Le projet Manhattan commença modestement en 1939 mais il finit par employer plus de 130 000 personnes et coûta près de deux milliards de dollars américains en 1945, soit 1 % duPIB américain cette année-là. Plus de 90 % des frais furent consacrés à la construction des usines et à la production desmatériaux fissiles et moins de 10 % au développement et à la fabrication des armes comportant les matières explosives. Les travaux de recherche et de production se déroulèrent sur plus de trente sites, certains étant secrets, aux États-Unis, au Royaume-Uni et au Canada. À la suite de ceux-ci, deux modèles d'armes furent développés durant la guerre. Dans le premier modèle, dit de type canon, un bloc d'uranium était projeté sur un autre pour déclencher uneréaction en chaîne. Les blocs étaient composés d'uranium 235, unisotope comptant pour 0,7 % de l'uranium naturel. Comme il était chimiquement similaire à l'isotope le plus abondant, l'uranium 238, et avait presque la même masse, la séparation des deux isotopes fut difficile. Trois méthodes furent employées pourenrichir l'uranium : laséparation électromagnétique, ladiffusion gazeuse et ladiffusion thermique. L'essentiel de ces opérations fut réalisé aulaboratoire national d'Oak Ridge dans leTennessee.
En parallèle des travaux sur l'uranium, des recherches furent menées pour produire duplutonium. Des réacteurs furent construits aulaboratoire national de Hanford dans l'État de Washington pour irradier l'uranium et letransmuter en plutonium. Ce dernier était ensuite séparé chimiquement de l'uranium. Le principe du canon employé pour le premier modèle d'arme ne pouvait pas être utilisé avec le plutonium et un modèle plus complexe fut développé dans lequel la réaction en chaîne était déclenchée par l'implosion du cœur de l'arme. Les travaux de conception et de fabrication des composants furent menés aulaboratoire national de Los Alamos dans leNouveau-Mexique. L'arme au plutonium fut testée pour la première fois lors de l'essaiTrinity réalisé le àAlamogordo au Nouveau-Mexique. Les bombesLittle Boy à l'uranium etFat Man au plutonium furent respectivement utilisées lors desbombardements atomiques d'Hiroshima et de Nagasaki.
Le projet Manhattan était étroitement contrôlé et hautement secret mais des espionssoviétiques parvinrent à s'infiltrer dans le programme. Il fut également chargé de rassembler des informations sur lesrecherches atomiques allemandes et, dans le cadre de l'opération Alsos, des personnels du projet Manhattan servirent en Europe, parfois derrière les lignes ennemies, pour rassembler des matériels de recherche et des scientifiques allemands. Dans l'immédiat après-guerre, le projet réalisa des essais sur l'atoll de Bikini dans le cadre de l'opération Crossroads, développa de nouvelles armes, promut le réseau deslaboratoires nationaux du département de l'Énergie des États-Unis, soutint la recherche médicale dans le domaine de laradiologie et posa les bases de lapropulsion nucléaire navale. Il conserva le contrôle de la recherche et de la production des armes nucléaires américaines jusqu'à la formation de laCommission de l'énergie atomique des États-Unis en.
Écusson d'épaule qui fut adopté par le Manhattan District en 1945.Emblème non officiel du projet Manhattan.
En, les physiciensLeó Szilárd etEugene Wigner rédigèrent lalettre Einstein-Szilárd adressée au président américainFranklin Delano Roosevelt pour l'avertir que des travaux scientifiques récents permettaient d'envisager la réalisation de« bombes d'un nouveau type et extrêmement puissantes » en déclenchant uneréaction en chaîne avec de grandes quantités d'uranium. Certains indices laissaient penser que l'Allemagne pouvait être parvenue aux mêmes conclusions. Les rédacteurs de la lettre suggéraient que les États-Unis acquissent des stocks de minerai d'uranium dans le but d'accélérer les travaux de recherche sur la réaction en chaîne menés jusque-là, entre autres parEnrico Fermi. Pour lui donner plus de poids, la lettre avait été finalisée et signée parAlbert Einstein[1]. Roosevelt demanda àLyman James Briggs duNational Institute of Standards and Technology de diriger uncomité consultatif pour l'uranium chargé d'étudier les questions soulevées par la lettre[2]. Briggs organisa une réunion le à laquelle participèrent Szilárd, Wigner et le physicienEdward Teller. En novembre, le comité informa Roosevelt que l'uranium« pourrait être la source possible de bombes avec une puissance de destruction largement supérieure à tout ce que nous connaissons[3] ». Briggs propose alors que leNational Defense Research Committee (NDRC, « Commission nationale de recherche pour la défense ») dépense 167 000 $ dans des recherches sur l'uranium, en particulier sur l'uranium 235 et sur leplutonium (découvert en 1940)[4]. Le, Roosevelt signa l'ordre exécutif 8807 créant l'Office of Scientific Research and Development (OSRD, « Bureau de recherches et de développement scientifiques »)[5] avecVannevar Bush à sa tête. Le bureau était autorisé à mener des projets d'ingénierie de grande taille en plus de ses travaux de recherches[4]. Le comité du NDRC sur l'uranium devint le comité S-1 de l'uranium de l'OSRD mais le terme « uranium » fut rapidement supprimé pour des raisons de sécurité[6].
En Grande-Bretagne,Otto Frisch etRudolf Peierls de l'université de Birmingham avaient réalisé une grande avancée en déterminant lamasse critique de l'uranium 235 en[7],[note 1]. Leurs calculs indiquaient qu'elle se trouvait dans unordre de grandeur de 10 kg, ce qui était suffisamment léger pour réaliser une bombe pouvant être transportée par un bombardier de l'époque[8]. Leurmémorandum de mars 1940 fut le point de départ du projet de recherche nucléaire britannique et de sacommission MAUD[9] qui recommanda à l'unanimité la poursuite du développement d'unebombe atomique[8]. L'un de ses membres, le physicien australienMarcus Oliphant, fut envoyé en mission aux États-Unis à la fin du mois d'août 1941 dans le but de connaître l'état de la recherche[10]. Il découvrit que les informations concernant la faisabilité d'une bombe atomique, pourtant transmises au gouvernement américain en, n'étaient pas parvenues jusqu'aux physiciens américains les plus importants. Briggs avait reçu le rapport, mais n'avait transmis aucune information aux autres membres du comité, ne croyant qu'aux possibilités d'utilisation civile de l'uranium[11]. Oliphant rencontra le comité S-1 et visita lelaboratoire de Berkeley où il exposa les découvertes des scientifiques anglais àErnest Orlando Lawrence. Très impressionné, ce dernier commença immédiatement à mener ses propres recherches sur l'uranium. Oliphant en parla ensuite au chimisteJames Bryant Conant, au physicienArthur Compton et au physicien George Braxton Pegram. Ces scientifiques américains étaient à présent conscients du potentiel de la bombe atomique[12],[13].
Le, au cours d'une réunion à laquelle participaient Vannevar Bush, le vice-présidentHenry Wallace et le président Roosevelt, ce dernier approuva le lancement du programme atomique. Pour le contrôler, il créa un comité stratégique composé de lui-même — même s'il n'assista à aucune réunion —, de Wallace, de Bush, de Conant, du secrétaire à la GuerreHenry Lewis Stimson et du chef d'état-major de l'armée, le généralGeorge Marshall. Roosevelt confia le projet à l'armée de terre plutôt qu'à lamarine car la première avait une plus grande expérience dans la gestion de programmes importants. Il donna également son accord pour que les efforts de recherche soient coordonnés avec ceux des Britanniques et, le, il envoya un message au premier ministreWinston Churchill, suggérant qu'ils s'informent mutuellement des questions atomiques[14].
Parallèlement deux filières pour la technologie desréacteurs nucléaires était étudiées :Harold Clayton Urey poursuivait ses travaux sur l'eau lourde à l'université Columbia tandis qu'Arthur Compton avec son équipe de chercheurs de l'université Columbia et de l'université de Princeton s'installa à l'université de Chicago, où il fonda leMetallurgical Laboratory début 1942 pour étudier leplutonium et les réacteurs utilisant legraphite en tant quemodérateur[18]. Briggs, Compton, Lawrence, Murphree et Urey se rencontrèrent le pour finaliser les recommandations du comité S-1 qui demandaient la poursuite des recherches sur les cinq technologies. Cette décision fut approuvée par Bush, Conant et lebrigadier-général Wilhelm D. Styer, le chef d'état-major du major-généralBrehon Burke Somervell qui avait été désigné par les représentants de l'armée pour superviser les questions atomiques[16]. Bush et Conant présentèrent alors ces recommandations au Comité Stratégique avec une demande budgétaire de54 millions de dollars pour les constructions devant être réalisées par leCorps du génie de l'armée des États-Unis, de31 millions pour les recherches menées par l'OSRD et de5 millions pour les frais imprévus de l'année fiscale 1943. Le Comité Stratégique présenta le rapport au président qui l'approuva le en écrivant « OKFDR » sur le document[16].
Il restait encore de nombreux facteurs inconnus. Les propriétés de l'uranium 235 pur et du plutonium, un élément découvert en 1940 parGlenn Theodore Seaborg et son équipe, étaient encore relativement inconnues. Les scientifiques de la réunion à Berkeley envisagèrent de créer du plutonium dans des réacteurs nucléaires où l'uranium 238 absorberait des neutrons émis par la fission des noyaux d'uranium 235. À ce moment, aucun réacteur n'avait été construit et le plutonium n'avait été produit qu'en quantités très limitées par lescyclotrons[22]. Même en, seuls deux milligrammes avaient été produits[23]. Il existait de nombreuses manières de disposer la matière fissile pour obtenir une masse critique. La plus simple était de projeter un « bloc cylindrique » dans une sphère de « matière active » avec un matériau dense qui concentrerait les neutrons vers l'intérieur pour maintenir la cohésion de la masse active et accroître son efficacité[24].Richard Tolman suggéra d'utiliser dessphéroïdes pour déclencher une forme primitive d'« implosion » et on envisagea la possibilité d'uneréaction autocatalytique qui accroîtrait l'efficacité de la bombe alors qu'elle explosait[25].
Considérant que le concept d'une bombe à fission était théoriquement validé, du moins jusqu'à avoir obtenu plus de données expérimentales, la conférence de Berkeley se tourna alors dans une direction nouvelle. Edward Teller lança la discussion sur une bombe encore plus puissante, la « super », aujourd'hui appelée « bombe à hydrogène », qui utiliserait la puissance explosive d'une bombe à fission pour déclencher une réaction defusion nucléaire avec dudeutérium et dutritium[26]. Teller présenta de nombreux schémas mais Bethe les rejeta tous. L'idée de la fusion fut mise de côté pour se concentrer sur la production de bombes à fission[27]. Teller mentionna également la possibilité qu'une bombe atomique n'« enflamme » l'atmosphère du fait d'une réaction de fusion hypothétique des noyaux d'azote[note 2]. Bethe calcula que cela n'était pas possible[29] et un rapport coécrit par Teller montra qu'« aucune chaine incontrôlée de réactions nucléaires n'était susceptible de démarrer[30] ». Dans le récit de Serber, Oppenheimer mentionna l'idée à Arthur Compton qui« n'eut pas assez de bon sens pour la fermer à ce sujet. Cela fut d'une manière ou d'une autre écrit dans un document qui fut envoyé à Washington » et qui« ne fut jamais enterré[note 3] ».
Le chef des ingénieurs, le major-général Eugene Reybold, nomma lecolonel James C. Marshall pour superviser la partie militaire du projet en. Marshall créa un bureau de liaison à Washington, D.C. mais il installa son quartier-général temporaire au18e étage du270 Broadway à New York d'où il pourrait recevoir le soutien administratif de la division Nord-Atlantique ducorps du génie. Il était à proximité du bureau de Manhattan de la firme de génieStone & Webster[note 4], le principal maître d'œuvre du projet, et de l'université Columbia. Il eut la permission de recruter au sein de son ancien commandement, le Syracuse District, et il engagea lelieutenant-colonel Kenneth Nichols qui devint son adjoint[32],[33].
