Dante Gabriel Rossetti rencontra Millais et Hunt à la Royal Academy où, las des banalités enseignées, ils passaient leurs soirées à contempler un recueil de gravures des fresques duCamposanto monumentale dePise (réalisées par des artistes tels qu'Orcagna ouBenozzo Gozzoli). En 1847, Hunt, Rossetti et Millais débattirent dans l'atelier de ce dernier, de l'une des œuvres les plus représentatives du talent de l'artisteRaphaël,La Transfiguration (Vatican,Rome).« Nous la condamnions pour son dédain grandiose de la simplicité et de la vérité, pour les poses pompeuses des Apôtres et les attitudes du Sauveur, contraires à une spiritualité vraie[2]. » Ce tableau avait, à leurs yeux, marqué un pas décisif vers la décadence de l'art à l'époque de la Renaissance italienne.
Les préraphaélites avaient pour dessein, entre autres, de rendre à l’art un but fonctionnel et édifiant : leurs œuvres avaient pour fonction d’être morales. Mais cela n’excluait pas leur désir d’esthétisme. Le but de ces artistes était de s’adresser à toutes les facultés de l’humain : son esprit, son intelligence, sa mémoire, sa conscience, son cœur… et non pas seulement à ce que l’œil voit.
Les préraphaélites aspiraient à agir sur les mœurs d’une société qui, à leurs yeux, avait perdu tout sens moral depuis larévolution industrielle. Cependant,« il ne suffit pas que l’art soit suggestif, soit didactique, soit moral, soit populaire ; il faut encore qu’il soit national »[4].
La franchise et l’application étaient les mots d’ordre de cette nouvelle « école » : on n’imite plus lesgrands maîtres de la Renaissance. En opposition à l'académisme victorien, ils voulaient retrouver la pureté artistique desprimitifs italiens, prédécesseurs de Raphaël, notamment en imitant leur style. Ils privilégiaient leréalisme, le sens du détail et les couleurs vives.
Même si on ne peut pas réellement parler d’« école » par le manque de style homogène entre les peintres, les préraphaélites avaient les mêmes objectifs. En1850, ils publièrent une revue périodique,The Germ (seuls quatre numéros virent le jour), dans laquelle ils exposaient la théorie de leur mouvement. Dès sa sortie, la revue, éreintée par la critique, fit scandale. Dans le premier numéro,William Michael Rossetti fit une déclaration d’intention du préraphaélisme :
pour lui, il fallait avoir des inspirations sincères, des idées consistantes à exprimer, étudier attentivement la nature pour savoir l’exprimer, aimer ce qui est sérieux, direct et sincère dans l’art du passé et au contraire rejeter ce qui est conventionnel, auto-complaisant et appris dans la routine, et le plus important, produire des peintures et sculptures« absolument belles »[5] ;
chaque figure devait être reproduite selon un modèle et d’après un seul modèle pour éviter toute idéalisation (Feuilles d'automne de Millais) ; le dessin devant, autant que possible, être d'origine et d'un modèle réel ;
le dessin était minutieux, privilégiant les détails ; les couleurs vives et tonales étaient souvent simples et franches, la réalité des personnages était préconisée dans une exécution lisse. Ils limitaient les effets de profondeur et de volumes avec peu de jeux d’ombres et de lumière ;
Le préraphaélisme était contradictoire. Il méprisait la peinture inspirée de Raphaël, et pourtant Hunt admira le maître dans sa jeunesse, comme on peut le lire ici :« Ni alors, ni depuis lors, nous n’avons affirmé qu’il n’y eût pas un art sain et excellent depuis Raphaël, mais s’il nous semblait que l’art d’après lui avait souvent été touché du chancre de la corruption et que c’était seulement dans les œuvres antérieures que nous pouvions trouver avec certitude la santé parfaite, ce fut dans un léger esprit de paradoxe que nous convînmes que Raphaël, le prince des peintres, était l’inspirateur de l’art actuel, car nous voyions très bien que la pratique des peintres contemporains était très éloignée de celle du maître dont ils se réclamaient[4]. »
Les préraphaélites prônaient le parti d’imiter le style dur et rigide des primitifs (italiens etflamands), mais Rossetti, par contre, figurait d'amples poitrines, de rondes épaules et des bouches sensuelles de femmes. De plus, les préceptes préraphaélites exigeaient un réalisme intransigeant, alors qu’ils dépeignaient souvent un univers imaginaire (ex :Dante’s vision of Rachel and Leah de Dante Gabriel Rossetti). Un modèle unique était préconisé pour chaque personnage, mais Dante Gabriel Rossetti ne s’interdisait pas la fusion de plusieurs modèles, pratiquant ainsi une forme d’idéalisation contraire à la notion de naturalisme.
Dans l'art préraphaélite, les femmes sont vues à la fois comme des anges salvateurs, telle laBéatrice deDante, ou comme des beautés dangereuses. Les femmes représentées sont des symboles : personnages bibliques, mythologiques… plutôt que des personnes[6].
Le sigle PRB (Pre-Raphaelite Brotherhood), par lequel ils signaient leurs tableaux durant leur période militante, fut employé pour la première fois sur le tableau de Rossetti,The Girlhood of Mary Virgin. Ce tableau devait être exposé à la Galerie chinoise de Hyde Park Corner oùFord Madox Brown, maître de Rossetti, avait déjà exposé. Ces initiales provoquèrent la colère d'un Royaume-Uni bien-pensant qui imaginait, derrière ces trois lettres, un sens caché, blasphématoire ou mystique.
