Pour les articles homonymes, voirPutsch d'Alger.
| Date | - |
|---|---|
| Lieu | |
| Issue | Échec du putsch
|
| Aucune | 1sous-officier tué |
Batailles
Leputsch des généraux du, également appeléputsch d'Alger[n 1], est une tentative decoup d'État, fomentée par une partie des militaires de carrière de l'armée française enAlgérie, et conduite par quatregénéraux cinq étoiles (Maurice Challe,Edmond Jouhaud,Raoul Salan etAndré Zeller). Ils déclenchent cette opération en réaction à la politique choisie par leprésident de la République,Charles de Gaulle, et songouvernement, qu'ils considèrent comme une politique d'abandon de l'Algérie française. Pour sa part, le généralJacques Massu reste à l'écart après s'être vu proposer le rôle de chef.
D'autres généraux participent au putsch, de sorte qu'il est impropre de parler uniquement de « quatre généraux putschistes ». On peut citer par exemple les générauxPaul Gardy etJacques Faure, mais qui n'avaient pas le grade degénéraux d'armée.
Le, par unréférendum sur l'autodétermination en Algérie organisé en métropole et en Algérie, les électeurs se prononcent à près de 75 % en faveur de l'autodétermination. Des négociations secrètes sont alors ouvertes entre legouvernement français de Michel Debré et leGouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) lié auFLN. Une partie des cadres de l'armée, après avoir mené sept années de combats sous la direction de plusieurs gouvernements depuis le début de laguerre d'Algérie estime être proche de la victoire sur le plan militaire et se sent trahie par legénéral de Gaulle et son projet d'Algérie algérienne et veut s'opposer par un coup de force aux projets d'indépendance de l'Algérie.
Trois des quatre généraux putschistes sont en poste en Algérie au moment duputsch d'Alger du 13 mai 1958 qui conduit le général de Gaulle au pouvoir[n 2]. Les slogans d'alors sont« Algérie française, de Gaulle au pouvoir »[n 3]. Partisans de l'Algérie française, leurs attitudes divergent après mais ils se retrouvent à l'annonce de l'ouverture des pourparlers avec leFLN et leGPRA alors que l'armée progresse et se sent proche d'une victoire.
Legénéral Challe remplace legénéral Salan en au poste de commandant supérieur Interarmées de l'Algérie à la suite desévènements de mai 1958. Il est rappelé en métropole en au poste de Commandant en Chef Centre-Europe (CINC CENT) à l'OTAN après laSemaine des barricades (-). Il démissionne en.
Legénéral Salan est commandant supérieur Interarmées de l'Algérie depuis cumulé avec le poste de délégué général du gouvernement depuis le puis il est muté en métropole en; il quitte le service actif le. Menacé d'arrestation il s'exile enEspagne en où il se rallie à l'OAS fondée le[1].
Legénéral Jouhaud est lepied-noir du groupe, né àBousfer (Oranie). Ancien adjoint de Salan, il est promu chef d'état-major de l'armée de l'air en en métropole quittant l'Algérie après avoir été très impliqué dans leCoup d'État du 13 mai 1958; il demande sa mise en retraite en[2].
Legénéral Zeller est chef d’état-major de l’armée depuis, démissionnaire en pour protester sur une baisse des effectifs en Algérie il reprend ses fonctions avec le grade degénéral d’armée en jusqu’au où il passe endeuxième section (réserve). Il écrit dansCarrefour (hebdomadaire) portant la parole du désaccord des militaires avec la politique de de Gaulle.
Lecolonel Argoud, ancien chef d'état-major ducorps d'armée d'Alger dugénéral Massu, est rappelé en métropole en. Il est un des principaux organisateurs de la préparation du putsch puis joue un rôle actif sur le terrain.
Le pouvoir gaulliste est bien informé depuis plusieurs mois par la police judiciaire d'Alger et les services de renseignements des intentions de certains militaires. L'année précédente, le, pendant lasemaine des barricades, le colonelAntoine Argoud s'est même entretenu avecMichel Debré pour demander un changement de politique, faute de quoi « unejunte de colonels » renverserait le gouvernement pour maintenir l'Algérie comme territoire français. La tension étant montée tout au long de l'année 1960, une possibilité de coup d'État est alors dans tous les esprits en particulier au printemps 1961. Du fait de ces signaux, l'École militaire à Paris, l'un des centres du complot, est étroitement surveillée.
