Sous laRome antique, lesprovinces, ouprovinciae en latin, sont des subdivisions territoriales hors d'Italie, sur lesquelles s'applique l'autorité militaire et civile d'un magistrat (gouverneur ayant rang de préteur ou de consul). Initialement, le terme deprovincia désigne de manière générale un territoire d'exercice et de compétence d'un magistrat particulier pour des sujétions particulières. Au cours de la conquête romaine du pourtour méditerranéen, le sens du mot glisse pour signifier par métonymie l'étendue territoriale sur laquelle le magistrat exercera son autorité.
Elles apparaissent pendant lesguerres puniques, au moment où laRépublique romaine s'étend hors de la péninsule italienne, et le nombre de provinces romaines ne cesse alors d'augmenter. À la fin de la République comme sous le Haut Empire, les provinces sont les plus grandes divisions administratives du territoire. Leur nombre atteint la quarantaine sous lesSévères.Dioclétien, sous latétrarchie, réforme profondément l'administration territoriale de l'Empire, en multipliant le nombre de provinces et en créant une entité supérieure aux provinces, lesdiocèses.
Le termeprovincia (pl.provinciae) désigne au début de larépublique romaine le domaine de responsabilité que leSénat romain attribue à unmagistrat romain (unconsul ou unpréteur) détenteur de l'imperium, ce qui couvre des domaines variés : conduite d'une campagne militaire contre un ennemi désigné en Italie ou hors d'Italie, juridiction civile du préteur urbain, tâche administrative comme la surveillance des forêts et des voies de transhumance. Pour lesprovinciae qui concernent un territoire extérieur à l'Italie, où il faut faire la guerre ou qu'il faut gouverner, le motprovincia par un glissement progressif de sens vient à désigner ce territoire lui-même[1].
Laprovincia ne peut donc être qu'une circonscription réduite : lesgouverneurs de provinces exercent chacun leurimperium sur leur province ; ils ne peuvent amener leur armée dans une autre province[2], à moins d'en recevoir l'ordre. Au cours de la conquête romaine, les territoires d'exercice de ces magistrats prétoriens ou consulaires vont se fixer en fonction des enjeux diplomatiques, géopolitiques et militaires contemporains, devenant à proprement parler des districts plus ou moins permanents, dotés d'institutions de gestion de plus en plus fixes. C'est sous ce sens qu'est resté employé le terme de province romaine dans l'historiographie.
À partir de227 av. J.-C., le termeprovincia prend le sens d'un commandement hors de l'Italie puis celui de la possession de territoires hors de la péninsule[réf. nécessaire]. Chaque province est organisée en vertu d'uneLex provincialis, proposée par le général romain victorieux. Cette loi détermine le fonctionnement administratif et judiciaire de la province et fixe le statut des diverses communautés et cités qui y sont implantées[3].
Dans un premier temps, le gouvernement est attribué à unpréteur élu par le peuple romain, pour un an. Ensuite sont nommés gouverneurs des magistrats sortis de charge, pour lesquels sont créées lespromagistratures :propréteurs etproconsuls.
AuIIe siècle av. J.-C., et ce depuis une législation deCaius Gracchus, le Sénat devait chaque année désigner, avant les élections consulaires, les provinces que les consuls de l'année suivante se verraient attribuer pour leurs proconsulats[4]. Parmi lesprovinciae confiées à des préteurs, trois au moins concernent des fonctions judiciaires à Rome : laiurisdictio urbana, laiurisdictio peregrina et laquaestio repetundarum[5]. Les autres préteurs pouvaient se voir confier commeprovincia l'une des provinces alors contrôlées par Rome, ou une mission hors de Rome, telle qu'une intervention militaire. Le Sénat désignait les sixprovinciae prétoriennes à répartir entre les six préteurs de l'époque, répartition qui se faisait ensuite par tirage au sort[6]. Les gouvernements de province restés vacants à la suite des deux décisions sénatoriales concernant les futurs consuls et les préteurs en charge étaient ensuite confiées à d'anciens magistrats, dont l'imperium était prorogé[7].
En81 av. J.-C.,Sylla restreint les gouvernements provinciaux aux seuls promagistrats, tandis que le nombre depréteurs, et donc de propréteurs est relevé à 8[8].
La fonction de promagistrat n'est pas directement rémunérée, mais elle rapporte néanmoins de l'argent, notamment par les cadeaux des notables de la province, spontanés ou sollicités (concussion). Des abus sont commis et donnent lieu à des procès comme celui desSiciliens contreVerrès, ou à des révoltes comme enAsie.
