois de juillet, lacrise frumentaire et les émeutes qu'elle provoque, poussent des citoyens à se mobiliser pour contester un pouvoir municipal jugé défaillant[56]. Dans de nombreuses villes, les patriotes se constituent en comités permanents et prennent le contrôle du pouvoir municipal. La réception des évènements parisiens comme le renvoi de Necker, contribuent à renforcer cette mobilisation qui entraîne dans plusieurs villes une véritable révolution municipale. La prise de la Bastille, accueillie avec enthousiasme, porte ce mouvement à son paroxysme. ÀRennes etStrasbourg, des groupes assaillent les arsenaux où les armes leur sont données sans résistance ; d'autres groupes prennent les citadelles deBordeaux,Nantes ouMarseille où les garnisons se rendent. En marge de ces mouvements, se constitue laGarde nationale.Antoine Barnave recommande pourGrenoble qu'elle soit réservée à la « bonne bourgeoisie ». En effet leur rôle est souvent de contrôler les comités permanents et les mouvements populaires[57].
Grande peur dans les campagnes françaises et nuit du
Un peu partout dans les campagnes, à partir du jusqu'au, la « Grande Peur » se répand : rumeurs de complots aristocratiques en représailles des évènements de Paris, ou peur plus vague de « brigands » menaçant les récoltes, amènent les paysans à s'armer et finalement à attaquer de nombreux châteaux, où les archives relatives aux droits seigneuriaux ou aux impôts sont brûlées. Ces insurrections marquent l'effondrement de l'autorité monarchique, incapable de s'interposer, et déclenchent une vague d'émigration de la noblesse[58].
Les impôts afférant aux privilèges cesseront immédiatement d'être versés, même si l'abolition des droits réels portant sur la rente de la terre (cens,champart) est d'abord assortie d'une clause de rachat, que l'Assemblée constituante fixera même le à un prix si élevé qu'il aurait empêché quasiment tout rachat réel. Les droits sont définitivement abolis sans contrepartie le. L'abolition de la dîme est également assortie initialement d'une clause de rachat, finalement annulée en.
Les droits personnels (corvées, servage…) et le monopole de la chasse noble sont simplement supprimés. La loi du accorde à toutpropriétaire le droit de détruire et faire détruire toute espèce de gibier sur ses possessions, mettant fin au caractère régalien du droit de chasse[59].
Le, l’Assemblée constituante publie laDéclaration des droits de l'homme et du citoyen. S’inspirant des principes desLumières, elle est une condamnation sans appel de la monarchie absolue et de la société d'ordres et proclame en principe la démocratie juridique et sociale. Elle est aussi le reflet des aspirations de la bourgeoisie de l'époque : la garantie delibertés individuelles, la sacralisation de lapropriété privée, l'accès de tous aux emplois publics.
Dès, l'Assemblée vote les premiers articles de la future constitution limitant le pouvoir royal. Les difficultés d’approvisionnement de Paris en grains et une rumeur relative au piétinement de la cocarde tricolore par lerégiment de Flandre fidèle au Roi, provoquent lesjournées des 5 et 6 octobre 1789, où une foule majoritairement composée de femmes se rend àVersailles voir le roi[Note 4]. Ce dernier va dans un premier temps satisfaire leurs revendications.
Dans la même journée, le président de la constituanteMounier va à nouveau demander que Louis XVI promulgue laDéclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et les lois du 4 et du abolissant la société d'ordres. Dans la soirée, à la demande de la commune de Paris,La Fayette arrive également à Versailles. Le lendemain à l'aube, une partie de la foule menace la famille royale et deux gardes du corps sont tués. Selon les conclusions de l'enquête rendues par le Châtelet, sur cet événement, pivot de la Révolution :« le salut du roi, de la reine, de la famille royale, fut uniquement dû à la Garde nationale et à son général »[Note 5],La Fayette. Le roi doit consentir à quitter Versailles (qu'il ne reverra jamais) et est escorté par la foule à Paris.
Le pouvoir royal s'en trouve extrêmement affaibli. La France reste une monarchie mais lepouvoir législatif est passé entre les mains de l’Assemblée constituante. Des commissions spécialisées issues de l’Assemblée ont la haute main sur l’ensemble de l’administration qui se soucie de moins en moins du pouvoir du roi. Les ministres ne sont plus que des exécutants techniques surveillés par l’Assemblée. Néanmoins, le roi garde lepouvoir exécutif. Leslois etdécrets votés par l'Assemblée ne sont valables que si le roi les promulgue. Par ailleurs, les intendants et autres agents de l'administration de l’Ancien Régime restent à leur poste jusqu’à la formation d’une nouvelle administration. Jusqu'à l'été 1790, lesintendants qui n’ont pas démissionné continuent d'exercer leurs fonctions, bien que leur étendue ait été considérablement réduite.
Les premiers travaux de l'Assemblée sont consacrés à la réforme administrative. Les circonscriptions administratives de l'Ancien Régime étaient très complexes. Lesgénéralités, lesgouvernements, lesparlements et lesdiocèses se superposaient sans avoir les mêmes limites. Les députés s'attachent tout d'abord à la réforme municipale, rendue pressante par le désordre suscité dans l'administration par les troubles de l’été. La loi du 14 décembre met en place lamunicipalité. À partir de janvier 1790, chaquecommune de France organise l'élection de ses élus. Ce sont les premières élections de la Révolution.
Par la loi du 22 décembre 1789, l’Assemblée crée lesdépartements, circonscriptions à la fois administratives, judiciaires et fiscales. Au nombre de 83, ces départements portent des noms liés à leur géographie physique — cours d'eau, montagnes, mers — et ils sont divisés endistricts,cantons et communes. Au printemps 1790, une commission est chargée par l'Assemblée du découpage de la France et de répondre aux litiges occasionnés entre les villes candidates au titre de chef-lieu. Les nouvelles administrations élues par lescitoyens actifs, c'est-à-dire environ le septième de la population de l'époque, se mettent en fonction à partir de l'été 1790 jusqu'en 1791.
Assignat métallique de 5 Livres, 1791, Paris, 19 grammes.Gravure sur carton, insérée dans une couronne en métal de cloche.D'une insigne rareté, moins de 10 exemplaires connus.
Le, ladîme est supprimée[Note 6], privant ainsi le clergé d'une partie de ses ressources. Le 2 novembre de la même année, sur proposition deTalleyrand,évêque d'Autun, les biens du clergé sont « mis à la disposition » de la Nation pour l'extinction de la dette publique. Ils deviennent desbiens nationaux qui seront vendus par lots pour combler le déficit de l'État. La même année, lesassignats, qui deviendront une forme de papier-monnaie, sont introduits. Vu l’urgence de la situation financière, l'Assemblée constituante fait des biens nationaux la garantie d’un papier que ses détenteurs pourront échanger contre de la terre. Utilisés d’abord comme bons du Trésor, ils reçoivent un cours forcé en avril 1790 pour devenir une véritable monnaie. On émet ainsi pour 400 millions d’assignats en titres de1 000 livres : c’est le début d'une forte période d'inflation.
UnComité ecclésiastique est constitué. Le, lesvœux de religion sont abolis et lesordres religieux supprimés sauf, à titre provisoire, les maisons hospitalières et enseignantes. Les municipalités procèdent aux inventaires dans les mois suivants et réclament souvent les bibliothèques qui vont servir à constituer les premiers fonds desbibliothèques municipales. La vente des biens nationaux débute en octobre, en grande partie au bénéfice de la bourgeoisie, qui dispose de fonds importants permettant d'acheter vite[60].
Estampes opposant le« prêtre patriote prêtant de bonne foi le serment civique » au« prêtre aristocrate » fuyant le même serment (1790).
LaConstitution civile du clergé, adoptée le et ratifiée par le roi le[61], transforme les membres du clergé en fonctionnaires salariés par l’État. Les membres duclergé séculier sont désormais élus et doivent prêter un serment dans lequel ils s'engagent à accepter et protéger la nouvelle organisation du clergé[Note 7]. Suivant une traditiongallicane etjanséniste bien ancrée dans une partie de la bourgeoisie parlementaire, en accord avec une partie de l'héritage desLumières favorable à la laïcisation de la société, les députés n'ont pas demandé au pape son avis sur les réformes du clergé catholique. Les premiers clercs commencent à prêter serment sans attendre l'avis du souverain pontife.
Par décret du 27 novembre, le serment est rendu obligatoire pour bénéficier des traitements et pensions versés aux membres duclergé constitutionnel. Les ecclésiastiques doivent choisir : peuvent-ils accepter une réforme opérée sans l'aval de la hiérarchie de l'Église ? Tous les évêques, sauf quatre (qui ont été forcés), refusent de le prêter ; ils entrent en résistance passive et, malgré la suppression de 45 diocèses, continuent à agir comme si les nouvelles lois n'existaient pas. Les officiers ecclésiastiques députés à la Constituante doivent prêter serment avant le ; on dénombre 99jureurs sur les 250 députés concernés. Mais, en mars 1791, le papePie VI condamne les réformes visant l’Église de France, ce qui amène un certain nombre de jureurs à se rétracter. Malgré la difficulté à dresser des chiffres globaux, on peut estimer à 52 %[62] la proportion d’ecclésiastiques non jureurs ouréfractaires.
LaConstitution civile du clergé a divisé la population en deux camps antagonistes. PourMichelet,Mignet ouAulard, elle fut la grande faute de la Révolution française. Le drame de 1792-1793 est en germe. Dès 1790, des troubles entre protestants et catholiques avaient éclaté à Nîmes[63]. La question du serment dégénère en affrontement violent dans l'Ouest où les villes soutiennent les prêtres jureurs et les campagnes les réfractaires.
Un an après laprise de la Bastille, lafête de la Fédération donnée le, auChamp-de-Mars, pour célébrer l’avènement de la cité nouvelle[64], restera la plus éclatante des fêtes révolutionnaires[65] et constitue le couronnement du mouvement des fédérations provinciales[66]. Il s’agit, pour les élus de laConstituante, d’affirmer la grande fraternité révolutionnaire dans une journée d’union nationale alors que des milliers de cérémonies analogues ont lieu simultanément en province[67].
Alors qu’à cette périodeLouis XVI possède d'importantes prérogatives constitutionnelles, que lesystème monarchique n’est pas contesté[73] et que la figure royale n'est encore que peu attaquée[74], la tentative defuite du roi, les 20 et, est une date clé de la Révolution[75] : elle rompt les liens symboliques unissant le roi à la nation[76], précipite la désacralisation de la personne royale[77] et le renversement de l'opinion à son égard[78] et relance enfin la crainte du complot intérieur préparant l'invasion, provoquant une série de lois d'urgence qui préfigurent la Terreur[79].
Elle entraîne une division entre jacobins monarchistes constitutionnels et jacobins démocrates[80]. Les premiers commeBailly,La Fayette ouBarnave, pressés de terminer la Révolution, mettent sur pied la légende de l'enlèvement du roi et par lesdécrets du 15 et 16 juillet le font innocenter et rétablir dans ses fonctions. Ils provoquent une scission, la première, au sein des révolutionnaires dès le : une pétition réclamant la mise en accusation du roi et l’organisation d'un nouveau pouvoir exécutif[Note 8], initiée par Pétion et Laclos au club desCordeliers, reçoit le soutien d'une partie — réduite — duClub des jacobins et provoque en revanche, le départ d'une majorité de membres, qui fondent le Club desfeuillants dont ils prendront le nom[81].