Comme la plupart de ses missions impliquaient des travaux de construction, Marshall travailla en coopération avec le directeur de la division construction du corps des ingénieurs, le major-général Thomas M. Robbins et son adjoint, le colonelLeslie Richard Groves. Reybold, Somervell et Styer décidèrent de nommer le projet« Development of Substitute Materials » (« Développement de matériaux de substitution ») mais Groves jugea que cela attirerait l'attention. Comme les districts des ingénieurs portaient habituellement le nom de la ville où ils se trouvaient, Marshall et Groves acceptèrent de nommer la partie militaire du projet le« Manhattan District ». Cela devint le nom officiel le lorsque Reynold délivra l'ordre créant le nouveau district. À la différence des autres entités du corps des ingénieurs, il n'avait aucune limite géographique et Marshall avait l'autorité d'un ingénieur de division. Le nom de Development of Substitute Materials resta le nom de code officiel de l'ensemble du projet mais il fut progressivement supplanté par « Manhattan[33] ».
Marshall concéda plus tard qu'« il n'avait jamais entendu parler de la fission atomique mais qu'il savait que l'on ne pouvait pas construire une usine, et encore moins quatre, avec 90 millions de dollars[34] ». Une seule usine deTNT que Nichols avait récemment construite en Pennsylvanie avait coûté128 millions de dollars[35]. Ils furent également décontenancés par les estimations d'ordre de grandeur du projet que Groves compara à demander à un traiteur de préparer un banquet pour entre dix et mille convives[36]. Une équipe de la firme Stone & Webster avait déjà exploré un site pouvant accueillir les usines de production. LeWar Production Board recommanda des sites autour deKnoxville dans leTennessee, une zone isolée où laTennessee Valley Authority pouvait fournir d'importantes quantités d'électricité et où l'eau des rivières pouvait permettre de refroidir les réacteurs. Après avoir examiné plusieurs sites, l'équipe d'étude sélectionna un site près d'Elza dans le Tennessee. Conant conseilla de l'acquérir immédiatement et Styer accepta mais Marshall temporisa en attendant les résultats des expériences de Conant sur les réacteurs[37]. Parmi les pistes de recherche, seule la technique de séparation électromagnétique de Lawrence semblait suffisamment avancée pour justifier la construction[38].
Marshall et Nichols commencèrent à rassembler les ressources nécessaires. La première étape était d'obtenir une haute priorité pour le projet. Les rangs allaient de AA-1 à AA-4 en ordre décroissant de priorité ; il existait également un rang AAA réservé aux urgences. Les rangs AA-1 et AA-2 étaient appliqués aux armements et aux équipements essentiels. Le colonelLucius D. Clay, l'adjoint du chef d'état-major du Service of Supply (« Service du ravitaillement ») pour les ressources et les équipements, estima que le plus haut rang qu'il pouvait assigner était AA-3. Il était néanmoins disposé, en cas de besoin, à accorder la priorité AAA aux demandes concernant des matériaux critiques[39]. Nichols et Marshall étaient déçus car l'usine de production de TNT de Nichols en Pennsylvanie avait également le rang AA-3[40].
Vannevar Bush fut déçu par l'incapacité du colonelJames C. Marshall(en) à faire avancer efficacement le programme, en particulier la non-acquisition du site du Tennessee, la faible priorité accordée au projet par l'armée et l'emplacement de son quartier-général à New York[42]. Bush sentit qu'une direction plus énergique était nécessaire et il évoqua ses inquiétudes à Harvey Bundy et aux généraux Marshall, Somervell et Styer. Il voulait placer le projet sous la direction d'un comité expérimenté avec un officier prestigieux à sa tête[40].
Somervell et Styer choisirent Groves pour le poste et l'informèrent le de la décision. Groves détenait en effet l'expérience et les compétences qui cadraient avec la mission. Il venait de superviser la construction duPentagone,« le plus important immeuble de bureaux au monde », et bien qu'il ait des défauts importants,« imbu de lui-même, brusque à l'extrême dans ses manières et dans ses propos », il savait se montrer à la hauteur des tâches difficiles, était tenace, intelligent et capable de travailler de façon autonome[43]. Le général Marshall ordonna qu'il soit promu au grade de général de brigade[44] car on considérait que le titre de « général » lui accorderait une plus grande autorité sur les scientifiques du projet Manhattan[45]. Les ordres de Groves le plaçaient directement sous l'autorité de Somervell plutôt que sous celle de Reybold et le colonel Marshall était maintenant directement responsable devant Groves[46]. Groves installa son quartier-général à Washington, D.C. au5e étage duNew War Department Building où le colonel Marshall avait installé son bureau de liaison[47]. Il prit ses fonctions de commandant du projet Manhattan le. Plus tard dans la journée, il participa à une réunion organisée par Stimson, qui établit un comité militaire, responsable devant le Comité Stratégique, composé de Bush (avecConant en alternance), Styer et lerear amiral William R. Purnell[44].Tolman et Conant furent ensuite nommés en tant que conseillers scientifiques de Groves[48].
Le, Groves rencontra Donald M. Nelson, le président duWar Production Board, pour pouvoir disposer d'une plus large autonomie dans la décision d'accorder un rang AAA à chaque fois que cela était nécessaire. Nelson était initialement réticent mais céda après que Groves eut menacé de faire appel au président des États-Unis[49]. Groves promit de n'utiliser le rang AAA qu'en cas de nécessité. Il apparut par la suite qu'AAA était trop élevé pour les besoins routiniers du projet et qu'AA-3 était trop faible. Après avoir exercé régulièrement des pressions, Groves reçut l'autorisation d'utiliser AA-1 le[50].
L'un des premiers problèmes de Groves était de trouver un directeur pour le projet Y, le groupe chargé de concevoir et de construire la bombe. Les directeurs des trois laboratoires,Urey,Lawrence ouCompton étaient des candidats parfaitement adaptés mais ils ne pouvaient pas être détachés de leur poste actuel. Compton recommandaOppenheimer, qui maitrisait déjà bien les principes de conception de la bombe. Cependant, Oppenheimer avait peu d'expérience administrative et, à la différence d'Urey, de Lawrence et de Compton, il n'avait pas reçu deprix Nobel, ce que de nombreux scientifiques considéraient comme indispensable pour le responsable d'un laboratoire aussi important. On s'inquiétait également des relations d'Oppenheimer car beaucoup de ses associés étaientcommunistes de même que son frère,Frank Oppenheimer, son épouse, Kitty et sa petite amie, Jean Tatlock. Une longue conversation durant un déplacement en train en convainquit Groves et Nichols qu'Oppenheimer avait complètement compris les problèmes liés à la création d'un laboratoire dans une région isolée et qu'il devait être placé à sa tête. Groves décida de passer outre aux exigences de sécurité et autorisa la nomination d'Oppenheimer le[51],[52].
Sous Groves, le colonel Kennet Nichols a été nommé « Manhattan Engineer District Engineer » et le majorCharles Vanden Bulck a continué en tant que directeur administratif et d'approvisionnement[53].
Les Britanniques et les Américains échangèrent des informations sur le nucléaire mais ne mirent initialement pas en commun leurs efforts. Le Royaume-Uni refusa les propositions de Bush et de Conant en 1941 visant à renforcer la coopération avec son propre projet,Tube Alloys[54]. Cependant, il ne disposait pas des ressources et de la main d'œuvre des États-Unis et, malgré son avance initiale, le projet Tube Alloys prit du retard sur son homologue américain. Le, SirJohn Anderson, le ministre responsable du projet, confia àWinston Churchill que« Nous devons faire face au fait que… [nos] travaux pionniers… sont un atout éphémère et, si nous ne capitalisions pas rapidement, nous serons dépassés. Aujourd'hui, nous pouvons apporter une contribution à un projet commun. Bientôt nous aurons peu ou pas de choses à offrir[55] ».À ce moment, la position britannique s'était détériorée. Bush et Conant avaient décidé que les États-Unis n'avaient plus besoin d'aide extérieure ; d'autres membres du comité sur la bombe voulaient empêcher que le Royaume-Uni dispose de la capacité de fabriquer une bombe atomique dans l'après-guerre. Le comité proposa de réduire les échanges d'informations avec le Royaume-Uni, même si cela devait ralentir le projet américain, et le président Roosevelt accepta l'idée. Le transfert d'information diminua ; Bush et Conant indiquèrent aux Britanniques que l'ordre venait « d'en haut ». Début 1943, constatant que les membres du projet américain ne fournissaient plus de données, les Britanniques arrêtèrent d'envoyer des scientifiques et d'envoyer les résultats de leurs recherches aux États-Unis. Les Britanniques envisagèrent de mettre un terme à la fourniture d'eau lourde et d'uranium canadien pour pousser les Américains à reprendre les échanges mais leCanada avait besoin de l'aide américaine pour les produire[56]. Ils envisagèrent également de lancer un programme nucléaire indépendant mais ce dernier ne pourrait pas être terminé à temps pour infléchir le cours de la guerre en Europe[57].
En,Conant estima que l'aide britannique profiterait à certains aspects du projet. L'équipe chargée de la conception de la bombe à Los Alamos indiqua qu'elle aurait besoin deJames Chadwick et de quelques autres scientifiques britanniques importants malgré le risque de dévoiler les plans secrets de la bombe[58]. En,Churchill etRoosevelt se rencontrèrent lors de laconférence de Québec et relancèrent la coopération[59]. Le Royaume-Uni accepta néanmoins que certaines informations concernant la construction des grandes usines nécessaires à la fabrication de la bombe ne lui soit pas communiquées[60]. L'accord suivant, conclu àHyde Park dans l'État de New York en, prolongea cette coopération dans l'après-guerre[61]. L'accord de Québec mit en place un comité — leCombined Policy Committee — pour coordonner les efforts des États-Unis, du Royaume-Uni et du Canada. Les États-Unis y étaient représentés par Stimson, Bush et Conant, le Royaume-Uni par le maréchal britanniqueJohn Dill et le colonel John Llewellin et le Canada parClarence Decatur Howe[62]. Llewellin rentra au Royaume-Uni à la fin de l'année 1943 et fut remplacé dans le comité par Sir Ronald Ian Campbell qui, à son tour, fut remplacé par l'ambassadeur britannique aux États-Unis,Lord Halifax au début de l'année 1945. Sir John Dill mourut à Washington D.C. en et fut remplacé en tant que chef de la mission britannique et comme membre du Combined Policy Committee par le maréchal SirHenry Maitland Wilson[63].
Après la reprise des échanges d'informations qui suivit l'accord de Québec, les Britanniques eurent accès à l'état d'avancement et furent très impressionnés par les dépenses engagées et les progrès réalisés par les Américains. Les États-Unis avaient à l'époque déjà dépensé plus d'un milliard de dollars (13 400 000 000 $ de 2012) alors qu'en 1943 le Royaume-Uni n'avait dépensé que 500 000 £ (environ 2 500 000 $[note 5]). Chadwick recommanda que, compte tenu de l'avance du projet américain, le Royaume-Uni accroisse au maximum sa participation dans le projet Manhattan et renonce à mener son propre projet tant que la guerre durait[57]. Avec l'appui de Churchill, il s'assura que toutes les demandes d'assistance de Groves soient satisfaites[65]. La mission britannique qui arriva aux États-Unis en incluaitNiels Bohr,Otto Frisch,Klaus Fuchs,Rudolf Peierls et Ernest Titterton[66]. De nouveaux scientifiques arrivèrent au début de l'année 1944. Ceux assignés à ladiffusion gazeuse quittèrent le projet à l'automne 1944 et les35 chercheurs assignés au laboratoire de Lawrence à Berkeley furent redéployés dans d'autres groupes de recherche et restèrent aux États-Unis jusqu'à la fin de la guerre. Les 19 scientifiques envoyés à Los Alamos rejoignirent également des groupes existants, en particulier ceux chargés de l'implosion et de l'assemblage de la bombe mais pas ceux responsables de l'étude et de l'emploi du plutonium[57]. Une clause de l'accord de Québec spécifiait que les armes nucléaires ne devraient pas être utilisées sans l'accord du Royaume-Uni. En, Wilson accepta que l'emploi d'armes nucléaires contre le Japon soit enregistré comme décision du Combined Policy Committee[67].
