Dubček introduit laliberté de la presse,d’expression etde circulation, dans la vie politique ladémocratisation et enclenche unedécentralisation de l’économie. Il dote le pays d'une nouvelle Constitution qui reconnaît l'égalité des nations tchèque et slovaque au sein d'une république désormaisfédérale. Cette innovation politique sera la seule à survivre à l’intervention soviétique.
Le printemps de Prague provoque la réaction de l’URSS qui, après l’échec des négociations, envoie deschars de combat et des soldats pour imposer une « normalisation ». L’occupation soviétique entraîne des manifestationsnon violentes et une vague d’émigration parmi la population tchécoslovaque. Au printemps suivantGustáv Husák remplace Alexander Dubček à la tête du parti et la plupart des réformes libérales sont abandonnées. Le printemps de Prague a inspiré la culture des années 1960-1980 avec les œuvres deKarel Kryl etMilan Kundera (L'Insoutenable Légèreté de l'être).
Monument aux victimes de la terreur politique dans les camps de travail en Tchécoslovaquie (1948-1989), Jáchymov (Tchécoslovaquie).
L’Europe séparée par lerideau de fer. En rouge, les pays du bloc communiste (la Yougoslavie et l'Albanie finissent par rompre avec l'URSS).
Dans les années 1950, la Tchécoslovaquie connait une croissance économique élevée (de l'ordre de 7 % en moyenne par an) permettant une augmentation substantielle des salaires et du niveau de vie, ce qui favorise la stabilité du régime[1].
L’économie estplanifiée, la production industrielle stagne et le secteur agricole accuse un retard important. En, le parti publie les principes pour une réforme économique majeure. Au début de 1965, il commence à mettre en œuvre certaines des mesures recommandées. En, le treizième congrès du parti communiste donne son feu vert au nouveau programme appelé « Nouveau modèle économique » (qui rappelle laNouvelle politique économique léniniste de 1921).
Mise en œuvre à partir de1967, cette réforme comporte de multiples facettes dont certaines (faute de temps) ne seront jamais mises en place, son principe de base étant de réduire le rôle et le pouvoir du Comité de planification centrale et de donner une plus grande marge de manœuvre aux responsables des entreprises :
le rôle du Comité de la planification centrale est consultatif et se limite à la définition des objectifs à long terme et aux orientations stratégiques : les entreprises sont libres de définir leurs objectifs à court terme ;
les entreprises ont un devoir de rentabilité et doivent réaliser desprofits sur leur production plutôt que de remplir les objectifs quantitatifs et qualitatifs du Plan. Cela devient le critère d'évaluation des entreprises ;
l'État doit graduellement cesser les subventions : les investissements doivent être financés par les entreprises elles-mêmes via le recours à l'emprunt portantintérêt et doivent justifier d'unretour sur investissement afin que cesse la gabegie des ressources financières ;
l'appareil de production sera progressivement mis en compétition avec laconcurrence internationale afin qu'il augmente sa productivité et baisse ses prix ;
les exportations vers l'ouest sont encouragées afin de se procurer des devises ;
un système de fixation des prix plus réaliste doit remplacer la fixation centralisée ; les prix doivent refléter les coûts de production réels,offre et demande tant locale que mondiale ;
finalement, les salaires doivent être revus et inclure unintéressement basé sur la performance individuelle ou collective au niveau de l'entreprise : c'est la fin de l'égalitarisme.
Ce versant économique dusocialisme à visage humain ne vise pas l'économie de marché ni le renversement dusocialisme, mais constitue unréformisme socialiste. Cette tentative de réforme de l’économie engagée en 1965 suscite dans la population une aspiration à des changements politiques[5].
Dès lesannées 1960, lesdissidents s’organisent pour dénoncer les abus du régime : l’Union des écrivains tchécoslovaques utilise lagazetteLiterárni noviny (« Journal littéraire ») pour réclamer unelittérature indépendante du pouvoir[6]. En juin1967, certains écrivains commeLudvík Vaculík,Milan Kundera,Alexandr Kliment(en),Antonín J. Liehm,Pavel Kohout etIvan Klíma saisissent l'occasion du quatrième congrès de l'union des écrivains tchécoslovaques pour critiquer la censure et la nature totalitaire du régime[7]. Quelques mois plus tard, le parti communiste décide de prendre des mesures contre les intellectuels qui s’expriment en faveur des réformes : le contrôle surLiterární noviny et sur lesmaisons d’édition est transféré au ministère de la Culture[6].