LaConstitution de 1791, achevée le 3 septembre, est acceptée le 13 par le roi qui prête serment de fidélité le lendemain[90]. LesConstituants reprennent les idées deMontesquieu, sur la séparation des pouvoirs, et deRousseau sur la souveraineté populaire ainsi que sur la suprématie dupouvoir législatif[91]. Mais leurs applications trop strictes consacrent une séparation trop rigide entre l’exécutif et le législatif ; ainsi, laConstitution ne prévoit rien pour régler les désaccords entre eux[92] et, plus grave, avec leveto royal, les rédacteurs n’ont pas prévu le cas deguerre[93]. Le roi possède lepouvoir exécutif et, même si son autorité directe est très limitée, il détient le titre de représentant de la Nation, est irresponsable et inviolable devant l’Assemblée, qui ne peut rien contre lui. Le roi dispose d’unveto suspensif sur tous les décrets — undécret rejeté ne peut être représenté pendant les deux législatures suivantes (en tout presque 6 ans)[94]. Il continue aussi de nommer lesministres, choisis hors de l’Assemblée, lesambassadeurs, les chefs de l’armée et leshauts fonctionnaires[95].
Le pouvoir législatif, qui siège à partir du, est confié à une assemblée unique de 745 députés élus ausuffrage censitaire masculin à deux degrés,l’Assemblée nationale législative. La loi électorale adoptée par la Constituante le 4 décembre 1789 divise les citoyens en deux catégories : les citoyens « actifs » qui, payant le « cens », ont le droit devote, et les citoyens « passifs » qui, ne le payant pas, ne votent pas[Note 11]. Ainsi, sur une population estimée à 24 millions d'habitants, la France compte environ 4,3 millions de « citoyens actifs » et 3 millions de citoyens « passifs »[96]. Les députés, élus, sont des hommes nouveaux[Note 12], lesConstituants ayant décidé le qu’aucun de leurs membres ne pourrait se représenter à lalégislature suivante. Ils sont aisés et plutôt jeunes. Ces nouveaux élus auront en charge la mise en œuvre de lanouvelle Constitution[97]. La droite est désormais représentée par 250 membres desfeuillants, partisans sincères de lamonarchie constitutionnelle, dont le but est de terminer la Révolution ; lecentre ou indépendants, que l’on nomme aussi « parti constitutionnel », avec 345 députés non inscrits, représente le groupe le plus important. Lagauche est représentée par 136 membres inscrits auClub des jacobins, essentiellement des futursgirondins, et enfin l’extrême gauche, peu nombreuse, est représentée par les révolutionnaires les plus avancés[Note 13]. Les feuillants avaient définitivement rompu avec les jacobins le, après que leurs leaders Barnave, les frères Lameth, Adrien Duport et Goupil de Prefeln, ont la veille fait révoquer dans les colonies les droits des hommes de couleur libres accordés le à une partie d'entre eux[98]. L'esclavage restait maintenu malgré le "périssent les colonies" de Maximilien Robespierre prononcé le 13 mai et le plan détaillé d'abolition, proposé le 11 mai par "un obscur député du Vermondois"Viefville des Essarts[99].
Agitation sociale et religieuse
Le prix du pain reste élevé et des troubles agitent sporadiquement les villes et les campagnes.
Les nouveaux évêques, élus dès janvier par lescitoyens actifs, sont sacrés à partir de février et s'installent dans leur diocèse. Ils doivent recruter des curés et ordonnent desséminaristes qui n'ont qu'une formation rudimentaire[100]. Les nouveaux curés s'installent à partir de février à Paris ; en province, les élections sont plus tardives et marquées par une forte abstention. Elles se déroulent pour certaines jusqu'en février 1792[101]. Surtout, conformément aux décrets parus entre 1790 et 1792, les circonscriptions paroissiales sont remaniées et un très grand nombre supprimées, ce qui déclenche un flot de protestations. Si la fermeture de l'église est décidée, c'est l'émeute, comme àLa Fosse-de-Tigné (Maine-et-Loire) où le curé constitutionnel qui doit y procéder est accueilli par des femmes qui le menacent de mort et lui lancent des pierres[102].
Lesémigrés, regroupés àCoblence autour ducomte d'Artois, demandent instamment aux souverains étrangers d'intervenir dans les affaires françaises.
Le, l'Assemblée nationale législative vote un décret qui exige des émigrés qu'ils reviennent en France dans un délai de deux mois sous peine de voir leurs propriétés confisquées[Note 14] ; le 29 novembre suivant, deux autres décrets sont votés : un premier concernant l'Électeur de Trèves qui doit disperser l'armée des émigrés[103], un second qui impose le serment civique aux prêtres réfractaires, sous peine de privation de pension ou même de déportation en cas de trouble à l'ordre public.
Contre l’avis de la droite modérée[Note 15], le roi met son veto aux décrets qui frappent les émigrés et les prêtres réfractaires, mais accepte de sommer l’Électeur de Trèves, vassal de l’empereur duSaint-Empire, ce qui constitue un véritablecasus belli[104].
Le vote et le décret qui suivent l'annexion, le, d’Avignon et duComtat Venaissin[Note 16], jusque-là possessions pontificales, puis l’affaire desprinces possessionnés, particulièrement ceux d'Alsace, qui s’estiment spoliés par l'abolition des droits féodaux dans leurs fiefs, répandent des alarmes dans toutes les cours d’Europe[105]. Mais le souverain d’AutricheLéopold II qui, depuis le début de la Révolution, n'a fait qu'unedéclaration commune, et prudente, avec leroi de Prusse[Note 17], supprime, le 21 décembre 1791, le principal prétexte[Note 18] pouvant conduire à une déclaration de guerre[106]. La France en cet automne de 1791 n’est menacée par aucune puissance étrangère[107].
Néanmoins, plusieurs partis intérieurs souhaitent la guerre : le roi tout d'abord, qui espère secrètement une défaite de la France afin de rétablir entièrement son trône ; une partie des feuillants au pouvoir, tels que Lafayette, en quête d'une certaine gloire militaire ; une partie desjacobins, menés parBrissot et Vergniaud, qui voient dans une guerre le moyen de canaliser l'agitation populaire, de consolider la Révolution, de propager les idées révolutionnaires en Europe[108], voire d'ouvrir des débouchés économiques.
Estampe satirique monarchiste représentant le débat sur la guerre auclub des Jacobins en (Paris, BnF, 1792).
C'est à ce moment que s'esquisse la confrontation entre Girondins et Montagnards. À partir de décembre 1791,Robespierre,Billaud-Varenne,Camille Desmoulins,Georges Danton,François Nicolas Anthoine,Philibert Simond,François Amédée Doppet,Antoine Joseph Santerre,Étienne-Jean Panis, soutenus ou entraînés par les journaux,Le Père Duchesne d'Hébert,Les Révolutions de Paris de Louis Prudhomme et Sylvain Maréchal,L'Ami du peuple de Marat,L'Orateur du peuple de Fréron,La semaine politique et littéraire de Dusaulchoix et, plus modérément,Le Journal universel de Pierre-Jean Audouin, mènent campagne contre la guerre[109] qu'ils jugent contraire à l'esprit pacifique de la Révolution, inscrit dans la constitution de 1791[110]. Ils estiment également que les ennemis intérieurs de la Révolution sont plus dangereux que les émigrés et doivent donc être combattus en priorité.
Mais à l'assemblée législative, surtout après la mort de Léopold II, le, la solution de la guerre va s'imposer[111].Louis XVI renvoie ses ministres feuillants hostiles à la guerre et nomme des ministres girondins qui lui sont favorables.
Les débuts de la guerre sont catastrophiques : l'armée française, totalement désorganisée par l'émigration d'une partie des officiers nobles, subit ses premières défaites[Note 19] qui laissent les frontières nord et nord-est dégarnies.
Ces événements développent chez les patriotes un sentiment de trahison envers la Cour, les aristocrates et lesprêtres réfractaires. Sous la poussée des Girondins, l’Assemblée vote alors trois décrets de précaution et de défense organisant la déportation des prêtres réfractaires (27 mai), le licenciement de lagarde du roi (29 mai) et la constitution d’un camp degardes nationaux (fédérés) pour défendre Paris (8 juin)[113].
Dirigée autant contre l'Assemblée que contre le roi[119], peu de journées révolutionnaires ont été préparées plus longuement et plus méthodiquement que cette journée du10 août 1792[120]. Ainsi, dans la nuit du 9 au, uneCommune insurrectionnelle se forme à l’Hôtel de Ville et remplace la municipalité légalement établie. Au petit jour, les insurgés composés degardes nationaux des faubourgs patriotes et des fédérés se présentent devant les Tuileries que défendent des volontaires nobles, la Garde suisse et une poignée de gardes nationaux. Contenus un temps, et malgré de lourdes pertes, les insurgés prennent d’assaut le palais qui est investi et pillé et dont une partie de la Garde suisse est massacrée[Note 21]. Cependant, avant l’attaque, le roi accompagné de la famille royale s’est réfugié dans l'enceinte de l'Assemblée législative qui le reçoit avec respect, mais le suspend de ses fonctions après le succès complet du mouvement insurrectionnel[121].
Dans le même temps est décrétée l'élection d'uneConvention nationale qui, seule, pourra décider de la déchéance du souverain et aura la charge de rédiger une nouvelle constitution[122]. Le soir du, l'Assemblée législative désigne par acclamation unconseil exécutif provisoire comprenant six ministres[Note 22] ; mais l'Assemblée législative est devenue une simplechambre d'enregistrement : c'est la nouvelleCommune de Paris qui cumule les pouvoirs[123].
L'entrée en guerre de laPrusse aux côtés de l'Autriche est décidée par le roiFrédéric-Guillaume II contre l'avis de son oncle leprince Henri ; ce dernier avait personnellement discuté des propositions de réforme avec Necker pendant l'hiver 1788/1789 à Paris et était un sympathisant de la révolution constitutionnelle, tout commePhilippe Égalité[124]. L'engagement de la Prusse précipite la reprise des opérations militaires et le 19 août, ayant fait leur jonction, les troupes ennemies pénètrent en France et font tomber les places fortes les unes après les autres[125].
Le danger est extrême et c’est dans ce contexte queDanton déclare le : « De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace et la Patrie est sauvée ». Considérant que seuls les ennemis de l'intérieur sont responsables de la situation[126],[127], un groupe de 200 à 300 personnes se rend le dans les neuf prisons de Paris et y massacre la moitié de ceux qui s'y trouvent incarcérés : tous lesprêtres réfractaires, les suspects d'activitéscontre-révolutionnaires, les faussaires d'assignats, tous les galériens, des détenus de droit commun et même 60 enfants[128],[129],[130]. Les tueries, connues sous le nom demassacres de Septembre, dureront jusqu’au 6 septembre à Paris sans que les autorités administratives osent intervenir[131], et les députés ne les condamneront pas avant le 29 octobre[Note 23].
Lesélections à laConvention débutent dans les assemblées primaires, et se déroulent pour la première fois le au scrutin universel (masculin) : la participation est très faible[Note 24]. On constate une forte progression desmontagnards[134]. Deux camps antagonistes s'opposent : lesgirondins qui se méfient des clubs, dessections parisiennes et de laCommune de Paris[Note 25], trouvent leurs appuis en province et parmi la riche bourgeoisie du négoce et des manufactures[Note 26]. Ils sont très attachés aux libertés individuelles et économiques de 1789 et répugnent aux mesures d’exception. Ils sont dirigés parBrissot,Vergniaud,Pétion,Roland ou plus tardBuzot.
LesMontagnards qui siègent sur les bancs les plus hauts — d’où leur nom — s’identifient auxJacobins ; leur électorat est essentiellement parisien et se situe chez les artisans ruraux et les petits exploitants. Ces défenseurs de la cause populaire sont, comme les girondins, des bourgeois provinciaux qui se méfient des extrêmes[137]. Ayant compris que pour vaincre, la Révolution ne pouvait se passer du concours du peuple, ils réussissent à gagner à leur cause ceParis populaire, fait d’ouvriers, d’artisans, de boutiquiers[Note 27], et sont prêts à prendre des mesures d'exception pour sauver la Patrie. Leurs chefs sont, entre autres,Robespierre,Danton,Marat ouSaint-Just.
