Lesprêtres obituaires étaient des membres du clergé catholique voués à la célébration desobits, les messes et prières collectives pour le salut des défunts.
La dénomination de prêtre obituaire[1],[2] reflète parfaitement la réalité de ces religieux ordonnésprêtres mais dont la principale et parfois unique occupation est de célébrer desMesses etprières pour les morts. Elle permet de recouper les différentes catégories d'ecclésiastiques exerçant cette fonction dans lesprovinces françaises[3] mais aussi dans les autres pays Européens[4].
L'existence dupurgatoire est reconnue officiellement par la décision d'unconcile en 1274[5]. C'est un passage quasiment obligé pour les âmes qui échappent à l'enfer. L'espoir d'accéder auparadis et surtout d'abréger le séjour dans ces lieux de souffrance pousse le croyant à faire dire messes et prières pour son salut et celui de sa famille[1],[6]. Le culte des âmes du purgatoire apparaît auXIVe siècle enProvence autour d'Avignon où résidaient lesPapes[7]
À partir de la deuxième moitié duXVe siècle[9]. et jusqu'auXVIIIe siècle[11] le clergé dans son ensemble devient pléthorique dans certaines régions françaises notamment enNormandie et enAuvergne. Les prêtres qui n'ont pas obtenu lebénéfice d'unecure ni de poste devicaire ou de professeur de collège[11] trouvent une occupation dans la célébration desobits[2].
Les prêtres obituaires n'ont pas de devoirs directs envers les paroissiens[N 2] mais ils établissent une connexion très forte entre le monde des vivants et celui des morts. Les vivants donnent de l'argent ou des biens à l'église de leur paroisse pour que leurâme immortelle et celles de leurs parents soient délivrées de l'enfer et du purgatoire. Les âmes ainsi sauvées peuvent alors intercéder en faveur de celle de leurs proches[1]. Bien que ces prêtres soient très nombreux ils sont rarement mentionnés dans les comptes rendus de visite pastorale[N 3],[3]. Ils sont souvent en surnombre dans les paroisses et figurent au dernier rang de la hiérarchie du clergé[14]. Ils habitent dans leur famille, parfois louent une chambre chez un particulier[15]. Ils doivent d'abord s'acquitter de leurs fonctions obituaires mais on peut leur demander d'accomplir d'autres tâches comme deconfesser lesfidèles, de faire l'école ou d'assister les malades s'ils ont la formation nécessaire ce qui n'est pas souvent le cas jusqu'auXVIIIe siècle[16].
Selon la richesse des paroisses la célébration des obits est assurée par un ou plusieurs prêtres. Quand ils sont très nombreux ils s'assemblent dans des sociétés qu'on retrouve en grand nombre dans le midi de la France. Les autres s'ajoutent simplement au personnel de la paroisse.
Les prêtres habitués se rencontrent un peu partout en France[17] notamment en Bretagne[18]. On les qualifie aussi de « natifs »[2],[3] ou de « choristes », car ils doivent chanter à toutes les messes[14]. Ces prêtres n'ont pas de rôle défini dans la paroisse. Leur existence n'est justifiée et maintenue que par les fondations d'obits. Ils peuvent devenir incontrôlables quand ils forment un groupe important dans la paroisse[19].Dans les campagnes, les prêtres obituaires sont moins nombreux qu'en ville où ils pullulent[11]. Ils peuvent tout de même être plusieurs dans certains villages[N 4]. On les nomme « obitiers » dans leCalvados[20],[N 5], dans la région deSoissons[22] et dans l'Aude[23]. Certains de ces prêtres sont itinérants car ils ne disposent pas de revenus fixes[18]. Dans les villages plus modestes où le nombre des obits est réduit, ceux-ci peuvent être acquittés par le curé lui-même ou son vicaire. Dans les régions très pauvres comme le Pays de Caux auXVIIIe siècle, il n'y a pas d'obitier[24].
