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Unpoint de basculement est un seuil qui, lorsqu'il est franchi, entraîne de grands changements, souvent irréversibles (point de non-retour), qui modifient qualitativement l'état ou l'évolution d'un système[3]. De potentiels points de basculement ont été identifiés dans lesystème climatique physique ainsi que dans lesécosystèmes en interaction[4]. Par exemple, les rétroactions ducycle du carbone sont un facteur de transition entre lespériodes glaciaires etinterglaciaires, leforçage orbital en constituant le déclencheur initial[5]. L'enregistrement de la température géologique de la Terre montre de nombreux autres exemples de transitions rapides (au sens géologique) entre différents états climatiques[6].
Les points de basculement climatiques sont particulièrement intéressants pour l'étude duchangement climatique à l'ère moderne. Un point de basculement possible a été par exemple identifié pour la température de surface moyenne globale en étudiant le comportement passé du système climatique de la Terre et sesrétroactions positives. Les rétroactions avec lecycle du carbone et laréflectivité planétaire pourraient déclencher une série de points de basculement en cascade[7].
Il existe des éléments de basculement à grande échelle comme lescalottes glaciaires du Groenland et de l'Antarctique dont la fonte pourrait entraîner uneélévation du niveau de lamer de plusieurs dizaines de mètres[8]. Ces points de basculement ne sont pas toujours brutaux. Par exemple, à un certain niveau de température, la fonte d’une grande partie de lacalotte glaciaire duGroenland et/ou de lacalotte glaciaire de l’Antarctique occidental deviendra inévitable mais la couche de glace elle-même peut persister pendant plusieurs siècles[9]. Certains éléments, tels que l'effondrement des écosystèmes, sont irréversibles[4].
Lesixième rapport d'évaluation duGroupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), publié en 2021, définit un point de basculement comme un« seuil critique au-delà duquel un système se réorganise, souvent de manière abrupte et/ou irréversible »[10]. Il peut être provoqué par une petite perturbation entraînant un changement disproportionné dans le système. Les points de basculement peuvent également être définis comme en association avec desrétroactions auto-renforcées qui pourraient entraîner des changements irréversibles à l'échelle de temps humaine dans lesystème climatique[11]. Pour toute composante climatique particulière, le passage d'un état à un nouvel état stable peut prendre plusieurs décennies ou siècles[11]. Dans lesécosystèmes et dans les systèmes sociaux, un point de basculement peut déclencher un « changement de régime » : une réorganisation majeure des systèmes vers un nouvel état stable[12].
Lerapport spécial du GIEC sur l'océan et la cryosphère dans le contexte du changement climatique de 2019 définit un point de basculement comme« un niveau de changement dans les propriétés du système au-delà duquel un système se réorganise, souvent de manière non linéaire, et ne revient pas à l'état initial même si les moteurs du changement sont atténués. Pour le système climatique, le terme désigne un seuil critique à partir duquel le climat mondial ou régional passe d'un état stable à un autre état stable »[13].
Des archives géologiques montrent qu'il y a eu des changements abrupts dans le système climatique qui indiquent d'anciens points de basculement. Par exemple, lesévénements de Dansgaard-Oeschger au cours de ladernière période glaciaire sont des périodes de réchauffement brusque (en quelques décennies) auGroenland et enEurope, qui peuvent avoir impliqué des changements brusques dans les principaux courants océaniques. Au cours de la déglaciation, au début de l'Holocène, l'élévation du niveau de la mer n'a pas été régulière, mais s'est produite de manière abrupte lors des poussées d'eau de fonte. Lamousson enAfrique du Nord a connu des changements abrupts sur des échelles de temps décennales pendant lapériode humide africaine, il y a 15 000 à 5 000 ans, et qui s'est également terminée brusquement par un état plus sec[14].