Au centre, siège une majorité de députés, les « indépendants » — appelés aussi leMarais ou la Plaine —, qui, bien qu'attachés à la Révolution, ne possèdent pas d'hommes marquants et dont les opinions sont fluctuantes[139]. Tantôt, ils soutiennent les girondins pour défendre la propriété et la liberté, tantôt, les montagnards, quand il s’agit de secourir la nation. Mais il n'est pas possible d'établir un relevé précis pour définir tous ces groupes avec clarté, parce qu'aucun d'eux ne possède de lignes politiques limpides et qu'ils demeurent très instables[140].
Le, lavictoire de Valmy sur les Prussiens par l’armée française, commandée par legénéralDumouriez, arrête l’invasion. Le 8 octobre, ce dernier pénètre enBelgique pour obliger les Autrichiens à lever le siège deLille et les refouler hors des frontières[141]. Le généralCustine s’empare deSpire (30 septembre), deWorms (5 octobre), puis deMayence et deFrancfort (les 21 et 22 octobre), ce qui lui permet de tenir la rive gauche duRhin alors que Dumouriez, en remportant la victoire décisive deJemmapes le, se rend maître de la Belgique. À cette période les troupes françaises occupent aussi laSavoie, possession de lamaison de Savoie[Note 28]. Partout les Français propagent leur idéal révolutionnaire et on commence à parler des frontières naturelles ; mais ce sont surtout les rapports de force militaire et diplomatique qui se trouvent modifiés[141].
Après le, puis l'abolition de la monarchie, le sort du roi déchu, prisonnier auTemple[143], est en question. À cette période, laConvention est dominée par lesgirondins, car la plupart des élus du Centre leur sont favorables ; ils sont ainsi majoritaires auconseil exécutif[144]. L’ouverture prochaine duprocès du roi les divise. Dès lors, ils cherchent à en retarder le jugement qu’ils trouvent inopportun[145], alors que lesmontagnards, plus radicaux, veulent une rupture définitive avec l’ancien régime pour asseoir la République[146]. Mais, déjouant tous les calculs, la découverte — le, aux Tuileries, dans « l'armoire de fer » — de documents accablants pour le roi rend le procès inévitable : dès lors, ne pas statuer sur son sort pourrait provoquer une nouvelle flambée révolutionnaire. Malgré le principe de laséparation des pouvoirs, c’est la Convention qui va juger le roi. C'est ainsi que le procès qui commence le 11 décembre 1792 marque le début d’une lutte à mort entre girondins et montagnards pour le contrôle de l’Assemblée et de la Révolution[147].
Le roi[Note 29] est pris au dépourvu par la découverte de l’armoire de fer et de ses papiers compromettants ; il se défend mal et nie même l’évidence[148]. Cependant, dans ce procès, les fautes du roi, même prouvées, comptent peu devant l’utilisation politique de la sanction[147], alors même queMarat a arraché à l’Assemblée « que la mort du tyran » soit votée par appel nominal, à haute voix, des députés sous les yeux de la population[149]. Ainsi, lerégicide va devenir une preuve de la sincérité républicaine[150]. Le 15 janvier, à l'issue des débats, le roi est reconnu coupable à une écrasante majorité, 693 voix contre 13, et le 17 janvier, il est condamné à mort par une majorité plus étroite, 387 voix contre 334[151].Philippe-Égalité, duc d'Orléans et cousin du roi, va lui aussi voter la mort, marquant ainsi le point de départ de la lutte entreorléanistes etlégitimistes qui prendra place le siècle suivant. Le 20 janvier, le sursis et l'appel au peuple demandés par les girondins sont repoussés et le,Louis XVI estguillotinéplace de la Révolution.
Son exécution fait une impression profonde dans la population française et frappe de stupeur les souverains d'Europe[152] : elle est aussi un défi à l'Europe monarchique. La déclaration de guerre à laGrande-Bretagne et auxProvinces-Unies, le, entraîne la formation de laPremière Coalition des puissances européennes contre la France révolutionnaire.
Pour faire face et remplacer les volontaires de 1792, qui ont légalement quitté l’armée, la Convention décrète une levée de 300 000 hommes le 24 février. Cette levée doit se faire partirage au sort, ce qui spontanément provoque une vaste protestation[Note 30] dans tout le pays[153], et particulièrement au sein de la paysannerie, enAlsace, enBretagne, dans tout leMassif central et lesPyrénées. Dans la plupart de ces régions, les soulèvements armés retombent, ou sont vite étouffés, mais enAnjou et dans lePoitou, la rébellion s’organise et prend de l’ampleur[154].
L'insurrection vendéenne, qui débute àCholet le, est la manifestation intérieure la plus grave que rencontre la Révolution. Le nombre des victimes varie, suivant les historiens, de 117 000 à plus de 250 000.
Cette insurrection prend très vite de l’importance quand laVendée se soulève d’un bloc[156]. Pour tenter d’arrêter ces émeutes, la Convention vote, le, une loi d'exception : tous les insurgés pris les armes à la main ou convaincus d’avoir participé aux attroupements seront exécutés[157]. À la Convention, les insurgés sont très vite traités de « brigands », et Paris donne le nom de « guerre de Vendée » à leurs soulèvements[158]. Pour réprimer les ennemis de l’intérieur et de l’extérieur, laConvention crée leTribunal révolutionnaire le 10 mars et, pour mener à bien cette politique, leComité de défense générale est transformé enComité de salut public le 6 avril[159].
Les mois qui suivent l’avènement de laRépublique résonnent des affrontements entremontagnards etgirondins. Les divergences apparues au printemps de 1792 sur lesnécessités de la guerre ont laissé des traces. C'est ainsi que le, après la victoire de laCommune insurrectionnelle et dessans-culottes, les rivalités entre les deux groupes apparaissent très vite comme un conflit de classe[160] : c’est donc deux façons de concevoir le contenu à donner à la République qui provoque l’affrontement, même si ces différences politiques ne sont pas propres au seul camp des girondins et reflètent aussi l’état d’esprit de la province[161].
Quoi qu'il en soit, la Gironde disparaît de la scène de la Révolution à la suite de ses incohérences politiques et principalement, pour avoir voulu la guerre sans s’être donné les moyens de la mener, pour avoir tenté de sauver la monarchie, pour avoir, au nom du libéralisme, renforcé la crise sans trouver les solutions pour y remédier ou encore, pour avoir relancé le mouvement révolutionnaire et avoir ensuite cherché à freiner son élan[162]. Lesjournées révolutionnaires des et, avec l’arrestation des principaux chefs girondins, mettent fin à leur prépondérance politique.
L’exécution du roi le, la politique de conquête et d’annexion de laConvention, l’agitation des révolutionnaires dans divers pays d’Europe ainsi que lesrévoltes vendéennes puis « fédéralistes »[Note 31], font rebondir la guerre à l’extérieur[163] et la provoquent à l’intérieur, plaçant laRépublique dans une situation mortelle. Avec laPremière Coalition, c’est toute l’Europe absolutiste qui s’est liguée contre la France[Note 32]. Au printemps, avec l’offensive des coalisés, toutes les conquêtes qui ont suivi lavictoire de Valmy sont perdues et la République se retrouve dans une situation militaire pire qu’en 1792 : très vite, les frontières sont franchies par lesAutrichiens, lesPrussiens, et lesAnglais au nord et à l'est, lesEspagnols au sud-ouest, lesPiémontais au sud-est. À l’intérieur, l'insurrection vendéenne, devenue royaliste après sa reprise en main par les nobles[Note 33], a pris de l’ampleur et s'étend sur plusieursdépartements de l'Ouest de la France ;Saumur etAngers tombent (9 et), maisNantes résiste (28 juin). Des révoltes royalistes se développent également enLozère et dans la vallée duRhône[Note 34]. La Convention prescrit alors, par décrets des 26 février et, l'amalgame des deux armées françaises composées desrégiments d'Ancien Régime et desbataillons de volontaires nationaux et que ces corps prendraient à l'avenir le nom dedemi-brigades.
Après lecoup de force qui met fin à l’hégémonie girondine[Note 35], lesmontagnards se retrouvent seuls au pouvoir et dominent la Convention : avec lesjacobins ils ont désormais la charge de conduire la guerre[164] et de régler les problèmes politiques et sociaux engendrés par les circonstances. Après l'insurrection du des sections parisiennes contre l’Assemblée, les députésgirondins qui ont pu échapper à la répression parisienne appellent à la révolte contre Paris et sont soutenus par les autorités départementales dans de nombreuses régions de France[165]. L’assassinat deJean-Paul Marat le 13 juillet parCharlotte Corday, une jeune Normande, augmente les tensions politiques. La situation explique la radicalisation des mesures admises entre juin et septembre 1793[166].
Le, la Convention adopte uneconstitution très démocratique et décentralisée, ratifiée parréférendum[Note 36], laConstitution de l'an I. Le nouveau texte cherche à établir une véritable souveraineté populaire grâce à des élections fréquentes au suffrage universel, accorde aux citoyens la possibilité d'intervenir dans le processus législatif et reconnaît le droit à l’insurrection[Note 37] (ce qui légitime après coup les journées du et du)[167]. Mais cette constitution n'entrera jamais en vigueur, car la Convention suspend son application le[168].Saint-Just justifie cette décision en expliquant que« dans les circonstances où se trouve la République, la constitution ne peut être établie, on l'immolerait par elle-même. Elle deviendrait la garantie des attentats contre la liberté, parce qu'elle manquerait de la volonté nécessaire pour les réprimer ».
Principal organe de gouvernement, leComité de salut public est créé le en remplacement duComité de défense générale. La nouvelle instance est composée de neuf membres élus, issus de l’Assemblée, parmi lesquels figurentDanton etBarère. Le 10 juillet suivant, une crise interne et la gravité des évènements imposent son renouvellement : Danton, jugé trop modéré, est écarté ; le 27 juillet, le Comité est complété avec la nomination deRobespierre et les 14 août et[Note 38], par les autres membres. Le « Grand Comité de l'anII », qui doit gouverner la France jusqu’à la victoire, est né[Note 39] : il est créé pour agir et pour vaincre. Ses membres, au nombre de douze, sont réélus tous les mois par la Convention ; il a l'initiative des lois, le pouvoir exécutif, nomme les fonctionnaires et centralise le pouvoir ; il est dominé par la personnalité de Robespierre, qui impose la politique du Comité à la Convention et aux jacobins. Chaque membre du Comité se spécialise dans un domaine particulier, commeCarnot aux armées[169],[170].
LeComité de sûreté générale est le second comité de gouvernement. Il est créé le, et renouvelé le. Les douze députés qui le composent, tous montagnards, sont aussi issus de la Convention. Parmi eux,Vadier,Amar ouVoulland[171] s’y montrent inexorables. Le pouvoir du Comité est considérable : il dispose de droits particuliers sur les enquêtes, sur les arrestations, sur les prisons, ainsi que sur la justice révolutionnaire[172]. Son autorité repose sur laTerreur qu’il cherche à étendre et à perpétuer[173]. Une rivalité de compétences oppose cette instance auComité de salut public[Note 40]. Pour appliquer les mesures adoptées, la Convention décrète (9 mars 1793)[175] l’envoi systématique, dans les départements et aux armées, de certains de ses membres : lesreprésentants en mission. Ceux-ci disposent de pouvoirs très étendus pour prendre les mesures qui leur paraissent nécessaires : rétablir l’ordre partout où il est perturbé et mettre en arrestation ceux qu’ils jugent suspects. Ces représentants procèdent deux par deux, prennent leurs arrêtés en commun et doivent rendre des comptes à la Convention[174].
Après le et l’arrestation des principaux chefsgirondins, lesmontagnards pour gouverner doivent tenir compte dessans-culottes[Note 41] et de leurs représentants[176] extrémistes, sur lesquels ils se sont appuyés pour vaincre leurs adversaires girondins, mais ils n'ont pas l'intention de partager le pouvoir avec ces derniers[177], ni accéder à leurs revendications. Les montagnards tentent au contraire de les contrôler au travers desjacobins, pour parvenir à couper court aux menaces d’insurrection que ces terroristes — que sont lesEnragés[Note 42] — propagent régulièrement dansParis[Note 43] et dont ils craignent d’être finalement les victimes[Note 44]. À leur arrivée au pouvoir, et comme leurs prédécesseurs, les montagnards se refusent à toucher à la liberté économique. Ils ne veulent pas prendre le risque d’être débordés en affrontant le mouvement populaire — dont ils reconnaissent le bien-fondé des revendications — et essayent plutôt d’en dénigrer les meneurs[178].