Certains chapelains[N 6], appelés chapelains fondés par quelques auteurs[11],[14], vivent aussi en grande partie des revenus suscités par la peur de l'au-delà. Par exemple Elisabeth, comtesse de Flandre, crée en 1182 une charge de chapelain pour« servir Dieu à perpétuité pour le salut de son âme, de celles de ses ancêtres et de sa descendance »[26]. Ces chapelains ne disposent pas forcément d'une chapelle qui leur soit propre mais les messes, qu'elles soient quotidiennes, hebdomadaires ou mensuelles, doivent être dites à un autel fixe particulier désigné dans l'acte de fondation de la chapellenie[27]. De même que les prêtres qui ont obtenu une cure, ils disposent d'un bénéfice qui leur assure un revenu régulier[25].
Dans certaines régions françaises les prêtres obituaires s'assemblent, sans toutefois vivre en commun[8], dans des sociétés ou fraternités. Tous fils de la paroisse, car ils y sont nés et baptisés, ils assurent un lien familial privilégié et fort entre les vivants et les morts. Au fil des siècles ces sociétés se dotent de statuts qui en règlent l'organisation. Les prêtres doivent connaître leplain-chant pour pouvoir donner de la solennité aux offices où leur présence est contrôlée. Astreints au célibat comme tous les membres du clergé, ils doivent observer des règles strictes de bonne conduite qu'ils ne respectent pas toujours[28]. Ils portent divers noms :
Prêtres filleuls en Limousin, Quercy[9] et en Auvergne où ils peuvent également être « communalistes » car ils se partagent certains revenus. Jusqu'au début duXVIIe siècle, ils sont incultes[16]. À partir de la seconde moitié de ce siècle certains communalistes sont à même de faire l'école[29].
Enfants-prêtres du diocèse de Bourges en Berry et de celui de Toul en Lorraine[30].
Purgatoriers ou prêtres du Purgatoire du Sud-Ouest de la France[1]. Des « consorces » se créent dans le diocèse de Toulouse. Après le Moyen Âge les consorcistes ne sont plus nécessairement natifs de la paroisse et disparaissent progressivement au cours duXVIIe siècle[31].
lesMépartistes ou Familiers en Bourgogne. Quelques comptes-rendus de visites épiscopales mentionnent le Mépart de Paray-le-Monial et exigent des règles plus strictes pour les sociétaires[32].
La plupart de ces fraternités ont un rôle économique important. Elles servent de sociétés de crédit qui prêtent de l'argent à des taux raisonnables mais aussi avancent parfois des semences, du blé, en période de mauvaises récoltes[34].
Comme en France des messes obituaires pouvaient être dites par des prêtres déjà en place, curé ou vicaire d'une église paroissiale ou d'une institution ecclésiastique.
Les fondations perpétuelles sont servies par trois sortes de chantreries :
Un bénéfice assure le maintien d'un prêtre chargé de célébrer des messes, au moins une par jour, dans un lieu précis ; une chapelle ou à l'autel d'une église paroissiale, collégiale ou d'une cathédrale. Ce prêtre a des revenus fixes et garde son indépendance vis à vis du curé même s'il doit participer aux offices du lieu. La plupart du temps le prêtre appartient à la famille du fondateur qui assure ainsi un revenu à son parent.
Une association de laïcs chargée par le ou les donateurs de gérer les legs destinés à rémunérer les messes et prières recrute les prêtres. Les membres de ces associations sont desmarguilliers, appartiennent à une guilde ou aux conseils chargés de l'administration de la ville[37].
Une institution ecclésiastique rétribue à sa discrétion un membre du clergé[38].
Les prêtres des chantreries chantaient à toutes les autres messes et pouvaient remplir diverses tâches comme celle d'enseigner[39]. Les chantreries ont commencé à disparaître au moment de laréforme anglaise d'Henri VIII et ont été définitivement dissolues en 1545 et 1547 sous le règne d'Édouard VI[39]. On peut encore trouver des maisons autrefois réservées aux prêtres des chantreries , ces bâtiments servaient aussi de local pour de petites écoles. Les très nombreuses chapelles dans les églises témoignent aussi de l'activité des prêtres obituaires.
