Unpont à voûtes en maçonnerie habituellement appelépont en maçonnerie oupont en pierre oupont voûté, désigne une technique de fabrication desponts, mais constitue surtout une des grandes familles de ponts qui a été mise en œuvre de l’Antiquité jusqu’au début duXXe siècle.
Les ponts en maçonnerie constituent une classe spécifique de la famille desponts en arc, caractérisée par des réactions d'appui sur lesculées tendant à les écarter. Les matériaux constitutifs des voûtes sont des pierres taillées, très résistants à la compression mais peu à la flexion, alors que les matériaux des autres familles de ponts en arc (bois,béton,béton armé,béton précontraint, métal, composites) présentent une certaine élasticité et peuvent travailler en flexion, autorisant desportées plus importantes.


Les premièresvoûtes sont constituées de pierres horizontales posées en saillie les unes sur les autres, disposition dite « enencorbellement ». ÀAbydos, dans le palais d'Ozymandias, dont le règne remonte à environ 2 500 ans avant notre ère, on a trouvé une voûte de ce type[D 1]. On retrouve la même disposition àThèbes, dans letemple d’Amon-Rê[D 2]. Toutefois la plus belle voûte antique de ce type est probablement celle dutrésor d'Atrée[D 3], une impressionnantetombe àtholos située àMycènes, enGrèce et construite autour de 1250 av. J.-C. Elle est formée d'une pièce semi-souterraine à plan circulaire avec une couverture à section ogivale. Avec une hauteur intérieure de 13,5 m et un diamètre de 14,5 m[1], elle a été le plus grand et le plus largedôme dans le monde pendant plus d'un millénaire jusqu'à la construction desthermes de Mercure àBaïes et duPanthéon de Rome[D 2].

Il subsiste en Argolide, dans le Péloponnèse, trois ponts, dont lepont mycénien de Kazarma, construits suivant la technique des voûtes enencorbellement, à l'aide d'un empilement de pierres assez grossièrement taillées.
Ces ponts furent probablement construits vers -1300, à l'époque mycénienne (âge du bronze), et plus précisément, de l'helladique IIIb (env. -1340/-1200), pour la route qui reliait les grandes cités mycéniennes deMycènes,Argos etTirynthe au port de Palea Epidavros.

Des voûtes à joints convergents, c'est-à-dire dont les joints sont perpendiculaires à la surface de l'intrados, typiques des ponts en maçonnerie, existent en fait déjà dans divers monuments de l'Égypte antique. EnNubie, dans l'une des pyramides deMéroé, se trouve une véritablevoûte en plein cintre composée de voussoirs régulièrement appareillés[D 4]. ÀGebel Barkal, deux portiques donnant accès à despyramides sont couverts l'un par une voûte enogive, le second par une voûte en plein cintre, exécutées l'une et l'autre avec voussoirs à joints convergents. Unevoûte en berceau de forme elliptique, exécutée enbriques se voit dans letombeau d'AmenhotepIer et doit dater par conséquent d'environ dix-huit siècles avant notre ère[D 4].
Plus récemment, en Europe, on peut trouver sur l'enceinte étrusque de la ville deVolterra, datant duIIIe ou IIe siècle av. J.-C., laPorta all'Arco reprenant ce principe de construction d'un arc.
C'est auxRomains que l'on doit la reprise de la technique de lavoûte, son perfectionnement et son utilisation partout enEurope pour la construction des ponts. Un empire aussi vaste supposait unevoirie fiable, praticable en toutes saisons et dotée de constructions plus solides que les simplesponts en bois[2].

On suppose que le plus ancien ouvrage voûté romain est un égout connu sous le nom deCloaca Maxima exécuté sous le règne deTarquin l'Ancien, dont la construction a été entreprise 600 ans environav. J.-C.[D 5].
Les ponts romains sont robustes eten plein cintre, c'est-à-dire avec une voûte en arc de cercle, reposant sur despiles épaisses, d'une largeur égale à environ la moitié de l'ouverture de la voûte[3].

