Pour les articles homonymes, voirRésilience.
Pour la résistance d'un matériau au choc, voir laRésilience (physique)
Larésilience est un phénomènepsychologique qui consiste, pour un individu affecté par untraumatisme, à prendre acte de l'événement traumatique de manière à ne pas, ou plus, vivre dans le malheur et à se reconstruire d'une façon socialement acceptable. La résilience serait rendue possible grâce à la structuration précoce de la personnalité, par des expériences constructives de l'enfance (avant la confrontation avec des faits potentiellement traumatisants), l’accès à un réseau de soutien social - amis, communauté, famille élargie - et parfois par la réflexion, ou la parole, plus rarement par l'encadrement médical d'unethérapie.
Le nom françaisrésilience vient du verbelatinresilio« sauter(salīo) en arrière(re-) »[1],par l'anglaisresilience[2].
Le concept de résilience psychologique commence à se structurer dans la seconde moitié du xxᵉ siècle. Des travaux antérieurs en psychiatrie de l’enfant,psychologie du développement et psychopathologie mettent en lumière que certains individus exposés à des adversités (pauvreté, maladie mentale parentale, séparation, stress environnemental…) ne suivent pas les trajectoires prédites et manifestent des capacités d’adaptation remarquables[3].
Parmi les pionniers figureNorman Garmezy (1918-2009), souvent considéré comme l’un des fondateurs de la recherche moderne sur la résilience. Garmezy identifie dès les années 1960-70 des enfants « à risque » qui malgré tout maintiennent des compétences sociales, cognitives ou scolaires élevées. Il étudie les facteurs protecteurs (qualité des relations, habiletés sociales, capacités cognitives) qui modèrent les effets des stress[4].
Dans les années 1970-80,Emmy Werner, psychologue du développement, lance une étude longitudinale majeure sur les enfants nés en 1955 à Kauai (Hawaï). Son étude dite de Kauai porte sur 698 enfants nés en 1955 sur l’île de Kauai àHawaï. L’équipe de Werner les suit à différents âges : à un an, deux ans, dix ans, dix-huit ans, trente et un/trente-deux ans, et quarante ans. Parmi ces enfants, 201 sont identifiés comme étant “hautement à risque” du fait de stress périnatal, de pauvreté persistante, ou de parents ayant moins de huit années de scolarité, ainsi que de conditions familiales difficiles (alcoolisme, maladie mentale, divorce, conflit)[5],[4]. Environ un tiers des enfants du groupe très à risque deviennent des adultes compétents, sans troubles sérieux d’apprentissage ou de comportement pendant l’enfance ou l’adolescence. Werner identifie aussi des caractéristiques individuelles fréquentes chez ceux qui résistent : niveau d’activité élevé, faible irritabilité, adaptabilité sociale, compétences de résolution de problèmes, capacité à évaluer les situations de façon réaliste, faible tendance à l’anxiété[6].
En outre, les facteurs externes jouent un rôle déterminant : liens stables avec des adultes bienveillants, soutien familial ou communautaire, valorisation dans des rôles de responsabilités dès l’enfance. Werner insiste sur le fait que la résilience n’est pas innée ou exceptionnelle, mais dépend de conditions qui peuvent être encouragées ou renforcées dans les contextes familiaux et sociaux. Cette étude de Kauai, par sa méthodelongitudinale très longue, sa rigueur dans l’évaluation des risques et des protections, a profondément remis en question les visions trop statiques de lavulnérabilité.
Parmi les autres contributeurs essentiels :Michael Rutter considéré comme le père de lapsychiatrie infantile[7],[8],[9], qui étudie les effets du risque environnemental, des séparations mère-enfant ou des infections sur le développement ultérieur depsychopathologies[10].Ann S. Masten (États-Unis) propose le concept d’ « ordinary magic » (magie ordinaire) pour souligner que la résilience n’est pas un phénomène rare ou exceptionnel, mais dépend de systèmes adaptatifs humains normaux — attachement, régulation émotionnelle, compétences cognitives et soutien social[11],[12].
En France, le concept est popularisé auprès du grand public par lepsychiatre Boris Cyrulnik. Cependant, il ne compte aucune publication scientifique originale indexée à son nom dans les bases internationales majeures (PubMed,Web of Science)[13],[14],[15].

