Abdication deGuillaume II, fin de l'Empire allemand (en novembre 1918) Écrasement des communistes à Berlin (janvier 1919) et en Bavière (mai 1919) Instauration de larépublique de Weimar Instabilité politique persistante en Allemagne
Larévolution allemande est une période de l'histoire de l'Allemagne correspondant à la fin de l'Empire allemand. Amorcée en par desmutineries, la formation de conseils de soldats puis deconseils ouvriers, elle voit le remplacement de l'Empire par la République, épisode appelé la « révolution de Novembre » (enallemand :Novemberrevolution) et la signature de l'armistice de 1918.
Le mouvement socialiste allemand est divisé entre les modérés, désireux d'éviter une révolution violente, et les radicaux, partisans d'une« révolution prolétarienne » dans la foulée de larévolution d'Octobre en Russie, notamment lesspartakistes qui forment alors leParti communiste d'Allemagne.
Cette période confuse s'est soldée par l'écrasement violent des soulèvements et tentatives communistes comme larévolte spartakiste à Berlin et larépublique des conseils de Bavière. Les institutions du pays se stabilisent le lors de l'adoption de laconstitution de Weimar, première constitution démocratique appliquée dans l’histoire allemande. L'Allemagne de Weimar demeure cependant marquée par l'instabilité sociale et politique : elle connaît par la suite de nombreux soulèvements, soit par des révolutionnaires qui veulent aller plus loin, notamment par le transfert du pouvoir aux conseils ouvriers (en 1920 avec lesoulèvement de la Ruhr, en avec l'action de Mars, ainsi que lors de latentative d'octobre 1923), soit par la droite et l'extrême droite antirépublicaine qui s'oppose à la révolution (en avec leputsch de Kapp, puis en 1923 avec leputsch de la Brasserie).
Au moment du déclenchement du conflit, le SPD, présidé parHugo Haase etFriedrich Ebert, soutient l'effort de guerre du gouvernement impérial et vote les crédits de guerre, malgré la présence en son sein d'une opposition. Mais dès l'automne, la gauche du parti, qui n'avait accepté ce vote qu'à contrecœur, s'organise. Autour deKarl Liebknecht, plusieurs dirigeants sociaux-démocrates commeRosa Luxemburg,Clara Zetkin etFranz Mehring, entament la lutte contre la politique d'union sacrée suivie par Ebert. Un courant plus modéré, dont fait partie Hugo Haase, s'organise également.
Le 1er mai 1916, des milliers d'ouvriers et de jeunes manifestent contre la guerre sur laPotsdamer Platz, à Berlin. Karl Liebknecht leur parle, mais est arrêté par la police. Le 28 juin, jour d'ouverture de son procès, 55.000 ouvriers des usines de guerre se mettent en grève et des manifestations se déroulent pour le soutenir. Liebknecht est néanmoins condamné à 4 ans et demi de prison.
En janvier 1917, le SPD exclut en bloc tous ses contestataires, qui forment alors leParti social-démocrate indépendant d'Allemagne (USPD). La ligne suivie par Ebert demeure cependant majoritaire au sein du mouvement social-démocrate[2].
Si la gauche est divisée par le conflit, les soutiens traditionnels de la politique impériale le sont également : en1917, le gouvernement est confronté à la défection d'une partie des élus des partis« bourgeois » du parlement, notamment desProgressistes, desNationaux-libéraux et de l'aile gauche duZentrum qui, en1917, s'opposent désormais à une guerre interminable[2].
Le 16 avril 1917, à la suite d'un nouveau rationnement du pain, un mouvement de grève paralyse des centaines d'entreprises à Berlin et Leipzig. L'autorité militaire arrête les dirigeants grévistes et force la reprise du travail.
En juillet 1917, des marins de la Marine de guerre (Kaiserliche Marine), organisés en groupes socialistes clandestins, paralysent des navires de guerre : grève de la faim sur leSMS Prinzregent Luitpold (19 juillet), sortie à terre sans permission de l'équipage duSMS Pillau (20 juillet) et sortie à terre sans permission de l'équipage du SMSPrinzregent Luitpold (2 août). Mais ces mouvements sont réprimés, et deux marins sont condamnés à mort et fusillés le 5 septembre.
