Leprix Nobel de littérature (Nobelpriset i litteratur ensuédois) est une récompense internationale accordée chaque année, depuis1901, à unécrivain ayant rendu service à l'humanité par une œuvre littéraire qui, selon le testament du chimiste suédoisAlfred Nobel, « a fait la preuve d'un puissant idéal »[1].
Récompense considérée comme la plus prestigieuse au monde, le prix Nobel de littérature met en lumière un auteur et ses travaux. Il lui assure une promotion à l'échelle planétaire, une renommée internationale et une certaine aisance financière.
Annonce du prix Nobel de littérature àStockholm en 2008.
Chaque fin d'année, le prix Nobel est attribué par l'Académie suédoise[6]. Celle-ci constitue ses nominations avec l'aide d'autres membres d'académies et de sociétés littéraires nationales et étrangères, d'éminents professeurs d'université enlittérature,langue etlinguistique, d'anciens lauréats du prix ou encore des présidents d'associations d'écrivains, représentant la culture littéraire de leurs pays[6]. L'Académie compose leComité Nobel (rattaché à lafondation Nobel) avec cinq de ses membres, désignés par cooptation pour trois ans[7]. Ces cinq académiciens vérifient la pertinence et le critère d'éligibilité des écrivains secrètement nommés pour la récompense[7].
Durant l'automne, un courrier du Comité est expédié à près de700 adresses afin d'être retourné pour le choix de l'année suivante[7]. Toutes les personnes ou institutions sollicitées proposent en conséquence une liste de plusieurs noms[7]. Il leur est fortement conseillé de détailler, expliquer ou motiver leurs choix bien que le règlement de la fondation Nobel ne l'oblige pas[7]. Il est en revanche formellement interdit aux personnalités démarchées de voter pour elles-mêmes si elles sont éligibles pour le prix[7]. Près de350 noms sont proposés annuellement aux membres du Comité qui les éliminent à partir du1er février pour ne garder que quinze à vingt candidatures en avril[6].
Cette première sélection est soumise au préalable à tous les membres de l'Académie qui procèdent à des recommandations[7]. Fin mai, le Comité Nobel fixe une liste finale de cinq noms, avalisée par l'ensemble des académiciens qui aura alors à désigner le récipiendaire du prix[6]. Si l'un des auteurs proposés n'est pas publié dans une langue accessible à la majorité du jury, l'Académie peut réclamer une traduction spéciale[7]. De même, si un écrivain nommé est méconnu du Comité mais semble légitime pour le prix, la fondation Nobel dépêche des experts qui éclairent l'Académie sur la portée de l'œuvre du candidat potentiel[7].
Après avoir étudié en détail, durant l'été, les ouvrages des auteurs en lice, les jurés organisent plusieurs discussions[7]. Il arrive souvent que les travaux d'un écrivain, nommé à plusieurs reprises, soient déjà lus[7]. Dans ce cas, l'Académie prend en compte les nouvelles publications de l'auteur sélectionné[7]. En conclusion des débats, début octobre, le jury procède à un vote[7]. La personne qui obtient plus de la moitié des voix est désignée comme lauréate du prix. Les quatre recalés sont réinscrits d'office pour les sélections de l'année suivante[2]. Le jury peut aussi déroger à la règle à la suite d'une décision exceptionnelle comme dans le cas très rare d'attribution d'un prix double ou conjoint. Ce mode de fonctionnement est similaire pour toutes les autres catégories du prix Nobel.
L'identité du récipiendaire est révélée par le secrétaire perpétuel de l'Académie, courantoctobre, lors d'une conférence de presse dans le bâtiment deBörshuset, situé dans lavieille ville deStockholm. Le contenu des délibérations et la liste finale des cinq personnalités sont gardés secrets pendant 50 ans[8]. Le nom du vainqueur fait en conséquence l'objet de spéculations au sein des milieux littéraires.
Même si le montant de la somme inhérente au prix a évolué au cours de son histoire, il est fixé aujourd'hui à10 millions decouronnes suédoises, à savoir environ un million d'euros[9]. Chaque personnalité récompensée se voit décerner, par le roi deSuède, la médaille d'or et le diplôme de lafondation Nobel au cours d'une cérémonie de remise des prix, le àStockholm, date-anniversaire de la mort d'Alfred Nobel. Auparavant, le gagnant doit faire un discours devant les membres de l'Académie suédoise dans lequel il définit son œuvre et ses aspirations artistiques.