Lepont Æmilius, aujourd'hui ponte Rotto, est le plus ancien pont de pierre deRome[4]. Il a été bâti parMarcus Aemilius Lepidus en179 av. J.-C. Il a été restauré plusieurs fois, la dernière en1575, parGrégoire XIII[5]. Il était composé d’arches en plein cintre de 24,40 m d’ouverture avec de larges archivoltes, s’appuyant sur des piles épaisses de8 mètres de largeur au-dessus desquelles étaient disposées des niches comprises entre deux colonnes avec des chapiteaux s’élevant jusqu’au couronnement destympans[D 6]. Il ne subsiste aujourd'hui qu'une unique arche.
L'une des plus anciennes réalisations de la voirie romaine est lepont Milvius[6], construit sur leTibre par leconsulMarcus Aemilius Scaurus en-115. Situé à 3 km deRome, là où lavia Flaminia et lavia Cassia se rejoignent pour franchir le fleuve, c'était le passage obligé d'accès à Rome pour tout voyageur venant du nord. Du fait de sa position stratégique, le pont Milvius fut le théâtre de nombreuses luttes. C'est là qu'en312, l'empereurConstantin battit son rivalMaxence dans un affrontement resté célèbre sous le nom debataille du pont Milvius[7].

Nombreux sont les ponts édifiés dans les provinces italiennes, tous remarquables par leurs différences. Parmi eux le pont dePont-Saint-Martin, construit sur la Lys entre 70 et 40 av. J.-C. à l’entrée de lavallée d'Aoste. L’unique arche de 31,4 mètres de portée et de 11,42 mètres de flèche est fortement surbaissée pour l’époque. La structure présente deux techniques de maçonnerie différentes : la partie inférieure est formée de blocs de gneiss, posés à sec, tandis que la partie supérieure est une superposition de strates constituées d’éclats degneiss et dechaux, entrecoupées de bandes de pierre[8],[P2 1].
Lepont Fabricius est, quant à lui, le seul pont antiquede Rome entièrement conservé. Construit en62 av. J.-C. par le commissaire Viarum Lucio Fabricio, il relie l'île Tibérine à la rive duChamp de Mars, près duthéâtre de Marcellus et duforum Boarium[9],[P2 2].
Lepont Saint-Ange est un autre ancien pont deRome qui relie les deux rives duTibre face auchâteau Saint-Ange. Il fut construit en134 sous le règne de l'empereurHadrien, qui lui donna son nom, Pons Ælius[10],[11],[P2 3].

C'est enEspagne et auPortugal que l'on peut observer des ouvrages romains parmi les plus spectaculaires, construits pour la plupart à l’époque augustéenne[P2 4]. Lepont romain de Mérida dans l'Estrémadure, composé de 60 arches, qui enjambe le Guardiana, est long de 792 m[P2 5]. Lepont d'Alcántara[12], érigé sur leTage en 103 et 104 apr. J.-C.[13], comporte six arches en plein cintre de 30,8 à 43,6 m d’ouverture, reposant sur des piles d’environ 9 m d’épaisseur de forme carrée, dont quelques-unes, celles placées en rivière, atteignent une hauteur de près de40 mètres au-dessus des fondations. La beauté résulte des dimensions imposantes, de la simplicité des formes et de leur aspect de solidité[P2 6].

Deux imposants ponts-aqueducs de cette époque, construits sousTrajan entre 98 et 117, sont également remarquables :celui de Ségovie, long de 813 m et comportant128 arches[P2 7] etcelui de Tarragone, long de 217 m, enjambant la vallée duFrancolí (es)[P2 7].
AuIIIe siècle apparaissent les ponts à arc surbaissé, ou ponts segmentaires. Lepont de Limyra[14], situé près deLimyra dans laTurquie actuelle, en est un des premiers représentants au monde. Le pont mesure360 mètres de longueur et possède26 arcs segmentaires et deux semi-circulaires[15].
En France, lepont du Gard est un pont-aqueducromain à trois niveaux, d’une hauteur de 47,40 m au point le plus haut, situé dans la commune deVers-Pont-du-Gard, dans le département duGard. Il enjambe leGardon. Probablement bâti dans la première moitié duIer siècle, il assurait la continuité de l'aqueduc romain qui conduisait l’eau d’Uzès àNîmes et avait une longueur de 50 km[P2 8].