Dans sa conférence de presse du, le général de Gaulle fait part de sa conviction que l'Algérie sera indépendante, il en parle avec détermination et même cynisme. Son ton est ressenti comme une provocation par les tenants de l'Algérie française[3].
La veille du putsch, les cabinets deLouis Joxe etPierre Messmer, respectivement ministres des Affaires algériennes et des Armées, sont informés une nouvelle fois de l'imminence d'un putsch.Constantin Melnik prend les mesures nécessaires pour la sécurité du général de Gaulle[4].
L'armée a fait le serment que l'Algérie restera française, cet engagement du général Challe est largement partagé dans l'armée et doit être le motif de ralliement devant l'évolution de la politique algérienne de de Gaulle.
L'objectif, après la prise de contrôle de l'Algérie, commence par sa pacification après la relance d'une offensive définitive sur l'ALN avec la mobilisation des algériens des deux communautés et le renvoi du contingent en métropole[n 4] ; elle serait suivie de l'obtention du consensus des populations musulmanes au maintien de la France dans une Algérie enfin pacifiée. Devant ce succès le général de Gaulle devra se soumettre ou se démettre[5].
Les moyens sont de mobiliser rapidement certains régiments pour contrôlerAlger, obtenir les ralliements promis des autres provinces algériennes et les soutiens des officiers de métropole :école militaire,école saint Cyr, régiments deToulouse, deMontauban, d'Orléans et deRambouillet, legénéral Vanuxem promettant le soutien de régiment en garnison enAllemagne, tenir à l'écart les populations civiles en raison de la crainte de débordement comme pendant laSemaine des barricades, s'appuyer sur le principe que l'armée ne tire pas sur l'armée.
Dès le de Gaulle dans une conférence de presse évoque une Algérie algérienne mais étroitement unie à la France[6],[n 5]. Le dans une conférence de presse de Gaulle évoque l'hypothèque diplomatique[n 6],[7] et militaire (477 000 militaires en Algérie en) que constitue le conflit algérien et le poids économique :« L'Algérie nous coûte plus qu'elle nous rapporte », il conclut« la décolonisation est notre intérêt et par conséquent notre politique »[8].
Dégager l'armée de ses missions civiles, lui enlever sa capacité d'intervenir sur la scène politique et après la fin du conflit algérien[n 7] la redéployer en métropole et à l'international dotée de forces d'intervention et de ladissuasion nucléaire, telle est la mutation débutée avant le putsch qui s'accélère à la suite de ces évènements[7].
Pour faire face aux évènements, la fermeté affichée par le général de Gaulle dans son discours du dimanche qui délie du devoir d'obéissance à l'autorité militaire et fait basculer les nombreux indécis, celle de son gouvernement et deMichel Debré son premier ministre permettant une mobilisation d'union nationale àParis et en métropole et le recours à l'article 16[n 8] permettent la bascule du putsch et à de Gaulle de mettre en œuvre les réformes qu'il estime nécessaire à la grandeur de la France.
Une idée forte réunit les différents protagonistes, putschistes et sympathisants, gaullistes, et opinion internationale (Espagne etÉtats-Unis) : l'anticommunisme – nous sommes en effet à l'époque de laGuerre froide. LeFLN s'est rapproché de l'Union soviétique et reçoit son soutien[9]. L'armée tire les leçons de laGuerre d'Indochine et développe la notion deGuerre révolutionnaire,Pierre Messmer avant le référendum de dit que la mission de l'armée est de combattre lesFellagas pour« empêcher l'Algérie de basculer vers l'est et de devenir l'Algérie soviétique »[10].