Depuis sa création, le prix est revenu à 17 femmes et cinq membres de l'Académie suédoise, élus de manière antérieure ou postérieure à la réception de leur récompense[9]. La personnalité la plus âgée à avoir obtenu cette distinction estDoris Lessing (1919-2013), récompensée en 2007 à87 ans. Le plus jeune lauréat estRudyard Kipling (1865-1936), récompensé en 1907 à 41 ans.
Nombre de critiques, spécialistes et cercles de lecteurs déplorent le fait que la qualité des apports poétique et esthétique d'une œuvre au domaine desLettres n'est pas le seul critère impartial sur lequel s'axe l'Académie suédoise pour attribuer le prix Nobel. Son histoire est jalonnée de controverses et il entraîne régulièrement des contestations.
Le poète françaisSully Prudhomme est le premier lauréat du prix Nobel de littérature.
Lors des premières années de l'attribution du prix Nobel, le critère d'« idéalisme », fixé par le testament d'Alfred Nobel[10] est la principale cause de l'oubli d'écrivains et de dramaturges aussi importants queLéon Tolstoï,Anton Tchekhov,August Strindberg,Henry James,Thomas Hardy ou encoreHenrik Ibsen dont les œuvres sont jugées trop pessimistes. Selon l'historien de la littérature François Comba, l'Académie suédoise, sous l'influence du secrétaire perpétuel Carl David af Wirsén, rapproche au départ la notion d'« idéalisme » de « patriotisme » et met à l'honneur toute la littérature nationaliste ou régionaliste européenne (Theodor Mommsen,Henryk Sienkiewicz,Frédéric Mistral…)[11]. Pendant laPremière Guerre mondiale à laquelle laSuède ne participe pas, le comité revendique une ligne de neutralité, récompensant des auteurs de pays non-belligérants (comme leDanemark) ou des écrivains tels queRomain Rolland dont la vision universaliste et optimiste fait consensus[11].
Dans lesannées 1920, l'Académie change de ligne de conduite et prime des écrivains ouvertement sceptiques et critiques commeCarl Spitteler etAnatole France dont l'œuvre s'accommode mal avec l'idéal exigé par Alfred Nobel[11]. Dans lesannées 1930, le jury s'ouvre au continent américain et récompenseSinclair Lewis[11]. Aucun écrivain allemand ou autrichien susceptible de gênerAdolf Hitler n'est distingué à l'instar deBertolt Brecht,Hermann Broch,Joseph Roth,Stefan Zweig ou encoreRobert Musil[11]. Pour cette raison, l'écrivain tchécoslovaqueKarel Čapek, farouchement opposé aunational-socialisme et nommé sept fois pour le prix entre1932 et1938, est également écarté[12]. En1931, la récompense est attribuée à l'ancien secrétaire perpétuel de l'AcadémieErik Axel Karlfeldt, décédé en avril. Auparavant, l'auteur avait déjà été proposé par ses collègues mais il aurait refusé le prix en1919[13]. Il s'agit de la seule fois dans l'histoire des Nobel que la distinction est décernée intentionnellement de manière posthume[14]. Bien que réfugié en France et déchu de sa nationalité soviétique,Ivan Bounine devient le premier écrivain de langue russe à être distingué en1933 car le comité préfère écarterMaxime Gorki, jugé trop proche deStaline et se ranger à l'avis d'un neveu d'Alfred Nobel dont les faveurs allaient à Bounine[15]. Au cours de la même décennie, la candidature deSigmund Freud est étudiée et rejetée[16]. Lors de laSeconde Guerre mondiale, le prix est suspendu de1940 à1943 à la demande du gouvernement suédois qui affiche une politique de neutralité dans le conflit[11].
En1953, le comité distingueWinston Churchill, unique ancienChef du gouvernement à recevoir ce prix. Ce dernier lui est décerné« pour sa maîtrise de la description historique et biographique ainsi que pour ses discours brillants pour la défense des valeurs humaines »[17]. Lors de l'annonce de sa victoire, Churchill est à la fois déçu car il souhaitait obtenir leprix Nobel de la paix et surpris, s'exclamant :« Tiens, je ne savais pas que j'écrivais si bien »[18]. La candidature deCharles de Gaulle est sérieusement étudiée dix ans plus tard, car l'Académie apprécie la qualité littéraire de ses ouvrages[19].