EnAsie, il est à peu près certain que les Chinois inventèrent, de leur côté, la voûte avant ou après les Grecs et qu'ils construisirent des ponts voûtés très tôt, peut-être avant les Romains[P3 1]. Selon les archéologues chinois, le pont le plus ancien serait le pont Lurenqiao, construit environ 282 av. J.C., près de l’ancien palais de Luoyang (province du Henan)[16].
Lepont de Zhaozhou[17], qui ressemble aux ponts occidentaux duXIXe siècle, a en fait été construit vers l'an605[17]. Il est le pont en maçonnerie à arc segmentaire et àtympan ouvert le plus ancien du monde[18]. C'est également le plus ancien pont deChine encore en service. Il est situé dans le district deZhao de laville-préfecture deShijiazhuang, dans la province duHebei[19]. L'ouverture de son arche est de 37,4 mètres[16],[20].
Un autre pont ancien remarquable est lepont de Baodai, construit sur le Grand Canal à Suzhou par Wang Zhongshu, gouverneur deSuzhou sous ladynastie Tang (618-907 AD). D'une longueur de317 mètres, il possède53 arches, ce qui en fait le pont chinois avec le plus grand nombre d'arches[20].
Après la chute de l’Empire romain, suivit une période de près de cinq cents ans, pas moins de la moitié du millénaire occupé par leMoyen Âge, dont il ne subsiste pas la moindre réalisation en matière d’ouvrages d’art[21]. Les ponts sont alors construits en bois.

À partir duXIe siècle, vont être édifiés de nombreux ouvrages aux formes variées et hardies. Ces ouvrages se composent d'arches souvent très inégales, dont les voûtes sont en arc peu surbaissé, en plein cintre ou enogive, cette dernière forme permettant de diminuer les poussées ; ils reposent sur despiles épaisses aux extrémités très saillantes au moins en amont. Les largeurs entre murs sont faibles et le passage présente toujours des rampes et des pentes très fortes[3].
EnFrance, parmi les ponts médiévaux les plus remarquables peuvent être mentionnés lepont Saint-Bénézet[22] àAvignon sur leRhône (1177-1187)[22], l'ancien pont deCarcassonne[23] sur l'Aude (1180)[23], lePetit-Pont[24] àParis sur laSeine (1186)[24], lepont Valentré[25] àCahors sur leLot (1231), lepont Saint-Martial[26] àLimoges sur laVienne (1215)[26],[3].
LeMoyen Âge est caractérisé par de nombreux ponts en bois, souvent surmontés de constructions faisant office decommerces, constituant desponts habités. Un des plus célèbres est lePonte Vecchio sur le fleuveArno,dans la ville deFlorence enItalie. D’abord en bois, il a été reconstruit en pierre en1345 parTaddeo Gaddi ouNeri di Fioravante, suivant les sources, mais la célèbre galerie au-dessus des boutiques ne sera construite qu’auXVIe siècle[P2 9].
Lepont Marco Polo est probablement le premier pont chinois connu en occident grâce aux récits du voyageur vénitienMarco Polo pendant son voyage enChine auXIIIe siècle. Il est situé à 15 km à l'extérieur dePékin (Beijing) et a été achevé en 1192. Large de 8 m et long de 205 m, il est composé de 11 arches de dimensions variables, la plus grande ayant une ouverture de 21,60 m[P3 2].
Les ponts voûtés chinois atteignent l’apogée de leur splendeur dans leFujian avec des arcs très fins. Le pont de Xiao construit en1470 a une hauteur libre de 7,2 m avec une épaisseur d’arc de seulement 20 cm, la moitié d’un arc normal[27]. Il est toujours en service et supporte le trafic actuel. Un autre pont remarquable de cette époque est celui de Gao-po, situé dans leYongding et construit en1477. Sa portée est de 20 m et son arc n’a que 60 cm d’épaisseur, sans un quelconque mortier de liaison[27].
AuCambodge, Phra Phutthos est un pont construit à la fin duXIIe siècle lors du règne deJayavarman VII. Il compte plus de 20 arcs fins et fait75 mètres de longueur. Il s’agit du pont de pierre voûté en encorbellement le plus long du monde[18].