La grande majorité des cadres de l'armée en Algérie partage les opinions des putschistes mais reste réservée sur une participation active tant à cause de son impréparation que pour sa nature insurrectionnelle[11]. Dans les jours qui ont précédé le un nombre inhabituel de colonels se trouve en permission, des commandants de base aérienne sont en métropole[12], certains après avoir hésité restent loyalistes (généralde Pouilly) ou se tiennent à l'écart après avoir participé à la préparation de l'opération (colonel Brothier), jugeant que les chances de réussite sont minces[13],[14].
L'armée française enAlgérie française est divisée en deux entités très différentes : les réserves générales et les troupes de secteur, soit plus de 477 000 hommes au total en 1961, dont 33 000 officiers. Aucune unité de secteur ne participe au putsch.
Dans les réserves générales, à laLégion, seuls 3 régiments sur 10 (11 si on compte le groupe des unités sahariennes) suivent legénéral Challe. À la10e division de parachutistes, 2 régiments sur 7 (1er REP du commandantDenoix de Saint Marc et9e RCP du colonelBrechignac) participent à l'action mais 6 sur 7 se déclarent d'accord[n 9]. À la25e division parachutiste, 5 régiments sur 7 s'engagent (1er RCP du colonel Plassard,14e RCP du lieutenant-colonelLecomte,18e RCP du lieutenant-colonelMasselot,2e REP du commandant, par intérim,Cabiro,8e RPC du colonel Lenoir). À la11e division d'infanterie, pas un seul des cinq régiments ne bouge.
Pour les unités hors division, le1er REC dulieutenant-colonel de La Chapelle, le groupement decommandos parachutistes du commandant Robin[n 10], lescommandos de l'air du lieutenant-colonel Emery se rallient aux mutins, ainsi que d’autres unités : le5e REI du commandant Camelin, le27e dragons du colonelPuga, le7e RTA, le1er RIMa du commandant Lousteau, le94e régiment d'infanterie du colonel Parizot. Au total, malgré les défections,Challe dispose de 25 000 hommes[15].
La marine, sous le commandement duvice-amiralQuerville égalementpréfet maritime, reste loyaliste, l'amirauté devient le point de ralliement des opposants au putsch, elle assure le retour de huit cents appelés du contingent libérables et quitte Alger sous contrôle du putsch pour le port deMers el-Kébir[16]. Les forces de maintien de l'ordre se cantonnent à une position de neutralité, elles ne s'opposent pas aux mouvements des troupes putschistes mais n'apportent pas leur concours malgré certaines manifestations de sympathie[17]. L'administration préfectorale, qui depuis détient des compétences civiles qui étaient dévolues à l'administration militaire en Algérie, reste légaliste.
En métropole, enAllemagne et outre-mer beaucoup d'officiers sont favorables au putsch. Le choix de Challe et l'arrestation le samedi matin du « complot de Paris », état-major sous la direction du général Faure, empêche la mobilisation et la participation active des régiments prévus[n 11]. Les forces de l'ordre métropolitaines obéissent sans réserve, leurs syndicats (préfecture de police, police nationale,CRS) publient un texte où ils s'engagent« à défendre avec le plus grand courage les institutions démocratiques de la France »[18].
Legénéral Challe arrive à Alger dès le jeudi par un vol depuis labase de Creil enNoratlas avec la complicité dugénéral Nicot, chef d'état major de l'armée de l'air et conseiller deMichel Debré et dugénéral Bigot, commandant la5e région aérienne (Alger), en compagnie dugénéral Zeller et dulieutenant-colonel Broizat. Il est rejoint par legénéral Gardy et lecolonel Godard qui ont pris un vol régulier d'air Algérie et par legénéral Jouhaud ; ils ont été précédés quelques jours avant par lecolonel Lacheroy et lecolonel Gardes venus finaliser les contacts avec les soutiens promis et les plans d'actions ; l'état-major du complot est en place[19],[13].
En Algérie la sécurité militaire informe les autorités de l'imminence d'un putsch confirmé par legénéral Simon prévenu dans l'après-midi par un conjuré. Des mesures sont prises (plan Jupiter) mais les moyens sont limités et les délais courts. Legénéral Gambiez, commandant en chef interarmées, téléphone augénéral Saint-Hillier, commandant la10e DP, dinant avecHélie de Saint Marc, commandant par intérim le1er REP :« Mon général, vous pouvez être tranquille »[20].