Néanmoins, le petit peuple des sans-culottes se préoccupe d’abord de la cherté et de la rareté des denrées. Les Enragés, qui se considèrent comme leurs représentants les plus authentiques, luttent depuis des mois — soutenus par le mécontentement populaire[179],[180] — pour obtenir des améliorations sociales[Note 45]. La mort deMarat, le, permet au journalisteJacques-René Hébert de se présenter comme son héritier, tout en reprenant à son compte le programme des Enragés. Hébert se trouve ainsi en concurrence avec ces derniers pour la succession politique deL’Ami du peuple[181]. Dès lors, afin d’attirer à lui les sans-culottes parisiens, il lutte pour évincer l'ancien prêtre,Jacques Roux — surnommé le « prêtre rouge », l'un des chefs des Enragés —, qu’il accable et dénonce aux jacobins comme responsable des mesures de violences du[182]. À partir du, Hébert, candidat au pouvoir, s’éloigne des montagnards et profite de l’instabilité sociale pour attaquer le gouvernement[183].
Toutefois, malgré leurs excès, le « prêtre rouge »[Note 46] et son groupe ne représentent pas en eux-mêmes un véritable danger pour le gouvernement, car malgré le soutien du peuple, ils ne jouissent d’aucun appui pour atteindre la sphère où se dispute le pouvoir[184]. En revanche, leClub des cordeliers[Note 47], dont Jacques-René Hébert est un des membres éminents, est autrement redoutable. En effet, le Club soutient Hébert, qui bénéficie déjà d’appuis multiples, même en province, et qui est entouré de nombreux partisans, les « hébertistes ». Hébert est également le fondateur duPère Duchesne, seul grand journal populaire — aux propos souvent démagogiques, et parfois orduriers — lequel, grâce àVincent et àBouchotte, est également diffusé dans lesarmées de laRépublique[185]. Enfin les « hébertistes » ont une grande influence sur laCommune de Paris. Après les journées de septembre et la disparition des « Enragés »[Note 48], Hébert et ses amis s’attaquent ouvertement aux montagnards, les identifiant à des « nouveaux brissotins » et cherchent à les éliminer en demandant l’épuration de laConvention[186].
Pour éviter d’offrir un terrain de propagande aux meneurs des sans-culottes, tout en calmant le mécontentement du peuple urbain touché par les difficultés d'approvisionnement, par la hausse du prix des denrées alimentaires et par la dévaluation du cours de l'assignat, leComité de salut public se résout à prendre des mesures économiques. Dès le, la Convention vote lapeine de mort contre lesaccapareurs, c'est-à-dire contre ceux qui stockent les denrées alimentaires au lieu de les vendre[187]. Cependant, si les montagnards doivent faire des concessions, ils résistent encore à la pression des sans-culottes[188] en refusant de s’engager davantage dans l’économie dirigée, pour ne pas s’aliéner la bourgeoisie et la paysannerie : un refus formel est opposé aux autres exigences des extrémistes[189].
Paysan vendant ses denrées contre desassignats auprès d'un changeur. Gouache deLesueur, musée Carnavalet.
Pourtant, le, sous la pression populaire, la Convention cède, et après de longs débats, décrète lalevée en masse. Celle-ci permet d'envoyer sous les drapeaux tous les jeunes gens de 18 à 25 ans, célibataires ou veufs, et sans enfants. Tous les Français doivent participer à l'effort et toute l'économie de la nation est tournée vers la guerre. De septembre 1793 au printemps 1794, la levée en masse fournit près de 400 000 hommes, portant l’armée à 750 000 soldats. La République se donne les moyens de vaincre en opposant à l’ennemi des forces supérieures sur toutes les frontières[190],[191]. Onze armées sont ainsi créées.
La perte deToulon () affaiblit considérablement la position gouvernementale et sert de prétexte aux groupes radicaux pour provoquer les journées des 4 et. La Convention est envahie et doit céder sur une série de mesures réclamées depuis longtemps, notamment : la levée d'une armée révolutionnaire parisienne[Note 49] pour la réquisition des grains et leur transport sur Paris, la rétribution des sans-culottes qui siègent dans lessections, puis, le 11 septembre, le maximum national des grains et des farines. Cependant, l’inertie du gouvernement provoque une nouvelle émeute le 22 septembre, l’obligeant à décréter, le 29 suivant, laloi du Maximum général, laquelle bloque les prix au niveau de ceux de 1790, augmentés de 30 %, et fixe le maximum des salaires. Enfin, le cours forcé de l'assignat est instauré[192]. Mais ces mesures ne permettent pas de mettre fin aux difficultés de ravitaillement des villes. Le pouvoir d'achat des salariés, payés en assignats, ne cesse de s'éroder[193].
Imposée par la rue à la suite de ces journées révolutionnaires, laTerreur est « mise à l'ordre du jour » le : avec la dictature, cetétat d'exception se trouve affermi par le renforcement de la centralisation[194]. Le, la Terreur est légalement instaurée avec laLoi des suspects. Le texte donne une définition très large des « suspects », ce qui permet de toucher tous les « ennemis de la Révolution » : entrent dans cette catégorie, lesaristocrates, lesémigrés, lesprêtres réfractaires, lesfédéralistes, lesagioteurs, ainsi que leurs familles[Note 50]. Ces « ennemis » doivent être emprisonnés jusqu'au retour de la paix[195]. Les sociétés populaires, contrôlées par les sans-culottes, reçoivent des pouvoirs de surveillance et de police. Cependant, l’effervescence de ces journées de septembre n’empêche pas le gouvernement de reprendre la situation en main.
Si les journées des 4 et sont une victoire des organisations populaires les plus combatives, elles sont aussi — non sans ambiguïtés — un succès des instances dirigeantes qui ont contourné les demandes des groupes radicaux à l’Assemblée, tout en poussant les plus extrémistes dans l’illégalité[196],[197] : leur autorité en sort renforcée, mais elles ont dû se renouveler () et admettre des représentants des sans-culottes[Note 51] ; lesEnragés évincés, les violences contre l’organisation révolutionnaire duComité de salut public ont pris fin. C’est une nouvelle avancée vers un affermissement dugouvernement révolutionnaire[198]. À partir de l’automne, les organisations populaires portent ombrage aux autorités et marquent le divorce naissant entre le gouvernement révolutionnaire et le mouvement populaire[199]. C’est à cette période que la France change de forme de gouvernement[200].
La politique volontariste impulsée par leComité de salut public permet de faire face et de redresser la situation, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur : les premières mesures — favorisées par la mésentente descoalisés — sauvent la République et la Révolution. Dès le, les armées républicaines remportent leurs premiers succès àHondschoote, puis le suivant, àWattignies : succès qui, sans être décisifs[201], permettent de ralentir l’invasion[Note 52] et justifient le redressement militaire français[202].
Les victoires de décembre (Wissembourg le 26 et Landau le 28) contre lesAustro-Prussiens et lesSaxons — et ceci, malgré l’échec àCollioure etPort-Vendres contre lesEspagnols (décembre) —, mettent les coalisés, contenus sur l’ensemble des fronts, sur la défensive[203]. Ainsi, l’entrée en guerre desAnglais, desHanovriens et desHollandais n’est pas parvenue à modifier les rapports de force en Europe. Mais sur le fond, pour laRépublique, la situation militaire ne changera pas avant que les grandes mesures et l’effort de guerre décidés lors de lalevée en masse ne se fassent pleinement sentir[204] avec la grande offensive et les victoires du printemps 1794, lesquelles rejetteront l’ennemi au-delà des frontières et permettront à la France de se retrouver dans une situation proche de celle qui était la sienne à la fin de l'année 1792[205].
Sur le plan intérieur, la révolte « fédéraliste » s’essouffle. Par chance pour laConvention, les départements frontaliers lui sont restés fidèles et, comme le soulèvement est plus développé en surface qu’en profondeur, le pouvoir parisien ne tarde pas à recommencer de s’imposer dans les grandes villes[206] :Marseille est reprise le,Bordeaux, le 18 septembre,Lyon, le 9 octobre, alors queToulon, livrée aux Anglais le 27 août, ne sera reconquise que le 19 décembre. Dans la plupart des villes reconquises, une répression brutale s’organise[Note 53]. Toutefois, à la suite du soulèvement provoqué parPasquale Paoli dès le mois de mai, laCorse est perdue : hormis quelques ports, les Français n’y possèdent plus queBastia[206], et le, les Anglais, appelés par Paoli, commencent à occuper l’île.
Après les revers du printemps et de l’été 1793, les troupes républicaines reprennent le dessus en automne et infligent une première défaite à l'Armée catholique et royale lors de labataille de Cholet du. Toutefois, l'armée royaliste n'est pas détruite, ce qui permet à son nouveau chef,Henri de La Rochejacquelein, de tenter de prendre le port deGranville, dans leCotentin, pour réaliser une jonction avec lesAnglais et lesémigrés qui doivent y débarquer. Cette expédition, connue sous le nom devirée de Galerne, se solde par un échec ()[Note 54]. Après ce revers, les rescapés de l’armée royale se dirigent versLe Mans, où ils sont écrasés (16-19 décembre). Le reliquat des troupes est ensuite massacré àSavenay (22-)[207],[208] : la grande Armée catholique et royale n’existe plus.
Les républicains reprennent le contrôle de laVendée et desdépartements voisins insurgés et y mettent en place une répression terrible : les décrets des et organisent la destruction de laVendée militaire[Note 55]. Entre décembre 1793 et février 1794, avec une extrême barbarie, le représentant en missionJean-Baptiste Carrier fait exécuter plusieurs milliers de personnes àNantes, où les noyades et les fusillades collectives sont restées sinistrement célèbres[207],[208] ÀAngers, près de 2 000 femmes sont exécutées. La répression s’abat aussi surSaumur[209]. Le, sont organisées lescolonnes infernales commandées par legénéralLouis Marie Turreau. Dans leBocage vendéen, ces colonnes brûlent les villages, massacrent la population sans faire de différence entre patriotes et rebelles, et en plus des meurtres, multiplient les viols et les infanticides[210].
Ces répressions d’une grande sauvagerie nourrissent une réaction hostile des Vendéens à l'égard du pouvoir révolutionnaire et produisent une nouvelle forme de lutte — une guérilla — qui permet encore au printemps de 1794 aux insurgés, sous le commandement deStofflet ou deCharette, de remporter quelques succès ponctuels. Néanmoins, pour la plupart, ces combats prendront fin en 1795 et 1796, après l'arrestation et l'exécution de ces deux chefs. Il faudra pourtant attendre le concordat de 1801 pour que la Vendée soit plus durablement pacifiée.
Stabilisation gouvernementale et crise populaire
Gouvernement révolutionnaire
Vue, depuis lepont Royal, dupavillon de Flore, rebaptisé « pavillon de l'Égalité » sous la Révolution[211]. Le Comité de salut public siège au rez-de-chaussée sur le jardin, dans l'ancien appartement de lareine[212]. Dessin à la plume etlavis à l'encre brune, 1814.
Dès, l'exercice du pouvoir de laConvention est fixé dans ses grandes lignes. Sa charte, basée sur le rapport deSaint-Just du — qui déclare« le gouvernement révolutionnaire jusqu’à la paix » —, est nettement renforcée par le décret du (14 frimaire de l'anII)[213]. Ce gouvernement — le plus révolutionnaire et le plus républicain de la Révolution — sera le seul dont les statuts lui permettront de faire exécuter ses volontés[214]. C’est un gouvernement deguerre, qui doit revenir à un régime constitutionnel (« régime de la liberté victorieuse et paisible »), dès que ses ennemis seront vaincus[213].
