Leréférendum de 2014 en Crimée est unréférendum d'autodétermination organisé le par lafédération de Russie. Le vote porte sur le rattachement de la péninsule deCrimée, c'est-à-dire le territoire de larépublique autonome de Crimée et de la ville deSébastopol,ukrainienne puis autoproclamée indépendante sous le nom derépublique de Crimée, à laRussie. Il se déroule pendant lacrise dans la péninsule engendrée par l'invasion et l'occupation militaires russes, survenue après le renversement du gouvernement ukrainien affidé à la Russie à la suite dumouvement contestataire de 2013-2014 en Ukraine. Le référendum est controversé en raison du non-respect du droit international lors de son déroulement. Si la population approuve le transfert de la Crimée de l'Ukraine à la Russie à une écrasante majorité (96,77 %), le résultat n'est reconnu ni par l'Ukraine ni par la communauté internationale, il est dénoncé par l'ONU, par le Conseil de l'Europe et par les ONG de défense des droits humains.
Lesmanifestations de Maïdan, pro-européennes, qui se tiennent enUkraine depuis novembre 2013 aboutissent le à la destitution du présidentIanoukovytch, généralement qualifié de pro-russe. Une grande partie de larépublique autonome de Crimée, région autonome d'Ukraine majoritairementrussophone en proie à des tensions séparatistes, ne reconnaît pas les nouvelles autorités et la région cherche donc à se distancier du reste de l'Ukraine. Le23 février, le statut durusse comme langue régionale protégée est aboli par leParlement ukrainien, ce qui engendre une vague de manifestations dans toute la partie russophone du pays[réf. nécessaire].Oleksandr Tourtchynov assure l'intérim de la présidence à partir du, tandis qu'Arseni Iatseniouk, comme lui issu de l'opposition et pro-européen, devient Premier ministre et qu'ungouvernement d'union nationale intérimaire est formé le dans des conditions tendues (députés écartés ou bloqués à l'extérieur, menacés, journalistes interdits d'accès, internets et téléphones portables des personnes entrant dans le bâtiment mis hors service ou confisqués, doubles de cartes électorales dérobés dans le coffre-fort du parlement afin de faire voter les absents...)[2] et sans être reconnu par les autorités de Kiev[3],[4],[5][réf. nécessaire].
Dans la nuit du 26 au 27, à la suite d'affrontements au cours de la journée entre des milliers d'opposants favorables et opposés au nouveau pouvoir pro-européen près des bâtiments officiels de la république autonome de Crimée, une cinquantaine à une centaine d'hommes armés non identifiés, des commandos pro-russes, s'emparent du siège du gouvernement et duparlement (Conseil suprême) de Crimée, tous deux situés dans la capitaleSimferopol, et des drapeaux russes sont hissés aux côtés des drapeaux criméens à la place des drapeaux ukrainiens sur les bâtiments[6]. une cinquantaine d'hommes armés s'empare également de l'aéroport[7]. La prise des bâtiments officiels est confirmée tôt le matin du 27 par le Premier ministre de la république autonome,Anatoli Moguiliov, selon qui les hommes sont porteurs« d'armes modernes »[6].
Bulletin de vote du référendum, vierge (l'une ou l'autre case est à cocher, de façon exclusive).
La seule question qui devait être posée lors du référendum sur la souveraineté étatique était :« Êtes-vous pour lasouverainetéétatique de laCrimée au sein de l'Ukraine ? »[10],[11].
Celle-ci aurait été approuvée par 61 des 64 députés du parlement de Crimée présents (sur 100 membres au total) l'après-midi du[10] dans des conditions suspectes et dénoncées par les députés n'ayant pu accéder au parlement pour y voter, mais dont les noms ont parfois été utilisés en leur absence[2]. Si le résultat avait été positif, le gouvernement de Crimée n'excluait pas la possibilité de déclarer ultérieurement l'indépendance de la Crimée ou son rattachement au voisin russe.
Finalement, la question posée le est :
« Cochez la case correspondant à la variante pour laquelle vous votez :
1) Êtes-vous favorable à la réunification de la Crimée avec la Russie dans les droits de la fédération de Russie ?[trad 1]
2) Êtes-vous favorable au rétablissement de la Constitution de la république de Crimée de 1992 et pour le statut de la Crimée dans le cadre de l'Ukraine ?[trad 2] »
Le choix des réponses permet un retour au statut de 1992 d'autonomie élargie de la Crimée, statut qui s’apparente plus à une loi organique réduite à des considérations techniques et précisant les limites et le peu de pouvoirs alloués par laConstitution ukrainienne.