Les scientifiques ont identifié de nombreux éléments dusystème climatique susceptibles de présenter des points de basculement[15],[11]. Au début des années 2000, leGIEC commence à envisager la possibilité de points de basculement. À cette époque, le GIEC conclut qu'ils ne seraient probables qu'en cas de réchauffement planétaire de +4 °C ou plus par rapport à l'époque préindustrielle. En 2021, les points de basculement sont considérés comme ayant une probabilité significative au niveau de réchauffement actuel d'un peu plus de1 °C, avec une forte probabilité au-dessus de2 °C[16]. Il est possible que certains points de basculement soient sur le point d'être franchis ou l'aient déjà été, comme ceux des calottes glaciaires de l'Antarctique occidental et du Groenland, desrécifs coralliens d'eau chaude et de la forêt amazonienne[17],[18]. Parmi ceux-ci, un élément climatique régional et trois éléments climatiques fondamentaux sont estimés comme susceptibles de franchir un point de basculement si le réchauffement planétaire atteint1,5 °C, à savoir l'effondrement de la calotte glaciaire du Groenland, l'effondrement de la calotte glaciaire de l'Antarctique occidental, la disparition des récifs coralliens tropicaux et le dégel brutal du pergélisol boréal. Deux autres points de basculement sont considérés comme probables si le réchauffement continue à approcher les2 °C : la perte brutale de la glace de lamer de Barents et l'effondrement du gyre subpolaire de lamer du Labrador[19],[20],[21].
| Élément de basculement climatique (et point de basculement) | Seuil ( °C) | Délai (années) | Impact maximal ( °C) | ||||||
|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
| Estimé | Minimum | Maximum | Estimé | Minimum | Maximum | Global | Régional | ||
| Calotte glaciaire du Groenland (effondrement) | 1,5 | 0,8 | 3,0 | 10 000 | 1 000 | 15 000 | 0,13 | 0,5 to 3,0 | |
| Calotte glaciaire de l'Antarctique occidental (effondrement) | 1,5 | 1,0 | 3,0 | 2 000 | 500 | 13 000 | 0,05 | 1,0 | |
| Convection des mers du Labrador et d'Irminger/du gyre océanique subpolaire (effondrement) | 1,8 | 1,1 | 3,8 | 10 | 5 | 50 | -0,5 | -3,0 | |
| Bassins sous-glaciaires de l'Antarctique oriental (effondrement) | 3,0 | 2,0 | 6,0 | 2 000 | 500 | 10 000 | 0,05 | ? | |
| Forêt amazonienne (dépérissement) | 3,5 | 2,0 | 6,0 | 100 | 50 | 200 | 0,1 (partiel) 0,2 (total)[T1 1] | 0,4 à 2,0 | |
| Pergélisol boréal (effondrement) | 4,0 | 3,0 | 6,0 | 50 | 10 | 300 | 0,2 - 0,4[T1 2] | ~ | |
| Circulation méridienne de retournement de l'Atlantique (effondrement) | 4 | 1,4 | 8 | 50 | 15 | 300 | -0,5 | -4 à -10 | |
| Glace de mer de l'hiver arctique (effondrement) | 6,3 | 4,5 | 8,7 | 20 | 10 | 100 | 0,6 | 0,6 à 1,2 | |
| Calotte glaciaire de l'Antarctique oriental (effondrement) | 7,5 | 5,0 | 10,0 | ? | 10 000 | ? | 0,6 | 2,0 | |
| Élément de basculement climatique (et point de basculement) | Seuil ( °C) | Délai (années) | Impact maximal ( °C) | ||||||
|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
| Estimé | Minimum | Maximum | Estimé | Minimum | Maximum | Global | Régional | ||
| Récifs coralliens des basses latitudes (disparition) | 1,5 | 1,0 | 2,0 | 10 | ~ | ~ | ~ | ~ | |
| Pergélisol boréal (dégel brusque) | 1,5 | 1,0 | 2,3 | 200 | 100 | 300 | 0,04 par °C en 2100 0,11 par °C en 2300[T2 1] | ~ | |
| Glace de la mer de Barents (perte brutale) | 1,6 | 1,5 | 1,7 | 25 | ? | ? | ~ | + | |
| Glaciers de montagne (perte) | 2,0 | 1,5 | 3,0 | 200 | 50 | 2 000 | 0,08 | + | |
| Sahel et mousson ouest-africaine (verdissement) | 2,8 | 2 | 3,5 | 50 | 10 | 500 | ~ | + | |
| Forêt boréale (extinction méridionale) | 4,0 | 1,5 | 5,0 | 100 | 50 | ? | net -0,18[T2 2] | -0,5 à -2 | |
| Forêt boréale (expansion vers le nord) | 4,0 | 1,5 | 7,2 | 100 | 40 | ? | net +0,14[T2 3] | 0,5-1,0 | |
Un changement de température régulier ou brutal peut déclencher des points de basculement à l'échelle mondiale.