Le régime est de plus en plus contesté : en 1967, le Premier secrétaire du Parti communiste slovaque,Alexander Dubček, et l’économisteOta Šik défient le pouvoir ; un mouvement, venu de l'intérieur duParti communiste tchécoslovaque (PCT), conteste la direction, particulièrement son Premier secrétaire,Antonín Novotný. Celui-ci demande le soutien des Soviétiques, qui n’interviennent pas.
Dubček inviteLéonid Brejnev à venir àPrague en[8]. Le dirigeant soviétique, surpris par l’opposition à Novotný, le remplace par Alexander Dubček à la tête du parti le[9]. Le, la présidence de l'État est attribuée àLudvík Svoboda[10], ancien ministre de la Défense et l'un des auteurs ducoup de Prague de février1948.
En, devant le président du Parti communiste tchécoslovaque, Alexander Dubček annonce des réformes et son intention d’appliquer en Tchécoslovaquie un « socialisme à visage humain »[11].
À l’occasion du20e anniversaire ducoup de Prague de, Dubček prononce un discours expliquant la nécessité de réformer le socialisme. Il évoque le rôle du parti dont le but est de bâtir le socialisme sur des fondations économiques solides, un socialisme qui correspond aux traditions démocratiques de la Tchécoslovaquie[12].
En avril, il lance un programme d’assouplissement du régime : affirmation des libertés et droits fondamentaux (presse, expression, réunion, circulation). Il souhaite engager la démocratisation de la vie politique en favorisant lemultipartisme et en limitant le pouvoir de la police d’État[13]. Son autre objectif est d’assurer la reconnaissance par la Constitution des nations égalestchèque etslovaque sur un pied d’égalité ainsi qu’une évolution vers lefédéralisme[14]. Le programme de Dubček s’étend en outre à la politique étrangère : la Tchécoslovaquie doit entretenir sa coopération avec l’URSS et les autrespays communistes, tout en maintenant de bonnes relations avec les pays du bloc occidental[15]. Cependant, le programme prend bien soin de ne pas remettre en cause le système communiste dans son ensemble, tout en soulignant l’obsolescence de certains points de ladoctrine marxiste-léniniste[16] : par exemple, étant donné que la phase delutte des classes est achevée, il n’est plus nécessaire de poursuivre ledirigisme économique et lacentralisation administrative[16]. Les salaires peuvent désormais être proportionnels aux qualifications des travailleurs et il est urgent de former des cadres socialistes capables de rivaliser avec le modèlecapitaliste occidental[16]. Bien que le programme stipule que les réformes doivent être mises en œuvre par le PCT, la pression populaire encourage leur application immédiate[17]. L’annonce des réformes entraîne rapidement une montée des critiques contre l’URSS dans la presse et la reformation duParti social-démocrate tchèque, absorbé de force par le PCT en 1948. Devant la multiplication des clubs politiques et la démocratisation du système, les conservateurs communistes réclament des mesures répressives, mais Dubček préfère la modération tout en réaffirmant la prééminence du parti[18]. Le PCT est partagé en deux groupes, le premier soutenant les réformes (Josef Smrkovský,Oldřich Černík etFrantišek Kriegel(en)), l’autre refusant toute libéralisation (Vasil' Biľak(en),Drahomír Kolder(cs) etOldřich Švestka(cs)). Au mois de, Dubček annonce la convocation du14e congrès du parti pour le 9 septembre suivant, avec trois objectifs : écrire une loi fédérale, élire un nouveau comité central et intégrer le programme de réformes dans les statuts du parti[19].
Les réformes de Dubček garantissent laliberté de la presse : un commentaire politique est pour la première fois admis dans unmédia de masse[20]. Le, le journaliste et écrivainLudvík Vaculík publie unmanifeste intituléLes Deux Mille Mots dans lequel il critique le conservatisme du parti communiste et appelle ses concitoyens à réclamer plus de liberté[21]. Dubček, le Présidium du parti et le Front national dénoncent le manifeste[22].
Les anciens dirigeants communistes injustement condamnés lors desprocès de Prague dans lesannées 1950 sont réhabilités. Les frontières vers l'ouest sont brièvement ouvertes à la fin de l'été 1968. Le pays perd une partie de sonintelligentsia, parmi les plus jeunes et les plus éduqués. Cetteémigration massive n’est pas sans conséquence sur le développement du pays.