En 1918, la situation de l'Empire allemand est critique sur les plans militaire et économique. Soumise à un blocus par les pays de laTriple-Entente, l'Allemagne connaît une grave inflation, qui entraîne des situations de misère et de pénurie[3]. L'entrée en guerre desÉtats-Unis aggrave singulièrement le contexte militaire et le mécontentement est général au sein des troupes de l'Armée impériale allemande. Le 28 janvier débute unegrève générale des ouvriers allemands pour « la conclusion rapide d’une paix sans annexion », pour la levée de l’état de siège (en place depuis le début de la guerre), pour la libération des prisonniers politiques, et pour la démocratisation des institutions[4].
Commencée dans l'agglomération deBerlin où180 000 travailleurs arrêtent le travail à l'instigation de certainsdélégués révolutionnaires(de) commeRichard Müller(de), et sans la participation des centrales syndicales, la grève s'étend en l'espace de quelques jours à de nombreuses villes allemandes commeKiel,Hambourg,Cologne etBochum.Friedrich Ebert,Philipp Scheidemann etOtto Braun, membres duSPD, se font élire au comité de grève pour mettre fin le plus rapidement possible au soulèvement, et obtiennent gain de cause le 4 février. L'Empire allemand évite ainsi une situation catastrophique, le mouvement degrève dans l'industrie métallurgique ayant représenté une grave menace pour son potentiel militaire[4].
Les autorités impériales réagissent en arrêtant en grand nombre les grévistes actifs, ou en les incorporant dans l'armée ; le mécontentement ne se limite cependant pas à la classe ouvrière et aux soldats, et gagne largement les classes moyennes. Constatant le discrédit des pouvoirs établis, Friedrich Ebert préconise auprès de ses camarades du SPD de s'entendre avec les partis bourgeois et d'imposer les revendications social-démocrates par la voie réformiste, pour éviter en Allemagne une situation révolutionnaire comparable àcelle de la Russie. Pour Ebert, la seule issue pour éviter une révolution qui déraperait vers laguerre civile est la constitution d'un gouvernement de coalition fondé sur un« compromis declasse » et permettant des réformes pacifiques[4].
Révolution de Novembre et chute du régime impérial
Les autorités impériales, quant à elles, envisagent un train de réformes qui permettrait, selon l'expression du secrétaire d’État aux affaires étrangèresPaul von Hintze, d'appliquer une« révolution d'en haut » afin de prévenir une« révolution d'en bas ». À la fin septembre, lecommandement de l'armée, qui considère la capitulation comme inévitable, convainc l'empereurGuillaume II de changer de chancelier et d'adopter unrégime parlementaire, les sociaux-démocrates devant être invités à participer au gouvernement pour faire accepter la défaite au peuple et être obligés d'endosser la responsabilité de la reddition. Le 3 octobre, pour remplacer le chancelierGeorg von Hertling démissionnaire, Guillaume II nomme à la tête du gouvernement son cousin le princeMax de Bade, dont il espère qu'il pourra obtenir de la part desAlliés des conditions d'armistice acceptables. Le cabinet compte des représentants de divers partis, dont les sociaux-démocrates qui accèdent pour la première fois à des responsabilités ministérielles. À l'extrême-droite, laLigue pangermaniste proteste vivement contre la démocratie et l'influence supposée desJuifs. Le 4 octobre, après sa prise de fonctions, le nouveau chancelier fait transmettre une demande d'armistice àWoodrow Wilson : les États-Unis répondent en refusant de traiter avec Guillaume II, dont ils réclament l'abdication en préalable à toute négociation[5],[6].
Le 28 octobre, laconstitution impériale est modifiée : cet évènement, qui marque le passage officiel à un régime parlementaire, prend le nom deRéforme d'octobre. Lechancelier dépend désormais de la confiance duReichstag et exerce des responsabilités accrues, tandis que le pouvoir de l'empereur est constitutionnellement limité. L'accord du Reichstag devient en outre nécessaire pour déclarer la guerre ou conclure la paix[7]. Dans le même temps, le pouvoir militaire s'efface :Ludendorff, général en chef des armées, démissionne sous un prétexte mineur. Avec l'accord du maréchalHindenburg, le nouveau quartier-maître généralWilhelm Grœner déclare que l'armée se tiendra à l'écart de toute négociation d'armistice[8].