Du point de vue du droit constitutionnel, cette "autonomie" est considérablement restreinte[12].
Le bulletin de vote est unique et se présente avec des cases à cocher, conformément à l'usage dans ces pays. Il est précisé que si les deux cases sont cochées, le bulletin sera considéré comme nul. Dans tous les cas, les électeurs n'ont donc« pas le loisir d'exprimer un refus plein et entier des manœuvres russes dans la région »[13]. Il est rédigé en trois langues : russe,ukrainien ettatar de Crimée[note 1]. Le bulletin est sur le site officiel du référendum[14]. Les bulletins sont placés directement dans uneurne électorale transparente, sans enveloppe, empêchant lesecret du vote[15].
Le matin du, le président ukrainien par intérim,Oleksandr Tourtchynov, a immédiatement mis en garde laflotte russe basée enmer Noire contre toute« agression militaire »[6]. AuParlement à Kiev, il a précisé« aux dirigeants militaires de la flotte de la mer Noire [que] tous les militaires doivent rester sur le territoire prévu par les accords. Tout mouvement de troupe armé sera considéré comme une agression militaire »[6]. LaPologne, l'Allemagne, leRoyaume-Uni et lesÉtats-Unis, ainsi que l'OTAN, entre autres, font part de leur inquiétude, condamnant la prise des bâtiments officiels de Crimée et rappelant à la Russie son engagement à défendre l'intégrité territoriale de l'Ukraine[6]. Le président duMedjlis, l'assemblée représentant lesTatars de Crimée, Rifat Tchoubatov, a pour sa part dénoncé un« plan de Moscou » dans la prise des bâtiments officiels de Crimée[6]. Le1er mars, le ministre françaisLaurent Fabius fait également part de sa préoccupation.
Le, jour de l'annonce de la demande de rattachement de la Crimée à la Russie et du "nouveau" référendum, leKremlin annonce que le président russeVladimir Poutine a étudié la demande de la Crimée avec son Conseil de sécurité[8]. Le vice-Premier ministre de la région autonome acte dans l'après-midi que le décret sur le rattachement de la Crimée à la Russie est entré en vigueur et affirme donc que les effectifs de l'armée ukrainienne qui se trouvent sur son territoire sont désormais considérés comme une« force d'occupation » qui va devoir se rendre ou partir[8]. De leur côté, le ministre ukrainien de l'Économie estime que« ce référendum n'est pas conforme à la Constitution » et le Premier ministre ukrainien juge la décision du Parlement de Crimée« illégitime »[8]. Pour leur part, les Américains dénoncent la tenue d'un référendum sans l'accord de Kiev[8] etBarack Obama, président desÉtats-Unis, estime que ce référendum« violerait le droit international »[16]. Kiev annonce pour sa part avoir entamé une procédure de dissolution du parlement local de Crimée[16].
Immédiatement après la déclaration d'indépendance le, le Parlement ukrainien menace à nouveau de dissoudre l'assemblée de la république autonome de Crimée si elle n'annule pas le référendum prévu dans la péninsule[9]. Depuis la Russie, le président déchuViktor Ianoukovytch affirme que« la Crimée se détache » de l'Ukraine en raison de la politique des« néo-fascistes » arrivés au pouvoir à Kiev, avant d'assurer que l'Ukraine allait se ressaisir et« retrouver son unité »[9]. Les autorités russes se félicitent de la déclaration d'indépendance de la Crimée en faisant savoir par la voix deSergueï Lavrov que« leministère des Affaires étrangères russe considère la décision du Parlement de Crimée absolument légale »[9]. Dans son communiqué, la diplomatie russe rappelle que dans le cas duKosovo, l'ONU et plusieurs pays occidentaux avaient estimé« qu'une déclaration unilatérale d'indépendance d'une partie d'un État ne violait aucune norme du droit international »[9]. Le ministre espagnol des Affaires étrangères,José Manuel García-Margallo, annonce depuis laSlovénie que la décision des autorités de Crimée de déclarer son indépendance de l'Ukraine est« nulle, illégale et viole les lois et pratiques internationales », tout en appelant toutefois l'Union européenne à coopérer avec la Russie pour résoudre la crise ukrainienne[9]. Théodore Christakis, professeur de droit international à l'université Grenoble Alpes et directeur du Centre d'études