Le programme de Dubček comporte également des réformes économiques. Un économiste réformateur,Ota Šik, est promu au poste de vice-Premier ministre et membre du Comité central du PCT. Il dresse alors un tableau accablant du retard de l'industrie tchèque, autrefois l'une des premières d'Europe. Ce rapport, connu de tous, fait apparaître le système économique comme le principal responsable de cet échec.
Dubček veut encourager les industries de biens de consommation et de pointe plutôt que de rester sur lemodèle stalinien de développement basé sur lesindustries lourdes, d’équipement et de main d'œuvre[16]. Il s’agit en outre de combiner l’économie planifiée à l’économie de marché pour sortir le pays de la crise commerciale, toujours sous le contrôle du PCT[23]. Le principe de base est de réduire le pouvoir du Comité de planification centrale et de donner une plus grande marge de manœuvre aux responsables des entreprises. Celles-ci sont libres de définir leurs objectifs à court terme, mais doivent viser larentabilité et réaliser desprofits. L'État doit graduellement cesser lessubventions, de fixer les prix et l’économie s’ouvrir progressivement à la concurrence internationale. Lesexportations doivent être encouragées. De plus, le gouvernement fusionne certaines entreprises selon un principe sectoriel ressemblant auxtrusts ou auxcartels, dirigés par des « directoires de branche ». Ces grandes unités de production forment un lien intermédiaire entre les entreprises et les ministères et constitue en quelque sorte un contre-pouvoir économique. Le pouvoir autorise les entreprises à développer lescomités d'entreprise et les premiersconseils de travailleurs se mettent en place, adoptant des statuts plus ou moins autogestionnaires[24]. Cependant, les désaccords au sein du PCT et surtout l’invasion soviétique empêchent l’application des réformes économiques prévues. Toutefois, le mouvement de création de conseils de travailleurs s'amplifie après l'été 1968 et ce n'est qu'en que les autorités parviennent à y mettre fin[25].
En Hongrie,János Kádár accueille avec enthousiasme le programme tchécoslovaque en. En URSS,Brejnev s’inquiète d’une libéralisation qui risque de fragiliser le camp soviétique en pleineguerre froide[26],[27],[28]. Au cours d’une réunion des pays communistes (URSS,Hongrie,Pologne,Bulgarie etRépublique démocratique allemande), le àDresde, la délégation tchécoslovaque est sommée de s’expliquer sur le programme de réformes. Les responsables communistes laissent alors entendre qu’une démocratisation du régime représente une critique voilée des autres régimes[29].Władysław Gomułka etJános Kádár, dirigeants respectifs de la Pologne et de la Hongrie, s’inquiètent moins des réformes que de la liberté d’expression dans les médias tchécoslovaques ; ils comparent la situation à celle qui précéda l'insurrection de Budapest en 1956[29]. Le pouvoir soviétique tente d’arrêter ou au moins de limiter les changements en cours en Tchécoslovaquie en ouvrant une série de négociations. La première se tient près de lafrontière entre la Slovaquie et l’URSS àČierna nad Tisou, au mois d’août. Dubček y défend son programme tout en renouvelant ses engagements vis-à-vis dupacte de Varsovie et duComecon[15]. Brejnev propose alors un compromis : les délégués du Parti communiste tchèque réaffirment leur loyauté au Pacte de Varsovie, s’engagent à restreindre les tendances « antisocialistes » et à renforcer leur contrôle sur la presse. En échange, l’URSS consent à retirer les troupes en manœuvre depuis le mois de juin et autorise le congrès du parti prévu pour le[30].
Le, les représentants de l’URSS, de laRDA, de la Pologne, de la Hongrie, de la Bulgarie et de la Tchécoslovaquie se rencontrent àBratislava et signent une déclaration commune qui rappelle leur fidélité aumarxisme-léninisme et à l’internationalisme prolétarien ; ils jurent de lutter contre l’idéologie bourgeoise et toutes les forces antisocialistes[31]. L’URSS se réserve le droit d’intervenir dans lesdémocraties populaires si un système bourgeois caractérisé par lepluralisme politique et défendant les intérêts des capitalistes vient à s’y établir. Après la conférence de Bratislava, les troupes soviétiques quittent le territoire tchécoslovaque mais restent stationnées près de ses frontières[32]. L'intervention ayant été collective, d'après Lilly Marcou, dans cette affaire, « Brejnev fut manipulé par Gomulka et Ulbricht »[33].