D'emblée, le nouveau régime se trouve confronté à une situation de type insurrectionnel : le 29 octobre, les marins desnavires de guerre de la base deKiel refusent d'appareiller pour mener une opération que leur hiérarchie entendait mener« pour l'honneur » : s'ensuivent lesmutineries de Kiel, qui marquent l'un des points de départ du processus révolutionnaire en Allemagne. Le secrétaire d'étatConrad Haußmann et le rapporteur des affaires maritimes du SPD,Gustav Noske, sont envoyés parlementer avec les matelots. Bien que Noske, accueilli avec enthousiasme et porté à la présidence du conseil d'ouvriers et de marins[9], parvienne à calmer les marins en leur promettant une amnistie, le mouvement s'étend et, outreKiel, contrôle le 6 novembreLübeck,Brunsbüttel,Hambourg,Brême etCuxhaven[7]. En gagnant en importance, le mouvement prend un caractère plus politique : àStuttgart, le 4 novembre, unconseil ouvrier, constitué après une grève générale, se déclare prêt à signer la paix au nom duWurtemberg et réclame l'abdication de Guillaume II. AMunich, le 7 novembre,Kurt Eisner, membre de l'USPD, prend la parole lors d'un défilé du SPD et appelle la foule à prendre le contrôle de la ville : les points stratégiques de Munich sont rapidement pris sans rencontrer de résistance de la part de la troupe[10]. Le lendemain, le conseil d'ouvriers, de paysans et de soldats constitué lors de l'insurrection porte à sa présidence Kurt Eisner, qui proclame la« république socialiste de Bavière » ; le roi de BavièreLouis III et la familleWittelsbach prennent la fuite. Le même jour,Dresde etLeipzig se soulèvent, chassant le roi de SaxeFrédéric-Auguste III. À mesure que la révolte s'étend, elle prend de plus en plus nettement pour cible les familles régnantes et le régime monarchiste ; les insurrections sont prises en main par les dirigeants locaux duSPD, quelquefois de l'USPD et desspartakistes[9]. Un conseil de soldats est créé àMetz.Guillaume II, qui se trouve au quartier général deSpa enBelgique, refuse dans un premier temps de reconnaître la situation : durant dix jours, il croit possible de mettre un terme au mouvement révolutionnaire en faisant marcher l'armée contre les insurgés[11].
Le 9 novembre, le mouvement gagneBerlin : depuis 1917, les éléments révolutionnaires du monde ouvrier de la capitale sont regroupés au sein d'un« comité d'action » qui compte des délégués d'usine, des USPD et des spartakistes. Quand, le, le gouverneur militaire de Berlin, le généralAlexander von Linsingen, fait arrêter un membre du comité d'action ayant sur lui les plans d'une insurrection, le soulèvement éclate : des colonnes d'ouvriers marchent sur le centre de la capitale et occupent des bâtiments publics ; les soldats présents dans la ville sont en nombre très insuffisant, et fraternisent par ailleurs avec les insurgés[9]. Le députéOtto Wels (SPD) appelle les ouvriers à« la lutte décisive » ;Philipp Scheidemann démissionne du gouvernement etFriedrich Ebert est en mesure d'annoncer que des négociations se sont ouvertes avec les ouvriers et l'USPD. Au quartier général de Spa, l'empereur reçoitHindenburg etGrœner : ce dernier fait comprendre à Guillaume II que le recours à l'armée pour préserver l'empire est impossible, les soldats n'aspirant plus qu'à l'armistice. L'empereur finit par s'incliner et accepte d'abdiquer. Vers 11 heures du matin, le chancelierMax de Bade reçoit un appel téléphonique l'informant de la nouvelle ; il en informe lui-même la population et tente de sauver la monarchie en proposant unerégence durant laquelle Ebert dirigerait le gouvernement. Le chancelier reçoit vers midi une délégation du SPD conduite par Ebert ; ce dernier informe de Bade qu'il est trop tard pour instaurer une régence, mais accepte néanmoins la chancellerie[12],[11]. Ebert assure le chancelier sortant de son intention d'éviter une situation révolutionnaire : le chef du SPD aurait déclaré« Je ne veux pas de la révolution, je la hais à l'égal du péché »[13].
Vers deux heures de l'après-midi,Philipp Scheidemann, comprenant la nécessité de prendre la tête de la révolution pour ne pas être débordé par elle, prononce à la fenêtre duReichstag une allocution au cours de laquelle il proclame la« République allemande ». Il prend ainsi de vitesseKarl Liebknecht qui, vers 16 heures, hisse ledrapeau rouge au balcon duchâteau royal de Berlin en proclamant la« république socialiste libre d'Allemagne ».Friedrich Ebert, qui souhaitait confier le choix du régime politique du pays à une assemblée constituante, est très irrité par l'initiative de son camarade du SPD, qu'il considère comme un« crime légal » : le discours de Scheidemann est cependant accueilli par un tonnerre d'applaudissements[12],[14]. Le lendemain, Guillaume II part pour l'exil auxPays-Bas ; il ne signe l'acte d'abdication que le 28. Les six fils de l'empereur jurent quant à eux de ne lui succéder en aucun cas, ce qui met un terme définitif au règne de la dynastie desHohenzollern[11].