Le Combined Policy Committee créa en le Combined Development Trust dirigé parGroves et chargé d'acquérir du minerai d'uranium et dethorium sur les marchés internationaux. LeCongo belge et le Canada détenaient les plus grandes réserves d'uranium en dehors d'Europe et legouvernement belge en exil était à Londres. Le Royaume-Uni accepta de céder l'essentiel du minerai belge aux États-Unis car il ne pouvait pas utiliser la plus grande partie de ce stock compte tenu de leur accès limités aux résultats des recherches américaines[68]. En 1944, le Trust acheta 1 560 t de minerai d'uranium auprès de sociétés gérant des mines dans le Congo belge. Pour que le secrétaire au TrésorHenry Morgenthau ne découvre pas le projet, un compte spécial non soumis aux contrôles habituels fut mis en place pour gérer les fonds du Trust. Entre 1944 et 1947, quand il quitta le Trust, Groves déposa un total de 37,5 millions de dollars sur le compte du Trust[69].
Groves apprécia l'apport initial des recherches britanniques et la contribution des scientifiques britanniques au projet Manhattan mais il affirma que les États-Unis auraient réussi sans l'aide britannique. Que cette appréciation soit vraie ou fausse, la participation britannique au projet Manhattan joua un rôle crucial dans la réussite duprogramme nucléaire britannique mené après la guerre lorsque l’Atomic Energy Act de 1946 mit temporairement fin à la coopération nucléaire entre les deux pays[57].
Même si des scientifiques français collaboraient au projet Manhattan à la suite d'une entente avec les Britanniques, les responsables du projet refusèrent d'informer les autorités françaises des travaux en cours et exigeaient le secret des scientifiques. Pourtant, lors d'une visite du généralCharles de Gaulle àOttawa auCanada en 1944, les scientifiques françaisPierre Auger,Bertrand Goldschmidt etJules Guéron, craignant de voir les Américains s'approprier le monopole d'une telle arme, informèrent le général« des conséquences révolutionnaires de ce nouvel élément de la politique mondiale »[70].
Initialement connu comme leKingston Demolition Range, le site fut officiellement renommé « Clinton Engineer Works » (CEW) au début de l'année 1943[80]. Pour permettre à la firme de génie Stone & Webster de se concentrer sur les installations de production, une zone résidentielle pour 13 000 personnes fut conçue et construite par la firme d'architectureSkidmore, Owings and Merrill. Cette zone se trouvait sur les flancs de la Black Oak Ridge et la ville nouvelle fut appeléeOak Ridge[81]. Au total, les habitants d'Oak Ridge vivaient dans 10 000 maisons (dont 2 500Cemestos, modèle de maison préfabriquée approuvé par la Défense), 90 dortoirs, 5 000 roulottes et des casernes et cabanes pour 16 000 personnes. Les maisons étaient attribuées aux travailleurs blancs avec familles, de rang relativement élevé dans la hiérarchie, tandis que les hommes et les femmes célibataires étaient affectés aux dortoirs[82]. Les casernes et les cabanes ont été attribuées aux personnes de couleur ainsi qu'à des personnes occupant des postes généralement subalternes. À Oak Ridge, située dans leSud des États-Unis, laségrégation raciale était omniprésente[83].
La présence militaire à Oak Ridge s'accrut en août 1943 lorsque Nichols remplaça Marshall à la direction du Manhattan District. L'une de ses premières missions était de déplacer le quartier-général du district à Oak Ridge même si le nom du district ne changea pas[84]. En, l'administration des zones résidentielles fut externalisée à la société Turner Construction par l'intermédiaire d'une filiale appelée Roane-Anderson Company d'après les comtés deRoane et d'Anderson où se trouvait Oak Ridge[85]. La population d'Oak Ridge dépassa rapidement les estimations initiales et atteignit un maximum de 75 000 personnes en et à ce moment, 82 000 personnes étaient employées par le CEW[71] et 10 000 par Roane-Anderson[85].
La possibilité d'implanter le projet Y à Oak Ridge fut envisagée mais il fut décidé de l'installer dans un lieu reculé. Sur recommandation d'Oppenheimer, qui y possédait un ranch, la recherche d'une zone acceptable fut limitée aux alentours d'Albuquerque dans leNouveau-Mexique. En, le major John H. Dudley du projet Manhattan fut envoyé pour étudier la zone et il recommanda un site près de Jemez Springs[87]. Le, Oppenheimer, Groves, Dudley et d'autres personnes visitèrent le site. Oppenheimer craignait que les hautes falaises autour de la zone ne rendent les gens claustrophobes et les ingénieurs étaient inquiets des conséquences d'une inondation. Le groupe se rendit ensuite à proximité de la Los Alamos Ranch School. Oppenheimer fut convaincu et il exprima sa forte préférence pour ce second endroit en citant sa beauté naturelle et la vue sur lachaîne Sangre de Cristo qui, il espérait, inspirerait ceux qui travailleraient sur le projet[88],[89]. Les ingénieurs s'inquiétaient des difficultés d'accès par la route et de l'approvisionnement en eau mais ils trouvaient néanmoins que le site était idéal[90].
Pour des raisons de secret, Los Alamos était appelé « Site Y » ou « the Hill » (la colline)[94]. Les certificats de naissance des bébés nés à Los Alamos durant la guerre indiquaient le lieu de naissance comme étant laboîte postale 1663 à Santa Fe[95]. Initialement, Los Alamos devait être un laboratoire militaire et Oppenheimer et les autres scientifiques devaient être incorporés dans l'armée. Oppenheimer alla jusqu'à commander un uniforme de lieutenant-colonel mais deux autres physiciens importants,Robert Bacher etIsidor Rabi rechignaient à cette idée. Conant, Groves et Oppenheimer proposèrent alors un compromis dans lequel le laboratoire était géré par l'université de Californie sous contrat avec le Département de la Guerre[96].
Un conseil militaire de l'OSRD décida le de construire une usine pilote pour la production de plutonium dans la forêt d'Argonne ducomté de DuPage au sud-ouest de Chicago. En juillet, Nichols organisa le prêt de400ha ducomté de Cook dans l'Illinois et le capitaine James F. Grafton fut nommé ingénieur de la zone de Chicago. Il devint rapidement clair que l'ampleur des opérations était trop importante pour l'Argonne et il fut décidé de construire l'usine à Oak Ridge[97].
Les retards dans la création du centre d'Argonne menèrentArthur Compton à autoriser la construction du premier réacteur nucléaire sous les gradins duStagg Field(en) de l'université de Chicago. Le, une équipe menée parEnrico Fermi déclencha la premièreréaction en chaîne nucléaire artificielle[98],[note 6] dans un réacteur expérimental appelé« Chicago Pile-1 ». Compton rapporta le succès àConant à Washington D.C. dans un message téléphonique codé en déclarant,« le navigateur italien [Fermi] vient d'atteindre un nouveau monde[100],[note 7],[note 8] ». En, le successeur de Grafton, le major Arthur V. Peterson, ordonna le démantèlement de la pile de Chicago pour la réassembler à Argonne car il considérait que les opérations sur un réacteur étaient trop dangereuses pour une zone densément peuplée[101].
En, on commença à s'inquiéter que même Oak Ridge était trop près d'un grand centre urbain (Knoxville) dans le cas improbable d'un accident nucléaire majeur. Groves mit sous contrat la sociétéDuPont en pour être le premier entrepreneur pour la construction d'un complexe de production de plutonium. DuPont reçut un contrat à prix coûtant majoré mais le président de la compagnie, Walter S. Carpenter, Jr., ne voulait aucun profit d'aucune sorte et demanda que le contrat proposé soit explicitement amendé pour empêcher la compagnie d'obtenir des droits sur lapropriété industrielle. Cela fut accepté mais pour des raisons légales, un frais d'un dollar fut adopté. Après la guerre, DuPont demanda à être déchargé du contrat en avance et il dut payer33 cents[102].
DuPont recommanda que le site soit situé aussi loin que possible de l'usine existante de production d'uranium à Oak Ridge[103]. En, Groves détacha lecolonel Franklin Matthias pour accompagner les ingénieurs de DuPont qui commencèrent à étudier les sites potentiels. Matthias rapporta que lesite de Hanford près deRichland dans l'État de Washington était« idéal sur presque tous les plans ». Le lieu était isolé et se trouvait à proximité dufleuve Columbia qui pouvait fournir suffisamment d'eau pour refroidir les réacteurs devant produire le plutonium. Groves visita le site en janvier et créa le Hanford Engineer Works (HEW), de nom de code « Site W[104] ».Le sous-secrétaire Patterson donna son accord le et accorda5 millions de dollars pour l'acquisition de16 000ha de terrains dans la zone. Le gouvernement fédéral relogea environ 1 500 résidents de White Bluffs, de Hanford et d'autres emplacements ainsi que les tribusWanapum de la région. Les fermiers se plaignirent des indemnisations pour les cultures qui étaient déjà plantées avant l'acquisition des terres. Lorsque le calendrier le permettait, l'armée autorisait la moisson mais cela ne fut pas toujours possible[104]. Le processus d'acquisition des terrains traîna en longueur et ne fut pas achevé avant la fin du projet Manhattan en[105].
Employés du site de Hanford attendant leur salaire.
La guerre qui faisait rage ne retarda pas les travaux. Même si les recherches sur la conception des réacteurs auMetallurgical Laboratory n'étaient pas suffisamment avancées pour prédire l'ampleur du projet, les travaux commencèrent en pour construire les installations devant accueillir 25 000 ouvriers, dont la moitié devait vivre sur le site. En, quelque 1 200 bâtiments avaient été construits et près de 51 000 personnes habitaient dans le camp de construction. En tant qu'ingénieur topographe, Matthias exerçait un contrôle sur l'ensemble du site[106]. À son maximum, le camp de construction était la troisième ville la plus peuplée de l'État de Washington[107]. Hanford exploitait une flotte de plus de900 bus pour transporter les ouvriers, plus que la ville de Chicago[108]. Comme Los Alamos et Oak Ridge, Richland était une ville fermée mais elle ressemblait plus à laville champignon américaine typique de la guerre : le nombre de militaires était limité et les éléments de sécurité physique comme les clôtures, les tours et les chiens de garde étaient moins évidents[109].
La société canadienneCominco produisait de l'hydrogène électrolytique àTrail enColombie-Britannique depuis 1930 etUrey suggéra en 1941 qu'elle pourrait produire de l'eau lourde. L'usine existante coûtait10 millions de dollars et était composée de 3 215 cellules consommant 75 MW d'électricité et on y ajouta des cellules d'électrolyse pour faire passer la concentration dedeutérium de 2,3 à 99,8 %. Pour réaliser ce processus, Hugh Taylor de l'université de Princeton développa uncatalyseur platine sur carbone pour les trois premières étapes, tandis qu'Urey développa un catalyseur nickel-chrome pour la dernière étape. Le coût final fut de 2,8 millions de dollars. Le gouvernement canadien n'apprit pas officiellement l'existence du projet avant. La production d'eau lourde à Trail commença en et continua jusqu'en 1956. L'eau lourde de Trail était utilisée pour leréacteur d'Argonne, le premier à utiliser de l'eau lourde et de l'uranium, qui devintcritique le[110].
Lesite de Chalk River enOntario fut établi pour reloger les travaux dulaboratoire de Montréal de l'université de Montréal à l'écart d'une zone urbaine. Une nouvelle communauté fut construite à Deep River en Ontario pour accueillir des résidences et des installations pour les membres de l'équipe. Le site fut choisi pour sa proximité avec les zones industrielles de l'Ontario et du Québec et pour l'existence d'un chemin de fer menant vers unegrande base militaire à Petawawa. Situé sur larivière des Outaouais, le site avait accès à une grande quantité d'eau. Le premier directeur du nouveau laboratoire fut le physicien britanniqueJohn Cockcroft, qui fut ensuite remplacé parBennett Lewis. Un réacteur expérimental appeléZEEP (Zero Energy Experimental Pile) devint le premier réacteur canadien et le premier à être construit en dehors des États-Unis lorsqu'il devint critique en. Un réacteur plus important de 10 MW, appelé « NRX », fut conçu durant la guerre et devint critique en[110].