sur la sécurité internationale et les coopérations européennes (CESICE), affirme que le droit donne ici raison à la Russie en déclarant qu'« un référendum concernant le statut futur d'un territoire n'est pas, en principe, « illégal » du point de vue du droit international, pas plus qu'une éventuelle déclaration d'indépendance à la suite d'un tel référendum »[9]. Il note néanmoins qu'en cas de victoire du oui au rattachement à la Russie, une« tension forte » s'exercerait entre« les faits, l'annexionde facto de la Crimée, et le droit, à savoir le caractère illégal de cette annexion compte tenu de l'intervention militaire de la Russie en violation du droit international »[9]. Il est par ailleurs d'ores et déjà prévu que les députés russes examinent le à la Douma un texte de loi permettant d'incorporer dans la fédération de Russie un territoire étranger qui en émettrait le souhait en cas de défaillance de l'État auquel il appartient[9]. Le secrétaire d'État américainJohn Kerry a de son côté averti dès le que toute initiative de Moscou en vue d'annexer la Crimée mettrait fin aux efforts diplomatiques pour régler la crise russo-ukrainienne[9]. Le, l'ancienchancelier allemandGerhard Schröder concède le parallèle entre la Crimée et le Kosovo quinze ans plus tôt mais déclare soutenir la position d'Angela Merkel en disant que l'action menée par Vladimir Poutine vis-à-vis de la souveraineté de l'Ukraine est illégale tout comme l'avait été celle menée au Kosovo contre la Serbie[17].
Le résultat officiel du référendum est de 96,6 % de « oui » au rattachement à la Russie. Le, le parlement de la Crimée proclame unanimement l'indépendance de la péninsule ukrainienne et demande son rattachement à la Russie. Les autorités intérimaires à Kiev, elles, continuent de parler« d'une grande farce » à propos du référendum adopté. Les 85 députés du parlement de la Crimée décrètent par ailleurs la nationalisation de tous les biens de l'État ukrainien sur son territoire. Sergueï Neverov, le vice-président de laDouma déclare que« les résultats du référendum en Crimée montrent clairement que les habitants de Crimée voient leur avenir seulement au sein de laRussie ».Catherine Ashton assure quant à elle que l'UE enverra« le message le plus fort possible » à la Russie en décidant d'imposer des sanctions[19]. Le dirigeant sécessionniste de CriméeSergueï Axionov, commentant le résultat du référendum de rattachement à la Russie, déclare le soir même à la foule à Simferopol :« Nous rentrons à la maison. La Russie est notre foyer »[20]. Selon la communauté internationale en revanche, il s'agit d'une annexion illégale du territoire par la Russie[21].
Avant même la tenue du vote, le résultat est vu par de nombreux observateurs comme étant joué à l'avance, et d'éventuelles fraudes comme attendues. Le maire d'une ville de Crimée, sous anonymat, affirme : « le referendum c'est une fiction, une formalité. La Crimée sera russe, voilà tout. Et s'il n'y pas assez de voix, il y aura des fraudes massives », par exemple, l'utilisation de bulletins pré-remplis pour les électeurs ne venant pas voter semble plausible[22]. Des responsables américains affirment que des bulletins sont effectivement arrivés déjà remplis dans les bureaux de vote
Le taux de « oui » donné par les résultats officiels étant très élevé, des accusations de trucage apparaissent rapidement après leur annonce. Le fait que le président de l’OSCE,Didier Burkhalter, ait indiqué que l'organisation n'entendait pas superviser un scrutin qu'elle juge illégal renforce le soupçon de fraudes tout en le rendantde facto invérifiable[23],[réf. nécessaire].
Le, le sous-secrétaire général desNations unies aux droits de l'hommeIvan Šimonović, qui a visité la Crimée en mars, déclare que « la manipulation des médias a contribué significativement à un climat de peur et d'insécurité dans la période précédant le référendum, et la présence de paramilitaires et de groupes dits d'auto-défense, ainsi que desoldats en uniforme mais sans insigne, n'a pas amené un environnement dans lequel les votants pouvaient exercer librement leur droit de soutenir des opinions et le droit à la liberté d'expression »[24].