Les sources nous donnent beaucoup de profils de gouverneurs, du prévaricateur sanglant (Verrès) au justicier honorable (Mucius Scaevola). Rome a un réel contrôle sur les gouverneurs, par le nombre de procès auxquels ils doivent faire face. De très fréquentes poursuites judiciaires sont menées. Les gouverneurs envoient des rapports fréquents sur ce qui se passe dans la province. Les élites locales relayent leurs plaintes via le réseau de clientèle. Les gouverneurs sont très surveillés.
En établissant ce système de provincialisation, Rome montre sa supériorité devant les autres puissances de la Méditerranée mais aussi sa modernité. Un article web (Rome et l’Occident : seize provinces en quête d’histoires[9]) parle de « techniques romaines de gouvernement » pour prendre conscience de cette supériorité.
Sous la République romaine, les provinces sont soit gouvernées par despropréteurs, soit par desproconsuls. Certaines provinces comme l'Asie et l'Afrique particulièrement riches sont très convoitées. L'attribution relève de l'autorité du Sénat, qui procède le plus souvent par tirage au sort. À partir de123 av. J.-C., les provinces consulaires devaient être tirées au sort avant l'élection, pour prévenir toute manœuvre politique[10]. Ainsi,Cicéron se vit attribuer pour son proconsulat laMacédoine, qu'il céda à son collègue consul, puis laCilicie.
La région de Pamphylie est donnée par les Romains au royaume dePergame en En,Attale III dePergame lègue à Rome ses terres qui deviennent province romaine.Marc Antoine cède en partie la Pamphylie auGalateAmyntas et elle ne redevient province romaine qu'à la mort de celui-ci.
AuIIe siècle av. J.-C., la Cilicie devient un bastion de pirates, et pour contrer cette menace, Rome en fait une de ses provinces. Cependant, les pirates ne sont éliminés qu'en, après une campagne dePompée.
Ces terres sont romaines depuis plus d'un siècle mais la province n'est créée qu'en, puis incluse en/ dans l'Italie (région à statut spécial), dont elle forme lesregionesX etXI.
Elle est offerte à Rome avec le testament deNicomède IV et est rattachée à la province d'Asie. En 63, elle sera associée avec le Pont pour former la province de Bithynie et Pont.
LaCrète est annexée entre et, et est associée à la Cyrénaïque.Jules César la sépare de la Cyrénaïque puisMarc Antoine réunit à nouveau les deux régions avant de céder quelques années plus tard une partie de l'île àCléopâtre VI. AprèsActium, les deux provinces sont définitivement réunies[11],[12],[13].
La province est organisée par Pompée à partir de laBithynie (Nicomède IV lègue à Rome par testament en 74 son royaume reconstitué quelques années plus tôt grâce aux légions romaines) et duPont (à la suite de la défaite deMithridate).
La "Nouvelle Afrique" est une province éphémère, créée parJules César et à nouveau rattachée à l'Afrique proconsulaire parAuguste. Elle couvre la partie occidentale de la province d'Afrique, ainsi qu'une partie de laNumidie.
Sous lePrincipat d'Auguste, le, les provinces sont partagées entre l'empereur et leSénat, en provinces impériales (provinciæ Cæsaris) et provinces sénatoriales (provinciæ Senatus et populi), selon un découpage analysé parStrabon, contemporain de l'opération[15],[16].
Au fil des conquêtes territoriales et des découpages des provinces, les nouvelles provinces sont réparties entre ces deux autorités. Le Sénat se voit traditionnellement attribuer les provinces pacifiées anciennement, ce qui ménage ses prérogatives. L'empereur, détenteur du pouvoir militaire (imperium majus) se réserve les provinces situées aux frontières de l'Empire qui nécessitent la présence des légions, et les territoires pauvres ou mal soumis[16]. Il arrive plusieurs fois que des provinces changent d'attribution : ainsi, laBétique, d'abord confiée à l'empereur, est rétrocédée au peuple romain vers/
LaLex provincialis, définie par province lors de la République, reste en vigueur sous l'Empire. À ce règlement s'ajoute au fil du temps les décisions du gouverneur et de l'empereur, la mise à jour donne laformula provinciae, qui actualise le statut des communautés. Laformula récapitule aussi les chiffres des recensements locaux, qui servent à l'assiette de l'impôt, et les principaux textes législatifs des cités[3].
Provinces du peuple romain (dites « sénatoriales »)
Les provinces qu'Auguste ne s'attribue pas en sont souvent appelées « sénatoriales », car de fait leur gestion dépend essentiellement du Sénat. L'appellation officielle et appropriée est en réalité celle de « provinces du peuple romain », le Sénat ne représentant que l'élite de l'ensemble des citoyens. En ces provinces sont pacifiées, dépourvues de légions, leur sécurité étant assurée par leglacis des nouvelles provinces impériales. Seule l'Afrique fait exception, gardant une légion dans la province d'Afrique proconsulaire[17].