La principale matière première du projet était l'uranium qui était d'une part utilisé comme combustible dans des réacteurs pour être transformé enplutonium et qui d'autre part constituait, sous forme enrichie, le cœur de la bombe atomique. En 1940, on connaissait quatre gisements importants d'uranium : dans leColorado, dans le nord du Canada, àJáchymov enTchécoslovaquie et auCongo belge[113]. Seul Jáchymov n'était pas entre les mains des Alliés. Une étude de avait conclu qu'on disposait de quantités suffisantes d'uranium pour satisfaire les besoins du projet[114]. Nichols demanda auDépartement d'État de mettre en place des contrôles sur l'exportation dudioxyde d'uranium et négocia auprès du Congo belge l'achat de 1 200 t de minerai d'uranium qui furent stockées dans un entrepôt deStaten Island àNew York. Il acheta également à la société Eldorado Gold Mines de l'uranium de sa mine dePort Hope en Ontario et se le fit livrer par chargement de100 tonnes. Le gouvernement canadien acheta par la suite des parts de cette société dont il devint actionnaire majoritaire[115].
Le gisement le plus riche se trouvait dans la mine deShinkolobwe au sud de laprovince du Katanga,Congo belge mais celle-ci était inondée et fermée. Nichols tenta sans succès de négocier sa réouverture avecEdgar Sengier, le directeur de l'Union minière du Haut Katanga propriétaire de la mine[116]. Ce point de blocage fut abordé au Combined Policy Committee et les Britanniques qui détenaient 30 % des actions de l'Union minière se chargèrent de négocier la réouverture de la mine. Sir John Anderson et l'ambassadeur John Gilbert Winant firent pression sur Sengier et le gouvernement belge en pour faire rouvrir la mine et fournir 1 750 t de minerai[117]. Pour éviter d'être dépendant du minerai canadien et britannique, Groves négocia par ailleurs l'achat du stock de l'US Vanadium Corporation à Uravan dans le Colorado.810 tonnes de minerai furent fournis par le Colorado[118].
La société Mallinckrodt Incorporated implantée àSaint-Louis dans leMissouri était chargé de traiter le minerai en le dissolvant dans de l'acide nitrique afin de produire dunitrate d'uranyle. De l'éther était ensuite ajouté pour réaliser uneextraction liquide-liquide et retirer les impuretés du nitrate d'uranyle. Le résultat était ensuite chauffé pour former dutrioxyde d'uranium qui était finalementréduit pour obtenir dudioxyde d'uranium[119]. À partir de, Mallinckrodt produisit une tonne d'oxyde pur par jour mais transformer cet oxyde en métal se révéla plus difficile que prévu pour les industrielsWestinghouse Electric et Metal Hydrides[120]. La production était trop lente et la qualité était beaucoup trop basse. Une branche spéciale du Metallurgical Laboratory fut implantée à l'université d'État de l'Iowa àAmes sous la direction du chimiste canadien Frank Spedding pour étudier des alternatives au procédé utilisé[121]. Début 1943, le laboratoire avait mis au point le procédé Ames permettant d'accroître la production et de satisfaire les contraintes de qualité. De la poudre detétrafluorure d'uranium et de magnésium étaient placées dans un tube en acier qui était clos puis introduit dans un four chauffé à1 500°C. Le mélange réagissait violemment, fondait et la grande différence de densité permettait de séparer le métal et lelaitier.
L'uranium naturel est composé de 99,3 % d'uranium 238 et de 0,7 % d'uranium 235 mais seul ce dernier estfissile. L'uranium 235 devait être séparé de l'autre isotope et de nombreuses méthodes furent envisagées pourenrichir l'uranium et la plupart furent mises en place à Oak Ridge[122],[123].
La technologie la plus évidente, lacentrifugation, échoua mais la séparation électromagnétique et les diffusions gazeuse et thermique fonctionnaient et contribuèrent au projet. En, Groves proposa d'utiliser les produits de certaines usines comme produits d'entrée des autres[124].
Oak Ridge accueillit plusieurs technologies de séparation de l'uranium. Les installations les plus importantes pour la fabrication d'uranium enrichi sont en rouge. LeY-12 National Security Complex effectuant la séparation électromagnétique se trouve en haut à droite. Les installationsK-25 et K-27 de diffusion gazeuse se trouvent en bas à gauche près de l'usine S-50 de diffusion thermique. Leréacteur X-10 était consacré à la production du plutonium
Le procédé decentrifugation était considéré comme une méthode de séparation prometteuse en[125]. Le physicien américainJesse Beams avait développé un tel procédé à l'université de Virginie durant les années 1930 mais avait rencontré des difficultés techniques car la séparation demandait de très grandes vitesses de rotation qui entraînaient desvibrations susceptibles de détruire la machine. En 1941, il commença à travailler sur l'hexafluorure d'uranium, le seul composé gazeux connu de l'uranium et fut capable de séparer l'uranium 235. À l'université Columbia,Harold Urey et le physicien américain Karl P. Cohen[note 9] avaient étudié le procédé et ils développèrent une théorie mathématique qui permit à Westinghouse de commencer la construction d'une installation de séparation[127].
Passer à une taille industrielle représentait un formidable défi technologique. Urey et Cohen estimèrent que produire un kilogramme d'uranium 235 par jour demanderait 50 000 centrifugeuses avec des rotors de un mètre ou 10 000 avec des rotors de quatre mètres, en supposant que ces dernières soient réalisables. La perspective de faire tourner continuellement autant de rotors à grande vitesse apparaissait décourageante[128] et quand Beams testa ses équipements expérimentaux, il obtint seulement 60 % du rendement prévu, ce qui indiquait que de nouvelles centrifugeuses étaient nécessaires. Beams, Urey et Cohen commencèrent ensuite à travailler sur une série d'améliorations qui permettrait d'accroître l'efficacité de processus. Cependant, les fréquentes pannes des moteurs, ainsi que les bris des arbres de transmission et des supports ralentirent les travaux sur l'usine pilote[129]. En, le procédé de centrifugation fut abandonné par le comité militaire à la suite des recommandations de Conant, Nichols et August C. Klein de la Stone & Webster[130].
Laséparation électromagnétique fut développée parLawrence à l'université de Californie. Cette méthode employait des systèmes appelés « calutrons », un hybride entre unspectromètre de masse et uncyclotron. Le nom dérivait des mots « Californie », « université » et « cyclotron[131]». Dans le processus électromagnétique, unchamp magnétique déviait les particules chargées en fonction de leur masse[132]. Le procédé n'était ni scientifiquement élégant, ni industriellement efficace[133]. Comparé à la diffusion gazeuse ou à un réacteur nucléaire, la séparation électromagnétique demandait des matériaux plus rares, plus de personnel et était plus coûteuse. Néanmoins, il s'agissait d'une technologie éprouvée qui représentait moins de risques et elle fut donc adoptée. De plus, l'installation pouvait être construite par étapes et atteindre rapidement sa capacité maximale[131].
La responsabilité pour la conception et la construction de l'installation de séparation électromagnétique au sein dulaboratoire national d'Oak Ridge, qui fut appeléeY-12 National Security Complex, fut attribuée à la société Stone & Webster par le comité S-1 en. Le plan prévoyait la construction de cinq unités de première étape appelées« Alpha racetrack » (« champ de course Alpha ») et deux unités de traitement final appelés« Beta racetrack ». En, Groves autorisa la construction de quatre autres unités, appelées« Alpha II », qui commença en[138].
Opératrices devant leurs panneaux de contrôle auY-12 National Security Complex. Gladys Owens, la femme assise au premier plan, ne savait pas à quoi servait ce qu'elle faisait jusqu'à ce qu'elle ne voie cette photographie lors d'une visite du site cinquante ans plus tard[140].
L'entreprise Tennessee Eastman fut engagée pour gérer leY-12 National Security Complex avec une indemnité de 22 500 $ par mois plus 7 500 $ par champ de course pour les sept premiers et 4 000 $ par champ de course supplémentaire[141]. Les calutrons étaient initialement opérés par des scientifiques de Berkeley pour régler les problèmes et obtenir un rythme de production raisonnable. Ils furent ensuite remplacés par des opérateurs de Tennessee Eastman dont l'éducation s'était arrêtée au niveau équivalent du collège en France. Nichols compara les rapports de production et indiqua à Lawrence que les jeunes opératrices « péquenaudes » étaient meilleures que ses doctorants. Ils acceptèrent de lancer une compétition et Lawrence perdit, ce qui augmenta le moral des techniciens de Tennessee Eastman. Les jeunes femmes« étaient entraînés comme des soldats et ne posaient pas de questions » tandis que les« scientifiques ne pouvaient s'empêcher de mener des enquêtes chronophages sur les fluctuations les plus infimes des cadrans[142] ».
LeY-12 National Security Complex enrichissait l'uranium jusqu'à atteindre une teneur de 13 à 15 % d'uranium 235 et il envoya ses premières centaines de grammes à Los Alamos en. Seul 0,017 % de l'uranium entrant ressortait en produit final. L'essentiel était dispersé dans les machineries du processus. Des efforts de récupération éprouvants permirent d'augmenter le rendement à 10 % en. En février, les unités Alpha commencèrent à recevoir de l'uranium légèrement enrichi à hauteur de 1,4 % produit dans la nouvelle installation S-50 de diffusion thermique. Le mois suivant, elles reçurent de l'uranium enrichi à 5 % de la part de l'unité K-25 de diffusion gazeuse et en avril, l'usine K-25 produisait de l'uranium suffisamment enrichi pour que ce dernier soit introduit directement dans les champs de courseBeta[143].
La méthode la plus prometteuse mais également la plus difficile à mettre en œuvre était ladiffusion gazeuse. Laloi de Graham indique que la vitesse d'effusion d'un gaz est inversement proportionnelle à la racine carrée de samasse moléculaire. Par conséquent, dans une boite contenant une membrane semi-perméable et un mélange de deux gaz, les molécules les plus légères sortiront du réservoir plus rapidement que les plus lourdes. Le gaz sortant est quelque peu enrichi en molécules légères tandis que le gaz résiduel est quelque peu épuisé. L'idée était de mettre ces réservoirs en série avec unecascade de pompes et de membranes pour obtenir progressivement un mélange enrichi. Les recherches sur ce procédé furent menées à l'université Columbia par un groupe dont Urey, Karl P. Cohen et John R. Dunning faisaient partie[144].
L'usine K-25 d'Oak Ridge. Photo prise parEd Westcott, à qui l'on doit la plupart des photos du projet Manhattan[145].
En, le comité militaire approuva la construction d'une usine de diffusion gazeuse avec 600 unités en série[146]. Le, la sociétéM. W. Kellogg accepta un contrat de construction de l'installation dont le nom de code était K-25. Un contrat à prix coûtant majoré fixe de 2,5 millions de dollars fut signé. Une entité séparée appelée Kellex fut créée pour le projet et était dirigée par Percival C. Keith, l'un des vice-présidents de Kellogg[147]. Le procédé était extrêmement complexe. L'usage de l'hexafluorure d'uranium était obligatoire car il n'existait aucun substitut mais ce gaz était fortementcorrosif et les moteurs et les pompes devaient être étanches au vide et placés dans ungaz inerte. Le plus gros problème était néanmoins la conception de la membrane qui devait être à la fois solide, poreuse et résistante à la corrosion par l'hexafluorure d'uranium. Le meilleur choix était lenickel ; Edward Adler et Edward Norris développèrent un grillage à base de nickel galvanisé. Une usine pilote avec 6 unités en série fut construite à Columbia pour tester le procédé mais le prototype de Norris-Adler se révéla trop fragile. Une autre membrane fut développée par Kellex, leslaboratoires Bell et Bakelite Corporation à base de nickelfritté et celle-ci fut approuvée par Groves et entra en production en[148],[149].