En métropole, le général de Gaulle assiste avecLéopold Sédar Senghor à une présentation deBritannicus,Jacques Foccart, secrétaire général aux Affaires africaines et malgaches, précise qu'il est averti pendant l'entracte de ce complot, une cellule de crise est constituée[21]. Ce n'est pas la première alerte.
Dans la nuit, à2 h du matin, le1er régiment étranger de parachutistes (REP) sous les ordres d'Hélie Denoix de Saint-Marc, commandant par intérim du régiment[n 12] et legroupement des commandos parachutiste de l'air (CPA 40)[n 13] sous les ordres du commandant Robin[22], s’emparent en trois heures des points stratégiques d'Alger, notamment duGouvernement général d'Alger, dupalais d'été, de l’hôtel de ville, de la caserne Pélissier, de la radio et de l’aéroport d'Alger. La seule victime de l'opération est lemaréchal des logis Pierre Brillant, abattu en défendant le transmetteur radio d'Ouled Fayet[23].
Les généraux du cadre de réserveAndré Zeller,Maurice Challe,Edmond Jouhaud etPaul Gardy, secondés par les colonelsAntoine Argoud,Jean Gardes,Charles Lacheroy,Joseph Broizat, prennent le contrôle d'Alger. Challe critique la « trahison et les mensonges » du gouvernement envers les Algériens qui lui ont fait confiance et annonce que :
« Le commandement réserve ses droits pour étendre son action à la métropole et reconstituer un ordre constitutionnel et républicain gravement compromis par un gouvernement dont l'illégalité éclate aux yeux de la nation. »
Radio-Alger renommée Radio-France, animée par André Rossfelder, annonce à7 h du matin à la population d'Alger :« l'armée a pris le contrôle de l’Algérie et duSahara […] L'Algérie française n'est pas morte […] Vive l'Algérie française pour que vive la France ». Le délégué général du gouvernement en Algérie,Jean Morin, le ministre des Transports,Robert Buron, legénéral Gambiez, le général Vésinet, général de corps d'armée d'Alger, legénéral Saint-Hillier et un certain nombre d'autres représentants des autorités civiles et militaires sont arrêtés, ils seront transférés àIn Salah le dimanche au soir. Jean Morin, arrêté après l'investissement du palais d'été par les parachutistes, a cependant la possibilité d'appelerMichel Debré, premier ministre etLouis Joxe, ministre des affaires algériennes, et les met au courant de la situation à Alger, il contacte également différents responsables civils et militaires, le standard téléphonique ne sera découvert qu'au petit matin. Il permet ainsi la réaction du général de Gaulle et du gouvernement.
Un peu plus tard, Challe s’exprime sur la radio d’Alger[24] :
« Je suis à Alger avec les généraux Zeller et Jouhaud, et en liaison avec le général Salan[alors en exil volontaire en Espagne] pour tenir notre serment, le serment de l’armée de garder l’Algérie pour que nos morts ne soient pas morts pour rien. Un gouvernement d’abandon […] s’apprête aujourd’hui à livrer définitivement l’Algérie à l’organisation extérieure de la rébellion. […] Voudriez-vous que Mers el-Kébir et Alger deviennent des bases soviétiques ? […] L’armée ne faillira pas à sa mission et les ordres que je vous donnerai n’auront jamais d’autres buts. »
Cette déclaration est suivie de la diffusion d'un ordre du « commandement militaire » instituant l'état de siège[25]. Les européens d'Alger pavoisent. Francine Dessaigne rapporte dans son livre« Dans la rue, les gens se congratulent et les soldats sont fêtés […] Nous nous sentons revivre, libérés d'un poids, et nous croyons à la fin de nos souffrances »[26].
Le samedi, les putschistes contrôlent Alger et sa région, ont pris les commandements militaires, les premiers objectifs sont remplis.