La résilience est dynamique. À partir de problèmes, qui peuvent relever du quotidien ou de chocs très graves, l'individu va déclencher des mécanismes qui vont l'amener tout d'abord à résister, puis possiblement à s'adapter, et parfois à connaître unecroissance post-traumatique[16]. Parmi les processus qui contribuent à la résilience, il en existe neuf[citation nécessaire] : la défense-protection, l'équilibre face aux tensions, l'engagement-défi, la relance, l'évaluation, la signification-évaluation, la positivité de soi, la création, et le dépassement de soi. Cette résilience peut être aidée, notamment par des professionnels; on parle alors de résilience assistée[17]. Toutefois, les recherches montrent que les personnes qui ont surmonté un choc manifestent bien souvent à la fois des signes de résilience et d'altération de leur vision de l'avenir ou du monde.
La résilience repose sur l’activation de plusieurs processus psychologiques d’adaptation. Parmi eux, on retrouve la régulation émotionnelle — c’est-à-dire la capacité à moduler ses émotions négatives pour préserver un fonctionnement efficace — ainsi que la reformulation cognitive, qui consiste à reconsidérer un événement stressant sous un angle plus constructif ou porteur de sens. La clarification des valeurs personnelles peut également aider les individus à mobiliser des ressources internes lors de situations difficiles.
Selon Tugade et Fredrickson, les personnes résilientes utilisent plus fréquemment les émotions positives pour favoriser leur rétablissement après une épreuve[18].
Cet article ou cette section fait référence à des sources qui ne semblent pas présenterla fiabilité et/ou l'indépendance requises.
Dans son ouvrageParler d'amour au bord du gouffre[19],Boris Cyrulnik affirme que le « couple peut panser les blessures de l'enfance ». À condition de trouver la « conjugaison affective » adéquate, l'amour peut agir comme moyen de gommer des représentations négatives de soi et constituer unethérapie reconstructrice. Dans cette conjugaison, lehasard aurait moins de place qu'il n'y parait : le fondement du couple se construisant dans la réponse à la question : « Qui suis-je pour me faire aimer ? ». Ainsi « Monsieur Peurdeperdre aime Madame Jaimelavie : la présence de Madame sécurise Monsieur qui dynamise Madame »[20]. « Est-ce l'amour qui permet la résilience ou la résilience qui permet l'amour ? » Boris Cyrulnik explique que finalement les deux se renforcent mutuellement : « L'humain ne peut vivre et se développer que si un autre met son empreinte sur lui ».
Le premier amour est important lorsqu'il survient à l'adolescence, lorsque le jeune éprouve sa capacité de sensibilité à de nouvelles informations : ce premier amour peut être pour certains adolescents l'occasion de réparer une représentation négative de soi. Les schémas initiaux ne sont davantage répétés comme une malédiction implacable. Cette première expérience de l'amour pourra constituer une thérapie réparatrice. Plus tard, d'autres (famille, enfants, amis) pourront relayer et compléter cette fonction tutorale. PourBoris Cyrulnik, l'adulte — qui a cette capacité de rebond après le choc — est celui qui aura appris « à aimer dans la gaieté et le respect de l'autre dans un système à poly-attachement : papa, maman, mais aussi les grands-parents, les cousins, les amis des parents. »
La résilience est au cœur du projet enseignant, en ce qu'elle permet à l'élève de surmonter ses difficultés personnelles pour s'appuyer sur les ressources que lui apporte l'école et s'épanouir. Mais l'école doit de son côté favoriser la résilience pour accomplir sa mission d'émancipation. Cela suppose que les enseignants s'appuient sur les forces de leurs élèves plutôt que de pointer leurs faiblesses, sans rien renier de leurs exigences, car elles seules montrent la valeur de chaque victoire obtenue par l'élève. L'école peut aussi être un lieu de réinsertion dans une société dans laquelle l'élève pourrait reconstruire sa confiance en les autres. La difficulté est d'impliquer dans ce parcours les autres acteurs de l'entourage de l'élève, notamment sa famille.
Plusieurs dispositifs ont été testés, bien que la prise en compte de cette dynamique dans l'enseignement n'en soit encore qu'à ses débuts[21].