La production commença en et la qualité du produit augmentait à chaque étape du processus. En, l'installation K-25 atteignit un enrichissement de 1,1 % et les produits de l'usine S-50 de diffusion thermique commencèrent à être utilisés pour alimenter l'usine. Certains produits réalisés les mois suivant atteignirent une teneur de 7 %. Les usines K-25 et K-27 atteignirent leur potentiel maximal dans l'immédiat après-guerre lorsqu'elles éclipsèrent les autres centres de production et devinrent les prototypes d'une nouvelle génération d'usines[151].
La méthode dediffusion thermique était basée sur la théorie deSydney Chapman et deDavid Enskog selon laquelle dans un mélange gazeux soumis à un gradient de température, les particules les plus lourdes se concentrent dans la partie froide et les plus légères dans la partie chaude. Comme les gaz chauds ont tendance à s'élever et que les gaz froids descendent, cela pouvait être utilisé pour séparer les isotopes de l'uranium. La viabilité du procédé fut démontrée pour la première fois par H. Clusius et G. Dickel en Allemagne en 1938[152]. La diffusion thermique fut développée par des scientifiques de laMarine américaine mais elle ne fut pas sélectionnée pour être utilisée dans le cadre du projet Manhattan. Cela fut essentiellement attribué aux doutes sur la faisabilité technique mais la rivalité entre l'armée de terre et la marine a sans doute joué un rôle[153].
L'installation S-50 est le bâtiment noir situé derrière la centrale thermique d'Oak Ridge (avec les cheminées).
Les travaux commencèrent le et l’installation S-50 commença à fonctionner en septembre. Ferguson exploitait l'usine par l'intermédiaire d'une filiale appelée Fercleve. L'usine ne produisit que 4,8 kg d'uranium enrichi à 0,852 % en octobre. Les fuites entraînaient des arrêts qui limitaient la production mais la production atteignit 5 770 kg en[157]. En, les 21 compartiments commencèrent à opérer et si la production de l'usine S-50 alimentait initialement leY-12 National Security Complex, les trois procédés d'enrichissement furent ensuite mis en série. L'usine S-50 enrichissait l'uranium de 0,71 à 0,89 % puis ce résultat alimentait le procédé de diffusion gazeuse de l'usineK-25 qui produisait de l'uranium enrichi à 23 %. Ce dernier était à son tour utilisé au Y-12[158] d'où il ressortait avec une teneur de 89 % suffisante pour les armes nucléaires[159].
Schéma de la bombe à insertion. 1. Explosion produite par de lacordite pour lancer la balle en uranium - 2. Canon - 3. Balle creuse en uranium - 4. Cible en uranium
Environ 50 kg d'uranium enrichi à 89 % furent livrées à Los Alamos en[159]. Cet uranium fut utilisé pour construire une bombe à fission à insertion. L'explosion survenait à la suite du tir d'un bloc d'uranium 235 sur un autre bloc afin d'atteindre lamasse critique permettant de démarrer la fission[160]. La configuration de la masse critique déterminait l'importance de la réaction de la matière fissile durant la collision et donc la puissance explosive de la bombe. Même si 1 % de l'uranium entrait en fission, la bombe serait opérationnelle et aurait une puissance égale à des milliers de tonnes d'explosifs puissants. Une mauvaise configuration ou un mauvais assemblage disperserait néanmoins rapidement la masse critique et la puissance serait fortement réduite à quelques tonnes d'explosifs[161]. Le mécanisme de la bombe basé sur le principe du canon était simple mais la puissance obtenue était limitée et le risque d'accident était très élevé[162].
La conception de la bombe fut réalisée par la division 0 de Los Alamos. Le groupe dulieutenant commander A. Francis Birch termina la conception de la bombe qui fut appelée « Little Boy » en[163]. Il n'y avait pas d'uranium enrichi disponible pour un test car Little Boy utilisa tout l'uranium enrichi à 89 % qui fut mélangé à de l'uranium enrichi à 50 % pour une moyenne d'environ 85 %[159]. Le principe du canon était considéré si sûr qu'aucun test ne fut envisagé même si d'importants travaux de laboratoire furent nécessaires pour s'assurer que les bases fondamentales étaient correctes[164].
La production deplutonium était le second objectif du projet Manhattan. Cet élément chimique est en effet 1,7 fois plus fissile que l'uranium 235[165]. On trouve des traces de plutonium dans la nature mais le meilleur moyen d'en obtenir des quantités importantes est d'utiliser unréacteur nucléaire dans lequel l'uranium naturel est bombardé par desneutrons. L'uranium 238 esttransmuté en uranium 239 qui se désintègre rapidement enneptunium 239 puis enplutonium 239[166]. Seule une petite partie de l'uranium 238 est transformée et le plutonium doit être chimiquement séparé de l'uranium, des impuretés initiales et desproduits de fission[166].
Ouvriers chargeant les cylindres d'uranium dans le réacteur X-10.
En, la société DuPont commença la construction d'une usine de production de plutonium sur un site de 0,5 km2 àOak Ridge. Destinée à être une usine pilote pour les installations plus importantes àHanford, elle abritait leréacteur X-10 augraphite et refroidi à l'air, une usine de séparation chimique et des installations de soutien. Comme il fut décidé que les réacteurs de Hanford seraient refroidis à l'eau, seule l'usine de séparation chimique fonctionna comme une véritable usine pilote[167]. Le réacteur X-10 était formé d'un immense cube de graphite mesurant 7,3 m de côté et pesant environ 1 500 t qui était entouré de 2,1 m debéton à haute densité jouant le rôle de protection contre les radiations[167].
Le bloc était percé de 1 248 orifices horizontaux en forme de losange dans lesquels on introduisait des cylindres d'uranium pour former de longues tiges. L'air circulait autour des cylindres pour les refroidir. Une fois que l'uranium avait été suffisamment irradié, les opérateurs poussaient des cylindres « frais » depuis le devant du réacteur et les cylindres irradiés tombaient dans une piscine à l'arrière du bloc de graphite. Après quelques semaines, le temps que la radioactivité diminue suffisamment, ces derniers étaient emmenés dans l'usine de séparation chimique.
La difficulté principale était de produire ces cylindres d'uranium qui devaient être enrobés d'aluminium pour limiter la corrosion et éviter la fuite des produits de fission. La Grasselli Chemical Company tenta sans succès de développer un procédé detrempe à chaud. Dans le même temps, l'entrepriseAlcoa essaya unétamage. Un nouveau procédé de soudure fut développé et 97 % des conteneurs passèrent les tests d'étanchéité mais les tests de températures n'étaient réussis que par 50 % d'entre eux. La production commença néanmoins en et le Metallurgical Laboratory améliora par la suite la procédure de soudage avec l'aide de laGeneral Electric et cette technique fut introduite dans le processus de production en[168].
Si le refroidissement à l'air fut choisi pour le réacteur d'Oak Ridge afin de faciliter sa construction, il devint clair que cela ne serait pas possible pour des réacteurs plus grands. Les plans initiaux du Metallurgical Laboratory et de DuPont prévoyaient un refroidissement à l'hélium mais ils proposèrent ensuite un refroidissement à l'eau qui serait plus simple, moins coûteux et plus facile à réaliser[171]. La conception se prolongea jusqu'au et pendant ce temps, Matthias préparait le site de Hanford en supervisant la construction des logements, une voie ferrée, en améliorant les routes, les lignes téléphoniques et l'approvisionnement en eau et en électricité[172].
Vue aérienne du réacteur B en juin 1944.
Comme à Oak Ridge, la principale difficulté concernait l'emballage des balles d'uranium qui commença àHanford en. Elles étaient décapées à l'acide pour retirer les impuretés, trempées dans des bains debronze, d'étain et d'un alliagealuminium-silicium, mises en conserve par des presses hydrauliques et finalement scellées avec unsoudage dans une atmosphère d'argon. Les cylindres obtenus étaient ensuite testés pour détecter les défauts. Les débuts furent difficiles car la majorité des cylindres étaient défectueux et la production se limitait à quelques cylindres par jour. Des progrès importants furent réalisés et à partir de, la production fut suffisante pour pouvoir commencer à alimenter le réacteur B en[173].
Le réacteur fut mis en marche le en présence du physicienArthur Compton, du colonel Franklin Matthias, du président de DuPont Crawford Greenewalt, de la physicienneLeona Woods et du physicienEnrico Fermi, qui inséra le premier cylindre. Les jours suivants,838 tubes furent chargés et le réacteur devint critique. Peu après minuit le, les opérateurs commencèrent à retirer lesbarres de contrôle pour déclencher la production. Tout fonctionna bien mais la puissance commença à chuter à partir de3 h et le réacteur s'était complètement arrêté à6 h 30. On étudia le système de refroidissement pour repérer une éventuelle fuite ou une contamination. Le lendemain le réacteur recommença à fonctionner mais il s'arrêta de nouveau peu après[178],[179].
Fermi contacta la physicienneChien-Shiung Wu qui identifia unempoisonnement au xénon 135 ayant unedemi-vie de 9,2 heures[180]. Fermi, Woods, Donald J. Hughes etJohn Wheeler calculèrent alors lasection efficace duxénon 135 qui se révéla être 30 000 fois supérieure à celle de l'uranium ; le xénon absorbait donc rapidement les neutrons et empêchait le maintien de la réaction en chaîne[181]. Heureusement pour le projet, l'ingénieur George Graves avait dévié par rapport aux plans initiaux du Metallurgical Laboratory, qui prévoyaient uniquement 1 500 tubes disposés en cercle, et avait ajouté504 autres tubes dans les coins du réacteur. Les scientifiques avaient considéré cela comme un gaspillage de temps et d'argent mais Fermi réalisa qu'en chargeant les 2 004 tubes, il était possible de neutraliser l'influence négative du xénon et de maintenir la réaction en chaîne nécessaire à la production de plutonium[182]. Le réacteur D fut lancé le et le réacteur F le[183].
Carte du site de Hanford. Les voies ferrées jouxtent les usines au nord et au sud. Les réacteurs sont les trois carrés les plus au nord le long de la rivière Columbia. Les installations de séparation se trouvent dans les deux carrés rouges les plus au sud du groupe des réacteurs. Le carré rouge au sud-est indique la zone 300.
Dans le même temps, les chimistes cherchaient un moyen de séparer le plutonium de l'uranium alors que ses propriétés chimiques étaient encore inconnues. En travaillant avec les infimes quantités de plutonium disponibles auMetallurgical Laboratory en 1942, une équipe menée par Charles M. Cooper, de la société DuPont, développa un procédé à base defluorure de lanthane qui fut adopté pour l'usine pilote de séparation. Un secondprocédé avec duphosphate de bismuth fut ensuite développé parGlenn Seaborg etStanley G. Thompson(en)[184]. Le procédé faisait passer lenombre d'oxydation du plutonium de +4 à +6 dans une solution de phosphate de bismuth. Dans le premier cas, le plutoniumprécipite et dans le deuxième, il reste en solution tandis que les autres produits précipitent[185].
Crawford Greenewalt privilégiait le procédé au phosphate de bismuth car le fluorure de lanthane était corrosif et il fut sélectionné pour l'usine de séparation de Hanford[186]. Une fois que le réacteur X-10 eut commencé à produire du plutonium, l'usine pilote de séparation commença à être testée. L'efficacité passa de 40 % à 90 % en quelques mois[170].
À Hanford, la priorité maximale était accordée aux installations de la zone 300 (voir carte ci-contre). Celle-ci accueillait les bâtiments pour les essais, la préparation de l'uranium et la calibration des équipements. L'un des bâtiments accueillait les machines pour mettre en conserve les balles d'uranium tandis qu'un autre abritait un petit réacteur de test. En dépit de la haute priorité, les travaux dans la zone 300 prirent du retard du fait de la nature unique des installations et des pénuries de main d'œuvre et de matériaux liées à la guerre[187].
Les plans de départ prévoyaient la construction de deux usines de séparation dans chacune des zones appelées « 200-West » et « 200-East ». Cela fut ensuite réduit à deux installations, l'usine T dans la zone200-West et l'usine B dans la zone200-East[188]. Chaque usine de séparation était composée de quatre bâtiments, une unité de séparation ou « canyon » (appelée 221), une unité de concentration (224), une unité de purification (231) et un magasin de stockage (213). Les canyons mesuraient 240 m de long et 20 de large. Chacun d'entre eux était constitué de 40 cellules de 5,4 m par 4 et par 6,1 qui abritaient les équipements de séparation[189].