Le mémorial des victimes de l’invasion soviétique,Liberec.Plaque commémorative deKošice, en Slovaquie.
L'intervention des troupes dupacte de Varsovie en enTchécoslovaquie, pour mettre fin au printemps de Prague, illustre le principe de la « souveraineté limitée » et préfigure ce qui va devenir peu après ladoctrine Brejnev[34]. Dans la nuit du mardi 20 au mercredi, les forces armées de cinq pays du pacte de Varsovie — URSS, Bulgarie, Pologne, Hongrie et RDA — envahissent la Tchécoslovaquie[35],[36]. En revanche, ni laRoumanie, ni l’Albanie ne participent à l’opération ; l’Albanie décide de se retirer du pacte de Varsovie après les événements[37].
La période du printemps de Prague prend fin lors de l'invasion qui a lieu dans la nuit du mardi 20 au mercredi. 400 000 soldats, 6 300chars des pays dupacte de Varsovie, appuyés par 800 avions, 2 000 canons, envahissent le pays[38]. L'opérationDanube, préparée depuis le, mobilise pour l’essentiel des troupes soviétiques[38]. À titre de comparaison, l'Allemagne alignait 3580 chars contre l'URSS lors de l'opérationBarbarossa et la Tchécoslovaquie avait une population d'un peu moins de 15 millions d'habitants[38]. Cependant il semble que l'Allemagne de l'Est deWalter Ulbricht ait particulièrement poussé à l'intervention une direction soviétique divisée et hésitante, certains de ses membres étant conscients de la mauvaise publicité pour le régime et des risques pour la coexistence pacifique avec l'Ouest qu'entraînerait une intervention militaire[39].
Selon l'historien tchèqueOldřich Tůma(cs), les soldats tchécoslovaques se tenaient prêts à combattre et ont attendu en vain une décision politique dans ce sens. Certains soldats ont même dessiné en bleu sur des cartes les positions des armées soviétiques. Le bleu était alors la couleur pour désigner l'ennemi. Un officier a été expulsé de l'armée pour cette raison.
À cette époque, les généraux de l'armée tchécoslovaque sont liés aux Soviétiques qu'ils considèrent comme leurs « supérieurs ». Ils ont en effet étudié dans les écoles soviétiques.Moscou possédait des informations précises sur l'armée tchécoslovaque. En ce sens, celle-ci faisait partie de l'armée soviétique[40].
Oldřich Tůma ajoute que le haut commandement était certainement au courant des préparatifs de cette invasion et était aidé par des membres du ministère de la défense tchécoslovaque.
Il était impossible qu'un regroupement massif de troupes soviétiques aux frontières de la Tchécoslovaquie, pendant plusieurs mois avant l'intervention, passât inaperçu auprès du haut commandement militaire tchécoslovaque.
Cependant, d'après le témoignage d'Alexander Dubcek, à l'époque le Premier secrétaire du Parti communiste, le gouvernement tchécoslovaque ne croyait pas jusqu'à la dernière minute que cette invasion puisse avoir lieu[41].
Les officiers tchécoslovaques de moindre grade désiraient intervenir. En l'absence de décision politique, ils opposèrent une résistance passive, en refusant par exemple de rendre leurs armes aux Soviétiques.
Le peuple s'est également illustré par de nombreux actes derésistance passive. Dans l’après-midi du, des dizaines de milliers de manifestants défilent dans les rues dans l’après-midi. Ils bandent les yeux des statues des héros tchèques. Les panneaux indicateurs sont déplacés et de nombreuses rues de Prague sont « rebaptisées » à la hâte : rue Dubček ou rue Svoboda, afin de semer le trouble dans l'armée adverse. Plusieurs personnes se regroupent autour des bâtiments de laRadio publique, notamment àPrague et àPilsen. La radio a donc pu continuer à émettre librement et informer le pays de l'invasion.
L’invasion provoque une importante vague d’émigration qui finit par s’arrêter quelque temps plus tard : on estime le nombre des départs à 70 000 immédiatement après l’intervention[46]. Sur toute la période soviétique, 400 000 Tchécoslovaques quittent leur pays[47].