Deux éléments de basculement globaux concernant lacryosphère, il s’agit de la fonte irréversible descalottes glaciaires duGroenland et de l’Antarctique. Au Groenland, un cycle de rétroaction positif existe entre la fonte et l'altitude de la surface. À basse altitude, les températures sont plus élevées, ce qui entraîne une fonte supplémentaire. Cette boucle de rétroaction pourrait devenir assez forte pour entraîner une fonte irréversible[8]. L’instabilité de la banquise pourrait déclencher un point de basculement dans l’Antarctique occidental[4]. Dans les deux cas, cela entraînerait l'accélération de la montée du niveau des océans[9].
Lorsque de l'eau douce est libérée à la suite de la fonte du Groenland, un seuil de perturbation dela circulation thermohaline peut être franchi[22]. Celle-ci transporte de la chaleur vers le nord au sein de l’Atlantique et a un rôle important dans la régulation de la température[23]. Les risques d'un arrêt complet de la circulation thermohaline atlantique sont faibles à modérés au regard des niveaux de réchauffement envisagés par l'accord de Paris[4].
Un autre exemple d’élément de basculement à grande échelle est l’évolution du phénomèneEl Niño – Oscillation australe. Après avoir franchi un point de basculement, la phase chaude (El Niño) commencerait à se produire plus souvent. Enfin, l'océan Austral, qui absorbe actuellement beaucoup de carbone, pourrait cesser de le faire[4].
Le changement climatique peut également déclencher des points de basculement régionaux. Par exemple la disparition de la banquise arctique[24],[25], l’établissement d’espèces ligneuses dans latoundra, la perte dupergélisol, l’effondrement de lamousson d’Asie du Sud et le renforcement de lamousson d'Afrique de l'Ouest qui conduiraient au verdissement duSahara et duSahel[4]. La déforestation peut déclencher un point de basculement dans lesforêts humides (par exemple, la transformation de laforêt amazonienne ensavane). En effet, les forêts tropicales réévaporent une grande partie des précipitations, ce qui humidifie l'atmosphère. Lorsqu'une partie de la forêt est détruite, des sécheresses locales peuvent menacer le reste de la forêt[4]. Enfin, lesforêts boréales sont également considérées comme un élément de basculement. Le réchauffement local peut provoquer la mort des arbres à un taux plus élevé qu'auparavant, proportionnellement à la hausse de la température. À mesure que davantage d'arbres meurent, les forêts deviennent plus ouvertes, ce qui entraîne un réchauffement supplémentaire et rend les forêts plus vulnérables aux incendies. Le point de basculement est difficile à prévoir, mais il est estimé entre3 °C et4 °C de hausse de la température globale[4].
De nombreusesrétroactions positives et négatives aux températures globales et au cycle du carbone ont été identifiées. Le GIEC signale que les rétroactions provoquées par la hausse des températuressont positives pour le reste de ce siècle, l’effet de la couverture nuageuse est celui qui a la plus grande incertitude[26]. Les modèles du cycle du carbone du GIEC montrent une absorption plus élevée de carbone dans les océans, mais l'assimilation de carbone par les terres est incertaine en raison de l'effet combiné du changement climatique et des changements d'utilisation des terres[27].
L’enregistrement géologique de la température et de la concentration degaz à effet de serre permet aux climatologues de rassembler des informations sur lesrétroactions climatiques qui ont conduit à différents états climatiques, tels que leQuaternaire supérieur (il y a1,2 million d’années), lePliocène (il y a cinq millions d’années) et leCrétacé (il y a cent millions d'années). En combinant ces informations avec la compréhension du changement climatique actuel, un groupe de chercheurs conclut en 2018[28] qu'un réchauffement de2 °C pourrait activer des éléments de basculement importants, augmentant encore la température pour activer d'autres éléments de basculement dans un enchaînement en cascade qui pourrait encore augmenter la température terrestre[7] et créer uneplanète étuve. Une étude de 2019 affirme que si les gaz à effet de serre atteignent trois fois le niveau actuel dedioxyde de carbone dans l'atmosphère, lesstratocumulus pourraient se disperser brutalement, contribuant ainsi à un réchauffement supplémentaire de 8 degrés Celsius[29].