Les travaux commencèrent sur les usines 221-T et 221-U en et furent terminés respectivement en septembre et en décembre ; le bâtiment 221-B fut achevé en. Du fait des forts niveaux de radiations, toutes les opérations dans les installations de séparation devaient être effectuées par des manipulateurs contrôlés à distance grâce à des caméras, une technologie révolutionnaire pour l'époque. La maintenance était réalisée avec l'aide d'un portique et d'outils spécifiques. Les bâtiments 224 étaient plus petits car il y avait moins de matière à purifier et elle était moins radioactive. Les bâtiments 224-T et 224-U furent achevés le et l'usine 224-B le fut le. Les méthodes de purification qui furent finalement employées dans le bâtiment 231-W étaient encore inconnues lorsque la construction commença le[190]. Le, Matthias remit en mains propres le premier chargement de 80 g de plutonium pur à 95 % à un représentant du laboratoire de Los Alamos[183].
Une série d'enveloppes pour les bombes à insertionThin Man. Des enveloppes pourFat Man sont visibles à l'arrière plan.
En 1943, les efforts de développement se concentrèrent sur une arme atomique à insertion avec du plutonium, de nom de code « Thin Man ». Les recherches initiales sur les propriétés du plutonium furent effectuées en utilisant du plutonium 239 produit par uncyclotron. Ce plutonium avait la particularité d'être extrêmement pur mais ne pouvait être produit qu'en quantités infimes. Los Alamos reçut le premier échantillon issu du réacteur X-10 en etEmilio Segrè observa que cet échantillon avait une proportion en plutonium 240 supérieure, ce qui multipliait par cinq le rythme de désintégration de ce plutonium par rapport à celui fabriqué par le cyclotron[191]. Seaborg avait correctement prédit en qu'une partie du plutonium 239 absorberait un neutron et deviendrait du plutonium 240[192].
Cela rendait le plutonium du réacteur impropre pour une utilisation dans une bombe à insertion. Le plutonium 240 déclencherait la réaction en chaîne trop rapidement et cela entraînerait unepré-détonation qui ferait exploser l'assemblage avant qu'il n'ait atteint son état optimal. Un canon plus rapide fut proposé mais il se révéla irréalisable. La possibilité de séparer les isotopes fut envisagée mais rejetée car le plutonium 240 est encore plus difficile à séparer du plutonium 239 que l'uranium 235 de l'uranium 238[193].
Des travaux sur un autre type de bombe, appelé à implosion, avaient commencé auparavant à l'instigation du physicienSeth Neddermeyer. L'implosion utilise des explosifs pour comprimer une sphère sous-critique de matière fissile sous une forme plus compacte et plus dense. Lorsque les atomes sont plus proches les uns des autres, le taux d'absorption des neutrons augmente et la masse devient critique. Le passage à la masse critique est beaucoup plus rapide qu'avec le canon et cela évite une pré-détonation[194]. Les études de Neddermeyer de 1943 et 1944 sur l'implosion étaient prometteuses mais il était clair que la conception serait bien plus complexe que pour la bombe à insertion[195]. En,John von Neumann, qui avait l'expérience descharges creuses dans le domaine des munitions anti-blindage, avança que l'implosion réduirait le risque de pré-détonation mais augmenterait également le rendement de la fission[196]. Il proposa d'utiliser une configuration sphérique plutôt que cylindrique, forme sur laquelle Neddermayer travaillait[197].
Diagramme d'une bombe à implosion.
En, Oppenheimer avait conclu que le plutonium ne pouvait pas être utilisé dans une bombe à insertion et choisit l'implosion. Les travaux sur une bombe à implosion, de nom de code « Fat Man », commencèrent en août 1944 lorsqu'Oppenheimer réorganisa le laboratoire de Los Alamos[198]. Deux nouveaux groupes furent créés pour développer la bombe, les divisions X (pour explosif) dirigée parGeorge Kistiakowsky et G (pour gadget) menée parRobert Bacher[199],[200]. Le nouveau dessin présenté par von Neumann et la division T (pour théorie), avec notammentRudolf Peierls, comprenait deslentilles explosives pour focaliser l'explosion sur une forme sphérique en utilisant une combinaison d'explosifs lents et rapides[201].
La conception des lentilles qui devaient détoner à la bonne vitesse et dans la bonne direction se révéla lente et pénible[201]. De nombreux explosifs furent testés avant que lacomposition B et lebaratol ne soient choisis respectivement comme explosifs rapide et lent[202]. Le résultat final ressemblait à un ballon de football avec 20 lentilles hexagonales et 12 pentagonales pesant chacune 36 kg. Obtenir une détonation parfaite demandait desdétonateurs électriques rapides et fiables et il y en avait deux par lentille pour augmenter la fiabilité[203]. Le choix final se porta sur des détonateurs fabriqués parRaytheon[204]. Pour étudier le comportement desondes de choc convergentes, Serber mit en place l'expérience RaLa qui utilisait dulanthane 140, unradioisotope à courte durée de vie et un puissant émetteur derayons gamma, dans unechambre d'ionisation[205].
Le travail se révéla particulièrement dangereux et à la fin de la guerre, la moitié des chimistes et des métallurgistes durent être écartés du travail sur le plutonium après que des niveaux élevés de l'élément furent apparus dans leur urine[211]. Un petit incendie à Los Alamos en janvier 1945 laissa craindre que le feu du plutonium du laboratoire ne contamine toute la ville et Groves autorisa la construction d'une nouvelle installation pour la métallurgie du plutonium qui fut appelée « site DP »[212]. Les deux hémisphères du premier cœur de plutonium furent produits et livrés le. Trois autres hémisphères furent fabriqués le et livrés trois jours plus tard[213].
Du fait de la complexité d'une bombe à implosion, il fut décidé, en dépit du gaspillage de matières fissiles, de réaliser un essai.Groves approuva le test à condition que la matière active soit récupérée. On envisagea de réaliser un test avec une bombe « bridée » maisOppenheimer privilégia unessai nucléaire à grande échelle de nom de code « Trinity[214]».
Préparation de « Gadget » avant qu'il ne soit hissé au sommet de la tour.
En, la planification de l'essai fut confiée àKenneth Bainbridge, un professeur de physique de Harvard travaillant sous la direction de Kistiakowsky. Bainbridge sélectionna le champ de tir de labase aérienne d'Alamogordo pour réaliser l'essai[215]. Bainbridge travailla avec le capitaine Samuel P. Davalos sur la construction du camp deTrinity qui possédait des baraquements, des entrepôts, des ateliers, un magasin d'explosifs et une cantine[216].
Un essai fut organisé le pour calibrer les instruments et mesurer l'étendue des retombées radioactives. Une plateforme en bois fut érigée à 730 m du point zéro et recouverte de 108 t de TNT et deproduits de fission sous la forme d'une balle d'uranium de Hanford qui fut dissoute et versée dans des tubes dans les explosifs. Oppenheimer et le nouveau commandant adjoint de Groves, Thomas Farrel, assistèrent au test dont les données furent essentielles pour l'essai Trinity[219],[220].
En, le projet Manhattan employait quelque 129 000 personnes sur lesquels 84 500 étaient des ouvriers du bâtiment, 40 500 étaient des opérateurs dans les usines et 1 800 étaient des militaires. Avec la baisse des constructions, le nombre d'employés passa à 100 000 l'année suivante mais le nombre de militaires passa à 5 600. Obtenir le nombre désiré d'ouvriers, particulièrement les plus expérimentés, se révéla difficile car la concurrence des autres programmes militaires était intense[225]. En 1943, Groves obtint une priorité temporaire pour les ouvriers de la part de laWar Manpower Commission. En, cette dernière et le War Production Board accordèrent la priorité maximale au projet[226].
Un détachement du Women's Army Corps défilant à Oak Ridge.
Tolman et Conant, en leur fonction de conseillers scientifiques, rédigèrent une liste de scientifiques susceptibles d'être embauchés et les firent évaluer par des scientifiques travaillant déjà sur le projet. Groves envoya alors une lettre au directeur de leur université ou de leur entreprise pour demander leur libération pour participer à un effort de guerre essentiel[227]. À l'université du Wisconsin à Madison,Stanislaw Ulam anticipa l'examen de l'une de ses étudiantes,Joan Hinton, pour qu'elle puisse commencer à travailler sur le projet Manhattan. Quelques semaines plus tard, Ulam reçut une lettre deHans Bethe, qui l'invitait à rejoindre le projet[228]. De même, Conant convainquit l'expert en explosifsGeorge Kistiakowsky de participer aux recherches[229].
L'une des sources de personnels expérimentés était l'armée, en particulier l'Army Specialized Training Program formant les officiers à des missions techniques. En 1943, le Manhattan District créa le Special Engineer Detachment (SED) avec un effectif de675 personnes. Les techniciens et les ouvriers qualifiés enrôlés dans l'armée étaient assignés au SED. Une autre source importante était leWomen's Army Corps (WAC), la branche féminine de l'armée américaine. S'il était initialement cantonné à des travaux administratifs comme la gestion des documents classifiés, le WAC fournit également des personnels pour des tâches techniques et scientifiques[230]. Le, tous les personnels militaires assignés au MED, dont tous les détachements du SED, furent assignés à la 9812e unité technique sauf à Los Alamos, où les personnes militaires n'appartenant pas au SED comme le WAC et la police militaire furent intégrés au sein de la 4817e unité de commandement[231].
Un professeur associé deradiologie à l'université de Rochester,Stafford L. Warren, devintcolonel dans le corps sanitaire de l'armée et fut nommé chef de la section médicale du MED et conseiller de Groves. La première tâche de Warren fut de recruter des personnels pour les hôpitaux d'Oak Ridge, de Hanford et de Los Alamos[232]. La section médicale était responsable de la recherche médicale mais également de la santé et des programmes de sécurité du MED. Cela était une mission énorme car les ouvriers manipulaient un grand nombre de produits toxiques, utilisaient des gaz et des liquides dangereux sous pression, travaillaient en présence de voltages importants et réalisaient des expériences avec des explosifs sans mentionner les dangers encore largement inconnus présentés par la radioactivité et la manipulation des matières fissiles[233]. En, leNational Safety Council récompensa le projet Manhattan avec le prix d'honneur pour service distingué rendu à la sécurité en reconnaissance de ses actions en faveur de la sécurité de ses employés. Entre et, il y eut62 morts et 3 879 blessés, ce qui était 62 % au-dessous du niveau de l'industrie privée[234].
Durant tout le projet, la toxicité de l'uranium présentait un problème : de l'oxyde d'uranium ou des poussièrestoxiques de l'uranium appauvri restaient attachés aux vêtements des travailleurs malgré les lavages aux diverssavons oudétergents existants. Il s'est avéré que seul le lavage avec dubicarbonate de sodium permettait un nettoyage efficace des vêtementscontaminés ou même en guise deprévention[235]. C'est par ailleurs ce même produit, le bicarbonate de sodium, qui sera adopté comme traitement de choix contre l'intoxication rénale qui résulte de dommages chimiques à la suite de l'exposition à l'uranium[236],[237].
Dans les années 1970, l'épidémiologiste Thomas Mancuso met en évidence des liens entre l’exposition à faible dose des travailleurs ducomplexe nucléaire de Hanford et la mortalité précoce par cancer chez ces travailleurs[238].