Pour le pouvoir constitué, il s'agit principalement de contrôler leprocessus anarchisant vers lequel tendent lessans-culottes parisiens[Note 56]. C'est ainsi que le décret du14 frimaire anII constitue le premier effort pour coordonner les mesures révolutionnaires prises afin de bloquer les décisions des comités et dessections parisiennes[215]. En conséquence, uneconstitution provisoire est mise en place pour la durée du gouvernement révolutionnaire. Cedécret en organise les moindres détails : il s’agit de mettre un terme aux initiatives désordonnées desreprésentants en mission, de renforcer lacentralisation, de supprimer aussi les « armées révolutionnaires départementales »[Note 57], ainsi que les tribunaux révolutionnaires locaux : désormais, le seulTribunal révolutionnaire se tiendra àParis. La Convention devient le « centre unique de l’impulsion du Gouvernement », puisque c'est elle qui élit les deux comités de gouvernement —Comité de salut public etComité de sûreté générale, dont la loi fixe les compétences, ainsi que celles des autres institutions de laRépublique[216].
Fête de la Raison àNotre-Dame de Paris le. Une montagne est édifiée dans le chœur, une actrice personnifie la Liberté. La Convention vient assister à la cérémonie. Estampe, Paris,BnF, 1793.
Dès le début de la Révolution, les multiples fractures apparues entre leclergé et les révolutionnaires créent une dynamique de crise qui s'envenime progressivement avec la radicalisation des évènements[217] : c'est ainsi que ladéchristianisation précède laTerreur et finit par se confondre avec elle. Née enprovince, où les premières manifestations se développent visiblement en août 1793[218], la déchristianisation connaît un démarrage relativement tardif à Paris. Organisé, mais non imposé[Note 58], ce mouvement s'étend dans de nombreuxdépartements[219].Iconoclasme,vandalisme etblasphèmes anti-chrétiens vont être officiellement encouragés par lesreprésentants en mission et par lessociétés populaires, accélérant ainsi l’écroulement de l'Église constitutionnelle, patiemment mise en place depuis 1791[220].
L’intervention deDanton, appuyé parRobespierre, donne à réfléchir aux dirigeants de la Commune et, dès lors, le mouvement reflue. Mais leComité de salut public, s’il rappelle le principe de laliberté de culte (), n'est pas en mesure faire respecter celle-ci normalement, et n’obtient là qu’un succès de principe[223]. Contenu à Paris, le mouvement balaiera le pays pendant des mois encore.
Si en la situation militaire commence à s’améliorer, celle du « petit peuple » n’a guère progressé et le mécontentement dessans-culottes demeure. Avec la disparition desenragés,Hébert et lescordeliers se retrouvent au premier plan des républicains « exagérés » et profitent de la situation sociale pour demander des mesures toujours plus radicales[Note 60],[224].
Cette surenchère des ultra-révolutionnaires indispose les « indulgents » qui supportent mal les discours enflammés des partisans de laTerreur[225]. Pour eux, en effet, une fois la guerre intérieure terminée et l’invasion contrôlée, la Terreur et son cortège de contraintes économiques et sociales n’ont plus de raison d’être. Dès lors, ils se lancent dans une campagne pour l’indulgence, etDanton réclame« l’économie du sang des hommes » (2 frimaire-) alors que, de son côté, son amiDesmoulins, dans son nouveau journalLe Vieux Cordelier (15frimaire-), s’attaque aux exagérés et demande la mise en place d'un comité de clémence[226]. C'est ainsi que s’est formée la faction des indulgents (ou dantonistes ou modérés ou citras), face à celle des ultras (ou hébertistes ou exagérés).
Drame de germinal
En luttant contre les factions desultra-révolutionnaires et desindulgents, leComité de salut public poursuit son objectif de stabilisation de la Révolution[224]. Lors de la lutte contre ladéchristianisation, le Comité impose son point de vue au mouvement populaire et donne des garanties aux indulgents tout en faisant croire aux uns et aux autres qu’il est favorable à leurs revendications[227],Robespierre, pour sa part, s’étant un temps rapproché des indulgents[Note 61]. Or, il n’en est rien, car pour legouvernement, il ne s’agit pas seulement de vaincre, mais d’anéantir l’ennemi — le coalisé, comme le royaliste —, et pour imposer la paix, laTerreur est l'outil qui lui paraît indispensable[228]. L’hiver 1793-1794, extrêmement dur pour le peuple, touché par le froid et la faim, est l’allié des extrémistes. Une nouvelle fois, Hébert en profite pour pousser lessans-culottes dans la voie de la violence : on pouvait craindre alors un nouveau, ainsi qu’un renouvellement desmassacres de Septembre[226].
Les divers groupes de laMontagne et de laCommune s'entendent provisoirement pour proclamer, au nom de l'égalité et du genre humain, l'émancipation desNoirs dans lescolonies : le15 pluviôse anII (), trois nouveaux députés deSaint-Domingue —Dufay (Blanc),Mills (métis) etBelley (Noir) — sont admis à l'Assemblée nationale. Le lendemain,16 pluviôse (), l'esclavage colonial estaboli après interventions deLevasseur, Lacroix, l'abbé Grégoire,Cambon,Danton,Bourdon de l'Oise[230]. Dans toutes les parties de la République, les gens de couleur sont désormais libres et égaux : les esclaves sont non seulement libérés de leurs chaînes, mais ils sont également pleinement citoyens et peuvent participer aux élections. Le soir même, les trois députés de Saint-Domingue sont chaleureusement accueillis auClub des jacobins parSimond,Momoro,Maure[231]… La mesure abolitionniste est également saluée parLa Feuille du salut public, organe officieux du Comité de salut public[232]. Enfin, le30 pluviôse (), le décret fait l'objet d'une cérémonie autemple de la Raison (Notre-Dame de Paris) sous la houlette deChaumette, qui suscitera quelques jours après chezHébert « la grande joie » duPère Duchesne[233].
Lesdécrets de ventôse ( et) — manœuvre dugouvernement pour couper les sans-culottes de leurs chefs ultra-révolutionnaires[234],[235] — légalisent laséquestration des biens appartenant aux personnes reconnues comme ennemies de laRépublique, ces biens devant servir à soulager les malheureux[236]. Mais ces mesures ne suffisent pas à calmer l’agitation sans-culottes etJacques-René Hébert a beau jeu de dénoncer la faction des « endormeurs » de laConvention, ceux qui veulent mettre sur un même pied les « vrais patriotes » et les indulgents[237],« qui veulent détruire les échafauds parce qu’ils craignent d’y monter ».
La situation étant explosive, le pouvoir révolutionnaire redoute le pire. Des révélations concernant les factions confirment les appréhensions de Robespierre etSaint-Just. En effet, à l’automne 1793, la « faction hébertiste » est dénoncée auprès des comités par deux montagnards (Fabre d'Églantine le etFrançois Chabot le), soupçonnée de tremper dans une vaste « conspiration avec l’étranger »[226],[238]. Le pouvoir cependant ne veut pas ébruiter cette affaire, de crainte de discréditer la Montagne et de rompre son unité[Note 62]. En effet, durant cette période, Robespierre n'est pas en mesure de s’attaquer à laCommune de Paris, forteresse sans-culottes, soutenue par certains membres des comités de gouvernement soucieux de protéger Hébert[239].
Hébert,Vincent,De Kock,Clootz etRonsin sur la charrette les menant à la guillotine. La légende est incorrecte : Hébert et Vincent ont été exécutés le 4 germinal an II, Chaumette et Gobel le 24 germinal. Tableaux historiques de la Révolution française,BnF,département des estampes, 1802.
Pourtant, au printemps suivant, le renforcement dugouvernement, l’affaiblissement des factions rivales ainsi que l’entente entre les deux comités modifient la situation et permettent à l'assemblée d’agir, d’autant que les ultras, qui recommencent à s’agiter, en fournissent l’occasion. Un plan d’insurrection contre la Convention, imprudemment proclamé parRonsin, puis repris parVincent et Hébert (), précipite la décision[234]. Après une vaine tentative de conciliation deCollot d’Herbois, sous l’impulsion de Robespierre — qui veut abattre la faction qu’il juge la plus dangereuse —, le rapport deSaint-Just du 10 mars suivant à la Convention[240] conduit à l’arrestation des principaux chefs hébertistes (Jacques-René Hébert, Momoro, Ronsin et Vincent) dans la nuit du 23 au24ventôseanII. Quelques jours plus tard, ils sont traduits devant leTribunal révolutionnaire[Note 63]. Amalgamés à des agents du « complot de l’étranger », à la suite d’un procès truqué, ils sont condamnés à mort et exécutés le (4germinal de l'anII)[241].
Après s’être débarrassés des hébertistes, Robespierre et Saint-Just — sous la pression deVadier et ses alliés duComité de sûreté générale —, épaulés par Collot d’Herbois etBillaud-Varenne, reprennent à leur compte le combat contre les indulgents[242]. Cependant, l’Incorruptible hésite à se joindre à ceux qui demandent la mise en accusation de Danton, mais cède finalement après l’échec des entrevues de la fin deventôse et de débutgerminal[Note 64].
Le rapport du (3germinal de l'anII) de Saint-Just sur « les factions de l’étranger » est présenté le lendemain à la Convention, qui donne son accord à cette requête présentée comme une ultime purge parlementaire[243], alors que Vadier, grand ennemi duTribun, emporte la décision de faire arrêter lesmodérés avant le vote dudécret d’accusation[244]. Danton, qui a refusé de fuir (« On n’emporte pas la patrie à la semelle de ses souliers ! »), est arrêté dans la nuit du 9 au10 germinal anII avec ses amis :Camille Desmoulins, pourtant proche de Robespierre, Fabre d'Églantine, compromis dans l’affaire de laCompagnie des Indes, ainsi que treize autresdantonistes ou suspects[Note 65]. Jugés le (13 germinal) suivant, ils sont mis dans le même sac que des affairistes accusés de spéculation, puis sont condamnés à mort[Note 66] et guillotinés le suivant (16 germinal), après un procès tout aussi truqué[Note 67] que celui des hébertistes. L'aile droite des montagnards n’existe plus.
Le (15germinal de l'anII), au cours du procès des indulgents, éclate la « Conspiration des prisons »[245] — appelée également « conspiration du Luxembourg »[Note 68] —, révélée par un prisonnier,Alexandre de Laflotte. Le but de l'opération — faire évader les indulgents inculpés à la faveur d’un soulèvement des prisons — paraît plausible à Robespierre et à Saint-Just[246]. Ce complot serait tramé par le généralArthur de Dillon et un autre détenu, le député duBas-RhinPhilibert Simond. Accusée de financer l’opération,Lucile Desmoulins est incarcérée àSainte-Pélagie[Note 69]. Le (23 germinal) suivant, sous le motif d’avoir voulu« … massacrer les représentants du peuple et replacer sur le trône le fils du tyran… », les accusés, après un jugement sommaire, sont condamnés à mort. Amalgamés àPierre-Gaspard Chaumette, oublié du procès hébertiste, àGobel, évêque abdicataire deParis, à laveuve Hébert[Note 70], ainsi qu’à vingt-trois autres accusés, cette nouvelle fournée, de vingt-neuf condamnés, est amenée à l’échafaud dès le lendemain[247]. Les trois phases de la purge de germinal auront fait près de soixante victimes, dont onze députés[248].
