| Premier festival international de rock | |
Johnny Hallyday, sur scène, au début desannées 1960 | |
| Genre | Rock'n Roll |
|---|---|
| Lieu | Palais des sports de Paris |
| Période | , et |
| Date de création | 1961 |
| Fondateurs | Claude Wolff etRoger de Mervelec |
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LePremier festival international de rock est un événement musical qui a lieu auPalais des sports de Paris, le.
Little Tony,Emile Ford & The Checkmates,Les Chaussettes noires,Frankie Jordan,Bobby Rydell etJohnny Hallyday sont à l'affiche.
Cette manifestation a un grand retentissement et lance véritablement lerock 'n' roll enFrance.
En ce début desannées 1960, à l'exception duGolf Drouot - « temple » de la première heure pour les faiseurs et les amateurs parisiens derock 'n' roll[1] - et de l'Alhambra, qui, à l'automne 1960, a programméJohnny Hallyday pour trois semaines envedette américaine deRaymond Devos - encore voulut-on, dès le premier soir, le supprimer du programme... il fallut l'intervention de l'humoriste pour que sa prestation soit maintenue[2] - lePalais des sports de Paris fait office de précurseur en ouvrant ses portes à la première grande manifestation consacrée à cette musique décriée qui depuis déjà quelques années sévit auxÉtats-Unis[3].
Le festival, à l'instigation deClaude Wolff - attaché de presse de Johnny Hallyday chezVogue et agent en France, des chanteursLittle Tony etEmile Ford - est organisé parRoger de Mervelec, producteur et animateur de l'émission radiophoniqueJazz dans la nuit surFrance I.Daniel Filipacchi, pourtant son concurrent sur une autre radio et animateur vedette de l'émissionSalut les copains, soutient le projet et au passage inscrit au programmeFrankie Jordan dont il est, chezDecca, le directeur artistique[4].
La date du vendredi est retenue, avec une représentation enmatinée et une seconde en soirée.
Le matin même, leprésidentCharles de Gaulle inaugure le tout nouvelaéroport d'Orly. En conséquence de quoi, la télévision diffuse, le soir l'émissionVariétés à Orly, tandis que le « tout Paris » se rend auThéâtre des Champs-Élysées, où est projeté le dernier film deLuchino Visconti,Rocco et ses frères, précédant la première du filmLa Nuit, en présence du réalisateurMichelangelo Antonioni et de ses interprètesMonica Vitti,Jeanne Moreau etMarcello Mastroianni[5].
L'ordre de passage des intervenants est l'occasion d'un incident entreLes Chaussettes Noires et les autres protagonistes. Le groupe, qui en janvier a publié son premier disque et dont c'est ici la première prestation publique professionnelle[6], est qualifié d'« amateurs » par leurs confrères qui souhaitent qu'ils passent « en lever de rideau », ce que refusent Les Chaussettes Noires qui menacent de partir[7]. Finalement,Little Tony, pour les deux représentations, entre le premier en scène, tandis que Johnny Hallyday, programmé en vedette[8], clôt le gala.
Le public, essentiellement des collégiens et lycéens desarrondissements voisins, tout juste libérés des cours, débarque du métro vers seize heures. Une heure plus tard, le Palais des sports ouvre ses portes[9]. La représentation, aussi enflammée qu'elle soit sur scène, se déroule sans incident et marque peu les esprits. La postérité ne la retient pas[Cit. 1].
La foule qui s'amasse, vers dix-neuf heures, autour du Palais des sports, pour la représentation de vingt-et-une heures, est d'un autre acabit.« C'est celle, [...], qui habitent aux barrières, dans les quartiers ouvriers [...] Certains se passent d'ailleurs des services des transports parisiens pour se rendrePorte de Versailles [...] Ils se déplacent en bandes »[10]. On les appelle les « blousons noirs », et ils sont souvent assimilés à des voyous. Il y a des incidents entre les groupes. Avec discrétion, les forces de l'ordre renforcent leurs effectifs.« Des blousons noirs repentis appointés par la préfecture »[10], portant des brassards de presse, calment les esprits et encadrent les plus virulents jusqu'à l'entrée dans la salle. Tout s'apaise à peu près jusqu'aux environs de minuit.
À l'intérieur, plus de cinq mille spectateurs[11], dans une ambiance électrique et survoltée, se bousculent pour être au premier rang.Little Tony chanteTalahassee Lassie deFreddy Cannon, et cède la place àEmile Ford & The Checkmates, qui se fendent de quatre titres, reprenantBlue Suede Shoes dePerkins,It's Now Or Never dePresley,Buena Sera dePrima et leurhit,Counting The Tears.