Panneau encourageant les ouvriers à maintenir le secret à Oak Ridge.« Ce que vous voyez, faites et entendez ici reste ici. »
Le projet Manhattan fonctionnait dans le secret absolu pour qu'il ne puisse pas être découvert par lespuissances de l'Axe, en particulier par l'Allemagne, ce qui aurait pu conduire celle-ci à accélérer son propre programme de recherche nucléaire et afin d'éviter que l'ennemi ne mène des opérations de sabotage[239]. La censure des informations portant sur le nucléaire commença néanmoins avant le début du projet. Après le déclenchement de la guerre en 1939, les scientifiques américains commencèrent à éviter depublier leurs travaux dans ce domaine et en 1940, les journaux scientifiques demandèrent à l'Académie nationale des sciences de purger certains articles. Le journalisteWilliam L. Laurence duNew York Times qui avait écrit un article sur lafission nucléaire en septembre 1940 dans leSaturday Evening Post apprit par la suite que des agents du gouvernement avaient demandé en 1943 aux bibliothèques de tout le pays de retirer leurs exemplaires du périodique[240]. Au début de l'année 1943, les journaux commencèrent à évoquer la construction d'immenses installations dans le Tennessee et dans l'État de Washington en s'appuyant sur des documents officiels. En juin, le Bureau de la Censure demanda à la presse écrite et radiophonique d'éviter les discussions sur« la collision des atomes, l'énergie atomique, la fission atomique, la désintégration atomique et leurs équivalents. L'emploi à des fins militaires deradium ou de matériaux radioactifs, d'eau lourde, d'équipements de décharge à forte tension, decyclotrons [...] depolonium, d'uranium, d'ytterbium, d'hafnium, deprotactinium, deradium, derhénium, dethorium, dedeutérium » ; seul l'uranium était l'élément important de cette liste mais il fut ajouté pour dissimuler son importance[241].
La perspective d'un sabotage était toujours présente et parfois suspectée lors de la panne d'un équipement. Si certains incidents étaient probablement le résultat d'actions d'ouvriers négligents ou mécontents, il n'y a aucun exemple de sabotage organisé par l'Axe[242]. Cependant le, un ballon japonais duprojet Fugo toucha une ligne électrique et la coupure de courant entraîna l'arrêt temporaire des réacteurs de Hanford[243]. Avec un si grand nombre de personnes impliquées, la sécurité était une tâche difficile. Un détachement spécial duCounter Intelligence Corps fut formé pour maintenir la sécurité[244]. En 1943, il devint clair que l'Union soviétique tentait de pénétrer le projet. Le lieutenant-colonelBoris Pash à la tête des services de renseignements du Western Defense Command enquêta sur un possible espionnage soviétique dans leRadiation Laboratory de Berkeley. Oppenheimer informa Pash qu'il avait été approché par un professeur de Berkeley,Haakon Chevalier, pour transmettre des informations aux Soviétiques[245].
La plus grande affaire d'espionnage concernaKlaus Fuchs, un espion soviétique qui faisait partie de la mission britannique à Los Alamos[246]. La révélation de ses activités en 1950 compromit la coopération nucléaire entre les États-Unis, le Royaume-Uni et le Canada[247]. Par la suite, d'autres affaires furent découvertes et menèrent à l'arrestation de Harry Gold, deDavid Greenglass et d'Ethel et Julius Rosenberg[248]. D'autres espions commeGeorge Koval etTheodore Hall ne furent démasqués que plusieurs décennies plus tard[249]. La valeur de l'espionnage est difficile à quantifier car la principale contrainte du projet nucléaire soviétique était le manque de minerai d'uranium. Le consensus est que l'espionnage évita une ou deux années d'efforts aux Soviétiques[250].
En plus du développement de la bombe atomique, le projet Manhattan avait pour mission de rassembler des renseignements sur leprogramme nucléaire allemand. Les experts américains considéraient que le programme nucléaire japonais était très peu avancé du fait du manque d'accès à l'uranium mais ils craignaient que l'Allemagne soit très proche de développer ses propres armes. À l'instigation des responsables du projet Manhattan, desopérations de sabotage furent organisées contre les usines de production d'eau lourde dans la Norvège occupée[251]. Un petit groupe dont les membres étaient issus de l'Office of Naval Intelligence, de l'OSRD, du projet Manhattan et des services de renseignement de l'armée fut formé pour enquêter sur les développements scientifiques ennemis[252]. Le chef des services de renseignement de l'armée, le major-général George V. Strong, nomma Boris Pash à la tête de l'unité[253] qui reçut le nom de code « Alsos », un mot grec signifiant « bosquet[254]».
Réplique du réacteur nucléaire expérimental allemand au musée d'Haigerloch.
La mission se rendit en Italie pour questionner les membres du laboratoire de physique de l'université de Rome après laprise de la ville en[255]. Dans le même temps, Pash forma une mission anglo-britannique à Londres sous le commandement du capitaine Horace K. Calvert pour participer à labataille de Normandie[256]. Groves considérait que le risque que les Allemands perturbent ledébarquement de Normandie avec des matières radioactives était suffisant pour avertir le généralDwight D. Eisenhower et envoyer un officier pour informer son chef d'état-major, le lieutenant-généralWalter B. Smith[257]. Dans le cadre de l'opération Peppermint, des équipements spéciaux furent préparés et des équipes duChemical Warfare Service (« Service de la guerre chimique ») furent entraînées à leur utilisation[258].
Une équipe d'Alsos se rendit àStaßfurt dans lazone d'occupation soviétique et récupéra 11 t de minerai[260]. En, Pash, à la tête d'un groupe composite appelé la « Force-T », organisa l'opération Harborage derrière les lignes ennemies pour s'emparer des villes d'Hechingen,Bisingen etHaigerloch qui étaient au cœur des recherches nucléaires allemandes. La Force-T prit le contrôle des laboratoires, s'empara des documents, des équipements, de l'eau lourde et d'1,5 t d'uranium[261],[262].
Les équipes d'Alsos arrêtèrent les scientifiques allemands, dontKurt Diebner,Otto Hahn,Walther Gerlach,Werner Heisenberg etCarl Friedrich von Weizsäcker, qui furent emmenés en Angleterre et internés àFram Hall, une résidence mise sur écoute àGodmanchester. En définitive, le projet allemand était bien moins avancé que le projet Manhattan, ce qui poussa le physicienSamuel Goudsmit de l'opération Alsos à se« demander si les États-Unis n'avaient pas dépensé plus d'argent dans la mission de renseignement que les Allemands ne l'avaient fait pour l'ensemble de leur projet[262] ».
Dès, l'Air Force Materiel Command àWright Field dans l'Ohio commença l'opération Silverplate, le nom de code de la modification desB-29 pour qu'ils puissent transporter les bombes. Des essais de largage furent réalisés sur la base aérienne deMuroc et sur la base navale d'Inyokern, les deux en Californie[263]. Groves rencontra le chef de l'United States Army Air Forces (USAAF), le généralHenry Harley Arnold, en pour discuter du largage des bombes sur leur cible[264]. Le seul appareil allié capable de transporter la bombeThin Man de 5,2 m de long ouFat Man d'1,5 m de diamètre était l'Avro Lancaster mais l'emploi d'un appareil britannique aurait entraîné des problèmes avec la maintenance. Groves espérait que le B-29 pourrait être modifié pour pouvoir transporterThin Man en rassemblant les deux soutes à bombes[265]. Arnold promit de tout faire pour que le B-29 puisse réaliser la mission et il désigna le major-généralOliver P. Echols pour assurer la liaison entre l'USAAF et le projet Manhattan. Echols nomma Roscoe Charles Wilson pour le seconder et ce dernier devint le principal contact du projet avec l'USAAF[264]. Le présidentRoosevelt informa Groves que si les bombes étaient prêtes avant la fin de la guerre avec l'Allemagne, il devrait être prêt à les larguer sur ce pays[266]. La guerre avec l'Allemagne prit officiellement fin au début de[267],[268].
La plupart des composants pourLittle Boy quittèrent San Francisco à bord du croiseurUSS Indianapolis le et arrivèrent à Tinian le ; le navire fut coulé quatre jours plus tard par un sous-marin japonais. Les derniers composants dont six anneaux d'uranium 235 furent livrés par troisC-54 Skymaster[272]. Deux Fat Man assemblées furent transportées jusqu'à Tinian par les B-29 modifiés du509e escadron. Le premier cœur de plutonium arriva par un C-54 spécial[273]. Une réunion du projet Manhattan et de l'USAAF fut organisée pour déterminer les cibles au Japon et elle recommandaKokura,Hiroshima,Niigata etKyoto. À ce moment, le secrétaire à la Guerre,Henry L. Stimson, intervint et annonça qu'il prendrait la décision et qu'il n'autoriserait pas le bombardement de Kyoto du fait de sa signification historique et religieuse. Groves demanda alors à Arnold de retirer Kyoto de la liste des cibles du bombardement atomique mais également de celle des bombardements conventionnels[274]. Kyoto fut remplacée parNagasaki[275].
En, le comité d'intérim fut créé pour conseiller sur l'usage du nucléaire dans l'après-guerre. Le comité était présidé parHenry L. Stimson etJames F. Byrnes, un ancien sénateur et futursecrétaire d'État, en tant que représentant personnel du présidentHarry S. Truman (son prédécesseurRoosevelt était mort le), Ralph A. Bard, le sous-secrétaire à la marine, William L. Clayton, l'adjoint du secrétaire d'État, Vannevar Bush, Karl T. Compton, James B. Conant et George L. Harrison, un assistant de Stimson, et le président de la New York Life Insurance Company. Le comité établit ensuite une commission scientifique composée deCompton,Fermi,Lawrence etOppenheimer pour le conseiller sur les questions scientifiques. Dans sa présentation au comité, la commission donna son opinion sur les effets physiques probables de labombe atomique mais également sur son possible impact militaire et politique[276].
Lors de laconférence de Potsdam en Allemagne en, Truman apprit que l'essai Trinity avait été couronné de succès. Il dit àJoseph Staline, le dirigeant de l'Union soviétique, que les États-Unis disposaient d'une arme d'un nouveau type extrêmement puissante sans donner plus de détails. Il s'agissait de la première communication avec les Soviétiques au sujet de la bombe mais Staline avait été informé de son existence par ses espions[277]. Lorsque les Japonais refusèrent l'ultimatum de Potsdam, plus rien ne s'opposait à l'utilisation de la bombe atomique[278],[279].
Le matin du, le B-29Bockscar du393e escadron de bombardement et piloté par le majorCharles Sweeney décolla de Tinian avecFat Man à son bord. Le commandant Ashworth était chargé de l'armement etKokura était la cible principale. Lors du décollage, la bombe était armée mais les fusibles de sécurité étaient enclenchés. Lorsqu'ils atteignirent Kokura, la couverture nuageuse empêcha le bombardement et ils se dirigèrent vers leur cible secondaire, Nagasaki. La ville était également dissimulée par des nuages mais une éclaircie permit de larguer la bombe au-dessus de la zone industrielle. L'explosion dégagea une puissance de 21 kt de TNT mais celle-ci fut confinée dans la vallée d'Urakami et une grande partie de la ville fut protégée par les collines environnantes. Environ 44 % de la ville furent détruits et il y eut 35 000 morts et 60 000 blessés[283],[284].
Une nouvelle bombe atomique était en préparation pour le avec trois autres en septembre et encore trois autres en octobre[285]. Deux autres assemblages de Fat Man étaient prêts et un troisième cœur de plutonium devait quitter Los Alamos pour Tinian le[284]. Cependant, Groves suspendit les transports lorsque les Japonais capitulèrent et le, il téléphona àWarren pour lui demander d'organiser une étude des dégâts et de la radioactivité à Hiroshima et Nagasaki. Un groupe équipé d'uncompteur Geiger et mené par Farrel et Warren, accompagné du contre-amiral japonais Masao Tsuzuki, qui servit d'interprète, arriva à Hiroshima le. Il y resta jusqu'au puis se rendit à Nagasaki du au[286]. Cette mission et celles qui suivirent fournirent des données scientifiques et historiques précieuses[287].
En préparation des bombardements, Groves avait demandé àHenry DeWolf Smyth de préparer un document officiel pour l'information du public. L'Atomic Energy for Military Purposes (« L'Énergie atomique pour les besoins militaires »), mieux connu sous le nom de « Rapport Smyth », fut rendu public le[290]. Groves et Nichols présentèrent plusieurs contractants clés, dont l'implication était jusqu'à présent secrète, qui reçurent des distinctions de l'armée pour l'excellence de leur contribution à l'effort de guerre. Plus de 20 médailles présidentielles du mérite furent décernées à des entreprises et à des scientifiques dontBush etOppenheimer. Les officiers de l'armée reçurent laLegion of Merit comme le capitaine Arlene G. Scheidenhelm commandant le détachement duWomen's Army Corps[291].