En Occident, entre leXVe siècle et leXVIe siècle, les architectes des célèbres ponts deFlorence,Venise et autres villes italiennes s'inspirèrent de formes régulières empruntées au passé, mais leur propension à se poser davantage en artistes qu'en constructeurs les conduisit parfois à abuser des superstructures et autres décorations. Les deux exemples les plus significatifs sont lePonte Vecchio[28] àFlorence et lepont du Rialto[29] sur leGrand Canal àVenise[30].

Le pont devient un élément central de grands projets d’urbanisme. EnFrance, les premiers architectes de renom apparaissent, commeAndrouet du Cerceau à qui l’on doit lepont Neuf[31] de Paris qui, commencé en1578, ne sera achevé qu’en1604 du fait desguerres de religion[32]. Il facilite le passage entre lepalais du Louvre et l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, il jouxte le monument érigé à la gloire d'Henri IV situé sur la pointe en aval de l'île de la Cité et constitue le pont en service le plus ancien de Paris. C’est à cette époque qu’est introduit l’arc en anse de panier, courbe à trois ou plusieurs centres, sans jamais toutefois se substituer à la courbe en plein cintre.

En Europe centrale, leStari Most deMostar est un pont construit en1565 par l’architecte Mimar Hajrudin, élève de l’architecteottomanSinan. Il relie les deux parties de cette ville deBosnie-Herzégovine, enjambant la rivièreNeretva. Le pont est constitué d'une seule arche endos-d'âne de 27 m de portée, 4 m de largeur et 30 m de longueur. L'architecture de ce pont en dos d’âne, la technique utilisée à l'époque de sa construction, est surprenante, lui conférant une grande solidité. Elle était telle qu'il a résisté pendant des siècles à tous les conflits, sauf le dernier.

Lepont Khadjou àIspahan est un pont remarquable d’Iran. Construit vers1667, il comporte 18 voûtes en arcs pointus, et supporte une route de26 mètres de largeur et comporte des couloirs ombragés. Il est aussi flanqué de pavillons et de tours de garde. Alliant architecture et technique dans une merveilleuse harmonie fonctionnelle, ce superbe pont servit aussi de barrage[18].