Les Chaussettes Noires font, d'entrée, une grosse impression avec leurs adaptations en français deJohnny B. Goode etBe-Bop-A-Lula[11], signéesClaude Moine, aliasEddy Mitchell, le chanteur du groupe, qui arrache son nœud papillon pour le jeter à la foule qui se déchaine, choquant au passage la presse :« un chanteur qui se dépoitraille sur scène ! »[12].
SurWondrous Place[Note 1] etOdile,Frankie Jordan se donne tel un dément. Lui succèdeBobby Rydell, qui interprète son succèsWild One, et reprendVolare etWhen The Saints.
Enfin,Johnny Hallyday entre en scène, accompagné à la guitare par Jean-Pierre Martin, à la contrebasse par Alphonse Masselier et par Teddy Martin à la batterie.
À son arrivée, la salle est déjà en pleine effervescence et, aussitôt, les fauteuils sont arrachés et jetés sur les côtés. Johnny Hallyday interprète neuf titres[Note 2], déchainé, debout, un genou au sol, jetant sa veste, se roulant par terre, malmenant sa guitare... tandis que le devant de la scène se divise entre danses et bagarres[13]. Lorsque Johnny, couvert de sueur, salue le public, la police intervient et les incidents commencent avec lesblousons noirs. Ils se poursuivront au dehors...
Initialement,Richard Anthony doit être au programme, mais la presse, commentant l'événement à venir, transforme l'affaire en un affrontement entre les deux grandes vedettes du moment et leurs publics[14]. Richard Anthony préfère alors déclarer forfait, alléguant dans le quotidienParis-Jour :« qu'il avait ce même jour un gala à Lyon signé depuis longtemps »[15]. Richard Anthony est pourtant présent au Palais des sports de Paris, mais en tant que spectateur. Tandis qu'Hallyday achève sa prestation, des fans d'Anthony le soulèvent et le hissent sur la scène, d'où il est expulsémanu militari par le service d'ordre[16]. Cela n'a duré que quelques secondes et Johnny ne s'est aperçu de rien. Mais l'incident n'échappe ni à la presse, ni au public et sur le devant de la scène, les bagarres redoublent alors d'intensité, cette fois entre les supporters d'Anthony et ceux d'Hallyday[17]. ÀMusic Hall, dans un entretien, quelques jours plus tard, Richard Anthony, commente l'incident :« [...] J'ai demandé qu'on retire mon nom des affiches. On a dit que je me dégonflais. Pour montrer que c'était faux, je suis allé en spectateur au festival, et mon orchestre, prévenu, m'attendait dans les coulisses. Quand des admirateurs m'ont monté sur scène, j'étais prêt à chanter. Mais on avait coupé les micros [...] De toute façon je ne regrette pas de ne pas avoir participé à ce festival [...] Dans le fond, je suis plus un chanteur de rythme qu'un chanteur de rock »[15].
Tandis que le plus grand nombre des spectateurs quitte la salle, des bandes de « rockers » restent sur place et les bagarres (commencées à l'intérieur), se poursuivent aux alentours du Palais des sports, où les premières dégradations commencent. La police intervient, et il s'ensuit une traque aux « voyous » à travers les rues du15e arrondissement[18]. Ceux-ci s'engouffrant dans la station de métroPorte de Versailles, dévastent au passage portes, vitres et distributeurs automatiques, avant d'envahir lesrames de métro en direction de laporte de la Chapelle. Le vandalisme se poursuit et trois rames successives sont mises à mal, avant que le trafic ne soit interrompu.
Malgré les incidents, les violences et les interpellations (Quarante neuf personnes sont arrêtées par la police[19]), largement dénoncés dans la presse, l'impact de l'événement est tel qu'il lance véritablement lerock 'n' roll enFrance[20].
Le lendemain matin, les radios commentent allègrement l'évènement et les dégradations qui l'ont suivi. On dénonce les prestations deJohnny Hallyday qui provoquent l'hystérie[Cit. 2]. Sur laRTF, l'unique chaîne de télévision, on ne diffuse pas une image, pas même aujournal télévisé. Au cinéma, lesactualités Gaumont proposent quelques extraits ; il n'en est pas de même chezÉclair qui ignore l'évènement.