Aboutissement et conséquences
Le dénouement et les suites des événements de germinal sont d’une grande importance, car ils signifient que le pouvoir a la volonté de refermer la période de « guerre civile » qu’entretenaient les factions, et de se lancer dans la fondation de la nouvelle société attendue depuis les débuts de la Révolution[249]. Mais, dans l’immédiat, en ce printemps 1794, si le contrôle de la vie politique marque une victoire tactique duComité de salut public et deRobespierre[250], l'antagonisme croissant de ces élus avec les mouvements populaires scelle le divorce avec les masses[251], car, au lendemain de l’exécution des principaux fondateurs de la Terreur, le désarroi de nombreux sans-culottes est manifeste, alors que les liens de « fraternité républicaine » qui les associaient aux autorités, se distendent et se rompent : la Révolution se trouve à l’arrêt[252]. Ainsi, degerminal àthermidor, les relations entre le gouvernement révolutionnaire et le mouvement populaire ne cesseront de se dégrader[253].
Alors que laTerreur ralentit en province, elle s'accentue à Paris après le vote de laloi du22 prairial anII (). LeTribunal révolutionnaire peut seul juger des crimes politiques. La définition d'« ennemi de la Révolution » est élargie et devient floue[254]. Cette évolution ouvre la voie de laGrande Terreur : dans les semaines qui suivent, plus de 1 400 personnes sont guillotinées à Paris.
Au début de l'été 1794, l'effort de guerre consenti par la nation porte enfin ses fruits. Le, la victoire deFleurus permet aux troupes françaises de reprendre laBelgique. Des vivres commencent à être réquisitionnés dans les régions occupées pour être envoyés en France.
En luttant contre les factions et en faisant revenir au pouvoir les terroristes les plus zélés, Robespierre s'est fait beaucoup d'ennemis. Il est devenu l'homme politique le plus influent. Le, lorsqu'il préside laFête de l'Être suprême, ses adversaires murmurent qu'« il veut accaparer le pouvoir ». Son retrait temporaire de la scène politique permet la constitution d'un groupe d'opposants autour duComité de sûreté générale et d'anciensreprésentants en mission, commeTallien ouFouché.
Quand Robespierre se décide enfin à réapparaître à laConvention, il brandit la menace d'une nouvelle épuration, y compris contre certains députés qu'il a la maladresse de ne pas nommer. Le complot se noue avec le soutien duMarais. Le9 thermidor anII (), il est accusé par l'Assemblée et arrêté. Une action de laCommune de Paris le délivre contre son gré et l'emmène à l'Hôtel de Ville. Mais lessans-culottes, démoralisés par la mise au pas des sections après l'élimination deshébertistes, et mécontents de la stricte application du maximum des salaires, ne se joignent pas aux soutiens de Robespierre. La Convention, qui l'a immédiatement mis hors la loi, envoie les troupes qui prennent d'assaut le bâtiment. Il est guillotiné le lendemain, le, avecGeorges Couthon,Saint-Just et ses principaux partisans. Les conventionnels thermidoriens rappellent les députésgirondins et mettent fin à la Terreur.
Peu de temps après, le, les cendres deJean-Jacques Rousseau sont transférées auPanthéon, au cours d'une cérémonie grandiose[255]. Une autrepanthéonisation révèle mieux encore la complexité des mois qui suivent le9 thermidor : en effet, le,Marat entre à son tour au Panthéon, pour en sortir cependant le suivant. Entre ces deux dates, les équilibres politiques ont changé à la Convention[256].
Après la mort deRobespierre, le système gouvernemental mis en place s'effondre rapidement avec, dès le11 thermidor, la décision de renouveler mensuellement, et par quart, les comités de gouvernement. Laloi de Prairial est supprimée le14 thermidor.Fouquier-Tinville est emprisonné et leTribunal révolutionnaire cesse de fonctionner, avant d'être réorganisé le 23[69]. De nombreux prisonniers sont libérés.
Trois tendances s'affrontent jusqu'en : lesmodérés qui souhaitent un retour à 1791, les néo-hébertistes et lesjacobins. Le25 vendémiaire anIII, les modérés de laConvention mettent à mal l'organisation des jacobins en parvenant à faire interdire l'affiliation desclubs entre eux. Le club électoral des néo-hébertistes ferme, pour sa part, au début defrimaire anIII. Après avoir réussi le démantèlement des organisations politiques de leurs opposants, les modérés s'emploient à éliminer leurs représentants les plus célèbres.Jean-Baptiste Carrier est ainsi guillotiné le. Lesmuscadins prônent le remplacement deLa Marseillaise parLe réveil du peuple contre les terroristes. Les restes deMarat sont retirés duPanthéon, et d'anciensmontagnards détenus dans des prisons sont massacrés (Lyon, Nîmes, Marseille…) Pour autant, la « réaction thermidorienne » ne doit pas être confondue avec leroyalisme. Les thermidoriens, dont certains ont participé à laTerreur, cherchent à imposer une ligne médiane au pouvoir, entre lepopulisme néo-hébertiste, toujours actif (Babeuf et son journalLe tribun du peuple, par exemple), et la dérive royaliste qui menace.
Les moissons de 1794, en lien avec un été très orageux comme en 1788, sont très en dessous de celles de 1793. L'hiver 1794-1795 est aussi froid que celui de 1788-1789, et la misère envahit les rues des grandes villes[257]. Le, laloi du Maximum général, sur les denrées de première nécessité, est supprimée dans l'espoir d'enrayer lemarché noir. La mesure provoque l’effondrement de l’assignat : la crise agricole se double d’une crise économique. Des émeutes populaires se déclenchent pour réclamer du pain. Les plus fameuses sontcelle du12 germinal anIII et surtoutcelle du1er prairial (). Cette dernière coûte la vie au députéJean-Bertrand Féraud qui a voulu s'interposer : sa tête est alors promenée au bout d'une pique. La répression s'abat sur les manifestants et ceux qui sont accusés d'en être les instigateurs, notamment six députés montagnards, lescrêtois, condamnés à mort et exécutés. L'historienAlbert Soboul, spécialiste de la Révolution française, écrit à propos de ces journées de prairial :« Son ressort, le mouvement populaire, ayant été brisé, la Révolution était terminée[69] ».
Le29 messidor (), la Convention vote la nouvelleConstitution de l’an III, qui acte la fin de la révolution populaire avec le rétablissement duvote censitaire. Le nouveau texte est ratifié parplébiscite en septembre. En revanche, le vote sur ledécret des deux tiers, qui n'autorise le renouvellement que d'un tiers des sièges (ce qui empêche les royalistes d'avoir la majorité), n'est approuvé qu'à une courte majorité. À la suite de ce vote, le13 vendémiaire anIV, les royalistes tentent uncoup d'État. À la demande deBarras, le généralBonaparte est chargé de protéger l'Assemblée, ce qu'il fait avec l'appui du chef d'escadron,Joachim Murat[258]. Le4 brumaire anIV, la Convention laisse la place auDirectoire.
Le Directoire dure du4 brumaire anIV au18 brumaire anVIII, selon lecalendrier révolutionnaire. Il s'agit de la seconde tentative pour créer un régime stable reposant sur une baseconstitutionnelle[259]. La pacification de l'Ouest et la fin de laPremière Coalition permettent l'établissement d'unenouvelle constitution. Pour la première fois en France, le pouvoir législatif repose sur un parlementbicaméral : leConseil des Cinq-Cents (500 membres) et leConseil des Anciens (250 membres). Le pouvoir exécutif est undirectoire de cinq personnes nommées par le conseil des Anciens sur une liste fournie par le Conseil des Cinq-Cents. Les ministres et les cinq directeurs ne sont pas responsables devant les assemblées, mais ils ne peuvent non plus dissoudre ces dernières. Comme en 1791, aucune procédure ne permet de résoudre les conflits[260].
Lesthermidoriens ont imposé que les deux tiers des élus soient issus de laConvention. Les régions de l'Ouest, de la vallée du Rhône et de l'Est du Massif central élisent des députésroyalistes. Pendant toute la durée du Directoire, l'instabilité politique est incessante. Les « réseaux de correspondance », royalistes, mêlent le renseignement, la propagande et l'action politique. Ils quadrillent le pays avec le soutien des frères deLouis XVI et de puissances étrangères. Les partisans du retour à la monarchie remportent les élections de mars 1797. Au cours du mois de septembre suivant, les républicains modérés organisent uncoup d'État qui chasse deux des cinq directeurs et destitue ou invalide l'élection de177 députés. En 1798, les élections semblent donner la faveur auxjacobins. Les conseils s'octroient alors le droit de désigner les députés dans la moitié des circonscriptions. Les thermidoriens se maintiennent au pouvoir, mais sont totalement discrédités.
La situation économique contribue aussi à détourner les Français du régime. Les impôts ne rentrent plus. L'assignat, qui a perdu toute sa valeur, est remplacé par un autre papier monnaie, le mandat territorial, qui subit en un an le même sort que l'assignat. À partir de 1797, l'État demande aux contribuables de payer les impôts en numéraire. Or, avec la crise financière, la monnaie métallique s'est raréfiée. Après les années d'inflation liées à l'assignat, la France connaît une période de baisse des prix qui touche principalement le monde rural. Incapable de faire face à l'énorme dette accumulée par la monarchie absolue et huit années de révolution, les assemblées se résignent à labanqueroute des « deux tiers » : la France renonce à payer les deux tiers de sa dette publique, mais consolide le dernier tiers en l'inscrivant dans leGrand-livre de la dette publique. Pour paraître crédible aux yeux des créanciers, un nouvelimpôt sur les portes et fenêtres est créé en 1798. Les gendarmes sont réquisitionnés pour le recouvrer.
Grâce aux efforts du gouvernement de salut public, lesarmées françaises sont passées à l'offensive. Au printemps 1796, la France lance une grande offensive à travers l'Allemagne pour contraindre l'Autriche à la paix. Mais c'est l'armée d'Italie, commandée par le jeune généralNapoléon Bonaparte, qui crée la surprise en volant de victoire en victoire et en forçant l'Autriche à signer la paix par letraité de Campo Formio du. Entre 1797 et 1799, presque toute la péninsule italienne est transformée en un ensemble derépubliques sœurs, avec des régimes et des institutions calquées sur celles de la France. Si les victoires soulagent les finances du Directoire, elles rendent le pouvoir de plus en plus dépendant de l'armée. Bonaparte devient l'arbitre des dissensions politiques intérieures. L'expédition en Égypte a comme objectif de couper la route des Indes auRoyaume-Uni, mais les directeurs ne sont pas mécontents d'éloigner l'encombrant soutien du Corse, qui ne cache pas son appétit de pouvoir. Par ailleurs, la multiplication des républiques sœurs inquiète les grandes puissances,Russie et Royaume-Uni en tête, qui craignent la contagion révolutionnaire et une trop forte domination de la France sur l'Europe. Ces deux États sont à l'origine de la formation de laDeuxième Coalition en 1798. Les offensives anglaises, russes et autrichiennes sont repoussées par les armées françaises dirigées parBrune etMasséna.
Le Directoire prend fin par le18 brumaire anVIII () de Napoléon Bonaparte, qui déclare : « Citoyens, la révolution est fixée aux principes qui l'ont commencée, elle est finie ». LeConsulat est mis en place. Il s'agit d'un régime autoritaire dirigé par trois consuls, dont seul le premier détient réellement le pouvoir : la France entame une nouvelle période de son histoire en s'apprêtant àconfier son destin à un empereur.
Bibliographie
: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
PhilippeBourdin et GérardLoubinoux,Les Arts de la scène & La Révolution française, Clermont-Ferrand, Vizille, Presses universitaires Blaise-Pascal,Musée de la Révolution française de Vizille,.
AlessandroDi Profio,La Révolution des Bouffons : l'opéra italien au Théâtre de Monsieur (1789-1792), Paris,CNRS Éditions,.
La Révolution par l'écriture, les Tableaux de la Révolution française une entreprise éditoriale d'information (1791-1817), Clermont-Ferrand, Vizille, Presses universitaires Blaise-Pascal, musée de la Révolution française de Vizille,, 511 p.(ISBN2-7118-4928-7).