Le,Jan Palach, un étudiant s’immole par le feu sur laplace Venceslas à Prague en protestation contre la suppression de la liberté d’expression[48]. L’exemple de Palach est suivi parJan Zajíc un mois plus tard et parEvžen Plocek en avril[49]. Dans la nuit du 28 au, 500 000 personnes manifestent spontanément : 21 garnisons soviétiques sont attaquées[49]. Le premier anniversaire de l’invasion soviétique soulève de nouvelles manifestations[49].
Banderole russe de protestation contre l’invasion de 1968 : « Pour votre liberté et la nôtre ».
Le Printemps de Prague conduitBrejnev à durcir le régime en poursuivant lesdissidents et en agitant la menace d’une intervention militaire dans lebloc soviétique devant toute réforme selon la théorie de la « souveraineté limitée ».
Le, une manifestation de soutien aux Tchécoslovaques se rassemble sur laplace Rouge àMoscou : vers midi, huit Soviétiques déroulent des banderoles où sont inscrits des slogans dénonçant l’invasion. Ils sont arrêtés et punis pour « acte antisoviétique »[50]. ÀBucarest, le dirigeant communisteNicolae Ceaușescu prononce un discours critiquant la politique soviétique en Tchécoslovaquie[37],[51]. EnPologne, un comptable de 59 ans,Ryszard Siwiec, s'immole dans un stade devant 100 000 personnes pour dénoncer la normalisation.
Larépublique populaire de Chine condamne également l’invasion[52]. En revanche, le présidentcubainFidel Castro ne condamne pas l’intervention de l’armée soviétique[53]. En Asie, la république démocratique du Viêt Nam l'approuve également. Hanoï sort ainsi pour la première fois de sa neutralité dans le conflit sino-soviétique en donnant raison à l'URSS contre la Chine[54].
Les partis communistesfinlandais,italien etfrançais dénoncent l’occupation[55]. Cependant, le présidentfinlandaisUrho Kekkonen part en visite officielle en Tchécoslovaquie où il reçoit les plus grands honneurs du pays par le présidentLudvík Svoboda, le[56]. Le PCI devient de plus en plus critique vis-à-vis de l'URSS et finit par rompre définitivement avec lui, principalement sous l'impulsion de son secrétaire généralEnrico Berlinguer, alors que lePCF ne condamna jamais la « normalisation ». Le secrétaire général duParti communiste portugaisÁlvaro Cunhal est l’un des rares Occidentaux à soutenir publiquement l’intervention soviétique[57] avec le PC du Luxembourg et les factions orthodoxes duPC grec[55].
Au sein de laFédération syndicale mondiale, laCGT et laCGIL italienne condamnent l'intervention. Pour la CGT, « les travailleurs français ne peuvent que déplorer l'actuelle intervention militaire en Tchécoslovaquie », et la confédération ajoute qu'elle « souhaite que, dans les plus brefs délais, le peuple tchécoslovaque puisse se déterminer en toute indépendance »[58].
À l’époque, les pays occidentaux n’offrent qu’une protestation formelle contre l’invasion de la Tchécoslovaquie : les critiques des pays démocratiques restent mesurées car ces derniers sont alors occupés par d'autres problèmes, comme les manifestations deMai 68, laguerre du Viêt Nam ou même la signature avec l'URSS, pour le1er juillet, d'un traité de non-prolifération des armes nucléaires. Dès l'annonce de l'intervention, l'URSS s'empresse de leur faire savoir que rien n'est changé quant à ses engagements pour la coexistence pacifique avec l'Ouest[59]. En, au cours d’une séance duConseil de sécurité de l’ONU[60], le représentant tchécoslovaque,Jan Muzik, dénonce l’incursion soviétique. Le délégué de l’URSS,Jacob Alexandrovitch Malik, présente au contraire l’événement comme une assistance fraternelle du pacte de Varsovie contre des forces antisociales[60]. Le jour suivant, plusieurs États proposent unerésolution condamnant l’intervention et appelant au retrait immédiat des troupes. La motion obtient le soutien de dix pays, tandis que l’Algérie, l’Inde et lePakistan s’abstiennent. L’URSS et la Hongrie s’y opposent. LeCanada introduit alors une nouvelle proposition prévoyant l’envoi d’un représentant de l’ONU àPrague afin de libérer les dirigeants tchécoslovaques emprisonnés[60]. Le, le nouveau délégué tchécoslovaque demande le retrait de la question du Conseil de sécurité.