Mais la progression du putsch est entravée : le ralliement escompté des régions militaires d'Oran et deConstantine n'est pas confirmé. Le général Gardy nommé par Challe commandant du corps d'armée pour l'Oranie et lecolonel Argoud partent pourOran pour contrôler le général de Pouilly, général ducorps d'armée d'Oran etZeller va à Constantine convaincre son ami le généralGouraud[n 14] hésitant[13].
À Paris, lapolice arrête dès6 h du matin le généralJacques Faure, six autres officiers et quelques civils impliqués dans le « complot de Paris » prévu pour relayer en métropole le putsch. Elle met ainsi la main sur les plans et contacts de la partie métropolitaine de l'insurrection. Des officiers de réserves rassemblés dans les forêts d'Orléans et deRambouillet sont dispersés.
Dès7 h 45 de Gaulle reçoitLouis Joxe, ministre des affaires algériennes qu'il dote des pleins pouvoirs, et legénéral Olié, chef d'état-major investi du commandement de l'armée en Algérie, ils s'envolent aussitôt enCaravelle pour une mission à risque en Algérie. Ils atterrissent àOran et se rendent àMers el-Kébir pour rencontrer l'amiral Querville et le général de Pouilly, général du corps d'armée d'Oran[n 15]. Ils se rendent ensuite à la base deTeleghma pour rencontrer àConstantine le général Gouraud, général ducorps d'armée de Constantine qui a promis son soutien à Challe. L'entretien se poursuit par un dîner pendant lequel Gouraud subit par téléphone la pression pour les arrêter. Après une nuit àTeleghma ils quittent la base au petit matin juste avant sa prise de contrôle par le6e RPIMA, laCaravelle essuiera quelques tirs de son avant-garde, ils se rendent ensuite àBône-les-Salines voir les généraux Fourquet, commandement aérien tactique de Constantine, et Ailleret, région nord-est Constantine, tous les deux opposés au putsch. Ils rejoignent la métropole et rendent compte à de Gaulle dès12 h 15[27],[1].
Lors duConseil des ministres à17 h,de Gaulle, serein, déclare :« Ce qui est grave dans cette affaire, Messieurs, c’est qu’elle n’est pas sérieuse »,Philippe de Gaulle rapporte que cette sérénité est surtout apparente et n'est pas partagée par son entourage[28]. L’état d’urgence est décrété. Les partis degauche, lessyndicats et laLigue des droits de l’homme appellent à manifester« l’opposition des travailleurs et des démocrates au coup de force d’Alger ».
Salan arrive d’Espagne accompagné deJean-Jacques Susini, il revendique la responsabilité politique et souhaite armer lesactivistes civils.Challe, malgré son isolement croissant, refuse. Alger est pavoisé, trente huit conseillers municipaux du Grand Alger et vingt conseillers généraux publient leur loyauté en faveur des généraux.
En métropole règne un certain désarroi. En dehors des régiments identifiés une incertitude pèse sur ceux qui pourraient basculer à la faveur de la sympathie que le mouvement suscite. Dans les allées du pouvoir, malgré la situation, les bureaux sont déserts, signe d'un certain attentisme.
L'opinion publique, elle, se mobilise contre le putsch. Les syndicats (CGT,CFTC,FEN,UNEF) appellent une grève nationale d'une heure le lundi après-midi :« La riposte des travailleurs au coup de force des généraux factieux »,FO rejoint cette action. L'ensemble des partis politiques, sauf lesindépendants appelle à rejoindre le mouvement[29]. La difficulté de la gauche est de montrer son opposition au coup d'état, son attachement au fonctionnement démocratique et pour certains leur engagement pour le mouvement de décolonisation, sans pour autant soutenir l'ensemble de la politique de de Gaulle.
À20 h, le présidentCharles de Gaulle, vêtu de son uniforme de général, paraît à la télévision et prononce un discours appelant les soldats d'Algérie, les Français, d'Algérie ou de métropole, à refuser lecoup d'État ; il informe également des mesures qu'il prend :
Conformément à l'article 16 de la Constitution de la Cinquième République française, après l'accord duconseil constitutionnel, le généralde Gaulle se saisit des pleins pouvoirs. L'article 16 reste en vigueur jusqu'au.