Jusqu’auXVIIe siècle les ponts sont construits par transposition de techniques de construction éprouvées par le temps, mais ne résultant pas d’une approche théorique. Les formules courantes, déduites de l'observation et de la pratique, étaient nombreuses. L’épaisseur à laclef, celle desreins, des piles ou des culées, étaient déduites simplement de l’ouverture du pont.
Philippe de La Hire en1695[M 1], puis en1712[M 1],[33] tente une première approche du calcul des voûtes, calcul qui consiste à vérifier, a posteriori, que la voûte dessinée a quelque chance d'être stable, et que les matériaux qui la constituent ne s'écraseront pas sous les charges[34]. Il ne réussit pas à obtenir des résultats suffisants pour la pratique, mais il a toutefois le mérite de mettre en évidence deux notions qui, un siècle plus tard, se révéleront extrêmement fécondes[P 1],[M 1] :
Jean-Rodolphe Perronet, premier directeur deÉcole nationale des ponts et chaussées[35] et illustre constructeur, détermine en1777 les premières règles pour calculer les épaisseurs desvoûtes et des piédroits (pieds de voûtes). Couplet introduit la notion de lignes de centre de pression ainsi que la notion de rupture par rotation des blocs. Les travaux deCoulomb, publiés en 1773, introduisent quant à eux un mécanisme de ruine par glissement le long d'un joint et reprennent, quarante-trois ans après, le mécanisme de ruine par rotation des blocs[36],[37]. Mais ce n’est qu’auXIXe siècle que ces théories connaîtront des applications concrètes.
Alors que les ponts duMoyen Âge avaient tant bien que mal suffi jusque-là, ces ouvrages étroits, plusieurs fois réparés et à chaussée exigüe ne convenaient plus aux nouveaux échanges commerciaux. LeXVIIIe siècle va ainsi connaître en Europe, et particulièrement en France, une grande activité dans la construction des ponts[38].
Une évolution s'est en outre produite durant cette période. Pendant la première moitié du siècle, les ponts étaient endos d'âne très prononcé et composés d'arches décroissantes du milieu vers les rives, comme le pont Jacques-Gabriel deBlois, alors qu'à partir de1750 les pentes ont été de moins en moins accentuées et des arches d'égale longueur (pont Wilson de Tours).
Larégion centrale de la France (bassins dela Seine et dela Loire) a été particulièrement privilégiée. Elle a vu naître, entre autres, lepont Royal àParis, qui, bien qu'édifié de1685 à1687 parJules Hardouin-Mansart annonce, par sa structure, les grands ponts du siècle suivant ; le pont de Blois, construit de1716 à1724 parJacques Gabriel etRobert Pitrou ; lepont d'Orléans, de1751 à1760 parJean Hupeau etRobert Soyer ; le pont de Moulins, de1756 à1770 parLouis de Règemorte ; le pont deSaumur, de1756 à1768 parJean-Baptiste de Voglie ; lepont de Neuilly, de1766 à1769, lepont de la Concorde à Paris, de1787 à1791, chefs-d'œuvre dePerronet.
EnEspagne, le pont deTolède, construit entre1720 et1732 est aussi un ouvrage monumental orné de nombreuses sculptures baroques[P2 10].
La littérature décrivant les ponts construits en Orient auXVIIIe siècle est quasiment inexistante. Les ponts les plus connus de cette époque sont assurément ceux duPalais d'Été dePékin. Ce palais, dont l’origine remonte à 1155, est constitué d’un ensemble hétéroclite de constructions disséminées sur un lac de 240 hectares, lelac de Kunming, auxquelles ont accède à l’aide d’un grand nombre de ponts en maçonnerie. Parmi ceux-ci deux sont remarquables[P3 3].
Lepont de la Ceinture de Jade est le plus connu des six ponts sur la rive ouest dulac de Kunming. Il a été érigé dans les années 1751 à 1764, pendant le règne de l'empereurQianlong, et a été construit dans le style spécifique à l’Orient, que l’on retrouve également auJapon, lesponts-lunes[P3 4].
Le pont aux dix-sept arches relie l’île de Nanhu à la rive orientale du lac. Il a aussi été construit durant le règne de l'empereurQianlong. Avec une longueur de150 mètres et une largeur de8 mètres, il est le plus long pont du Palais d'Été.
Au début duXIXe siècle, lesarchitectes et lesingénieurs avaient l'acquis d'une longue pratique de la construction des ponts en pierre et en bois. En1810,Louis-Charles Boistard montre, à la suite de nombreux essais, que la rupture des voûtes se produit par la rotation de quatre blocs[39].Navier, dans ses leçons à l'école des Ponts et Chaussées (1825), introduit la notion d'élasticité des matériaux et définit la« règle du tiers central », limite dans laquelle doit rester la ligne des centres de pression de la voûte[37].
Ces résultats permettent àÉdouard Mery de publier en 1840[40] une méthode de vérification des voûtes qui allait être utilisée pendant tout leXIXe siècle et l'est encore parfois de nos jours[41],[M 2].« L'épure de Méry » s’appuie sur le principe que« l'intrados et l'extrados forment deux limites dont la courbe des pressions ne doit jamais sortir et lorsque cela arrive, l'équilibre est impossible ». Cette méthode sera décrite dans le cours de« construction de ponts » de Philippe Croisette-Desnoyers, en 1885[42] et dans ce qui reste l'œuvre magistrale consacrant la fin de la construction des ponts en maçonnerie, les« grandes voûtes » dePaul Séjourné, publiée en 1913.
En1867,Durand-Claye améliore cette méthode, mais sa proposition connaît moins de succès car elle nécessite des calculs laborieux[41],[M 3].
Dans le domaine des matériaux, les progrès vont venir duliant permettant de fabriquer les mortiers de scellement des voussoirs de voûte. Le françaisLouis Vicat découvrit en 1817 le principe d'hydraulicité deschaux, concernant la proportion d'argile et la température de cuisson, et publia ses travaux sans prendre de brevet. En 1824, le BritanniqueJoseph Aspdin déposa un brevet pour la fabrication d'une chaux hydraulique à prise rapide qu'il appela commercialement leciment Portland. Mais la découverte majeure vint en1840 avec la découverte des principes d'hydraulicité des ciments lents (dits aujourd'hui ciments Portland) toujours par Louis Vicat. Les mortiers, utilisés pour le scellement des voussoirs, allaient ainsi faire des progrès considérables en termes de résistance.
En ce qui concerne la technique de construction,Paul Séjourné remet au goût du jour la construction de lavoûte par rouleaux successifs, technique déjà utilisée par les romains et auMoyen Âge mais tombée en désuétude, et l’utilisation decintres rayonnants puis de cintres retroussés, par destirants en câbles d'acier. Ceci lui permet de réaliser des économies de 20 à 70 pour 100 du bois utilisé et de réduire les délais de construction[43]. Par ailleurs, s’inspirant du passé, il met en exergue la voûte en utilisant systématiquement des archivoltes qui soulignent ainsi l’élégance de sa forme[44].
En 1870,Jules Dupuit proposa le premier d'articuler les voûtes, ce qui permet de mieux faire travailler les matériaux car les efforts sont mieux connus[45].