ÀHanford, la production de plutonium chuta car les réacteurs B, D et F subissaient un « empoisonnement » par les produits de fission. De plus, legraphite jouant le rôle de modérateur gonflait à cause de l'effet Wigner et déformait les tubes où l'uranium était irradié, ce qui les rendait inutilisables. Afin de maintenir l'approvisionnement enpolonium pour les sources de neutrons ultérieures, la production fut réduite et le réacteur B, le plus ancien, fut arrêté pour qu'au moins l'un des réacteurs soit disponible dans le futur. Les recherches se poursuivirent : la société DuPont et leMetallurgical Laboratory développèrent un processus d'extraction du plutonium avec un solvantréducteur pour remplacer la technique du phosphate de bismuth qui rendait difficile la récupération de l'uranium[292].
La conception de la bombe fut réalisée par la division Z, nommé d'après son directeur, Jerrold R. Zacharias. Elle se trouvait initialement sur la base de Wendover dans l'Utah mais fut transférée en à la base d'Oxnard auNouveau-Mexique pour se rapprocher de Los Alamos. Cela marqua le début de labase Sandia qui devint l'un des principaux centres de recherche sur les armes nucléaires[293]. En octobre, tous les personnels de Wendover avaient été transférés à Sandia[294].
Nichols recommanda la fermeture de l'usine S-50 et des champs de courseAlpha desinstallations Y-12 et cela fut réalisé en septembre[295]. Même s'ils fonctionnaient mieux que jamais[296], les circuitsAlpha ne pouvaient pas rivaliser avec l'usine K-25 et la nouvelle centrale K-27 qui entra en service en. En décembre, l'usine Y-12 fut fermée, ce qui réduisit les effectifs de Tennessee Eastman de 8 600 à 1 500 et permit d'économiser deux millions de dollars par mois[297].
C'est cependant à Los Alamos que la démobilisation posa le plus de problèmes. De nombreux scientifiques retournèrent dans leur université et entreprise mais il restait encore beaucoup de travail pour fiabiliser et simplifier les bombes lancées sur Hiroshima et Nagasaki, qui n'étaient que des prototypes de laboratoire. La méthode à implosion devait être développée pour l'uranium en remplacement de la bombe à insertion et des cœurs composites d'uranium et de plutonium étaient nécessaires pour faire face à la pénurie de plutonium liée aux problèmes sur les réacteurs de Hanford. Néanmoins, des inquiétudes sur la pérennité du laboratoire rendaient difficile le maintien des effectifs. Oppenheimer retourna à l'université de Californie à Berkeley et Groves nommaNorris Bradbury en remplacement temporaire ; Bradbury resta néanmoins à son poste durant les25 années suivantes[294]. Groves tenta de combattre le mécontentement lié au manque de commodités en lançant un programme de construction de300 maisons, des lieux de détentes et fit améliorer l'approvisionnement en eau[292].
Le, en prévision de l'opération Crossroads, le gouverneur desîles Marshall, lecommodore de l'US Navy Ben Wyatt, rencontra le chef des167 habitants de l'atoll de Bikini dans l'océan Pacifique. Pour obtenir leur collaboration, Wyatt mentionna quelques passages de la bible car les habitants avaient reçu des enseignements de missionnaires protestants. Il les compara aux enfants d'Israël que leur créateur avait sauvé de leurs ennemis et mené vers laTerre promise. Il ajouta que les tests seraient faits pour le bien de l'humanité et qu'ils mettraient fin à toutes les guerres. Le chef acquiesça verbalement aux demandes de Wyatt, se disant fier de participer à une telle entreprise[298]. Le, un navire embarqua les habitants et leurs effets ; ils furent emmenés sur l'atoll deRongerik à 200 km de Bikini[299]. En, deuxFat Man explosèrent sur l'atoll de Bikini afin d'étudier les effets des armes nucléaires sur les navires de guerre[300].Able explosa dans l'atmosphère le ;Baker explosa sous l'eau le et produisit un spectaculaire champignon nucléaire[301].
Face à la puissance de destruction de ces nouvelles armes et en prévision de lacourse aux armements nucléaires, plusieurs membres du projet Manhattan dontBohr,Bush etConant exprimèrent le besoin de réaliser un accord international sur la recherche nucléaire et les armes atomiques.Leó Szilárd (déjà auteur de lapétition qui porte son nom, signée par plusieurs dizaines de scientifiques du projet Manhattan, avertissant le président Truman de la lourde responsabilité qu'il aurait en utilisant ces armes sur le peuple japonais) etAlbert Einstein créèrent en 1946 leComité d'urgence des scientifiques atomistes, destiné à faire prendre conscience à l'opinion publique des dangers associés au développement des armes nucléaires et à promouvoir la paix. Leplan Baruch, dévoilé dans un discours de la récente United Nations Atomic Energy Commission (UNAEC) en, proposait l'établissement d'un organisme international de développement du nucléaire mais ses recommandations ne furent pas suivies[302]. À la suite de discussions internes sur le besoin d'un organisme permanent de gestion du programme nucléaire, laCommission de l'énergie atomique des États-Unis fut créée par l’Atomic Energy Act of 1946 pour reprendre les missions du projet Manhattan. Elle établissait un contrôle civil du développement atomique et retirait aux militaires la production et le contrôle des armes nucléaires. Les aspects militaires furent confiés à l'Armed Forces Special Weapons Project[303]. Si le projet Manhattan cessa d'exister le, le Manhattan District resta en fonction jusqu'au[304].
Les dépenses du projet au étaient de 1,845 milliard de dollars, ce qui représentait neuf jours de dépenses militaires durant la guerre et elles atteignirent 2,191 milliards lorsque laCommission de l'énergie atomique prit son contrôle le. Plus de 90 % des frais furent consacrés à la construction des usines et à la production des matières fissiles tandis que le développement et la production des armes ne représenta que 10 % du total[306],[307]. LePIB américain en 1945 s'élevait à 228 milliards de dollars[308].
Au total, quatre armes (Gadget,Little Boy,Fat Man et une bombe inutilisée) furent fabriquées jusqu’à la fin de l'année 1945, pour un coût moyen d'environ500 millions de dollars par bombe. En comparaison, les dépenses totales du projet à la fin 1945 représentaient 90 % de toutes les dépenses de production des armes légères américaines (sans compter les munitions) et 34 % des dépenses engagées sur les chars durant la même période[305].
Les implications politiques et culturelles du développement des armes nucléaires furent profondes et durables. L'expression « Âge atomique » fut inventée par le journalisteWilliam L. Laurence duNew York Times qui devint le correspondant officiel pour le projet Manhattan[309]. Il assista à l'essai Trinity et aubombardement de Nagasaki ; il rédigea une série d'articles louant les vertus de la nouvelle arme. Ses reportages avant et après les bombardements aidèrent à la prise de conscience du potentiel de la technologie nucléaire par le public et motivèrent son développement aux États-Unis et en Union soviétique[310].
LeNaval Research Laboratory de l'US Navy était depuis longtemps intéressé par la perspective d'utiliser l'énergie nucléaire pour propulser des navires de guerre et il envisagea de créer son propre projet de recherche dans le domaine. En,Chester Nimitz, lechef des opérations navales, décida que l'US Navy devrait travailler avec le projet Manhattan. Un groupe d'officiers de la marine fut envoyé à Oak Ridge et le plus expérimenté,Hyman Rickover, devint le directeur adjoint du site. Leurs recherches posèrent les bases de lapropulsion nucléaire navale dont le premier représentant fut l'USS Nautilus (SSN-571) lancé en 1955[313]. Un groupe similaire de l'US Air Force arriva à Oak Ridge en avec l'objectif de propulser des avions avec l'énergie nucléaire[314]. Les ingénieurs rencontrèrent des difficultés insurmontables et leprojet fut finalement annulé en 1961[315].
La capacité des nouveaux réacteurs à produire desisotopes radioactifs dans des quantités encore jamais vues entraîna une révolution dans lamédecine nucléaire dans l'immédiat après-guerre. À partir du milieu de l'année 1946, Oak Ridge commença à fournir desradioisotopes à des hôpitaux et à des universités. L'essentiel des commandes concernait l'iode 131 et lephosphore 32 utilisés dans le traitement ducancer. En plus de l'usage médical, les isotopes furent utilisés dans la recherche industrielle, biologique et agricole[316].
Au moment de la prise de contrôle par laCommission de l'énergie atomique, Groves fit ses adieux aux personnes ayant travaillé sur le projet Manhattan :
« Il y a cinq ans, l'idée de l'énergie nucléaire n'était qu'un rêve. Vous avez fait de ce rêve une réalité. Vous avez saisi les idées les plus nébuleuses et les avez transformées en réalité. Vous avez bâti des villes là où il n'y en avait jamais eu. Vous avez construit des installations industrielles d'une taille et d'une précision jusqu'ici jugées impossibles. Vous avez créé l'arme qui a mis fin à la guerre et avez ainsi sauvé d'innombrables vies américaines. En ce qui concerne les applications en temps de paix, vous avez levé le voile sur un nouveau monde[317]. »
1946 :Les Enchaînés d'Alfred Hitchcock, leFBI informe le producteurDavid O. Selznick qu'il désapprouve particulièrement l'allusion au projet Manhattan à travers l'affaire des barres d'uranium dissimulées dans les bouteilles de la cave à vin de l'un des personnages nazis. Selznick conseille à Hitchcock de maintenir un flou maximum sur les aspects relatifs aux services secrets et à la bombe. Le cinéaste déclare alors que le FBI le ferait surveiller avant le tournage et lui imposerait des conditions étouffantes pendant le tournage, ce qui est improbable[319]. L'histoire des barres d'uranium décourage Selznick, qui ne croit plus au film et préfère en revendre les droits à laRKO-Radio Pictures[320].
↑La réaction qui inquiétait le plus Teller était :714N +714N →1224Mg +24He (particule α) +17,7MeV[28].
↑Dans le récit de Bethe, la possibilité de cette catastrophe fut à nouveau soulevée en 1975 lorsqu'elle apparut dans un article de magazine de H. C. Dudley qui avait proposé une interview d'Arthur Compton réalisée parPearl Buck en 1959. Les inquiétudes ne furent cependant pas apaisées dans l'esprit de quelques personnes jusqu'à l'essaiTrinity[31].
↑Stone & Webster offrait des services dans trois domaines du génie : civil, mécanique et électrique. Pendant laSeconde Guerre mondiale, elle conçut et construisit (1) des usines fabriquant des douilles de balles, (2) une usine à fabriquer des aciers, (3) une usine à fabriquer des viseurs pour les bombes, (4) une usine pour des instruments servant à la lutte aux incendies, (5) une usine fabriquant des compresseurs mécaniques destinés aux avions et (6) des usines pour la fabrication deTNT. De plus, ses services furent retenus pour des infrastructures et des centrales d'énergie. Elle s'occupait aussi d'énergie électrique. Stone & Webster construisit une ville à Oak Ridge au Tennessee, qui accueillit jusqu'à 75 000 travailleurs.
↑Dans les années 1930, la livre sterling s'échangeait à un maximum de5 dollars américains. Dans les années 1940, elle s'échangeait à un maximum de4 dollars[64]. Le taux de change retenu est le plus élevé des deux.
↑(en) « Evaluations of Trinity, July 1945 »,The Manhattan Project: An Interactive History, US Department of Energy, Office of History and Heritage Resources(consulté le).
↑U.S. Strategic Bombing Survey : The Effects of the Atomic Bombings of Hiroshima and Nagasaki, Harry S. Truman Presidential Library and Museum,(lire en ligne),p. 9, 36
La version du 18 juin 2013 de cet article a été reconnue comme « bon article », c'est-à-dire qu'elle répond à des critères de qualité concernant le style, la clarté, la pertinence, la citation des sources et l'illustration.