La vitesse à laquelle les éléments du système climatique peuvent basculer est extrêmement importante pour déterminer leur rôle dans le changement climatique. Les enregistrements géologiques ne permettent pas toujours de savoir si les changements de température passés se sont étendus sur quelques décennies ou plusieurs millénaires. Par exemple, le basculement induit par de lalibération de composés de clathrate enfouis dans les fonds marins et le pergélisol marin[30] est maintenant considéré comme un phénomène de long terme et non plus brutal[31].
L'emballement climatique est utilisé dans les cercles astronomiques pour désigner un effet de serre si extrême que les océans bouillonnent et rendent une planète inhabitable, comme ce qui s'est produit surVénus de façon irréversible. Lecinquième rapport d'évaluation du GIEC indique que cet emballement n'a pratiquement aucune chance d'être induit par des activités anthropiques[32]. Des conditions semblables à celles de Vénus nécessitent un forçage important qui ne se produira probablement pas sans une augmentation du rayonnement solaire de plusieurs dizaines de pour-cent, ce qui n'arrivera pas avant des milliards d’années[33].
Si cet emballement est pratiquement impossible sur Terre, le forçage climatique créé par l'homme pourrait amener la Terre à un état de serre humide rendant de grandes parties de la Terre inhabitables si le taux devapeur d'eau (H2O) augmentait jusqu'à 1 % de la masse totale de l'atmosphère, devenant ainsi unconstituant atmosphérique majeur[34]. Si un tel forçage était entièrement dû au CO2, le processus d’altération éliminerait le CO2 atmosphérique en excès bien avant de baisser le niveau des océans[33].
Franchir un seuil dans une partie du système climatique peut amener un autre élément à basculer dans un nouvel état. Ce sont ce qu'on appelle des points de basculement en cascade[35]. La fonte de la glace en Antarctique occidental et au Groenland modifierait considérablementla circulation océanique. Ce processus pourrait entraîner l'activation d'éléments de basculement dans cette région, tels que la dégradation du pergélisol, la fonte de la banquise arctique et ledépérissement de la forêt boréale. Cela montre que même à des niveaux relativement bas de réchauffement climatique, des éléments de basculement relativement stables peuvent être activés[36].
Pour certains des points de basculement décrits ci-dessus, il peut être possible de détecter si cette partie du système climatique se rapproche d'un point de basculement. Toutes les parties du système climatique sont parfois perturbées par les phénomènes météorologiques. Après la perturbation, le système revient à son équilibre. Par exemple, une tempête peut endommager la banquise qui se reforme après. Si un système se rapproche d'un basculement, la restauration de son état normal peut prendre de plus en plus de temps, ce qui peut être interprété comme un signe avant-coureur du basculement[37],[38].

Une étude réalisée par lePNUE en 2019 indique que le point de basculement a déjà été atteint pour l'Arctique et leGroenland[39],[40]. En raison de la fonte dupergélisol, leméthane (en plus d'autres polluants climatiques de courte durée) pourrait être libéré dans l'atmosphère plus tôt que prévu. La perte d'un bouclier de glace à albédo positif a lancé une puissante boucle de rétroaction positive conduisant à des températures toujours plus élevées. L’instabilité climatique qui s’accélère dans la région polaire est susceptible d’affecter le climat mondial, et de dépasser les prévisions antérieures[41],[42],[43],[44],[45],[46] concernant le point de l’avenir où le basculement mondial aura lieu.
Si le climat entre dans un scénario de serre humide, il est à craindre des pénuries alimentaires, despénuries d'eau et des centaines de millions de personnes déplacées en raison de l’élévation du niveau de la mer, de conditions malsaines et invivables et de tempêtes côtières violentes[36].
Un emballement à4 à 5 °C pourrait rendre inhabitables des pans entiers de la planète autour de l’équateur, avec un niveau de la mer jusqu’à 60 m au-dessus d'aujourd'hui[47]. Un réchauffement de11 à 12 °C mettrait en question la survie des humains par hyperthermie[48].
Des effets comme ceux-là ont été popularisés dans des ouvrages de fiction commeThe Inhabitable Earth[49].
« Hothouse Earth is likely to be uncontrollable and dangerous to many … global average temperatures would exceed those of any interglacial period—meaning warmer eras that come in between Ice Ages—of the past 1.2 million years. »
« High concentrations of atmospheric carbon dioxide can result in the dispersal of cloud banks that reflect roughly 30% of the sunlight that hits them. »