La gestion des provinces du peuple romain reste celle qui s'exerçait pendant la République. Leurs gouverneurs sont despromagistrats (c'est-à-dire d'anciens magistrats supérieurs, toujours sénateurs) nommés pour un an par le Sénat et portant le titre deproconsul ou depropréteur. Le titre de proconsul est uniquement destiné à deux provinces sénatoriales, l'Afrique et l'Asie car elles sont plus riches. Le prestige de ces deux provinces, ainsi que les grandes possibilités d'enrichissement qu'elles représentent, en faisaient des postes de fin de carrière par excellence : le gouvernement de l'Afrique ou de l'Asie s'obtient au moins dix ans après unconsulat, et il s'agit du sommet de la carrière d'un sénateur, tandis que les autres provinces sénatoriales sont attribuées au moins cinq ans après la préture[17].
Les autres provinces sont dirigées par des sénateurs portant le titre de propréteur, c'est-à-dire la Bétique, la Gaule Narbonnaise, la Corse, la Sardaigne, la Sicile, l’Achaïe, la Macédoine, la Crète, la Cyrène, la Bithynie et Chypre.
L'attribution de ces provinces se fait par tirage au sort au Sénat, en principe car des témoignages indiquent le contrôle de l'empereur sur le tirage au sort, et la nécessité de son approbation sur les nominations.
Le gouverneur est aidé par unquesteur, sénateur de rang questorien, et par un ou plusieurslégats de rang questorien ayant rempli une ou deux magistratures mineures, ou de rang prétorien sortant de sa charge et par unaccensus, affranchi qui est son secrétaire personnel. Le questeur gère l'administration financière de la province, encaisse les recettes fiscales, paie les dépenses et envoie le surplus dans la caisse sénatoriale, l'ærarium Saturni. Le légat est choisi par le proconsul ou le propréteur parmi ses familiers, et le seconde dans l'exercice de la justice. Dans les provinces importantes comme l'Asie, le proconsul peut s'adjoindre trois légats[17].
L'empereur désigne néanmoins desprocurateurs dans ces provinces, pour la gestion de ses domaines personnels, la perception de certains impôts et la direction des mines.
La province deThrace est créée en46 lorsque le dernier royaume thrace indépendant est annexé à la mort du roiRoemetalkès III. D'abord confiée à des procurateurs gouverneurs, et donc « province sénatoriale », la province de Thrace est ensuite confiée à des légats prétoriens.
La province deBithynie-Pont devient province impériale en135.
Ces dernières, mal soumises ou situées aux frontières de l'Empire, possèdent des garnisons ou des armées complètes, et les gouverneurs y représentent l'empereur. L'attribution des provinces aux divers légats se fait selon le bon vouloir de l'empereur, mais respecte néanmoins certaines usages :
Le mandat du gouverneur n'a pas de durée définie, et l'empereur peut l'abréger ou le prolonger à sa guise. On observe cependant que la durée habituelle à la tête d'une province est de trois ans au plus[19].
Dans les provinces les plus importantes, en particulier dans les plus riches ou dans celles qui disposent de troupes importantes, le gouverneur est un sénateur et porte le titre de légat d'Auguste. Les provinces qui ne disposent que d'une seule légion sont gouvernées par unlégat d'Auguste de rang prétorien (c'est le cas dans les trois provinces desGaules ou enLusitanie) ; tandis que les provinces disposant de deux légions ou plus sont gouvernées par un légat propréteur de rang consulaire (c'est le cas dans les deux provinces deGermanie inférieure etGermanie supérieure ou dans lesPannonie)[19]. Ces dernières sont plus prestigieuses.
Les provinces de petite taille, considérées comme moins importantes et moins romanisées, qui ne comptent pas de légions mais uniquement descorps auxiliaires, sont gouvernées par un chevalier, portant jusque sousClaude le titre depréfet, et par la suite celui deprocurateur. Ces provinces sont donc dites de rang procuratorien ou équestre (c'est par exemple le cas pour leNorique ou laRhétie, du moins pendant la plus grande partie du Haut-Empire). Contrairement aux sénateurs, le préfet ou procurateur équestre ne possède pas leius gladii (droit de vie et de mort sur des citoyens romains), sauf autorisation de l'empereur[20].