En1954, 27 écrivains sont pressentis, parmi lesquels l'EspagnolRamón Menéndez Pidal, l'AméricainErnest Hemingway, et les FrançaisAndré Malraux etAlbert Camus dont les noms circulent depuis la fin desannées 1940. Même si les jurés suédois ont une préférence pour Malraux, celui-ci n'a pas écrit de romans depuis longtemps, ce qui rend son choix impossible. Hemingway, quant à lui, vient d'écrireLe Vieil Homme et la Mer deux ans plus tôt. Le cynisme, la sécheresse et la brutalité de son écriture ne s'accordent pas avec l'idéal souhaité par le testament d'Alfred Nobel mais l'écrivain a une forme d'héroïsme qui séduit certains jurés. Il l'emporte[20].
En1956, parmi les 44 écrivains pressentis, il y a 12 Français :Georges Duhamel,Marcel Pagnol,Henry de Montherlant,Henri Bosco,Jean Guitton,Marthe Bibesco,Saint-John Perse, André Malraux,Gabriel Marcel, Albert Camus,Jean Schlumberger etJules Supervielle. Mais l'EspagnolRamón Menéndez Pidal obtient le plus de parrainages de personnalités et d'institutions. PourAnders Österling, secrétaire perpétuel de l'Académie, le choix doit se faire entre lui etJuan Ramón Jiménez : « Il est évident que la zone espagnole a été sérieusement négligée depuis1922, lorsque le dramaturgeJacinto Benavente a été récompensé. Le choix doit se faire entre lui et Jimenez »[20]. Camus vient alors de publierLa Chute, un récit qui, pour les membres du comité, peut être comparé àLa Peste pour son impact. Cette nouvelle œuvre renforce indéniablement les mérites d'Albert Camus et ses chances d'obtenir le Nobel, mais le jury préfère attendre un examen approfondi et privilégie les lettres espagnoles, négligées depuis une trentaine d'années. Juan Ramon Jimenez est donc choisi.
En1957, 49 noms sont cités sur les listes dont 12 nouveaux. Cette fois, le choix, unanime, du comité se porte sur Albert Camus. Quelques mois auparavant, le, Anders Österling écrit une critique élogieuse deL'Exil et le Royaume dans le quotidienStockholms Tidningen. Le, Albert Camus est désigné « pour son importante œuvre littéraire qui met en lumière, avec un sérieux pénétrant, les problèmes qui se posent de nos jours à la conscience des hommes »[20].
En1958, l'attribution du prix àBoris Pasternak déclenche la colère des autorités soviétiques. L'auteur est forcé de décliner la récompense pour s'épargner des sanctions[22].
Lorsqu'en2012, lafondation Nobel rend publiques les archives des délibérations vieilles de cinquante ans comme le stipule le règlement, elle révèle queJohn Steinbeck fut récompensé par défaut[23],[24]. Les quatre autres auteurs retenus dans la sélection finale de1962 étaient la DanoiseKaren Blixen, le FrançaisJean Anouilh, puis les BritanniquesLawrence Durrell etRobert Graves[23],[24]. Il fut d'emblée décidé queDurell serait écarté[23]. Son œuvre ne faisait pas l'unanimité au sein du jury qui avait déjà évincé sa candidature l'année précédente sur l'insistance d'un membre du comité trouvant que ses livres avaient un« arrière-goût douteux », en raison d'une« préoccupation monomaniaque pour les développements érotiques »[23].Blixen mourut un mois avant l'élection du gagnant etAnouilh fut évincé car sa victoire aurait été trop proche de celle deSaint-John Perse, le dernier lauréat français[23],[24].Graves, quant à lui, était connu comme poète bien qu'il ait publié quelques romans[24]. Mais pourAnders Österling, secrétaire perpétuel d'alors, personne dans la poésie anglophone n'égalait le talent d'Ezra Pound, dont il fut décidé qu'il serait privé de la récompense à cause de ses positions politiques[24]. Steinbeck obtint finalement le prix. L'annonce de son couronnement fut mal reçue par la presse suédoise et américaine pour qui il était un auteur du passé[24]. En effet, l'écrivain américain n'avait rien publié de marquant depuis longtemps et ses grands romans (Les Raisins de la colère,Des souris et des hommes etÀ l'est d'Éden) étaient derrière lui[24]. Quand il répondit à un journaliste lui demandant s'il méritait la distinction, Steinbeck, lui-même surpris par sa victoire, répondit :« Franchement, non »[23]. Jamais par la suite, Anouilh, Graves et Durrell ne furent primés.