Face à la situation révolutionnaire en Allemagne, le socialisme allemand est divisé en trois partis : leSPD, toujours officiellementmarxiste mais tourné dorénavant vers leréformisme, domine le gouvernement et souhaite assurer une transition républicaine, en confiant au peuple le soin d'élire au suffrage universel une assemblée constituante ; l'USPD est divisé entre réformistes et révolutionnaires ; enfin, laLigue Spartacus, dite en français« spartakiste » (Spartakusbund), qui constitue une tendance organisée et autonome au sein de l'USPD, appelle via son quotidienDie Rote Fahne (Le Drapeau rouge), créé le, à l'instauration d'unedictature du prolétariat dont l'instrument principal seraient lesConseils d'ouvriers et de soldats. Les spartakistes préconisent une paix immédiate, et l'extension de la révolution à toute l'Europe avec l'aide de laRussie bolchevique ; ils rejettent toute idée de constituante élue au suffrage universel[15]. Le 10 novembre, les USPD acceptent de laisser entrer au gouvernement des représentants des partis bourgeois, qui se verraient confier des ministères techniques. Ils exigent par contre que le nouveau gouvernement, qui prend le nom deConseil des commissaires du peuple (Rat der Volksbeauftragten, également traduit parConseil des députés du peuple, ouConseil des délégués du peuple), soit désigné par les Conseils d'ouvriers et de soldats. Le même jour se tient au cirque Busch une assemblée réunissant environ 3 000 délégués des conseils, qui accordent leur confiance au nouveau gouvernement composé de représentants du SPD et de l'USPD. La réunion est marquée par des surenchères de certains révolutionnaires, et des menaces de voies de faits prononcées à l'égard d'Ebert par des spartakistes, mais la ligne du SPD demeure majoritaire,Otto Wels ayant pu rallier les représentants des soldats[16].
Le SPD se trouve en position de prépondérance par la popularité de ses dirigeants et la puissance de son appareil. Les spartakistes sont en revanche isolés par leur refus d'entrer au gouvernement, qui est constitué sur une base paritaire (trois SPD, trois USPD). Entretemps, un Comité exécutif révolutionnaire est nommé par lesConseils d'ouvriers et de soldats de Berlin pour coiffer les forces révolutionnaires. Si la situation comporte des risques de conflit, le gouvernement Ebert prend rapidement des mesures populaires, comme l'abolition de l'état de siège, la liberté d'association et de réunion, l'amnistie des délits politiques, le suffrage universel étendu à la Prusse et l'annonce de l'élection d'une constituante. Ebert dédaigne les offres de blé deLénine et demande des vivres auxÉtats-Unis, donnant l'assurance aux gouvernements vainqueurs qu'aucun bouleversement révolutionnaire n'aura lieu en Allemagne. Le chancelier SPD reçoit en outre une offre deHindenburg, qui lui promet l'appui de l'armée contre le spartakisme ; Ebert demande dans le même temps aux conseils de soldats d'empêcher toute mutinerie. Le 11 novembre, le nouveau pouvoir signe l'armistice de 1918. Le 15 novembre, les dirigeants syndicaux liés à la social-démocratie concluent avec les patrons de la grande industrie une convention accordant aux ouvriers une série d'avancées (journée de huit heures, reconnaissance des syndicats comme représentants qualifiés des salariés, conventions collectives…) qui éloigne un peu plus le spectre d'une révolution du type bolchevik[17].
Le Congrès national des Conseils d'ouvriers et de soldats, seul pouvoir légitime aux yeux desspartakistes, doit s'ouvrir à la mi-décembre.Karl Liebknecht,Rosa Luxemburg et leurs camarades comptent sur les représentants des Conseils pour que soit proclamé un régime révolutionnaire. La Russie soviétique envoie des représentants pour participer au Congrès, mais la délégation des bolcheviks est refoulée à la frontière ;Karl Radek réussit cependant à pénétrer clandestinement sur le territoire allemand. Le 16 décembre, le Congrès des Conseils se réunit : les révolutionnaires se trouvent finalement désavoués par ceux-là mêmes à qui ils veulent donner le pouvoir. En effet, le Congrès décide qu'il ne lui appartient pas de décider du sort de l'Allemagne, et que cette tâche devra être confiée à une assemblée constituante élue au suffrage universel. Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg échouent à se faire élire comme délégués au Congrès, n'obtenant pas même une voix consultative. Les souverains des États de l'ancien Empire allemand abdiquent les uns après les autres,Guillaume II lui-même s'étant réfugié auxPays-Bas. Le 6 décembre, leConseil des commissaires du peuple convoque un scrutin pour élire une assemblée constituante en janvier[18],[19].