Au moins dans le nord de l'Allemagne, trois types de prêtres obituaires sont sensiblement semblables à ceux que l'on rencontre en Angleterre :
Le prêtre chargé des obits est complètement sous l'autorité du titulaire de la paroisse et les biens donnés par le fondateur appartiennent à l'église.
Sous le régime de la Commenda ou Befehlung le prêtre obtient une charge temporaire et reste sous l'autorité d'un laïc : fondateur dubénéfice et ses héritiers.
Une Commenda permanente ou Lehnung est accordée au prêtre, mais celui-ci est sous l'autorité de l'église. Au fil du temps, contrairement au cas anglais, les laïcs regagnent de l'influence sur le tenant du bénéfice.
La Commenda est administrée par des curateurs laïcs qui sont en général membres duRat ou de l'équipe paroissiale. Ils choisissent et rémunèrent le prêtre[40],[41].
En 1763 des mesures sont prises pour interdire la création de nouvelles chapellenies. À partir de 1820 les chapellenies commencent à disparaître.
On distingue deux sortes de chapellenies :
Les collectives ou ecclésiastiques : créées à l'initiative de l'évêque pour pourvoir à la demande excessive de messes pour les défunts. les biens utilisés pour rémunérer les chapelains appartiennent à l'église et sont gérés par elle,
Les laïques, elles sont fondées par des particuliers. Les terres, fermes, moulins qui servent à alimenter les rentes de la chapellenie restent en la possession du fondateur qui choisit un membre de sa famille comme chapelain même s'il n'est pas encore encore prêtre mais sous réserve qu'il soit ordonné plus tard. Ce système permet de préserver les biens familiaux, d'assurer la subsistance des cadets mais aussi d'afficher le prestige du clan[44].
Dans les territoires de l'empire espagnol en Amérique
AuXVIe siècle l'Espagne étend son emprise politique, économique et religieuse sur les nouveaux territoires convertis en vice-royautés notamment enNouvelle-Espagne. Les conquérants imposent leur religion catholique aux populations indigènes, leur inculquant la peur de l'enfer et le désir d'écourter leur séjour au Purgatoire considéré comme l'antichambre du ciel[45] en faisant célébrer des messes. C'est le but des« capellanías de misas » qui se généralisent dans lescolonies espagnoles à partir de la fin duXVIe siècle après leConcile de Trente. Elles connaissent une forte expansion pendant les deux siècles suivants et tombent progressivement en désuétude auXIXe siècle[46].Comme en Espagne, le fondateur d'une chapellenie assure souvent l'avenir d'un de ses fils ou neveux par la création d'une rente perpétuelle. Le chapelain peut bénéficier d'une partie de cette rente même s'il n'est pas encoreordonné prêtre. Les messes sont alors confiées à d'autres membres du clergé[47]. Les chapellenies ont eu une grande importance dans l'économie de la Nouvelle Espagne par le rôle qu'elles ont joué sur le crédit bancaire[46].
Les autres vice-royautés d'Amérique du sud ont également été touchés par l'explosion des fondations pieuses et la multiplication de charges de prêtres obituaires. C'est le cas en Argentine avec les« clérigos particulares » ; les "prêtres particuliers"[48]. Des études sur le sujet ont été menées dans d'autres régions d'Amérique du Sud comme le Pérou, le Chili, la vice-royauté de Rio de la Plata[49], la Colombie[50].
↑Ils ne prennent vraiment le titre de chapelains fondés qu'en 1481 et se dotent de statuts en 1499.
↑Les prêtres obituaires n'ont pas charge d'âme, c'est-à-dire qu'ils ne dirigent pas la conscience des paroissiens et n'administrent pas non plus la confession ni les sacrements sauf à la demande du curé
↑Les visites pastorales étaient effectuées périodiquement par l'évêque du diocèse ou son représentant.