Le lauréat de l'année1970Alexandre Soljenitsyne, dissident soviétique, ne veut pas se rendre àStockholm de peur de ne pas être autorisé à retourner enUnion soviétique où il est assigné à résidence et où son œuvre, mise à l'index, circule clandestinement. Mais après le refus du gouvernement suédois d'honorer Soljenitsyne par une remise du prix avec lecture et discours publics lors d'une cérémonie organisée à l'ambassade deMoscou, l'écrivain est prêt à décliner la récompense et l'argent, rejetant les conditions suédoises qui, selon lui, sont « une insulte au prix Nobel lui-même ». Il ne peut percevoir sa distinction qu'après avoir été déchu de sa nationalité soviétique et exclu d'URSS en1974[26].
La non-attribution du prix est souvent polémique dans la mesure où elle peut avoir valeur de sanction politique, à l'instar deLouis-Ferdinand Céline et d'Ezra Pound, écartés respectivement pour leurs prises de position antisémite et pro-fasciste[28],[29]. Maintes fois retenu sur les listes,Jorge Luis Borges n'aurait, de son côté, jamais été récompensé comme le suppose son biographe Edwin Williamson dansJorge Luis Borges, une vie, en raison de ses relations conciliantes, voire troubles, avec les dictatures argentine et chilienne[30].
Josepha Laroche soutient justement la thèse selon laquelle les motivations de l'Académie suédoise dépassent l'évaluation de la qualité littéraire d'une œuvre ou de son apport novateur pour s'inscrire dans une dimension éminemment diplomatique :« Il n'y a pas d'équation entre la valeur littéraire et le Nobel. Un grand écrivain novateur ne mérite pas forcément le prix. Il s'agit d'incarner dans sa personne, mais aussi dans son œuvre, des valeurs de respect des droits des peuples. Le Nobel, y compris en littérature, a pour horizon la pacification des relations internationales »[28]. François Comba nuance cette affirmation, expliquant que la valeur esthétique et littéraire reste primordiale dans l'attribution du prix même si le critère politique n'est pas évincé :« De manière générale, les prix Nobel font preuve de bonne volonté, et ne commettent pas tant d'erreurs que cela : sur 109 lauréats, on trouve une quarantaine de très grands noms. […] Il s'agit fondamentalement d'un prix de littérature, même s'il inclut des considérations géographiques et politiques. C'est ce qui explique son poids »[11].
Cependant, les oublis notables contrastent avec certains choix du comité comme le fait de récompenserPablo Neruda etJean-Paul Sartre, proches du communisme,Gabriel García Márquez, proche ami deFidel Castro, ou encoreCamilo José Cela, qui a toujours oscillé, à l'égard dufranquisme, entre une certaine bienveillance et une attitude critique, ayant assuré un temps la fonction de censeur littéraire, entre1943 et1944, tout en étant lui-même censuré[31],[32],[33].
En août2006, à la suite du chahut médiatique provoqué par la révélation de l'engagement volontaire au sein de laWaffen-SS en1944 deGünter Grass (récompensé en1999), lafondation Nobel intervient face aux sommations de la droite allemande et d'une partie de la presse qui demandent à l'écrivain de rendre sa récompense et la somme d'argent reçue. Le président du comité déclare que « l'attribution des prix est irréversible car aucun prix Nobel n'a été retiré à quiconque par le passé »[34]. Enavril 2012, après la publication du poème polémique « Ce qui doit être dit » dans lequel l'auteur accuseIsraël de menacer la paix mondiale,Peter Englund, secrétaire perpétuel de l'Académie, exclut une nouvelle fois toute sanction vis-à-vis de Grass, rappelant que le prix lui a été attribué pour son mérite littéraire uniquement[35],[36].
Les choix du jury dans le courant desannées 2000 ont été soupçonnés, par une partie de la presse, d'être motivés par l'actualité politique, notamment avec le couronnement d'Harold Pinter en2005 qui concorde avec ses virulentes prises de position contre laguerre d'Irak ou celui d'Orhan Pamuk en2006 après la reconnaissance publique par ce dernier dugénocide arménien et du massacre des Kurdes par la Turquie[37],[38].
Le comité est en effet souvent taxé d'« élitisme » et d'« engagement gauchiste » par une partie de la presse car il met régulièrement à l'honneur des romanciers ou des poètes méconnus du grand public, pour la plupart engagés à gauche, mais le jury a toujours revendiqué son indépendance[38]. Néanmoins, le choix de récompenserMario Vargas Llosa en 2010 (auteur très engagé à droite et candidat du parti libéral lors de l'élection présidentielle du Pérou en 1990) est à considérer[39].