« Cinq cent mille gaillards munis de transistors », comme dira le généralde Gaulle à propos du contingent, ont entendu son appel à l'obéissance et à l'aide ainsi que son interdiction d'obéir aux officiers rebelles. Des unités d'appelés refusent d'obéir aux ordres des mutins (2e et8e RPIMA), certaines se soulèvent à leur tour et arrêtent les officiers putschistes en leur sein (14e BCA)[31].
À23 h 45, le premier ministreMichel Debré apparaît à la télévision, il dramatise la situation en évoquant un projet d'opération aéroportée sur la région parisienne par les putschistes, il appelle la population« toute entière » à se mobiliser[n 17] et en particulier à se rendre sur les aéroports« à pied ou en voiture »,« dès que les sirènes retentiront », pour« convaincre des soldats trompés de leur lourde erreur »[32],[n 18].
En métropole et plus particulièrement dans la région parisienne, les putschistes d'Alger doivent composer avec une forte mobilisation populaire. Toute la nuit, des volontaires se présentent au ministère de l'intérieur ; ils viennent non seulement des mouvements gaullistes mais également de mouvements de gauche[n 19], et sont organisés en« groupe de défense civile et de soutien au général de Gaulle ». Si des équipements militaires sont distribués, surpris de la présence de mouvements appartenant à la gauche,Jacques Dauer déclare qu'aucune munition n'est distribuée[33]. Des regroupements s'organisent comme à l'usineRenault deBoulogne-Billancourt (syndicats etPierre Dreyfus) ou à lagare de l'est (CGT) ; ils réclament aussi des munitions[33],[34]. Le soir, lepalais Bourbon, abritant l'Assemblée nationale, est gardé par12 charsSherman appartenant augroupement blindé de gendarmerie mobile[35].
La grève de17 h à18 h rassemble près de dix millions de travailleurs. l'état d'urgence est prolongé, le blocus de l'Algérie est maintenu[36].
En Algérie, pour les putschistes, le mouvement s'épuise. Sur le plan des forces militaires le général Bigot, commandant de l'air en Algérie, est de moins en moins suivi, desNoratlas et desMystèresIV sont rapatriés en métropole. Dans le Constantinois les volte-face du général Gouraud, commandant le corps d'armée, le prive de tout crédit. Dans l'Oranie le général de Pouilly dit au colonel venant l'arrêter« cette aventure est sans issue », parti s'expliquer à Alger avecChalle, il est arrêté parZeller mais son corps d'armée reste sous le contrôle de son second. Dans l'Algérois la13e DBLE refuse de marcher sur lePC àMédéa du général Arfouilloux. Les appelés du contingent ont entendu le message du général de Gaulle et des leaders syndicaux (UNEF) les encourageant à la désobéissance aux officiers putschistes.
Cinquante à cent mille Algérois se rassemblent sur le forum écouter une dernière intervention à la tribune des quatre généraux[1]. Des soutiens d'élus musulmans parviennent encore : le députéChérif Sid Cara[n 20], lui-même putschiste en 1958, en tant que président du conseil général d'Oran, publie avec vingt autres conseillers généraux un communiqué de soutien le aux putschistes. Ils y« saluent avec ferveur l’aube d’une Algérie définitivement française, gage évident d’une fraternité réelle », et« présentent l’hommage profondément ému de leur reconnaissance à l’armée française et à ses chefs dont ils se déclarent totalement solidaires »[37].
Devant cette situation l'état-major du putsch est divisé : Challe, Georges de Boissieu et Bigot sont persuadés de l'échec du mouvement et souhaitent y mettre un terme et en limiter les conséquences, d'autres[n 21] sont partisans d'une radicalisation en armant les milices et en pratiquant une justice sommaire face aux traîtres et indécis et poussent Salan à prendre la direction[38].
Le gouvernement français ordonne, ce matin là, la mise à feu de la quatrième bombe (Gerboise verte) du programme d'essais nucléaires deReggane. Cet essai, prévu de longue date pour le mois d', est maintenu et, peut-être, précipité pour éviter que l'engin ne tombe dans les mains des généraux putschistes devenant un élément de chantage[39],[40]. La base deReggane est sous l'autorité de Paris mais aussi du général Mentré, commandement interarmées auSahara, favorable au putsch, et du général Thiry, ami deChalle, resté fidèle au gouvernement ; ce tir montre que les ordres venant de la métropole sont exécutés.