Le développement deschemins de fer auXIXe siècle induit l'apparition de grands viaducs en maçonnerie. En effet le tracé des voies ferrées ne pouvait pas épouser le relief des régions traversées en raison des faibles pentes admissibles, moins de 10 mm par mètre au début, et des grands rayons de courbure nécessaires à la stabilité des véhicules. L’importance des déclivités était limitée par le peu d’adhérence des locomotives, par leur faible puissance et l’insuffisance de leurs moyens de freinage[P 2].
En France l’un des premiers grands viaducs estcelui du Val-Fleury construit en 1840 sur laligne Paris-Versailles[P 2]. De nombreux viaducs sont ensuite construits, comme leviaduc de Nîmes[P 3], d'une longueur de 1 569 m[P 3], parmi les plus longs de France, leviaduc de Barentin (1844)[P 4] enSeine-Maritime, ou leviaduc de Saint-Chamas (1848)[P 5] dans lesBouches-du-Rhône, un ouvrage curieux fait de voûtes en plein cintre imbriquées symétriquement[P 5].
Il en est de même en Europe, même s'ils sont plus rares qu'en France[P 6]. En Allemagne de l'Ouest, le viaduc de Bietigheim, construit en 1851-1853 sur la ligne Bruchsal-Ulm, est ainsi un viaduc de 262 m de long comportant 18 arches de 13,18 m d'ouverture[P 6]. EnAllemagne de l'Est, leviaduc de Göltzschtal, franchissant la Göltz, sur la ligne Ratisbonne-Leipzig est le plus grand pont en maçonnerie jamais réalisé. Construit entre 1846 et 1851, il est long de 579,26 m et haut de85 mètres à son point le plus haut, comportant quatre niveaux de voûtes[P 7].
Les impératifs de tracé des voies de chemin de fer par rapport aux obstacles à franchir vont conduire les ingénieurs à construire des ponts biais, c'est-à-dire dont l'axe est oblique par rapport aux culées des ponts, plutôt que des ponts ayant des traversées droites. Les premiers ponts biais ont été construits sur laligne de chemin de fer de Paris à Saint-Germain-en-Laye.