Bandes dessinées et autres ouvrages graphiques pour la jeunesse
L'essor de laBD historique, en continuation des ouvrages pour la jeunesse plus anciens, n'a point omis de couvrir ce nœud conceptuel ou premier marqueur que représente souvent la Révolution placée au cœur de l'histoire de France, autant par des biographies de personnages célèbres (Olympe de Gouges, Fouché, Robespierre, Danton, Marie-Antoinette etc.) que par des récits événementiels documentés ou des séries en long développement tels queRévolution ouDampierre[261]. Mieux encore que les ouvrages scientifiques, ces diverses œuvres graphiques dévoilent le faisceau des représentations communes actuelles.
Dominique Joly,Bruno Heitz,La Révolution française, série Histoire de France en BD, Casterman, 2018, 48 pages.
Jean-Paul Krassinsky avec Mathieu Dunhill etGuillaume Mazeau,Notre Révolution : De l'Ancien Régime à la Première République, collection "Histoire Dessinée de la France" Tome 15, La revue dessinée, éditions La Découverte, mai 2025, 168 pages. EAN13 9782348069994
Hervé Luxardo,Pierre Probst (illustrations),Au temps de la Révolution française, série "La vie privée des Hommes", Hachette jeunesse, Paris, 1987, 68 pages.(ISBN2-01-010870-1)
Noël Simsolo (scénariste), Vincenzo Bizzarri et Paolo Martinello (dessinateurs),1789 - La naissance d'un monde, BD Glénat, 2019, 64 pages.
↑Notamment Emmanuel Le Roy Ladurie. VoirLe Territoire de l’historien, Paris, Gallimard, 2014(ISBN978-2-07029-778-8), 544 p..
↑C'est ce que l'historiographie française a retenu sous le nom d'« imputation au politique » des fluctuations économiques. Voir C. E. Labrousse,La crise de l'économie française à la fin de l'Ancien Régime et au début de la Révolution, Volume 1, Presses Universitaires de France, 1944.
↑Les cahiers de doléances évoquent l’« amour paternel » évoquent « un roi juste et bienfaisant comme un père au milieu de ses enfants », « un père chéri de ses enfants est bien assuré de leur secours », « le père du peuple et régénérateur de la France » ; cité par Pierre Goubert et Michel Denis,1789, Les Français ont la parole, extraits des cahiers de doléances, Paris, Julliard,coll. Archives, 1964.
↑C'est pourquoi ces deux journées sont fréquemment connues sous le nom de « marche des femmes ».
↑Procédure criminelle instruite au Châtelet de Paris sur la dénonciation des faits arrivés à Versailles dans la journée du, 1790, Archives nationales.
↑Tout d'abord supprimée sous réserve de rachat, elle sera définitivement supprimée, sans compensation, en avril 1790.
↑Différent du serment de fidélité à la Nation à la loi et ou roi.
↑Lors de la fuite du roi le pays avait vécu sans lui et s’était aperçu qu’un roi n’était pas indispensable ; dès lors un autre régime était envisageable. -Bernardine Melchior-Bonnet,La Révolution française (1789-1799), Librairie Larousse,, p.34.
↑Lafusillade du Champ-de-Mars est un évènement très important car, le 17 juillet pour la première fois, des citoyens sortent des principes de 1789 en réclamant avec force la déchéance du roi et une République.Melchior-Bonnet 1988,p. 34.
↑Après les élections législatives, la droite absolutiste et les « Noirs » (la droite dure), qui prêchaient un retour à l'avant-Révolution, ont perdu tout crédit depuis Varennes. Ils disparaîtront de la scène politique jusqu'à la fin de la Convention -Soboul, Suratteau et Gendron 2004,p. 48.
↑Les recherches menées par Jacques Godechot - admises par de nombreux historiens - ont démontré que le suffrage censitaire, même s’il resserre le corps électoral, s’est montré loin d’être restrictif et démobilisateur.Godechot 1965,p. 306-309 – voirÉlections législatives françaises de 1791.
↑La majorité de ces nouveaux élus ne sont pas des néophytes. Depuis 1789 ils ont fait leur apprentissage politique dans les assemblées communales et départementales.Soboul 1962, t.I,p. 256.
↑Le comte de Provence, notamment, est sommé de rentrer en France dans les deux mois, sous peine de perdre ses droits lors d’une régence éventuelle.
↑C’est-à-dire des feuillants qui sont au ministère et conseillent le roi ; ils sont divisés avec les feuillants laméthistes (ou fayettistes) partisans d’une guerre limitée qui permettrait à Lafayette victorieux de renforcer sa position, tout en renforçant la monarchie constitutionnelle en chassant les jacobins.
↑Après avoir longtemps hésité, les Constituants décrètent un référendum. Le vote étant positif, ces États sont rattachés à la France.
↑L’armée est aussi en proie au conflit politique et social qui oppose la troupe et le commandement aristocratique ; la confiance n’existe plus et la discipline s’en ressent.Soboul 1962, t.I,p. 284.
↑Les blessés sont achevés alors que la plus grande partie des serviteurs du palais sont massacrés et que seules les femmes sont épargnées. Quelques gentilshommes, habillés en civil, arriveront à s’échapper en se mêlant à la foule.
↑C'est en fait pratiquement l’ensemble du gouvernement patriote (Girondin) du mois de mars 1792 qui est reconduit :Roland à l’Intérieur,Clavière aux Finances,Servan à la Guerre, auxquels on ajouteDanton à la JusticeMonge à la Marine etLebrun-Tondu aux Affaires étrangères.
↑Après le9-Thermidor (27 juillet 1794) et, malgré l’amnistie décrétée par la Convention avant sa séparation, l’instruction des massacreurs suivra son cours et trente-neuf seront jugés en mai 1796. Trois seulement seront condamnés à vingt ans de fers[132].
↑Par rapport au précédent, ce référendum permet aux Français de21 ans, domiciliés et vivant de leur travail, y compris les domestiques et les citoyens « passifs » (citoyens qui ne paient pas d’impôts) de voter. C’est du coup trois à quatre millions de « passifs » qui obtiennent la citoyenneté, pourtant seulement 700 000 votants sur7 millions que comptait le corps électoral se rend aux urnes ; chiffre proche de ceux de la monarchie censitaire, mais pour la première fois le petit peuple s’y manifeste. La nomination des députés appartient donc à une majorité dérisoire[133].
↑Après avoir relancé la Révolution avec la déclaration de guerre le, les girondins, après le sont hostiles à tout nouveau bouleversement politique[135].
↑Pour eux la richesse foncière et le capital commercial sont les seuls facteurs de consolidation sociale. Comme les Montagnards, ils sont attachés au principe de la propriété et voient dans toute restriction autoritaire une menace pouvant déclencher une escalade désastreuse[136].
↑C’est ainsi que le peuple, grâce à la guerre, fait irruption sur la scène politique[138].
↑Le 27 novembre 1792 la Savoie est réunie à la France et forme le département du Mont-Blanc.
↑Comme la plupart des princes de cette époque, Louis XVI et Marie-Antoinette n’ont pas le sentiment de la « Patrie ». Pour eux, le pays est leur propriété et les souverains européens formant une grande famille, ce n’est pas faire preuve de trahison que de faire appel à eux pour remettre le pays à la raison.André Castelot,G. Lenotre,Les grandes heures de la Révolution française – L’agonie de la royauté, tome I, Perrin, 1962,p. 330-331.
↑La protestation est dirigée contre le tirage au sort – déjà détesté du temps des campagnes de l’Ancien Régime. En effet, celui-ci exonère les notables, alors que ceux-ci sont considérés comme les grands bénéficiaires de la Révolution. Le peuple considère donc que c’est aux notables d’aller défendre la nation qui les favorise.Dupuy 2005,p. 58.
↑Le député GirondinFrançois Buzot esquisse le mot « fédéralisme » en réclamant à l’Assemblée, le, une force publique départementale pour protéger les députés de la Convention ; il servira de prétexte aux Montagnards pour accuser les Girondins de vouloir faire des 83 départements autant de républiques indépendantes.Jeanne Grall,Girondins et Montagnards – Les dessous d’une insurrection (1793), Éditions Ouest-France,, p.23. En définitive ces « fédéralistes » – qui refusent tous une fédération – sont des républicains modérés favorables à la Révolution ; ils ne veulent que la fin de la domination parisienne et montagnarde.Martin 1990,p. 155.
↑Seuls en Europe la Suisse, les États scandinaves et certains États italiens restent en paix avec la France ; mais la Russie, alliée de l’Autriche et de la Prusse, est aussi officiellement en guerre contre la France, qui se bat non seulement pour son indépendance, mais aussi pour sa dignité nationale, son droit à se gouverner elle-même, et la protection des immenses avantages qu’elle a retirés de la Révolution.Albert Mathiez,La Révolution française,op. cit.,p. 350.
↑En Vendée, les nobles n’ont pas provoqué le mouvement insurrectionnel : ils n’arrivent qu’après, et uniquement parce qu’on est allé les chercher, et parfois se sont fait prier.Jacques Solé,Révolutions et révolutionnaires en Europe 1789-1918, Gallimard,, p.544.
↑Les soulèvements provinciaux qui font suite aux et, trop souvent enfermés dans la contre-révolution, ne sont souvent que la suite de luttes locales qui confrontent révolutionnaires modérés, jacobins, et sans-culottes.Martin 1990,p. 153-155.
↑Pourtant les sans-culottes les plus avertis (lesEnragés) ne sont pas enthousiastes de cet acte constitutionnel dont ils perçoivent les lacunes. Ils réclament la répression de l’agiotage, de l’accaparement et l’arrêt de la hausse des prix, etc.Bertaud 2004,p. 208.
↑Initialement conçue par les Girondins (surtout parCondorcet) cette constitution arrive en pleine violence entre ces deux groupes et est donc le fruit d’un compromis ; après le coup de force des et, elle subit quelques remaniements (hostilité au libéralisme girondin) et est adoptée très vite par l’Assemblée dominée par la Montagne. Le droit d’initiative prôné par les Girondins a disparu, et les Montagnards s’y taillent la part du lion, car la Constitution s’efforce de les maintenir au gouvernement puisqu’ils se sont emparés du pouvoir par la force. Son principal mérite tient surtout dans les principes qu’elle a proclamés pour la première fois (droits sociaux) et dans les problèmes qu’elle a posés. Même si elle n’a jamais été appliquée, elle garde une importance capitale.Godechot 2006,p. 69-77.
↑Après les journées des 4 et contre l’Assemblée, les sans-culottes imposent Collot d'Herbois et Billaud-Varenne, membres (ou proches) des cordeliers.
↑La rivalité des deux comités est réelle ; quelques-uns de ses membres sont liés aux ultra-révolutionnaires – notamment Collot d’Herbois et Billaud-Varenne – abattus par le Comité de salut public en germinal. Mais la loi du porte un premier coup en confiant au Comité de salut public l’inspection des autorités et des administrateurs ; pour appliquer ces mesures un bureau de police générale est institué dans lequel leComité de sûreté générale voit un concurrent.Bouloiseau 1968,p. 101-103.
↑Le rapprochement entre les montagnards et la sans-culotterie parisienne ne s’est pas fait sans difficultés, car le petit peuple a peu bénéficié de la Révolution du et, s’il y a participé activement, cette journée n’est pas sa création. George Rudé,La Foule dans la Révolution française, Paris, Librairie Maspero, 1982,p. 135.
↑Pour des historiens comme Albert Soboul ou François Furet et Denis Richet, Jacques Roux s’activait avec désintéressement et sincérité à soulager la vie du petit peuple sans-culottes.Soboul 1973,p. 101 ;Furet et Richet 1973,p. 215.
↑Le but du groupe des cordeliers est de se servir du mécontentement du peuple pour éliminer l’équipe dirigeante qui conduit l’Assemblée et les comités. Chez eux l’extrémisme est avant tout tactique.Furet et Richet 1973,p. 216-217.
↑Le, Jacques Roux est arrêté (il se suicidera le), Leclerc et Varlet sont en fuite, ainsi que Claire Lacombe, dont la société est dissoute le (par la même occasion, les clubs féminins sont désormais interdits) : les Enragés n’existent plus.