La résistance générale et les manifestations non-violentes contraignent l’URSS à abandonner son projet initial de limoger le Premier secrétaire du PCT, jusqu’en, date à laquelle il est remplacé parGustav Husak[61] : c’est le début de la « normalisation » (Normalizace oule retour à la normale).
Le parti et les organes politiques sont repris en main par l’élimination des éléments réformateurs et lesocialisme à visage humain prend fin. Tous les dirigeants du PCT de l'année 1968 sont destitués et parfois, condamnés à la suite de procès. De nombreuses exclusions sont prononcées, et le congrès qui avait condamné l’invasion est déclaré « nul et non-avenu »[62]. Les intellectuels et des milliers de Tchèques perdent leur emploi[63]. Le nouveau dirigeant s’attache à restaurer les liens avec les autres pays socialistes. Le seul changement significatif qui reste est lefédéralisme, qui aboutit en 1969 faire de laRépublique socialiste tchécoslovaque unefédération composée de deux républiques autonomes, laRépublique socialiste tchèque et laRépublique socialiste slovaque.
Le contrôle complet de l'armée représente alors un enjeu important pour le PCT. Après la purge, l'armée est entraînée à réagir aux éventuelles protestations populaires. Ainsi, dès, l'armée écrase des manifestations contre l'occupation. Un régiment de chars est utilisé pour la première fois contre la foule par l'armée tchécoslovaque.
Quant à Dubček, il est d'abord « promu » président du parlement fédéral (1969/70), puis exilé ambassadeur àAnkara, avant d'être rappelé rapidement et confiné dans un emploi de jardinier dans un parc public. En 1987, l'université de Bologne lui confère le titre de docteurhonoris causa. Il revient sur le devant de la scène politique, lors de larévolution de Velours, puis décède dans un accident de voiture le.
Sur le plan économique, la planification centralisée est renforcée, améliorée marginalement par l'introduction d'indicateurs de qualité, de productivité, d'efficience et d'innovation dans les plans présentés par les unités de production au lieu de se concentrer sur le seul aspect quantitatif.
Quelques mois après la mort de Brejnev des bruits courent en Occident que son successeur,Iouri Andropov, a envoyé une lettre de soutien à Alexandre Dubček. En 1987, le dirigeant soviétiqueMikhaïl Gorbatchev rend hommage à Dubček et au socialisme à visage humain au moment où il applique laglasnost et laperestroïka[64]. Lorsqu’il est interrogé sur la différence entre le printemps de Prague et ses propres réformes, Gorbatchev répond simplement : « 19 années »[65]. Mais c'est seulement en, après la chute du mur de Berlin qu'il reconnaît publiquement et clairement la faute commise en.
Le nom derue du printemps de Prague a été donné à l'une des voies deGaillon (Eure).
Le nombre68 est devenu un symbole dans l’ancienne Tchécoslovaquie : le joueur dehockeyJaromír Jágr porte par exemple ce numéro sur son maillot dans son équipe desFlyers de Philadelphie[71],[72]. Une ancienne maison d’édition basée àToronto,68 Publishers, publiait des ouvrages d’exilés tchécoslovaques.
Le printemps de Prague a également inspiré lalittérature : leroman le plus célèbre est celui deMilan KunderaL'Insoutenable Légèreté de l'être publié en1982 et qui décrit la présence croissante des Soviétiques et le contrôle policier de la population[73]. Il a été adapté au cinéma parPhilip Kaufman en1988 (L'Insoutenable Légèreté de l'être[74]). L’écrivain ethistorienrusseViktor Souvorov, qui fut témoin de l’invasion de la Tchécoslovaquie, présente dans son ouvrageLes Libérateurs (enrusse :Освободитель, sorti en1981) la vision d’un commandant soviétique[75]. La pièce du Britannique d’origine tchécoslovaqueTom Stoppard intituléeRock 'n' Roll fait référence au printemps de Prague et à larévolution de Velours[76].Heda Margolius Kovály(en) conclut ses mémoires en dressant un bilan de l’invasion soviétique[77]. L'action du roman d'Anne CuneoPrague aux doigts de feu publié en 1990 se déroule en grande partie durant le printemps de Prague[78]. Une partie des évènements du romanL'enfant de Prague de Eugène Green se déroule durant le printemps de Prague.