Peu d'ouvrages destinés à la jeunesse évoquent ce thème de résilience. En 2018, lePrix Sorcières, décerné par l'Association des librairies spécialisées jeunesse (ALSJ), en partenariat avec l'Association des bibliothécaires de France (ABF) récompense, dans la catégorie Carrément sorcières - Fiction[22], l'album de fictionCœur de bois (éd. Notari, 2016), écrit parHenri Meunier, et illustré parRégis Lejonc. Cet album est leur cinquième collaboration en quinze ans[23]. Pour Régis Lejonc :« Le sujet profond de ce livre est celui de la résilience : comment se construit-on après avoir subi des atrocités. Il ne s'agit surtout pas de pardon, et évidemment pas d'oubli »[23]. L'ouvrage est également « coup de cœur » 2017 duCentre national de la littérature pour la jeunesse - La Joie par les livres, qui écrit dans son avis critique : « Dans un langage subtil à décoder, justement parce qu'ils se jouent des codes, les auteurs nous entraînent sur les terres de l'intime. L'illustration est puissante, sombre »[24]. Selon l'avis critique du site de référenceRicochet,« Malgré les maltraitances subies, [l'héroïne] a réussi à pardonner l'impardonnable et à construire sa vie. Un magnifique récit, à l'écriture soignée et aux illustrations hyperréalistes, sur la résilience, l'amour et le pardon »[25].
L'art dukintsugi, l'art traditionnel japonais qui consiste à réparer un objet cassé en soulignant ses cicatrices avec de l'or au lieu de les cacher, est souvent utilisé commemétaphore de la résilience enpsychologie et endéveloppement personnel[26],[27],[28]. Mais l'on peut percevoir une antinomie entre cet art et la logique dominante de la résilience, car assumer ses failles tout en les sublimant ne correspond pas à la volonté classique de les dépasser en les effaçant[29].
Au-delà de l'intérêt théorique et clinique de disposer d'une telle notion, la résilience est également l'objet de certaines critiques. L'essentiel de ces critiques porte sur la mésinterprétation profonde du terme, sa sur-utilisation et sa sur-médiatisation.
LepsychiatreSerge Tisseron pointe dans un premier temps un écartlinguistique,sémantique et culturel. Pour lui,« la résilience, qui est enAmérique une vertu sociale associée à la réussite, est devenue en France une forme de richesse intérieure… Il ne s’agit plus, comme dans la version américaine, d’orienter sa vie pour connaître le succès, mais de chercher la merveille ou encore de cultiver l’art de rebondir »[30]. Se montrant prudent face à l'« extraordinaire engouement que connaît la France pour ce concept », Tisseron met en garde, dans un second temps, contre l'abus de langage qui consiste à étiqueter sous la houlette de résilience, tout comportement ou réaction adaptative sans aucune distinction.
Un autre type de critique porte sur la sur-médiatisation du terme, qui est par ailleurs largement passé dans le langage courant. Le mot résilience est connu du grand public et peut parfois perdre le sens psychologique profond qu'il revêt. Au-delà, le risque majeur de la sur-médiatisation peut se décliner en une forme de désirabilité sociale, où toute personne atteinte d'un traumatisme « devrait » nécessairement connaître un parcours résilient. On comprend alors que la notion de résilience peut avoir ce double-tranchant : être à la fois vecteur d'espoir mais aussi comporter un caractère « excluant » et « culpabilisant ». La résilience a parfois un effet néfaste chez des personnes en proie à un traumatisme et qui ne semblent pas manifester de rétablissement ou de changement positif.
« L'actualité mondiale et française fait que des évènements traumatiques à grande échelle sont plus fréquents et le terme de résilience est souvent évoqué pour parler des personnes en reconstruction. Or, cette sur-médiatisation - associée à la présentation sans doute simpliste qui en est faite par certains médias - peut avoir un effet culpabilisant et/ou excluant pour certaines personnes qui, elles, auraient du mal à dépasser le choc d’un évènement. La résilience s’entend trop comme un sésame ou comme une aptitude qui n’appartiendrait qu'à certains et qui, de fait, manquerait à d’autres et les exclurait. Cette culpabilité s'observe assez régulièrement dans les suivis thérapeutiques, où les personnes peuvent venir questionner le thérapeute en lui demandant soit s’ils sontassez résilients (sic), soit s'ils le seront bientôt (sic derechef)[31] (Alleaume, 2018). »
Le philosopheRuwen Ogien est plus sévère encore. Il range la résilience dans le champ des concepts vagues, moralisateurs et même nocifs :« Au fond, la psychologie « positive », dont la résilience est un des piliers, a, comme les idées deLeibniz dontVoltaire se moquait, un côté bêtement optimiste, répugnant aux yeux de tous ceux dont la vie est précaire, marquée par des échecs et des peines profondes. Elle tend à culpabiliser tous les défaitistes en pensée, tous ceux qui n'ont pas la force ou l'envie de surmonter leur désespoir[32]. »
Dans une autre perspective, on pourrait reprocher à la résilience son manque d'intérêt intégratif pour d'autres notions voisines, comme lacroissance post-traumatique. Issue d'un autre champ théorique (psychologie positive), elle intègre pourtant tout un ensemble de processus psychologiques fort intéressants et qui concernent la résilience dans une certaine mesure.
