LePrintemps des peuples ouPrintemps des révolutions désigne le mouvementrévolutionnaire que connaît une grande partie de l'Europe en1848, pour l’essentiel entre fin février et début juillet 1848, avec une forte concentration d’événements entre mars et juin, d'où la qualification de« printemps »[1]. Bien que réprimées avec succès, ces crises ont souvent été déterminantes pour l'évolution des pays concernés, notamment l'Allemagne qui, en dépit de l'échec duParlement de Francfort, s'engage dans la voie de l'unification qui s'achèvera en1871.
LechrononymePrintemps des peuples n'est pas contemporain de l'événement. Il n'apparaît en français qu'un siècle plus tard, en1948, dans le titre d'un ouvrage dirigé par l'historienFrançois Fejtő et consacré aux révolutions de1848[2].
On peut voir le Printemps des peuples comme une conséquence directe ducongrès de Vienne. En effet, les vainqueurs deNapoléon Bonaparte furent tentés d'agrandir le territoire des empires, au détriment des aspirations nationales des révolutionnaires républicains de l'époque. La volonté d'endiguer ces aspirations est consacrée par le Traité qui instaure laSainte-Alliance (bien que non signée duRoyaume-Uni) en 1815. Ignorés, ces mouvements se renforcent.
Poussée du libéralisme contre le système de Metternich
Dans lesÉtats pontificaux,Pie IX procède en1846 à un certain nombre de réformes modérées (censure confiée à des laïcs, création d'une garde civique…) mais qui provoquent l'enthousiasme chez les libéraux.
Dès 1830, Paris s'active. Elle renverse le conservateurCharles X et met en placeLouis-Philippe, que l'on appelle le Roi citoyen. Il met en avant le principe de souveraineté nationale, ce qui est la première entorse auCongrès de Vienne qui instaurait le droit d'ingérence. La Pologne, la Belgique, l'Allemagne et l'Italie vont se révolter. Il y a une volonté d'unité nationale chez les trois derniers, d'indépendance chez les premiers. Les paroles duChant des Allemands sont écrites à cette époque, en 1841. En Italie, on rêve de l'époque antique où l'Italie était unie. C'est leRisorgimento, c'est-à-dire la résurrection. À l'époque, lescarbonari sont un puissant mouvement politique italien, bien qu'illégal (combattu à la fois par laSardaigne et par l'empire d'Autriche).Giuseppe Mazzini, activiste et un des grands dirigeants de ces carbonari, a une forte volonté. Il tente de réaliser l'unité italienne sous laRépublique romaine, avec son amiGaribaldi, mais il échouera. Le compositeurVerdi écrira de la musique italienne pour une Italie unie. Opposé à l'idée d'une indépendance,Metternich déclare :« l'Italie n'est pas un pays mais un terme de géographie » ;Victor Hugo réplique et dit aux Italiens :« N'ayez qu'une pensée, vivre chez vous de votre vie à vous »[3].
L'année 1848 marque le point culminant et la fin du Printemps des peuples. En France, pour contourner l’interdiction de réunion et d’association instaurée par lamonarchie de Juillet, les partisans dusuffrage universel, auquel s'oppose le roi, organisent des banquets qui se transforment en discours politiques. En dépit de l'interdiction du rassemblement parisien, les participants se massent le et des troupes tentent de les disperser violemment. Les échauffourées et manifestations se multiplient dans la capitale et des manifestants sont abattus à proximité du ministère des Affaires étrangères. Le 24, les insurgés prennent d'assaut lesTuileries et font reculer la troupe en plusieurs points de la capitale. Acculé, le roi est renversé et laIIe République est proclamée. Les monarques européens voient leur pouvoir menacé par cette révolution et certains se préparent à la guerre contre la France ;NicolasIer de Russie, favorable à la guerre, lance un manifeste :« Pour la justice de Dieu et pour les principes sacrés de l'ordre établi sur les trônes héréditaires »[4].
ÀVienne, la révolte commence le. Comme à Paris, les manifestations sont réprimées et les cortèges macabres parcourent les rues.Metternich est contraint de fuir la cour d'Autriche le. Des aspirations nationales sont une cause centrale des troubles dans l'empire (beaucoup plus qu'en France). L'aspiration à l'unité allemande se fait de plus en plus forte, mais il y a une question essentielle, bien formulée par les historiensMichel Vernus etCaron : comment concilier l'intégrité autrichienne et réussir à créer un État allemand englobant les territoires de laConfédération et ceux de l'Empire ? Il faudra choisir entre concept degrande Allemagne qui réunit à la fois ce qu'on appelle encore aujourd'hui l'Allemagne et tous les territoires germaniques inhérents à l'empire et lapetite Allemagne, déjà unie économiquement avec leZollverein, et donc sans l'Autriche. De plus, de forts mouvements commencent àBudapest le, Praguele 11, contaminent par la suite l'Allemagne, l'Italie, les Vénitiens ensuite. Comme au début du siècle, ils demandent des réformes libérales mais également plus d'autonomie pour les Tchèques et les Hongrois, voire une indépendance totale chez les Italiens (bien qu'ils soient partagés entre monarchistes et républicains).