↑Cette armée forte de 6 000 hommes et de 1 200 canonniers, qui sera à l’origine de nombreuses exactions, notamment pendant la période de déchristianisation, sera supprimée après l’exécution des hébertistes en germinal.
↑Habilement, le 6 septembre, ils ont fait entrer au Comité de salut public deux membres importants des cordeliers proches des sans-culottes, c’est-à-dire des « hébertistes » :Collot d’Herbois etBillaud-Varenne.Martin 1990,p. 159.
↑À la même période, lesEspagnols envahissent la plus grande partie du département des Pyrénées-Orientales (), l’armée autrichienne envahitMaubeuge (), puis menaceStrasbourg (), et l’armée prussienne investit Landau, place forte qui défend le Nord de l’Alsace ().
↑Par le décret du, Lyon est condamnée à la destruction : Collot d’Herbois et Fouché y font exécuter, début novembre 1793 et sur plusieurs mois, près de deux mille victimes. À Toulon, dénoncés par les jacobins relâchés, huit cents rebelles sont fusillés sans jugement, puis, à la demande desreprésentants en mission, trois cents autres sont condamnés le mois suivant, alors qu’à Marseille, la répression ne fait pas trois cents victimes. Si à Bordeaux on ne compte, au début, qu’une centaine de victimes, en juin et juillet 1794, l’arrivée du jeune représentant en mission Jullien (de Paris) provoque un regain de répression qui doublera le nombre des exécutions.Solé 2008,p. 555-556.
↑À la suite de la première défaite se profilent, avec les difficultés d’une armée battue, désorganisée et à bout de souffle, des mésententes entre chefs empêchant toute intelligence concertée avec les coalisés.Dupuy et Mazauric 2005,p. 227.
↑Toutefois ces décrets demandent de respecter les femmes, les enfants et les vieillards, mais aussi les hommes sans armes.Jean-Clément Martin,La Vendée et la Révolution, Perrin, 2007,p. 93.
↑Robespierre et ses proches n’acceptent plus l’anarchie vers laquelle tend le mouvement sans-culottes de Paris.Godechot 1965,p. 336.
↑Ces armées révolutionnaires départementales (ou provinciales) se sont rendues coupables de nombreux excès ; en les licenciant, le pouvoir porte un coup fatal aux ultra-révolutionnaires (hébertistes) dans les départements et réduit à néant leur assise militante. Françoise Brunel,Thermidor La chute de Robespierre, Édition Complexe, 1989;p. 16-19.
↑La déchristianisation n’est pas non plus un mouvement spontané, comme l’avait été la Grande Peur. Michel Vovelle,La Révolution contre l’église,op. cit.,p. 17.
↑Le danger est réel de voir, à l’intérieur, le mouvement pousser les nombreux Français restés fidèles à leur religion, à rejeter la Révolution et, à l’extérieur, d’effrayer les États étrangers restés neutres et en paix avec la République.
↑Cet épisode de la Révolution, qui oppose uniquement des montagnards, se noue en septembre-octobre 1793 — alors que la déchristianisation fait rage en France, puis à Paris — entre les modérés appelés, suivant les cas, citra-révolutionnaires, dantonistes ou indulgents, et les hébertistes, appelés ultra-révolutionnaires ou exagérés ; ces derniers étant des membres du Club des cordeliers. Françoise Brunel,op. cit.,p. 19.
↑Fabre d'Églantine, le 27 septembre, résume à Robespierre le plan supposé d’Hébert. Il s'agit dans un premier temps d’organiser la famine, d’épurer la Convention, d’exécuter les Girondins arrêtés(les 75), puis d'appréhender Danton,Lacroix et Robespierre. Dans un deuxième temps, de prendre le pouvoir avec l’aide de l’armée révolutionnaire, du ministère de la guerre et de la majorité des jacobins. Quant àChabot, il a été pris à partie à la Convention à propos de son mariage avec la jeune sœur d’un riche banquier autrichien (Junius Frey) et pour ses relations avec des étrangers véreux. Suspect d’agiotage et se trouvant aux abois après avoir essayé de trouver des appuis, il se lance dans la délation. Le 14 novembre, il dénonce, à Robespierre puis, au Comité de sûreté générale, un chantage financier, partie visible d’un complot contre-révolutionnaire : c’est l'affaire de laCompagnie des Indes, ourdie par le fameuxbaron de Batz, pour ruiner la République. L’affaire de la Compagnie des Indes n’en étant qu’une ramification. Même si Danton ne trempe pas personnellement dans cette affaire, il se trouve compromis par certains de ses amis. Il en est de même pour les ultras, parmi lesquels Hébert et quelques-uns de ses compagnons qui sont également éclaboussés par cette affaire.Bluche 1984,p. 391-394.
↑En tout, vingt accusés : des contre-révolutionnaires commePierre Quétineau et son épouse Jeanne, un aristocrate legénéral Laumur ; des étrangers et agents de l’étranger :Anacharsis Clootz,Kock,Proli,Desfieux,Pereira, Dubuisson ; des patriotes, comme Mazuel, Bourgeois, Leclerc,Ancard, Ducroquet, Descombes, et un indicateur : Laboureau, le seul qui sera gracié. L’acte d’accusation dressé contre les quatre dirigeants cordeliers confirme aux sans-culottes que le procès de germinal est bien leur procès et constitue bien l’aboutissement de la lutte amorcée par les comités dès septembre 1793.Soboul 1973,p. 362.
↑Plusieurs entrevues sont organisées (fin ventôse et la dernière le1er ventôse) afin de rencontrer Danton, et Robespierre accepte de s’y rendre ; peut-être pense-t-il que Danton peut se justifier, s’expliquer ou changer de conduite ; après la dernière entrevue Robespierre dira :« Il y a un trait de Danton qui prouve une âme noire : il avait hautement préconisé les dernières productions de Desmoulins ; dans la dernière visite dont je parle, il me parla de Desmoulins avec mépris : il attribua ses écarts à un vice privé et honteux, mais absolument étranger à la Révolution. Cet homme a pour principe de briser lui-même les instruments dont il s’est servi. »Jean Massin,op. cit.,p. 242. Mais il était tout aussi impossible de sauver Desmoulins qui dansson journal développait les thèmes de la propagande dantoniste (preuve accablante pour le tribunal) et dont les écrits sont repris par les contre-révolutionnaires et les modérés. Robespierre lui reprochait, entre autres, son amitié avec le ci-devantgénéral Dillon : la raison d’état l’emporta sur l’amitié.Bertaud 1986,p. 274-276.
↑Sous l’accusation« d’avoir trempé dans la conspiration tendant à rétablir la monarchie et détruire la représentation nationale et le gouvernement républicain ».Bluche 1984,p. 462.
↑Le procès des indulgents est un procès politique : on craint l’éloquence de Danton, or si ceux-ci sont acquittés (commeMarat en) le coup sera fatal pour tout le gouvernement révolutionnaire ; dans ce cas il faut les condamner, mais cela implique que les débats soient de pure forme. Le procès tournant mal, un décret demandé parHerman etFouquier-Tinville, obtenu par le Comité de salut public, dispose que :« Tout prévenu de conspiration qui résistera, ou insultera à la justice nationale, sera mis hors des débats et jugé sur le champ. » Comme le dira Fouquier-Tinville à la réception du décret :« Ma foi nous en avions bien besoin ».Pierre Labracherie,Fouquier Tinville - Accusateur public, Fayard,, p.157-159.
↑Françoise Hébert, comme Lucile Desmoulins n’est pas « politisée ». Si l’on en croitMichelet :« Madame Hébert, ex-religieuse, spirituelle, intrigante, avait tripoté avec des agioteurs, mais nullement conspiré. » Jules Michelet,Histoire de la Révolution française,t. II,vol. 1, Paris, Gallimard, 1952, réédition 2007,p. 826.
↑François-Alphonse Aulard,Histoire politique de la Révolution française : origines et développement de la démocratie et de la république : 1789-1804, Paris, A. Colin, 1901.
↑Albert Soboul,La France à la veille de la révolution : Aspects économiques et sociaux, C.D.U., 1964,p. 77.
↑Robert Darnton,L’Aventure de l'Encyclopédie, Paris, 1982.
↑Pernille Røge,A Natural Order of Empire: The Physiocratic Vision of Colonial France after the Seven Years’ War, Cambridge Imperial and Post-Colonial Studies Series. Palgrave Macmillan, London.https://doi.org/10.1057/9781137315557_3
↑Julien Broch, « Un aspect de la légitimité monarchique : la métaphore du roi-père à l’époque de LouisXVI »,Pensée politique et famille, Actes du colloque de l’AFHIP (Dijon, 21-22 mai 2015), Aix, PUAM,,p. 125-142(ISBN978-2-7314-1023-5).
↑Anatoli Ado,Paysans en révolution : terre, pouvoir et jacquerie (1789-1794), Société des études robespierristes, 1996(ISBN978-2-90832-738-0), 474 p.,p. 96.
↑Markovic Momcilo, « La Révolution aux barrières : l'incendie des barrières de l'octroi à Paris en juillet 1789 »,Annales historiques de la Révolution française, vol. 2 (no 372), 2013,p. 27-48.
↑La décapitation est l’œuvre d'un garçon cuisinier nommé Desnot. J.-J. Guiffrey, « Documents inédits sur la journée du »,Revue historique, vol. I,p. 500.
↑Michel Vovelle,La Révolution française (1789-1799), Édition Armand Collin 1992,p. 58.
↑Elyada Ouzi, « La représentation populaire de l'image royale avant Varennes »,Annales historiques de la Révolution française,no 297, 1994,p. 527-546[lire en ligne].
↑Mona Ozouf, « La terrible faute que de fuir à Varennes… »,L'Histoire,no 303,, p.52.
↑Mona Ozouf,Varennes. La mort de la royauté, 21 juin 1791, Gallimard,, 435 p.(ISBN2070771695).
↑Jacques Godechot,Les Constitutions de France depuis 1789, Éditions Flammarion, (1reéd. 1979), p.69 — en fait, dès le, la Constitution est attaquée à l’Assemblée au travers de la personne du roi, accusé de vouloir, avec son veto, protéger les ennemis de la Révolution.Winock 1991,p. 161).
↑Jacques Godechot,Les Révolutions (1770-1799), Éditions PUF,, p.307. — celui-ci met en garde contre ces chiffres qui, selon lui, n’ont jamais été sérieusement vérifiés.
↑Jean Jaurès,Histoire socialiste de la révolution française Editions sociales tome 2 La législative ; Aimé Césaire,Toussaint-Louverture la révolution française et la question coloniale, 1981(1961) ; Yves Benot,La révolution française et la fin des colonies, Paris, 2004 (1987) ; Jean-Daniel Piquet,L'émancipation des Noirs dans la révolution française (1789-1795) Paris Karthala, 2002.
↑a etbMichel Biard,Missionnaires de la République – Les représentants du peuple en mission (1793-1795), Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 2002,p. 190-191.
↑Ce décret transforme le recours aux envoyés en mission en véritable institution et définit aussi leur pouvoir. À partir du mois d’avril suivant, pour les missions aux armées, la Convention revoit le rôle de chacun des représentants appelés à travailler pour la défense nationale, et, pour limiter leurs missions dans le temps, porte à trois le nombre des représentants aux armées qui sont désormais renouvelés par tiers tous les mois[174].
↑Diane Ladjouzi, « Les journées des 4 et à Paris. Un mouvement d’union entre le peuple, la Commune de Paris et la Convention pour un exécutif révolutionnaire »,Annales historiques de la Révolution française,no 321, octobre-décembre 2000,p. 27-44[lire en ligne].
↑Hervé Leuwers,La Révolution française et l'Empire, Paris, PUF, 2011,p. 130.
↑Le Roy Ladurie, Emmanuel, (1929-…).,,Histoire humaine et comparée du climat. 2, Disettes et révolutions, 1740-1860,Fayard, impr. 2006(ISBN2-213-62738-X).