EnFrance en 2024,Boris Cyrulnik et un collectif d'universitaires s'élèvent contre la récupération du concept de résilience, notamment pour justifier l'absence de politiques publiques[33]. Le psychiatre raconte qu'arrivé àHaïti quatre années après le tremblement de terre de 2010, il se rend compte que les gens détestent l'idée de résilience: « Le peuple avait demandé des secours », explique t-il et le message des politiques au pouvoir avait été globalement : « Soyez résilients, vous êtes résilients, forts, vous avez survécu, vous n'avez donc pas besoin de l'aide de l'État. » L’épisode est révélateur selon lui d'une tendance à faire de la résilience une injonction commode, une qualité individuelle à surmonter les épreuves. Le livre décrit cette dérive et ces aspects mercantiles et redéfinit le concept de résilience clinique, multifactoriel et global, incluant la personnalité mais aussi l'environnement familial,social etculturel[34].
Selon le chercheur Xavier Briffault, l'excès de références à la notion est culpabilisant, contre-productif. L'usage qui en est fait officiellement est lié à une logique typiquement néolibérale et individualiste selon laquelle connaître le malheur est nécessaire et les survivants endurcis n'ont pas besoin de solidarité étatique, tandis que ceux qui sont moins efficients sont stigmatisés et non soutenus[35].
Dans son essai de 2021 intituléContre la résilience, à Fukushima et ailleurs, l'économiste et sociologue françaisThierry Ribault, engagé dans la militance écologique et contre le nucléaire, développe une vision critique de la notion psychologique de résilience. Il va plus loin que le discours regrettant le détournement du terme et affirme qu'il s'agit plutôt d'un terme du détournement. Selon lui, le problème ne s'arrête pas même à l'existence de la notion de résilience dans le domaine de la psychologie, mais englobe également les acceptions en écologie et en science des matériaux[36], qui, sous couvert de défense des éléments naturels, révèlent une visioncapitaliste et compétitive du monde et en défendent l'exploitation. Dans le prolongement de cette perspective, les problèmes sociologiques et institutionnels (tels que ceux liés aux désastres écologiques) sont psychologisés et individualisés, tant la réalité des catastrophes environnementales et humaines et la façon dont le modèle socio-économique dominant les provoque sont édulcorées et transformées en belle opportunité pour confirmer une logique de compétition darwinienne avec soi-même et autrui. Les gens sont tenus pour responsables de leur propre destin, réussite ou échec, face aux réalités insoutenables dont la gravité est relativisée. Cette logique modèle conjointement les sciences naturelles et sociales en accord avec l'économie productiviste et au mépris du consensus scientifique réel[37]. Les éléments naturels ou les personnes qui ne prennent pas part à la compétition ou échouent sont stigmatisés. Promoteur de la résistance face à la résilience, selon sa propre formule, l'auteur reproche au diktat de résilience de distordre les faits et d'instaurer une pensée magique du développement personnel qui formate la subjectivité et l'activisme sous couvert de vérité scientifique. Ce leitmotiv fait jouer la science et la nature en faveur de leur propre destruction, de l'acceptation de l'inacceptable et du darwinisme social, au point de culpabiliser les individus jugés moins performants voire de leur retirer le droit d'exister. Qualifiant la résilience de technologie du consentement aux nuisances ou aux désastres et de nouvellereligion d'État[38], l'essayiste relève le caractèrecapacitiste, irrationnel et déterministe de cette forme de religiosité technophile qui n'est pas exempte de conservatisme accordant à la génétique une place centrale et hiérarchisante, comme s'il existait une capacité de résilience associée à des gènes particuliers[39]. Il n'hésite pas à parler de composanteeugénique, l'impréparation de l'individu devenant le fait advenu jugé regrettable tandis que la catastrophe en tant que fait incontestable et au bilan terrible est relativisée[38].
Sur les autres projets Wikimedia :
| Concepts associés | |
|---|---|
| Catégories derisque | |
| Types d'accidents | |
| Moyens | |
| Approches particulières | |