Durant le mois de décembre, les tensions entre les composantes de la gauche allemande s'accroissent. Ne pouvant compter sur l'armée travaillée par la propagande révolutionnaire, l'état-major commence à recruter parmi les unités en cours de démobilisation desCorps francs, composés d'officiers et de soldats jugés sûrs[20]. Les escarmouches se multiplient à Berlin : une division de 3 000 marins venue deKiel, laVolksmarinedivision (« Division populaire de marine »), prétend se comporter en corps révolutionnaire, déclarant ne vouloir obéir qu'au Comité exécutif. Le 23 décembre, les marins se mutinent après avoir dû évacuer un château qu'ils occupaient. Ils prennentOtto Wels en otage dans les écuries royales, puis s'emparent du palais de la chancellerie. De violents combats ont ensuite lieu entre marins mutinés et troupes régulières autour des écuries. Ils prennent le palais de la Chancellerie le 23. Le24, l'armée contre-attaque et tire ; 68 personnes sont blessées ou tuées parmi les marins. La troupe de sécurité du préfet de policeEmil Eichhorn se rallie aux insurgés et la troupe doit se retirer. Le gouvernement décrète finalement la dissolution de l'unité de marine. À la suite de cette affaire dite desWeihnachtskämpfe (« combats de Noël »), les membres USPD du Conseil des commissaires du peuple démissionnent pour protester contre l'attitude du gouvernement qui avait appelé le ministre prussien de la guerre à la rescousse, mettant la vie de Wels en danger[21]. Ebert les remplace alors par les SPDWissell etNoske[20].
Le 30 décembre, la Ligue spartakiste, qui s'est séparée peu auparavant de l'USPD, se réunit avec d'autres groupes révolutionnaires moins importants[21]. Ce congrès se termine le par la création duParti communiste d'Allemagne (KPD).Karl Radek y assiste en tant que représentant de larépublique socialiste fédérative soviétique de Russie : la présence d'un émissaire des bolcheviks (par ailleurs ancien militant du SPD) lors du congrès fondateur du KPD contribue à inquiéter fortement le SPD et les conservateurs quant aux intentions des spartakistes. Radek débat à cette occasion, avec sa vieille adversaire, Rosa Luxemburg du rôle de la terreur, que cette dernière rejette. Karl Liebknecht, nettement plus enthousiaste que Rosa Luxemburg au sujet de larévolution d'Octobre, s'étonne néanmoins auprès de Radek de la cruauté des actions de laTchéka : l'envoyé de Lénine répond qu'il s'agit là de mesures indispensables pour préserver la révolution. Rosa Luxemburg demeure sceptique, et fait finalement adopter dans le programme du parti allemand un point s'opposant à toute pratique terroriste. Le KPD proclame son intention de faire de l'Allemagne une« République des conseils »[20],[19] et annonce qu'il boycottera le processus électoral, contre les avis de Rosa Luxemburg etPaul Levi, qui prônaient une participation à l'élection de l'assemblée constituante[22].
Le 4 janvier, le ministre-président Paul Hirsch (SPD) congédie le préfet de police de BerlinEmil Eichhorn, qui appartient à l'aile gauche de l'USPD et dont la fiabilité était remise en cause par l'attitude de ses troupes lors des combats de Noël. L'extrême-gauche dénonce aussitôt ce renvoi comme une provocation. Le soir même, le bureau directeur de l'USPD décide, de concert avec les chefs de file révolutionnaires, d'organiser une manifestation ; le KPD se rallie à l'idée. Le 5 janvier, la foule se montre plus nombreuse et combative que prévu : des manifestants en armes occupent plusieurs rédactions de journaux dont celle duVorwärts, organe du SPD, ainsi que divers bâtiments. Lapréfecture de police est informée du soulèvement des régiments berlinois et de garnisons extérieures : l'information est fausse mais sa diffusion plongeKarl Liebknecht dans un état d'euphorie révolutionnaire ; il appelle à l'insurrection pour maintenir l'occupation des journaux, inciter les ouvriers berlinois à la grève et à faire tomber le gouvernement. Malgré les protestations de plusieurs membres du comité central du KPD et notammentRosa Luxemburg qui juge l'action dangereuse, l'option de Liebknecht est approuvée. Rosa Luxemburg finit, via son journalDie Rote Fahne, par soutenir pleinement l'insurrection qu'elle estimait pourtant prématurée[23],[24].