Une innovation majeure va venir de la conception de la voûte. Pour permettre de plus grandes portées, l’augmentation des pressions grâce aux mortiers modernes et la réduction des épaisseurs avait atteint ses limites.Paul Séjourné a alors l’idée de dédoubler la voûte en deux arcs parallèles. Même si ce principe du dédoublement avait déjà été employé dans le passé pour des petites voûtes comme lepont du Gard ou lepont Saint-Bénézet, il revient à Paul Séjourné d'en comprendre toute l'importance du point de vue du rendement des matériaux et de l'économie et de réaliser le premier, grâce au couplage avec un tablier en béton armé, une des œuvres les plus grandioses duXXe siècle : lepont Adolphe à Luxembourg (1899-1903). L'ouverture de84 mètres de cet ouvrage dépasse de17 mètres la plus grande portée réalisée à l'époque de l'inauguration[46]. Le principe en sera repris de multiples fois en divers pays, notamment en Amérique, mais aussi en France avec le très délicatpont des Catalans àToulouse (1904-1907)[47].
Lepont de Plauen àPlauen, sur la Weisse, le dépasse en 1905 avec une portée de90 mètres[48]. Cet ouvrage est le dernier grand pont voûté en maçonnerie construit en occident. Avec le dédoublement de l'arc, Paul Séjourné a ouvert la voie de la construction es grands ponts en arc en béton armé. L’arrivée de nouvelles techniques de construction utilisant l’acier, comme lesponts suspendus ou lesponts en béton précontraints ou lesponts à haubans, sonna brutalement la fin de la construction des ponts en maçonnerie dans le monde occidental.
Alors qu'en Occident, la technique est définitivement abandonnée au profit de ponts-types enbéton armé, pour les petites portées, et d'autres types pour les grandes portées, enChine, de nombreux ponts en maçonnerie sont encore construits auXXe siècle, particulièrement dans lesannées 1960 et1970. Ainsi 1 152 ponts de ce type ont été construits dans ces deux décennies dans la province duFujian, soit 60 % de la totalité des ponts construits pendant cette période[49].
Parallèlement les records de grandes portées sont battus. En1965, le seuil des100 mètres est franchi avec le pont de Hongdu, dans la province deGuangxi[50]. En1972, le pont de Fengdu Jiuxigou, dans la province duSichuan atteint une portée de116 mètres[51]. En1990, le pont de Fenghuang, dans la province deFunan, a une portée de120 mètres[52]. Enfin, le record absolu de portée pour un pont en maçonnerie est atteint en juillet2000 avec lepont de Danhe, sur l'autoroute de Jin-Jiao, dans la province deShanxi enChine avec une longueur de146 mètres[53],[54].