Certaines sources, donnent des estimations qui diffèrent notablement des résultats officiels. Le, le site web du Conseil du Président de la fédération de Russie (Совет при Президенте РФ) pour la société civile et les droits de l'homme publie un rapport sur le référendum de Crimée selon lequel« en Crimée, d'après différentes données, 50-60 % des votants ont voté pour rejoindre la Russie, avec un taux de participation total de 30-50 % »[25]. D'après la déclaration deMoustafa Djemilev, chef de file du Mouvement national des Tatars de Crimée, sur les ondes deVoice of America, le taux de participation n'a pas été de 82 % mais seulement de 32,4 %[26].
Cependant, d’autres sources estiment que le résultat n'aurait pas été forcément très été différent si le scrutin avait été supervisé par les observateurs de l'OSCE (à savoir une victoire du oui, mais dans des proportions moins élevées)[27]. Ainsi, un sondage réalisé en Crimée par l'institut américainGallup en indique que 82,8 % des habitants de Crimée interrogés (68,4 % pour les Ukrainiens ethniques et 93,6 % pour les Russes ethniques) estiment que les résultats du référendum sont conformes à ce que pensent la majorité des habitants[28],[29],[30].
Ni le déroulement, « contraire à la Constitution ukrainienne et aux lois internationales », ni les résultats du référendum ne sont reconnus par la communauté internationale, notamment en raison du contexte d'occupation militaire, de l'absence de transparence, d'observations de fraudes, et des résultats contestés[31].
Une proposition résolution du Conseil de sécurité de l'ONU résolution dénonçant le référendum sur la Crimée, qui n'a « pas de validité » et visant à réaffirmer « la souveraineté, l'indépendance, l'unité et l'intégrité territoriale » de l'Ukraine est bloquée par un véto de la Russie[32].
Le 22 mars 2014, laCommission de Venise duConseil de l'Europe dépose son opinion :'La Constitution de l'Ukraine, comme d'autres constitutions des États membres du Conseil de l'Europe, prévoit l'indivisibilité du pays et n'autorise pas la tenue d'un référendum local sur la sécession de l'Ukraine. Cela résulte notamment des articles 1, 2, 73 et 157 de la Constitution. Ces dispositions, combinées au chapitre X de la Constitution, montrent que cette interdiction s'applique également à la République autonome de Crimée et que la Constitution de Crimée n'autorise pas le Soviet suprême de Crimée à convoquer un tel référendum. Seul un référendum consultatif sur une autonomie accrue pourrait être autorisé par la Constitution ukrainienne.. De plus, la situation en Crimée n'a pas permis la tenue d'un référendum conforme aux normes démocratiques européennes. Tout référendum sur le statut d'un territoire aurait dû être précédé de négociations sérieuses entre toutes les parties prenantes. De telles négociations n'ont pas eu lieu."[33]
L'ONGHuman Rights Watch dénonce l'organisation du vote, en quelques jours, par une puissance occupante[34], sans observateurs indépendants, alors même que les droits humains des habitants ne sont pas assurés[35]. Moscou a comparé ce référendum auréférendum mahorais de 2009, où la population s'est prononcé avec un score voisin (95,24%) pour queMayotte devienne le 101ème département français, bien que lesComores clament toujours leur souveraineté sur l'île[36].
↑(en-US) « Unrest in eastern Ukraine risks ‘seriously destabilizing’ entire country – UN rights official »,United Nations,(consulté le) :« "Media manipulation significantly contributed to a climate of fear and insecurity in the period preceding the referendum, and the presence of paramilitary and so-called self-defence groups, as well as soldiers in uniform but without insignia, was not conducive to an environment in which voters could freely exercise their right to hold opinions and the right to freedom of expression" »
↑Rapport publié le 11 mai 2014, disponible en russe sur le sitepresident-sovet.ru.
↑JournalLa Croix, 30/09/2022,lire en ligne : « Cependant, un sondage réalisé par l’institut américain Gallup en Crimée au mois d’avril 2014 révèle que 82,8 % des habitants de la péninsule, dont 68,4 % de ceux qui se déclarent ukrainiens, estiment les résultats du référendum conformes au souhait des habitants. »
↑Mediapart, 17/03/2022,lire en ligne : « En avril 2014, un sondage réalisé en Crimée par l'institut américain Gallup indique que 82,8 % des habitants de Crimée jugent que les résultats du référendum sont conformes à ce que pensent la majorité des habitants. »
Site officiel du référendum rédigé en russe, ukrainien et tatar de Crimée, versions non strictement parallèles, contenant le bulletin officiel de vote sus-mentionné.