Dans lapresse écrite,Paris-jour évoque également l'hystérie collective déclenchée par Hallyday :« (...) Quand il se mit à genoux et qu'il se roula dans les fils des micros, (...), toute la salle était debout et les agents de police faillirent, cette fois, perdre leur calme. Il s'en fallut de peu. Pourtant il n'y eut ni mort ni blessé. Charmante jeunesse ! » Modérant son propos, il souligne aussi :« Johnny Hallyday apparaît comme le grand vainqueur de la soirée, à l'issue du second show ».
France-soir s'attarde sur les dégâts et les 49 arrestations qui s'ensuivirent :« Graine de violence au Palais des sports, cinq mille fanatiques déchainés pour le Festival de rock'n'roll. »
« On ne pensait pas que c'était possible en France ... Fanatisme et hystérie au premier Festival de Rock'n'roll ... En un rien de temps la salle s'est transformée en arène ... Dix projecteurs traversaient mal la fumée des cigarettes, si bien qu'on préféra tenir la salle allumée ... Ce n'étaient que hurlements, bras levés, piétinements ... Le désordre dans la salle est sauvage. Il faut dire queFrankie Jordan joue du piano avec les pieds, telJerry Lee Lewis ... Au piano, Jordan se déchaîne et la police se rue dans la salle. Ça commence à cogner ... Et, quand enfin, Johnny Hallyday viendra se rouler sur le podium, (...), on aura l'impression que la foule ovationne sonDominguin », écrit dans sonno 91, du1er mars, laDiscographie française.
Dans leno 507 deL'Express, du,Michèle Manceaux écrit que sur les 5 000 spectateurs, deux tiers étaient des garçons. Plus loin, elle évoqueLes Chaussettes Noires :« Cinq garçon menés par un rouquin, coiffé de crans vaporeux à laClara Bow, se secouent de face et de dos. Le rouquin agite aussi ses bras, mais les autres manient des objets extra-plats couverts de strass, les guitares à rock. Ils braquent sur la foule, comme une mitraillette, le long manche de cet objet hideusement moderne. » La journaliste termine son article par cette citation :« Un photographe, en s'en allant, soupire : Quand je vois ça et quand je voisMein Kampf, j'ai aussi peur. »
Le, leno 621 deParis Match révèle queJohnny Hallyday fut surveillé par soixante-sept agents de police.
Le même jour, enGrande-Bretagne, leMelody Maker, parle de l'émeute qui a embrasé Paris au Festival de rock'n'roll :« Riots flare up at Paris rock'n'roll festival ! »
Jours de France, dans sonno 330 du, sous la plume deMarcel Mithois, évoque« deux heures d'apocalypse » et conclut :« si son ramage ressemble à son jeu de jambes, Johnny Hallyday ira loin ».
Les incidents sont unanimement mis en avant. En avril, larevueMusic Hall publie un article deJanine Eries :« à l'arrivée desChaussettes Noires, les spectateurs ont essayé de déborder le service d'ordre, pour pouvoir se rapprocher de leurs idoles ... Au moment oùFrankie Jordan interprèteTu parles trop, ils déboulonnent cinquante rangées de fauteuils et des bagarres éclatent partout. Les agents de police partent comme des commandos rapides dans tous les coins du Palais des sports. Et quand arrive Johnny, l'atmosphère atteint son summum : Maintenant, ils sont tous debout, (...), les agents empoignent, bousculent, frappent ».
Quelques jours après le festival, il est encore question deJohnny Hallyday à l'Assemblée Nationale, où un député souhaite faire interdire ces rassemblements hystériques[Cit. 3].
En1963, le cinéasteFrançois Reichenbach réalise uncourt métrage sur l'événement :À la mémoire du Rock, avec des séquences consacrées àJohnny Hallyday et auxChaussettes Noires (certains plans sont issus du second festival)[22].
Le dimanche,Roger de Mervelec diffuse des extraits du récital dans son émissionJazz dans la nuit, sur France 1.
Toujours au Palais des sports, a lieu le, un deuxième festival de rock 'n' roll. Le groupeLes Chaussettes Noires est, cette fois, programmé en vedette[24].Danny Boy,Les Chats Sauvages etRichard Anthony sont au programme[25]. Richard Anthony, pas plus chanceux que lors du premier festival, reçoit une bouteille au visage et est contraint d'interrompre son tour de chant au bout de quelques minutes[24].
Cet ultime festival a lieu le, au programme :Nicole Paquin,Les Champions,Danny Boy,Dick Rivers et sesChats Sauvages. L'AnglaisVince Taylor, prévu en vedette, devant l'ambiance survoltée et violente du public, ne peut monter sur scène, ce qui le laisse dépité ; la salle est détruite, les fauteuils démontés et la police tente de calmer le jeu[26]...