À l'exposition de 1849 à la Royal Academy, les œuvres préraphaélites furent relativement bien accueillies. Cependant, le sigle PRB commença à intriguer la presse qui accusa les artistes de conspirer contre l'Académie et les qualifia de« membres de secte secrète pro-catholique ». À l'exposition de 1850, Millais exposaChrist in the House of his Parents, HuntA converted British family sheltering a Christian Missionary et Rossetti présentaEcce Ancila Domini. À cette occasion,Charles Dickens critiqua directement Millais, ouvrant les hostilités contre la confrérie.
Lors de l'exposition de 1851, les préraphaélites étaient de plus en plus critiqués : pour leur perspective, leur minutie, le peu de jeux d'ombres et de lumières. Millais présentaitMariana, HuntValentine rescuing Sylvia from Proteus et RossettiSpectator.John Ruskin prit la défense de la jeune confrérie par deux lettres restées célèbres qu'il avait envoyées au magazineTimes et qui permirent de réhabiliter la popularité des artistes. Au Salon de 1852,The Huguenot etOphelia de Millais reçurent un succès important et Hunt triomphait avecThe Light of the World.
1857 sonna le temps de la« victoire » mais également celui de la dislocation de la confrérie. Ils arrêtèrent de signer PRB ; les peintres du début prirent des chemins différents : Woolner partit chercher fortune en Australie, Hunt voyagea en Palestine, Collinson se réfugia dans un couvent et Millais fut élu membre associé de laRoyal Academy of Arts, tandis que Rossetti continua dans la veine archaïsante des premiers tableaux préraphaélites.
Après 1855, le « premier groupe » s'est désarticulé. Hunt tenta de refonder la confrérie qui vit l’arrivée notamment d'Edward Burne-Jones et deWilliam Morris. Mais ce qu’on nomme communément la « seconde génération » ne respectait plus aussi scrupuleusement le précepte de représentation fidèle de la nature.
Beaucoup d'entre eux furent photographiés par leur contemporaineJulia Margaret Cameron, pionnière de la photographie, qui s'inspira de leur mouvement dans ses propres travaux.
En Italie, un représentant prestigieux du mouvement préraphaélite étaitCesare Saccaggi (1868-1934) de Tortona. Par ailleurs, les spécialistes Gian Carlo Menis et Licio Damiani relient l'œuvre singulière et expressive deTita Gori (1870-1941) aux différents courants nés du préraphaélisme à travers sa charge religieuse, spirituelle, symbolique et poétique[8].
Dans son recueil de nouvellesVieux New York(en) (1924), l'écrivaine américaineEdith Wharton évoque l'existence de ce groupe, sous forme de clin d'œil. Dans la nouvelleAube mensongère, qui se déroule dans les années 1840, elle met en scène un jeune homme, parti en voyage en Europe, à qui son père confie la mission d'acheter quelques toiles de maîtres pour créer une galerie familiale. Le père, qui n'y connaît rien, se réfère à l'opinion des critiques contemporains et rêve d'acquérir un Raphaël. Mais le jeune homme se fait conseiller par de jeunes artistes rencontrés en Angleterre et en Italie, qui ne sont autres que Ruskin, Rossetti, Morris, Hunt et Brown. Le père, qui tient à posséder des toiles pour conforter sa position sociale aux yeux de ses invités, est furieux de ce choix car, à ses yeux, il est inutile de posséder des toiles dont personne ne connaît les auteurs. À la fin de la nouvelle, on apprend qu'il s'agissait d'une des plus belles collections de primitifs italiens du monde, retrouvée dans le grenier d'une descendante de la famille, ignorante de sa valeur.
En1988,Philippe Delerm, retrace dansAutumn (prix Alain-Fournier en 1990), l'histoire romancée des préraphaélites sur fond d'époque victorienne, les peintres John Everett Millais, Dante Gabriel Rossetti et leur modèle Elizabeth Siddal, le critique d'art et peintre John Ruskin mais aussi l'écrivainLewis Carroll.
Dans le romanLa Fabrique de poupées (2019),Elizabeth Macneal(en) met en scène un peintre préraphaélite fictif, Louis Frost, et son modèle Iris, s'inspirant de Gabriel Rossetti et Elizabeth Siddal[9].
Un ensemble de peintures murales préraphaélites dans l'ancienne bibliothèque de l'Oxford Union Society représentent des scènes deslégendes arthuriennes peintes entre 1857 et 1859 par Dante Gabriel Rossetti, William Morris et Edward Burne-Jones. Les maisons duNational Trust auWightwick Manor(en) deWolverhampton et àWallington Hall dans leNorthumberland ont toutes deux des collections importantes et représentatives. Le compositeurAndrew Lloyd Webber est un collectionneur passionné d'œuvres préraphaélites et une sélection de 300 pièces de sa collection a été présentée lors d'une exposition à laRoyal Academy de Londres en 2003.
Kelmscott Manor, la maison de campagne deWilliam Morris de 1871 jusqu'à sa mort en 1896, appartient à laSociety of Antiquaries of London et est ouverte au public. Le manoir est présenté dans lesNouvelles de nulle part de Morris. Il apparaît également à l'arrière-plan deWater Willow(en), un portrait de sa femme,Jane Morris, peint par Dante Gabriel Rossetti en 1871. Des expositions liées aux premières expériences de Morris et Rossetti avec la photographie y sont organisées.
Selon les auteurs, les artistes et les personnalités ci-après, autres que ceux de la confrérie, sont qualifiés soit de « proches » soit d'« associés ».