La maçonnerie étant une matière qui ne travaille pratiquement pas à la traction, les ponts en maçonnerie présentent toujours la forme d’une voûte, seule forme qui permette de satisfaire à cette condition. Un pont est composé d’une ou de plusieurs voûtes qui s’appuient sur des appuis capables de résister, sans déplacement appréciable, à l’action mécanique de la voûte, appelée poussée. Ces appuis sont généralement constitués aux extrémités par des murs épais en maçonnerie appelés culées et en rivière sur des piles.
La voûte comporte toujours un plan vertical de symétrie transversale et presque toujours un plan vertical de symétrie longitudinale. Elle a une épaisseur variable qui croît uniformément du milieu, appelé, clef, vers les extrémités, appelées retombées.
La voûte est comprise entre deux surfaces courbes, la surface extérieure appeléeextrados, la surface intérieure appeléeintrados oudouelle. Si l’on représente la projection d'une voûte sur un plan vertical, celle-ci est limitée par deux lignes, la ligne d'extrados et la ligne d'intrados. Cette dernière est généralement une courbe géométrique : arc de cercle, arc de parabole, etc.
La courbe naît sur les verticales limitant les culées. Les points d'intersection de la ligne d'intrados avec ces verticales s'appellent les naissances. La distance qui sépare les culées s'appelle l'ouverture. La ligne qui joint les naissances s'appelle ligne des naissances ou corde. Elle est presque toujours horizontale. La distance verticale qui sépare la ligne d'intrados de la ligne des naissances, mesurée au milieu de celle-ci, s'appelle la flèche.
| Type d'ouvrage | Schéma | Photo | Commentaire |
|---|---|---|---|
| Arc en plein cintre | L'arc de plein cintre est composé d'un demi-cercle complet, c'est le type de voûte le plus rencontré. Il représente environ 67 % des ponts ferroviaires en maçonnerie du réseau français. Ces voûtes peuvent être surhaussées (c'est le cas pour le vieux pont de Gien), outre-passées (légère extension du demi-cercle) ou bombées (légère diminution du demi-cercle. Les Romains utilisèrent quasi exclusivement l'arc en plein cintre[55]. | ||
| ogival | L'ogive est formée de deux arcs de cercle qui se coupent à la clef, on dit également arcs brisés. La forme est très ancienne, mais c'est auMoyen Âge qu'elle fut largement employée, car elle présente entre autres l'avantage de réduire les efforts horizontaux, facilitant ainsi la construction arche par arche dans le cas de ponts à travées multiples[56]. | ||
| arc de cercle | Ces voûtes sont conçues à l'aide d'un arc de cercle inférieur à un demi-cercle. Le surbaissement des voûtes se développa à partir duXVIe siècle, toutefois, c'est auXVIIIe siècle et sous l'influence deJean-Rodolphe Perronet que les voûtes des ponts en maçonnerie devinrent beaucoup plus surbaissées qu'auparavant et les piles s'affinèrent de façon à favoriser l'écoulement des eaux[57]. | ||
| anse de panier | Très proche de l'ellipse, la voûte en anse de panier est composée d'un nombre impair d'arcs de cercle successifs dont les rayons varient au droit de la clef. Les concepteurs optaient généralement davantage pour ce type de voûte qui était plus facile à tracer que la forme elliptique. Elle possède également l'avantage de laisser passer un plus grand volume d'eau[58]. |
Lebandeau matérialise l'extrémité transversale de la voûte, il reçoit le murtympan qui lui sert desoutènement au remplissage de l'ouvrage, la partie entre les deux bandeaux qui constitue l'intrados de la voûte s'appelle la douelle. Le type de bandeau tient plus d'une volonté architecturale, il peut être composé demoellons, depierres de taille ou debriques, la face apparente est généralement plane, bien que quelques ouvrages présentent desmoulures, lorsqu'unornement particulier est désiré. Certains types de bandeaux possèdent des avantages face à d'autres, un bandeau en tas de charge par exemple facilite la mise en œuvre des assises du tympan grâce aux redans présents sur l'extrados, il ne sera donc pas nécessaire de tailler chaque élément du tympan en biseau. On peut également rencontrer des bandeaux dits en corne de vache, dont le principal rôle est d'améliorer l'écoulement des eaux. Les bandeaux sont plus ou moins représentatifs d'une période donnée[59].
| un rouleau extradossé | à double rouleau | bloqué | à double rouleau non extradossé | en tas de charge |
|---|---|---|---|---|
àEstoublon |
Les culées ainsi que les murs en retour ou en aile (contrefort, quart de cône) reposent sur des massifs de fondation qui permettent de supporter ou de répartir l’ensemble des charges appliquées à l’ouvrage.
Leparapet se décompose en trois parties :
Si le pont comporte plusieurs travées, les voûtes contiguës reposent sur un appui commun appelépile. Comme les culées, les piles reposent sur des fondations.
Plusieurs critères peuvent différencier les ponts voûtés : la forme de lavoûte, le type d’appareillage de la voûte, le type d’avant-bec ou d’arrière-bec. Ainsi la voûte peut être en plein cintre (demi-cercle parfait), en arc de cercle (segment d’arc), enogive, en anse de panier ou en ellipse[P0 1]. Lebandeau de la voûte peut être extradossé à pierres rayonnantes, à double rouleau, bloqué, à double rouleau non extradossé, en tas de charge, avec platebande en tas de charge[P0 1]. Lesbecs peuvent être triangulaires, en amande, rectangulaires, ou circulaires[P0 2].
Le plus grand pont en maçonnerie desÉtats-Unis est lepont James J. Hill, sur leMississippi, construit en 1883 par le magnat des chemins de fer, James J. Hill, qui désirait frapper l'imagination de ses concitoyens en faisant bâtir un ouvrage qui lui fit honneur. D'une longueur de 752,5 m, il comporte 23 arches en pierre de taille en calcaire, en plein cintre, de 23,49 m d'ouverture. C'est le seul pont de pierre traversant le Mississippi[P3 5].
Sur les autres projets Wikimedia :
De très nombreux ouvrages traitant partiellement ou en totalité du sujet des ponts en maçonnerie ont été écrits. La liste ci-après, classée par ordre chronologique de parution, recense les plus significatifs et ceux qui ont servi de source à l'article.
Ponts par types et longueurs | |
|---|---|
| Structures | |
| Matériaux | |
| Modes de transport | |
| Grands ponts | |