En métropole, la mobilisation, qui prend la forme de débrayages et manifestations, reste vive aux cris de« Le fascisme ne passera pas »[41].
À la mi-journée le général Mentré et le général Gouraud déclarent leur allégeance à l'autorité légitime du chef de l'État.
Le soir, le généralChalle apparait une dernière fois au balcon dugouvernement général devant 3 000 Algérois chantantLa Marseillaise sur le forum, le micro est en panne.
Sur le bureau dePierre Messmer, ministre des armées, en fin d'après-midi les télégrammes de chefs de corps clamant leur fidélité s'accumulent :« Monsieur le ministre, voilà quatre jours que l'on rêve, ils sont tous fidèles », déclare son aide de camp[42].
La radio est reprise à23 h 30 par les gendarmes mobiles mais André Rossfelder parvient à fuir.
Progressivement, les troupes ayant suivi les généraux se rendent. Les insurgés se retirent avec les parachutistes du1er REP àZéralda à 30 km d’Alger[n 22] salués par une foule avec des fleurs aux cris de « Vive l'Algérie française ». Le commandantDenoix de Saint-Marc, qui avait le premier suivi les généraux, se constitue prisonnier et négocie la reddition du généralChalle aussitôt transféré en métropole.Zeller disparaît dans les rues d'Alger, il se rend quelques jours plus tard. Les générauxSalan etJouhaud, les colonelsArgoud,Godard,Gardes et le capitaineSergent entrent en clandestinité et rejoindrontl'OAS[43].
Le putsch a échoué, mais l'article 16 reste en vigueur pendant cinq mois pour éviter tout nouveau soulèvement et permettre les réformes de l'État prévues par de Gaulle.
Legroupement des commandos de l'air ainsi que troisrégiments ayant pris part au putsch (1er régiment étranger de parachutistes,14e régiment de chasseurs parachutistes et du18e régiment de chasseurs parachutistes) sont dissous par ordre du chef de l'État. L'état-major d'autres régiments est dissous et reconstitué :1er et9e RCP,2e,3e et8e RPIMA[44].
Après le putsch, 220 officiers sont relevés de leur commandement, 114 sont traduits en justice, 83 finalement condamnés[45].
En outre, le ministre des Armées Pierre Messmer dresse une liste d'officiers et de sous-officiers à placer « en congé spécial », c'est-à-dire à mettre à la retraite d'office. Ces officiers et sous-officiers n'ont pas participé directement au putsch mais ont ouvertement pris parti en faveur du mouvement : 425 officiers et 111 sous-officiers pour l'Armée de terre ; 11 officiers et 40 sous-officiers pour la Marine ; 77 officiers et 192 sous-officiers pour l'Armée de l'air ; 12 officiers et 227 sous-officiers pour la Gendarmerie ; 11 officiers et 7 sous-officiers pour la Délégation à l'armement. Soit un total de 536 officiers et 577 sous-officiers[46].
Par ailleurs, environ un millier d'officiers hostiles à la politique du gouvernement ou par solidarité avec les putschistes démissionnent de leur propre chef à cette période, soit 3 % des officiers d'active de l'armée française[1].
LeHaut Tribunal militaire condamneMaurice Challe etAndré Zeller à 15 ans de réclusion. Ils sontamnistiés et réintégrés dans leurs dignités militaires sept ans plus tard.Salan etJouhaud entrent dans la clandestinité et poursuivent leur action au sein de l'OAS que Salan dirige avecJean-Jacques Susini secondé par Jouhaud pour le secteur d'Oran et que rejoignent les partisans acharnés de l’Algérie française qu'ils soient civils ou militaires. Arrêté le Jouhaud est condamné à lapeine de mort, Salan arrêté le, qu'on s'attend à voir condamné à la même peine, est défendu par l'avocat et homme politiquemaître Tixier-Vignancour qui, en mettant en cause la politique algérienne de de Gaulle, sauve sa tête. L’exécution de Jouhaud est suspendue la veille sous la pression deJean Foyer et de plusieurs membres du gouvernement (Georges Pompidou,Pierre Sudreau,Valéry Giscard d'Estaing,Louis Joxe,Pierre Messmer,Edgard Pisani[47]). Georges Pompidou met sa démission en jeu en avançant l'argument que cette exécution serait une faute aussi grave que celle duDuc d'Enghien. Les condamnations pénales sont effacées par la loi d'amnistie de.