Le ministreGustav Noske (SPD), entré le 29 décembre au gouvernement, est chargé d'organiser la répression de l'insurrection. Il s'appuie sur plusieurs bataillons berlinois de secours, puis sur desCorps francs de droite et sur les troupes de volontaires de la Direction centrale de l'armée. Le 6 janvier, à l'instigation du bureau de l'USPD, le gouvernement engage des pourparlers avec les insurgés et demande l'évacuation des rédactions occupées. Le SPD s'oppose cependant aux négociations, vouées de toutes manières à l'échec car l'exigence des insurgés - le rétablissement d'Eichhorn - est irrecevable. L'issue violente devient inévitable. Le 11 janvier, les troupes gouvernementales reprennent les rédactions des journaux ; les Corps francs, commandés par le généralWalther von Lüttwitz marchent sur Berlin sur ordre de Noske. Leur entrée dans la capitale s'avère inutile, les insurgés ayant été écrasés dès le 12 janvier, mais Noske tient à faire un exemple pour prévenir d'autres mouvements d'insurrection. Le 15 janvier,Karl Liebknecht etRosa Luxemburg, capturés, sont assassinés par des militaires. De nombreux insurgés, spartakistes ou non, sont arrêtés ou tués sommairement.Karl Radek est arrêté en février : mis en détention, il est finalement autorisé à retourner en Russie en janvier de l'année suivante.Leo Jogiches, révolutionnaire polonais membre de la Ligue et ancien compagnon de Rosa Luxemburg, est lui aussi arrêté en février ; il est tué quelques semaines plus tard, officiellement alors qu'il tentait de s'évader. L'historienHeinrich August Winkler souligne que, si l'écrasement de la révolte spartakiste a bel et bien permis de prévenir le putsch d'une minorité radicale qui aurait pu entraîner une intervention desAlliés en Allemagne, les représailles exercées par les Corps francs ont été très excessives ; de nombreux membres de ces groupes de volontaires ne se souciaient guère de sauver la démocratie et ne visaient qu'à prendre leur revanche sur la gauche marxiste,accusée d'avoir provoqué la défaite allemande[25].
L'Assemblée constituante allemande, dont l'extrême-gauche avait tenté d'empêcher la tenue, est élue le : les résultats des élections, auxquels ont participé divers nouveaux partis comme leParti populaire fondé parGustav Stresemann, ouvrent la voie à une coalition entre leSPD, leParti démocrate et leZentrum, soit les partis majoritaires de l'ancien Reichstag. Le 10 février, l'Assemblée vote la loi sur le pouvoir provisoire, qui fait office de constitution avant l'adoption de la constitution définitive. Le lendemain,Ebert est éluPrésident du Reich par les députés ; il chargeScheidemann de former un nouveau gouvernement, qui succède le 13 février auConseil des commissaires du peuple[26].
Affiches de la révolution et de la contre-révolution
Deutschlands ideale Zukunft unter der Herrschaft des Bolschewisten (« L'avenir idéal de l'Allemagne sous la domination du bolchevisme »), affiche anticommuniste de M. Kassin, 1919
Auf zur Freiwilligen-Centrale (« Allez à la centrale des volontaires »), affiche de recrutement des corps francs àNuremberg, 1919
Die Gefahr des Bolschewismus (« Le danger du bolchevisme »), affiche anticommuniste deRudi Fest, 1919
Sur le plan intérieur, le nouveau gouvernement doit immédiatement affronter un vaste mouvement de grèves, amorcé dans laRuhr dès décembre 1918 et qui s'étend en février à l'Allemagne centrale. Les ouvriers syndicalistes entendent reprendre leurs usines à leur propre compte : au centre du pays, le mouvement prend fin en mars quand le gouvernement Scheidemann promet l'introduction de comités d'entreprises et la socialisation des consortiums decharbon et depotasse. Dans la Ruhr, la grève tourne à la grève générale et le gouvernement réagit en envoyant la troupe. Le 9 mars,Gustav Noske, désormais ministre de laReichswehr, donne la consigne, qui ne repose sur aucune loi, d'abattre sur-le-champ toute personne prise les armes à la main en train de combattre les troupes gouvernementales. ÀBerlin, les affrontements du mois de mars font près d'un millier de morts. La gauche radicale, qui tentait d'arracher par ces mouvements les transformations sociales que la première phase de la révolution n'avait pas apportées, obtient des résultats très modestes : la« socialisation » annoncée par le gouvernement, concrétisée par des lois en mars et avril, ne touche pas au statut de la propriété privée des entreprises. La loi de1920 introduisant comme promis des comités d'entreprises a par contre des effets bien plus profonds et contribue au progrès de ladémocratie économique en Allemagne[27].