En2012, le choix du ChinoisMo Yan entraîne de vives contestations au sein du monde des arts, des lettres et de la culture en raison de la proximité supposée de l'auteur avec les autorités dePékin et son silence vis-à-vis de la répression des opposants politiques, du non-respect desdroits de l'homme et de l'application de la censure enChine[40]. Parmi ses détracteurs se trouvent l'artisteAi Weiwei, l'écrivain indo-britanniqueSalman Rushdie et la romancière germano-roumaineHerta Müller, lauréate du prix en 2009, qui considère ce Nobel comme une « honte », une « catastrophe » et « une claque pour tous ceux qui travaillent au respect de la démocratie et des droits de l'homme »[41],[42].
Sur son site, l'Académie reconnaît cependant quelques choix d'un goût discutable et l'indigence de certains résultats, notamment lors de la décennie1930-1939 :« La période offre plusieurs lauréats légitimement jugés médiocres, et qui cachent autant de négligences :Virginia Woolf aurait dû être récompensée à la place dePearl Buck, etc. »[28],[N 1],[45].
Les médias notent, de plus, que beaucoup de poètes ont été récompensés, dans un esprit fidèle à celui d'Alfred Nobel, grand amateur de poésie[28]. À l'inverse les écrivains qui privilégient une multitude de petits ouvrages aux grandes sommes semblent défavorisés. Selon le professeur enlittérature comparée de Harvard, David Damrosh,Italo Calvino n'a jamais été nobelisé pour cette raison[28]. Toutefois, le prix décerné en2013 àAlice Munro, qui écrit surtout des nouvelles, semble marquer un changement.
En1989, la romancièreKerstin Ekman « démissionne » de l'Académie suédoise pour cause de non-condamnation, de la part de ses collègues, de lafatwa islamique contreSalman Rushdie, écarté du palmarès[46],[38]. Elle a toujours sa place à l'Académie, mais refuse depuis l'affaire Rushdie de participer aux réunions.
L'année de l'attribution surprise du prix à l'homme de théâtreDario Fo, en1997,Salman Rushdie etArthur Miller en lice, faisaient figure de favoris. Mais le jury aurait considéré leur éventuelle victoire comme « beaucoup trop prévisible », émanant d'un choix « trop populaire »[47].
Le choix d'Elfriede Jelinek en2004 n'a pas seulement divisé la presse, il a également été l'objet de violents débats au sein de l'Académie[38]. Sur l'exemple d'Ekman, le professeur en littérature scandinaveKnut Ahnlund quitte sa fonction d'académicien en2005, jugeant l'honneur fait à l'écrivain autrichien être un« choc d'une extrême gravité, ayant causé des dommages irréparables à la littérature de manière générale et à la réputation du prix en particulier »[46]. Il n'a plus participé à aucun débat de l'Académie jusqu'à son décès en2012.
Les propos de l'ancien secrétaire perpétuel de l'Académie suédoiseHorace Engdahl, qui justifiait devant l'Associated Press enoctobre 2008 la précellence accordée par les jurés aux auteurs européens, ont déclenché un tollé au sein des milieux littéraires outre-Atlantique :
« Il existe bien sûr des auteurs forts dans toutes les grandes cultures, mais on ne peut pas nier le fait que l'Europe est toujours le centre du monde littéraire … pas lesÉtats-Unis […] Les États-Unis sont trop isolés, ils ne traduisent pas assez et ne participent pas au dialogue des littératures[48]. »
L'année suivante, le nouveau secrétaire perpétuelPeter Englund enraye la polémique en expliquant qu'« il est forcément plus facile pour les Européens d'être en phase avec la littérature européenne »[49].
La critique la plus insistante concerne la perspective euro-centrée ou occidentalo-centrée du jury et le fait que certaines zones géographiques soient totalement délaissées, faute de rayonnement ou de traductions suffisantes à l'instar de lalittérature persane[28]. Les lettres arabes trouveraient, quant à elles, peu d'échos car elles sont souvent contextualisées, référencées et ont un contenu assez social, ce qui suppose qu'elles correspondent mal à l'exigence universaliste du Nobel[28].