L'expressionprintemps de Prague s'emploie maintenant en tant qu'analogue historique d'événements nouveaux[81],[82],[83],[84].
Plus récemment, on peut citerQuand le monde bascule : Le printemps de Prague[85] qui est sorti enDVD le et le très controverséPacte de Varsovie : les archives déclassifiées, diffusé surRossiya 1 le[86].
↑a etbAlexander Dubček, Mark Kramer, Joy Moss, Ruth Tosek (trad.), « Akční program Komunistické strany Československa » dansAction Program, Rudé právo, 10-04-1968,p. 16,[lire en ligne], consulté le 21-02-2008.
François Fejtő,Le Printemps tchécoslovaque 1968, Complexe, 1999.
Alexandre Dubček,C'est l'espoir qui meurt en dernier (autobiographie), Fayard, 1993.
La Révolution desConseils ouvriers, 1968-1969 (recueil de textes traduits du tchèque), Seghers, 1978.
Heda Margolius Kovály,Le premier printemps de Prague, Payot, 1991(ISBN2228883972).
Locussol-Mascardi,Sur les Traces du Printemps de Prague, Manuscrit, 2004(ISBN2748147022).
Miroslav Novak,Du printemps de Prague au printemps de Moscou, Lug, 1990(ISBN2825701904).
Robi Morder, « Prague, un printemps en hiver »,Les années 68, un monde en mouvement, Syllepse, Paris, 2008.
Anthony Sitruk,La Vie brève de Jan Palach, Le Dilettante, 2018(ISBN978-28-4263-967-9)
En anglais
Vernon Aspaturian, Jiri Valenta, David P. Burke,Eurocommunism Between East and West,Indiana Univ Pr., 1980(ISBN0253202485).
Glenn Chafetz,Gorbachev, Reform, and the Brezhnev Doctrine: Soviet Policy Toward Eastern Europe, 1985-1990, Praeger Publishers, 1993(ISBN0275944840).
Andrew Christopher, Vasili Mitrokhin,The World Was Going Our Way: The KGB and the Battle for the Third World, Basic Books, 2005(ISBN0465003117).
Bernard Cook,Europe Since 1945: An Encyclopedia, Routledge, 2001(ISBN0815313365).
Elinor Despalatović,Neighbors at War: Anthropological Perspectives on Yugoslav Ethnicity, Penn State Press(ISBN0271019794).
Alexander Dubček, Jiří Hochman,Hope Dies Last: The Autobiography of Alexander Dubcek, Kodansha International, 1993(ISBN1568360002).
Paul Ello (éd.), « Control Committee of the Communist Party of Czechoslovakia, "Action Plan of the Communist Party of Czechoslovakia (Prague, April 1968)" », dansDubcek’s Blueprint for Freedom: His original documents leading to the invasion of Czechoslovakia, William Kimber & Co., 1968.
Ben Fowkes,Eastern Europe 1945-1969: From Stalinism to Stagnation, Longman, 2000(ISBN0-582-32693-1).
Mikhail Gorbachev,Conversations with Gorbachev: On Perestroika, the Prague Spring, and the Crossroads of Socialism, Columbia University Press, 2003(ISBN0231118651).
Natalʹia Gorbanevskaya,Red Square at Noon, Holt, Rinehart and Winston, 1972(ISBN0030859905).
Eino Jutikkala, Kauko Pirinen,Suomen historia (History of Finland), 2001(ISBN80-7106-406-8).
Milan Kundera,The Unbearable Lightness of Being, HarperCollins, 1999(ISBN0060932139).
Vladimir Kusin,The Intellectual Origins of the Prague Spring: The Development of Reformist Ideas in Czechoslovakia 1956-1967, Cambridge University Press, 2002(ISBN0521526523).
Heda Margolius-Kovály,Under a Cruel Star: A life in Prague 1941-1968, New York: Holmes & Meier, 1986(ISBN0-8419-1377-3).
Scott Morrison, Don Cherry,Hockey Night In Canada: By The Numbers: From 00 to 99, Key Porter Books, 2006(ISBN1552639843).
Ina Navazelskis,Alexander Dubcek,Chelsea House Publications, Library Binding edition, 1990(ISBN1555468314).