EnBavière, la tâche de diriger le gouvernement dépasse bientôtKurt Eisner ; le, sa gestion est sanctionnée par des élections qui donnent auSPD une large majorité auLandtag de Bavière. Le 21 février, alors qu'il se rend au Landtag dans l'intention d'annoncer sa démission, Eisner est assassiné par un jeune aristocrate, lieutenant de la garde. Le meurtre entraîne aussitôt une émeute dansMunich et un communiste tire sur le principal adversaire politique d'Eisner, le SPDErhard Auer, le blessant grièvement[28],[22].
Le lendemain du meurtre, une assemblée générale des conseils munichois élit un« Conseil central de la République bavaroise », présidé parErnst Niekisch. Par crainte de nouvelles violences, le Landtag suspend ses travaux et les sociaux-démocrates majoritaires proclament un nouveau gouvernement, dirigé parJohannes Hoffmann, qui échoue à ramener l'ordre. La Bavière vit une situation de vacance du pouvoir, et des armes sont distribuées aux conseils d'ouvriers et de soldats[29]. Le 3 avril, galvanisés par la nouvelle de la proclamation de larépublique des conseils de Hongrie, les Conseils d'Augsbourg se prononcent, en présence de Niekisch et des anarchistesErich Mühsam etGustav Landauer, en faveur d'une« République des conseils ». Dans la nuit du 6 au 7, cette revendication est reprise par le conseil central de Munich : une proclamation, signée par Ernst Niekisch, annonce l'avènement de larépublique des conseils de Bavière, la dissolution du Landtag et la déchéance du gouvernement Hoffmann[30].Ernst Toller, un poète et dramaturge âgé de 25 ans, devient le chef du nouveau gouvernement révolutionnaire[29], qui n'est initialement pas reconnu par leKPD. Un télégramme est envoyé àLénine pour l'informer de l'union du prolétariat de Bavière. En quelques jours, le régime des conseils, dont les membres ne sont nullement préparés à gouverner, se décrédibilise par une série de mesures et de proclamations aberrantes : les délinquants de droit commun sont libérés de prison, l'économie de Munich est désorganisée par la fermeture des petits commerces, et le ministère des affaires étrangères est confié àFranz Lipp, qui se révèle être un déséquilibré[30].
Hoffmann, réfugié àBamberg, refuse de s'incliner[31] : le 13 avril, une troupe improvisée de volontaires formée par le gouvernement Hoffmann tente de reprendreMunich, mais est repoussée par l'« Armée rouge » bavaroise aidée des communistes. Les combats font douze morts[32]. Le soir même, des communistes allemands, menés par les militantsEugen Leviné etMax Levien, décrètent de leur propre initiative la fin du gouvernement« anarchiste » de Toller et prennent le pouvoir à Munich, inaugurant une seconde phase de la république des conseils de Bavière ; ils reçoivent ensuite les encouragements de Lénine. Le nouveau gouvernement annonce sa volonté de mettre en œuvre une véritable politique de« terreur rouge » inspirée de celle desbolcheviks, et prend des mesures pour constituer une véritable Armée rouge. Hoffmann, épouvanté par l'avènement d'un régime bolchevik en Bavière, engage les services de Corps francs du Wurtemberg — commandés par l'officier d'extrême droiteFranz von Epp — que viennent épauler des troupes régulières.Anita Augspurg,Gertrud Baer,Lida Gustava Heymann etHedwig Kämpfer tentent de négocier entre le gouvernement du parlement du Land deBamberg et les dirigeants communistes du pays pour empêcher une guerre civile, malheureusement sans succès[33]. Le 23 avril, l'assaut sur Munich commence, à l'incitation deNoske[31] : les conseils d'ouvriers et de soldats de la ville, terrifiés par la situation, votent une motion de défiance contre le gouvernement de la République des conseils. Dans un contexte de panique et de vacance du pouvoir, une unité de l'armée rouge bavaroise exécute dix otages. Le 3 mai, la république des conseils de Bavière est définitivement écrasée, après des combats ayant fait 606 morts[34].