L'Égypte représente un cas à part : depuisActium (), elle est considérée comme un domaine personnel de l'empereur[21]. Elle est gouvernée par un préfet de rang équestre (préfet d'Égypte), à la fois gouverneur et commandant en chef des légions. Les sénateurs sont interdits d'accès à l'Égypte.
Il arrive fréquemment que des provinces impériales changent de rang, en particulier au gré des besoins militaires : ainsi leNorique, province procuratorienne, devient province prétorienne à une légion en169, sous le règne deMarc Aurèle.
Le découpage administratif des provinces se complète par l’organisation des réseaux indispensables pour les communications : tracé de nouvellesvoies romaines, création sousAuguste d’un réseau deposte impériale (cursus publicus). Enfin, les empereurs aménagent ces territoires par de nombreuses fondations decolonies.
À noter aussi la présence en Asie de l'Empire romain en Arménie, pays vassal ou sous influence de Rome, en fonction des époques. L'Arménie deviendra le premier État chrétien de l'histoire.
La création de nouvelles provinces peut se faire de deux manières : par conquête (par exemple celle de laBretagne à partir du règne deClaude) ou par démembrement de provinces existantes (par exemple le démembrement de laMésie sousDomitien).
AprèsSeptime Sévère, il n'y a plus de création de province par conquête, les créations se font par démembrement de provinces existantes. Ainsi Septime Sévère scinde en deux les provinces qui ont les armées les plus puissantes (trois légions) : laSyrie et laBretagne. Il crée également les provinces d'Osroène (195) et deMésopotamie (198) à la suite des expéditions militaires qu'il conduit en Orient et qui l'amènent à prendre la capitale desParthes,Ctésiphon, le.
Le système des provinces sénatoriales et impériales forme un cadre administratif relativement léger, où les cités provinciales jouissent d'une autonomie assez large. Suffisant lorsque lapax romana règne, il se révèle problématique lors de lacrise du troisième siècle : la fiscalité et le ravitaillement des troupes doivent augmenter leur rendement, et d'autre part les représentants du Sénat ne montrent pas, à quelques exceptions près, l'ardeur et la compétence militaire attendue face aux barbares. Comme bien des réformes romaines, l'évolution est pragmatique et progressive :
Gallien (260-268) limite de plus en plus l’accès des sénateurs aux postes de légat de province impériale, et leur enlève le commandement des légions. Leslegati Augusti,proconsuls oupropréteurs, sont de plus en plus remplacés par desvice praeses, de rang équestre.
En275,Tacite, nommé empereur par leSénat romain, inverse la tendance et redonne aux sénateurs le droit de diriger des provinces impériales commeproconsul.
En282,Carus reprend la politique de Gallien excluant les sénateurs des gouvernements provinciaux.
Dioclétien procède à une réorganisation complète du système provincial :
Il sépare complètement l'administration civile, confiée à un gouverneur civil, et le commandement militaire, attribué à undux ou à uncomes, tous deux dépendants de l'empereur et non plus du Sénat.
Il subdivise les provinces en unités plus petites, doublant presque leur nombre qui dépasse 100.
Le système administratif de Dioclétien est enfin organisé selon un schéma à trois niveaux :
Au niveau le plus bas, les provinces.
Au niveau intermédiaire, lesdiocèses, au nombre de 12, regroupant les provinces.
L'administration impériale se rapproche du terrain, au prix d'une explosion du nombre de ses fonctionnaires.
Les provinces sont confiées, pour ce qui concerne l'administration civile, soit à un consulaire (sénateur ancien consul), soit à unpraeses (chevalier). Quelques provinces sont sous l'autorité d'uncorrector de rang moindre. Quelques-unes conservent une administration essentiellement militaire, les fonctions decomes ou dedux et depraeses étant confondues. Enfin, trois provinces (l'Afrique, l'Asie et l'Achaïe) sont laissées sous une administration proconsulaire dépendant du Sénat : à ce titre, elles sont de fait situées en dehors des diocèses. Rome quant à elle (avec ses environs immédiats) reste sous l'autorité du préfet de la Ville, sénateur de rang consulaire.
AgnèsBérenger-Badel, « Formation et compétences des gouverneurs de province dans l'Empire romain »,Dialogues d'histoire ancienne,vol. 30,no 2,,p. 35-56(lire en ligne)
Jean-MarieBertrand, « À propos du mot provincia : Étude sur les modes d'élaboration du langage politique »,Journal des savants,nos 3-4,,p. 191-215(lire en ligne)
Jean-LouisFerrary, « Recherches sur la législation de Saturninus et de Glaucia »,Mélanges de l’École française de Rome. Antiquité,t. 89,no 2,,p. 619-660(lire en ligne, consulté le)