Au vu du nombre de lauréats (81 sur 113), l'Europe est sans conteste le continent le plus récompensé par l'Académie. Plusieurs journaux suédois ironisent d'ailleurs sur le fait que laSuède détient plus de prix Nobel que l'Asie (huit prix suédois contre quatre à peine pour le continent asiatique : deux japonais, un indien et un chinois[50])[51]. L'Afrique a attendu très longtemps son premier lauréat, le Nigérian d'expression anglaiseWole Soyinka en1986. L'ont suivi l'Égyptien arabophoneNaguib Mahfouz en1988, puis les Sud-Africains anglophonesNadine Gordimer etJ. M. Coetzee, récompensés respectivement en1991 et2003, et le Tanzanien anglophoneAbdulrazak Gurnah en 2021.
Dans le sillage du mouvement féministe suscité par le hashtag#MeToo, 18 femmes portent publiquement de graves accusations contreJean-Claude Arnault, époux de l'académicienneKatarina Frostenson dont le prestige, jusque-là, protégeait la réputation du photographe. L'académie, face au scandale médiatique déclenché par ces témoignages accablants, décide de reporter le Nobel de littérature à l'année suivante. Refusant d'avoir à subir le comportement d'un homme, des personnalités suédoises, dont Alexandra Pascalidou, autrice deMe too : Så går vi vidare Röster, redskap och råd (Lava Förlag, 2017), fonde une Nouvelle Académie chargée de décerner un prix littéraire de portée internationale en soulignant, précisément, le rôle crucial de la littérature à l'heure de #MeToo dans un monde qui se polarise. D'après elle, en tant que citoyenne d'un pays démocratique telle que la Suède, il était inadmissible de ne pas décerner de prix[54],[55].
La récipiendaire de ce prix Nobel qualifié d'« alternatif » par la presse estMaryse Condé.
Le, quatre jours après l'annonce de la lauréate du prix, dans l'annexe de l'université Columbia à Paris lors d'une rencontre avec les écrivains africains-américainsTa-Nehisi Coates etJake Lamar, l'universitaire Maboula Soumahoro prononce un discours dans lequel elle interroge le sens de ce label « alternatif » pour une femme noire écrivaine originaire de laGuadeloupe[56],[57].
En tout, 115 prix Nobel de littérature ont été attribués à 119 lauréats. Le prix n'a pas été décerné sept années (1914, 1918, 1935, 1940-1943)[58] mais a été décerné à deux lauréats en 1904, 1917, 1966 et 1974.
En 2024, sur 121 écrivains récompensés par le Prix Nobel, seulement neuf (soit 7,4 %) utilisent des langues appartenant aux domaines linguistiques d'Asie et du Moyen-Orient.
Les autres (112 écrivains, soit 92,5 %) utilisent des langues du domaine linguistique européen. Ils se répartissent de la manière suivante :
↑Un exemple concernant les écrivaines est celui deConcha Espina, proposée vingt-cinq fois en vingt-huit ans sans jamais être lauréate.
↑Samuel Beckett, qui a écrit plusieurs de ses ouvrages en français avant de les traduire en anglais, est comptabilisé par l'Académie Nobel comme un auteur d'expression anglaise.Gao Xingjian a écrit plusieurs pièces de théâtre ainsi qu'un essai et un recueil de poésie en français mais écrit ses romans enmandarin, langue à laquelle il reste associé par l'Académie.
↑den som inom litteraturen har producerat det utmärktaste idealisk riktning. Le termeidealisk peut se traduire par « idéaliste » ou « idéal »(en)Ink and Spit, John Sutherland,The Guardian,.
↑En2011, leprix Nobel de médecine est décerné àRalph Steinman alors que ce dernier vient de mourir quelques jours auparavant sans que le jury en soit informé ; le prix est maintenu malgré les statuts.
↑FrançoisComba, « Le Prix Nobel de littérature »,Profondeur de champs (magazine culturel en ligne),(lire en ligne, consulté le).
↑Citation de l'article consacré àBoris Pasternak par Michel Aucouturier inLe Nouveau Dictionnaire des auteurs, édition Laffont-Bompiani, Paris,1994,vol. 2,p. 2439.
↑En réalité, deux auteurs chinois ont été mis à l'honneur :Gao Xingjian (2000) etMo Yan (2012). Il faut néanmoins mettre de côté le cas de Gao, qui écrit enmandarin et a été récompensé pour avoir ouvert de nouvelles voies à l'art littéraire chinois. Mais il est un écrivain dissident et est mis à l'index dans son pays d'origine. Il a d'ailleurs accepté le prix sous bannière française (il a reçu la nationalité française en1997) et les autorités chinoises n'ont jamais reconnu ce prix Nobel : aucun journal n'a relayé l'information de sa victoire en 2000.