ÀDüsseldorf, les soldats chargés de maintenir l'ordre ont braqué des mitrailleuses.
L'écrasement de la république des conseils de Bavière met fin à la deuxième phase de la révolution allemande, le pays devant cependant affronter les conséquences draconiennes dutraité de Versailles.Philipp Scheidemann, partisan du rejet du texte, démissionne, laissant la place àGustav Bauer. Le« diktat de Versailles » provoque une vague d'indignation dans la population, qui ignore souvent les véritables circonstances de la défaite de l'Allemagne. Le 31 juillet, la nouvelleConstitution du Reich allemand, dite« constitution deWeimar » (du nom de la ville où siège alors l'Assemblée) est adoptée, valant au nouveau régime le surnom de« république de Weimar ». La constitution apparaît comme une œuvre de compromis, qui laisse en suspens de nombreux problèmes fondamentaux. Pour ce qui est des forces politiques, la gauche allemande sort de la période révolutionnaire irrémédiablement divisée, à la suite de l'écrasement sanglant des insurrections communistes. Les sociaux-démocrates se sont, dans le but de sauver ladémocratie parlementaire allemande, alliés aux forces conservatrices et nationalistes ; la répression des soulèvements, destinée à éviter en Allemagne la reproduction de larévolution bolchevique et de laterreur rouge russe, a elle-même entraîné des campagnes de terreur et des exactions. Du fait notamment du sang versé, l'antagonisme entre révolutionnaires et réformistes est plus fort que jamais au sein de la gauche allemande[35],[36].
Le contexte de 1918-1919 marque profondément l'opinion nationaliste et contribue à former les idées des futurs militantsnazis, dont beaucoup participent au sein des Corps francs à la répression sanglante des révolutionnaires. Les antisémites instrumentalisent le fait que des Juifs aient joué un rôle — néanmoins secondaire — dans la chute du régime impérial et que d'autres aient participé aux épisodes révolutionnaires qui ont suivi — tout particulièrement en Bavière —, contribuant à alimenter le mythe du« judéo-bolchevisme » et celui du« coup de poignard dans le dos » par lequel les Juifs et les marxistes auraient trahi la Nation allemande en 1918[37],[38]. La Bavière devient, après les épisodes du gouvernement Eisner et de la République des conseils, puis de la répression qui décime les courants de gauche radicale, un important foyer d'agitation pour les groupes nationalistes radicaux et les militantsantisémites : Adolf Hitler fait ses premières armes en politique dans ce contexte. La dénonciation du« crime de novembre » est par la suite l'un des thèmes récurrents de son discours. Durant les mois et les années qui suivent la révolution de 1918-1919, la république de Weimar, son économie ruinée par la guerre et le traité de paix et son opinion publique traumatisée par la défaite et par des humiliations comme l'occupation de la Rhénanie, continue d'être marquée par l'instabilité politique et économique. Plusieurs nouvelles tentatives de coups de force, de droite comme de gauche, ont lieu au début desannées 1920, comme leputsch de Kapp suivi dusoulèvement de la Ruhr en1920, l'« action de Mars » des communistes en1921 et enfin - dans le contexte désastreux de l'occupation de la Ruhr et de l'hyperinflation - la tentative des communistes d'organiser un« octobre allemand » en1923 puis, un mois plus tard, leputsch de la Brasserie d'Hitler etLudendorff. Ce n'est qu'après la fin 1923 et les mesures de Stresemann pour redresser l'économie et mettre fin à l'hyperinflation, que l'Allemagne de Weimar connaît plusieurs années de relative stabilité jusqu'à laGrande Dépression de1929[38].
: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
Artelt, Däumig, Hölz, Landauer, Liebknecht, Luxemburg, Mühsam, Müller, Plättner et autres,Alle Macht den Räten ! (Tout le pouvoir aux conseils !) – Récits, exhortations et réflexions des acteurs des révolutions d'Allemagne présentés par Gabriel Kuhn (1918-21) – éd. française : Les Nuits rouges, 2014.
Georges Castellan, « La Révolution allemande de novembre 1918 (« Novemberrevolution ») »,Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 16, n°1, Janvier-mars 1969
Nicolas Patin, « Les possibles de la Révolution allemande (1917-1923) »,Cahiers Jaurès, n° 239-240, 2021.