Malgré la puissance et l'étendue du mouvement, qui épargne uniquement laRussie, lePortugal, et l'Espagne — même si ce dernier est en proie à uneguerre civile et que leRoyaume-Uni a vu des manifestations libérales sur son sol —, l'aspiration nationale des peuples et parfois même les revendications libérales avortent, dans l'ensemble. Le roi dePrusse concède dans un premier temps une constitution qui garantit l'égalité des citoyens devant la loi.François Joseph, nouvellement arrivé sur le trône d'Autriche, emploie plusieurs formes de démocratie :parlement bicaméral, élections, mais — en réalité — il met en place unnéo-absolutisme. Il devient populaire en s'appuyant néanmoins sur une politique nationaliste : exécutif fort, centralisation, germanisation, cléricalisme. Si les monarchies quittent temporairement les capitales — Berlin pour Potsdam, Vienne pour Innsbruck — elles s'en remettent aux armées et à « ce remède universel qu'est l'état de siège », selon la formule deKarl Marx. Lemaréchal Radetzky reprend laLombardie, le maréchalWindischgraetzPrague, puisVienne. La Hongrie, qui s'était soulevée en un royaume quasi indépendant dirigé parKossuth, est reconquise. Certaines monarchies emploient également les haines nationalistes comme enPologne, où les minorités allemandes et juives sont dressées contre la majorité polonaise. Le roi de Naples fait bombarderNaples etMessine en novembre. En décembre, l'armée du roi de Prusse soumetBerlin à l'état de siège. Le roi fait disperser l'assemblée et récuse ses promesses[4].
Même en France, le calme revient. Le nouveau président de la République se nommeLouis-Napoléon Bonaparte. Neveu de l'empereur, il est partisan d'une société où l'ordre règne. Le, il fait un coup d’État et fonde leSecond Empire sous le nom de Napoléon III. On revient donc à un état non démocratique contrariant les élans qui s'étaient exprimés.
Les sentiments nationaux, liés auromantisme, se nourrissent à la fois d'aspirations d'émancipation sociale et de la mutation desidentités populaires qui s'éloignent désormais des fidélités à telle ou telle dynastie, pour s'appuyer sur une langue, une culture, une histoire ou des traditions communes : ainsi dès aout 1830,Bruxellois,Wallons etFlamands se rebellent-ils contre le roi et l'État que leCongrès de Vienne leur a imposé,ainsi peu après lesAllemands, lesPolonais, lesItaliens et lesRoumains aspirent-ils à la fois à échapper aux dominations impériales qu'ils subissent, et à s'unir au sein d'un même État ; d'autres peuples comme lesTchèques ou lesHongrois aspirent à retrouver leur indépendance perdue, tandis qu'en France larestauration monarchique, même devenueconstitutionnelle, est elle aussi remise en question par les forces républicaines etbonapartistes réunies[5].
Dans la future Italie : la péninsule étant encore morcelée, des révoltes éclatent àPalerme dès le 12 janvier 1848,Naples, enToscane, dans lesÉtats pontificaux, àMilan, etc. Les révolutionnaires prennent des décisions très en avance sur leur temps, comme le vote des femmes[6]. Divers souverains accordent des constitutions. Si l'ordre est ramené presque partout (avec des interventions françaises et autrichiennes), c'est le début de l'unification du pays par le royaume dePiémont-Sardaigne.
En France : le peuple de Paris se soulève les 23-24- et renverseLouis-Philippe. Lesjournées de juin suivantes voient les conquêtes sociales largement remises en cause par le nouveau gouvernement bourgeois. LaIIe République se termine par le coup d'État deLouis-Napoléon Bonaparte en1851. Dans certaines régions comme l'Auvergne le printemps des peuples accentue les revendications de certains républicains notamment sur des questions linguistiques commeCharles-Antoine Ravel.
En Autriche : des émeutes éclatent en mars àPrague et àVienne. La Bohême est soumise dès le mois de juin, et la capitale en octobre. L'empereurFerdinand abdique en faveur de son neveuFrançois-Joseph. La faiblesse momentanée de l'Autriche encourage les révolutions hongroise et allemande.
En Hongrie : le régime féodal est aboli par laDiète. LaVoïvodine de Serbie est également proclamée par l'assemblée de mai àSremski Karlovci, dans l'actuelleSerbie. L'indépendance est proclamée en, mais la révolte est écrasée en août suivant par l'Autriche aidée par l'Empire russe. La situation antérieure est rétablie à l'été 1849.
Tandis que les unités allemande et italienne s'accomplissent par étapes, laPrusse desHohenzollern et l'empire desHabsbourg subissent les poussées centrifuges des aspirations des divers peuples qui les composent, mais se rétablissent, les aspirations desSlaves et desRoumains restent, pour ce moment, lettre morte[7]. Bien que l'Empire russe se pose volontiers en protecteur des peuples slaves de l'Empire d'Autriche et desBalkans ottomans, l'hostilité du régime impérial à tout mouvement d'émancipation sociale ou nationale pousse la Russie à écraser les révolutionnaires des pays autrichiens et desprincipautés roumaines vassales de la « Sublime Porte » ottomane : leTsar apparaît dès lors comme le sauveur desHabsbourg et du Sultan turc[8].
↑Jean-ClaudeCaron, « « Printemps des peuples » : pour une autre lecture des révolutions de 1848 »,Revue d'histoire du XIXe siècle. Société d'histoire de la révolution de 1848 et des révolutions du XIXe siècle,no 52,,p. 31-45(ISSN1265-1354,DOI10.4000/rh19.4988,lire en ligne, consulté le)
↑Jean-Claude Caron, « Le Printemps des peuples »,Les noms d'époque. De "Restauration à "années de plomb", dir. Dominique Kalifa,,p. 187-207
↑Aimé Humbert,Alexis-Marie Piaget d'après sa correspondance et la république neuchâteloise de 1848 à 1858, Neuchâtel, Attinger frères, libraires-éditeurs,, 630 p.(lire en ligne),p. 159 à 206