Les généraux putschistes encore vivants sont réintégrés dans l'armée (corps de réserve) en, par une loi d'amnistie. Avec le soutien du président du groupePierre Joxe, les 311 députés socialistes votent contre l'avis du gouvernement un amendement écartant du bénéfice de la loi les officiers ayant pris les armes contre la République. Le,Pierre Mauroy engage alors laresponsabilité du gouvernement sur ce texte contre lequel aucune motion de censure n'est déposée[48]. Les généraux amnistiés sont Raoul Salan et Edmond Jouhaud, ainsi que six généraux ayant joué des rôles moins importants :
Cet échec du putsch conclut le sursaut au grand jour de ceux qui, dans l'armée, sont partisans de l'Algérie française et s'opposent à la solution politique entreprise et, ce, au nom d'un engagement pris auprès des européens d'Algérie et des populations qui se sont engagées aux côtés de la France. Lesaccords d'Évian sont signés moins d'un an plus tard. Certains, militaires et civils, poursuivent une action clandestine avec l'OAS. Le général de Pouilly, resté légaliste, témoigne au procès deRaoul Salan :
« Monsieur le Président, j’ai choisi une direction tout à fait différente de celle du général Salan ; j’ai choisi la discipline ; mais choisissant la discipline, j’ai également choisi de partager avec mes concitoyens et la nation française la honte d’un abandon. Pour ceux qui n’ont pas pu supporter cette honte, peut-être l’histoire dira-t-elle que leur crime est moins grand que le nôtre[51]. »
Les opinions favorables aux thèses des tenants de l'Algérie française et la sympathie dont bénéficient les participants persistent dans l'armée et dans une partie de l'opinion publique de nombreuses années après[52]. Les laissés-pour-compte de ces évènements, et de ceux qui ont suivi, sont cités dans la proclamation initiale deChalle du :
« Voudriez-vous renier vos promesses, abandonner nos frères musulmans et européens, abandonner nos cadres, nos soldats, nos supplétifs musulmans à la vengeance des rebelles[24]. »
Le massacre desharkis et de leurs familles après l'indépendance est évalué à 60 000 à 80 000 victimes[53] et lerapatriement des Français d'Algérie concernera, selon les sources, de 400 000 à 800 000 personnes.
PourPierre Abramovici, le putsch est largement exploité par l'exécutif. Le général de Gaulle dramatise la situation afin de créer autour de sa personne un consensus populaire, près d'un million de personnes iront dans la rue pour le soutenir, dont les forces de gauche, et ainsi renforcer la « monarchie républicaine » qu'il souhaite mettre en place. Cette opinion, contredite par des éléments factuels, ne résume pas les conséquences du putsch[54]. L'armée modernisée, recentrée sur ses missions d'intervention et dotée de laforce de frappe quitte durablement la scène politique. La fin de la décolonisation libère la politique étrangère de la France. Fin avril, dans une lettre à son fils, de Gaulle énonce :« L'affaire d'Algérie crève un abcès qui, de toute manière, devait être vidé […] L'événement va, à cet égard, me permettre beaucoup de choses »[55].
Au niveau institutionnel, de Gaulle prend 25 décisions majeures grâce auxpleins pouvoirs conférés par l'article 16 de la Constitution de la Cinquième République française. À plus long terme, ce putsch et les attentats dont de Gaulle est l'objet lui donnent des arguments en faveur de la réforme institutionnelle de 1962 sur l'élection du président de la République ausuffrage universel[4].
production SUB-TIL SARL sub-til@wanadoo.fr