↑Le petit village côtier d'Hermanville dans le Calvados en comptait trois auXVIIIe siècle.
↑Le prêtre Jacques Varin fut d'abord simple obitier avant d'être vicaire de la paroisse de Mathieu (14)[21]
↑Selon Joseph Avril[25] il faut distinguer les chapelains titulaires d'un bénéfice des simples prêtres obituaires.
↑le terme anglais chantry signifie : chapellenie rétribuée par un bénéfice ecclésiastique, et aussi simple fondation pour un nombre limité de services[37]
↑abc etdMichelle Fournier, « Confréries, bassins et fabriques dans le Sud-Ouest de la France : des œuvres municipales »,Publications de l'école française de Rome,,p. 259-260(lire en ligne, consulté le).
↑Jacques Berlioz,Le pays Cathare, les religions médiévales et leurs expressions méridionales, Editions du Seuil,, 318 p.(ISBN9782020404358,lire en ligne), La création d'une dévotion autour du Purgatoire, de l'enfer aux limbes des pères.
↑Annick Pardailhé-Galabrun, « L'habitat et le cadre de vie des prêtres à Paris au XVIIIe siècle »,Annales de Bretagne et des Pays de l'Ouest,,p. 511-512(lire en ligne, consulté le).
↑a etb.Louise Welter, « Les communautés de prêtres dans le diocèse de Clermont du XIIIe au XVIIIe siècle »,Revue d'histoire de l'église de France,(lire en ligne, consulté le).
↑Nicole Beriou, « Les chapellenies dans la province ecclésiastique de Reims au XIVe siècle. »,Revue d'histoire de l'Église de France,vol. 57,no 159,,p. 227-240(lire en ligne, consulté le).
↑Stéphane Gomis,Enseignement et assistance in CLERGÉS, COMMUNAUTÉS ET FAMILLE DES MONTAGNES D’EUROPE, éditions de la Sorbonne,(lire en ligne),p. 7,8,10.
↑Jean Décréau, « Le Mépart de Paray-le-Monial »,Revue d'histoire de l'Église de France,,p. 76,77(lire en ligne, consulté le).
↑Jacques Poumarède,Itinéraire(s) d’un historien du Droit: Jacques Poumarède, regards croisés sur la naissance de nos institutions : Du bon usage sur terre du rachat dans l'au-delà,coll. « Presse universitaire du Midi »,(lire en ligne).
↑Pascal Vuillemin,La prise en main des paroisses par les fidèles Chapitre XIX In : Structures et dynamiques religieuses dans les sociétés de l’Occident latin (1179-1449), Presses universitaires de Rennes,(lire en ligne),p. 26 et 27.
↑Gisela von Wobeser, Juan Guillermo Muñoz Correa, María del Pilar Martínez López-Cano, « Cofradías, capellanías y obras pías en la América colonial », surUniversidad Nacional Autónoma de México, Instituto de Investigaciones Históricas., 12 de marzo de 2015(consulté le).
Émile Sévestre, « L'organisation du clergé paroissial à la veille de la Révolution »,Mémoires de l'Académie nationale des sciences, arts et belles-lettres de Caen,(lire en ligne, consulté le)
Léopold Genicot,Une source mal connue de revenus paroissiaux : les rentes obituaires. L'exemple de Frizet (« Université de Louvain. Recueil de travaux d'histoire et de philologie », 6e série, 23), Nauwelaerts, 1980.
Vincent Tabbagh,Le clerc séculier au Moyen Âge : Effectifs et recrutement du clergé séculier français à la fin du Moyen Age, Paris, Éditions de la Sorbonne,(ISBN9791035102371,lire en ligne).
Stéphane Gomis, « Les communautés de prêtres sous l'ancien régime : les acquis d'une redécouverte. »,Revue d'histoire de l'église de France,(lire en ligne, consulté le).