Devenu une vedette comique ducinéma français au début desannées 1970, il connaît ses plus grands succès en interprétant des personnagesburlesques, rêveurs et gaffeurs, dès ses premières apparitions sur grand écran, après plusieurs années au cabaret et à la télévision. Soutenu parYves Robert, il se révèle en écrivant et réalisant ses propres films dontLe Distrait (1970),Les Malheurs d'Alfred (1972) ou encoreJe sais rien, mais je dirai tout (1973). Derrière la fantaisie, son cinéma transcrit l'esprit contestataire de l'après-mai 68 en tournant en dérision les fondements de la société moderne.
Pierre-Richard Maurice Charles Léopold Defays[1] naît dans une famille de la grande bourgeoisie deValenciennes ; il est le fils de Maurice Defays, industriel qui a dilapidé la fortune familiale[2], et de Madeleine Paulasini[3]. Il est également le petit-fils de Léopold Defays[n 1],polytechnicien[4], directeur de l'usine sidérurgiqueEscaut-et-Meuse[5]. Sonprénom composé lui vient du vrai nom dePierre Richard-Willm, qui était l'acteur préféré de sa mère[2].
Son père étant parti avant sa naissance, il grandit auprès de sa mère et de ses deux grands-pères. Il souffre toute sa vie du « mal de père », comme il le confie dansLe Petit Blond dans un grand parc, un récit autobiographique écrit en 1989 à l'intention de ses deux fils[6]. Il a sept ans lorsque pour la première fois, par hasard, il rencontre son père àParis, sur l'hippodrome de Longchamp, et il lui arrive par la suite de le revoir dans le château familial[7], mais son père ne s'intéresse pas à lui[8]. Il se console à travers une autre image paternelle, son grand-père maternel, Argimiro Paolassini[9]. Immigré italien, provenant d'un petit village proche d'Ancône, Argimiro s'installe à Valenciennes vers l'âge de vingt ans. Porteur derails, il finit par monter son entreprise. Pierre Richard a une immense admiration pour ce grand-père immigré, car comme lui il était plus proche deGeronimo que deHenry Ford et avait su préserver ses racines paysannes. Il lui faisait penser àRaimu : c'est peut-être pour cela, selon lui, qu'il est devenu son acteur préféré. Argimiro est mort en 1946, la même année que Raimu. Il confie encore :« Il avait dit à ma mère en parlant de moi, de tous mes petits-enfants, celui-ci réussira. Ma mère me l'a répété, ça m'est resté et, jusqu'à mes quarante ans, cette prédiction m'a donné confiance en mon destin, et la certitude que je réussirais un jour ou l'autre ». Par contre, le grand-père paternel Léopold Defays lui a tracé un destin plus sérieux en l'envoyant enpension dans l'objectif d'intégrerSciences Po ouSaint-Cyr[9].
L'acteur américainDanny Kaye donne l'envie d'être acteur au jeune Pierre.
Il passe son enfance et une partie de son adolescence dans le château familial de la Rougeville àSaint-Saulve, près de Valenciennes où il est élève aulycée Henri-Wallon, puis pensionnaire de l’institution Notre-Dame[10]. Le rire est pour lui un moyen de se faire une place :« pour m'en sortir, n'étant ni fort intellectuellement ni fort physiquement, je n'avais d'autre solution que d'être drôle pour devenir le chouchou du costaud. J'ai été le fou du roi pour survivre »[11]. En 1944, il est élève de6e aulycée Rollin à Paris[12]. Il entame après le baccalauréat des études de philosophie[13]. Manquant régulièrement les cours pour aller au cinéma, il a18 ans lorsqueDanny Kaye, qui lui ressemble physiquement, lui révèle sa vocation dansUn fou s'en va-t-en guerre[5].
En 1953, Pierre Richard rejoint sa mère à Paris, où il prend des cours d'art dramatique à l'écoleCharles Dullin. Il tient à ne pas demander de soutien financier à sa famille mais sa grand-mère, insistante, le laisse disposer en secret d'un appartement dans le16e arrondissement et lui envoie des colis de vivres[2]. En 1958, une particularité physique, sonhyperlaxité, le fait remarquer dans la série comiqueLa Belle Équipe[2]. Le générique le crédite « Pierre Richard Defays »[2]. Après les remontrances de sa famille, il prend le pseudonyme de « Pierre Richard »[2]. Son père réapparaît pour lui déclarer ne lui trouver aucun talent, un retour qui le blesse profondément[2].
Au cours des années 1960, Pierre Richard compose un duo avecVictor Lanoux sur scène.
Pour satisfaire l'entourage familial et calmer les angoisses de sa grand-mère, il doit apprendre un « vrai métier » et mène à bien des études dekinésithérapie, sans pour autant renoncer au monde du spectacle[2],[3]. Il doit en effet subvenir aux besoins de sa nouvelle petite famille, à partir de son mariage et de la naissance de son premier enfant en 1960[2]. En 1961, parallèlement à ses études de kinésithérapie, il débute au théâtre avecAntoine Bourseiller tout en se produisant dans des cabarets parisiens où il joue ses premiers sketches écrits avecVictor Lanoux[10]. De cette collaboration il déclare en 2016 :« Un jour, ma belle-sœur, qui était une amie de Victor, me dit : Tu devrais le rencontrer, il est si différent de toi. On s'est vus chezLipp, on a écrit des textes et on a été pris à laGalerie 55, le temple du cabaret de l'époque. En même temps que nous passaientJean Yanne,Jacques Dufilho,Guy Bedos... On enchaînait deux-trois cabarets par soir, sinon on ne gagnait pas assez : on jouait un quart d'heure à laGalerie puis on filait àl'Écluse, puis àBobino »[14]. Pendant cinq ans, les deux amis écrivent des sketches — leur plus fameux étant celui des gifles infligées à Pierre Richard — qu'ils interprètent dans la plupart des cabarets de la rive gauche[2], et souvent en première partie des concerts deGeorges Brassens[15],[13]. Contrastant avec le burlesque alors à la mode chez les autres amuseurs parisiens, leur numéro, selon Pierre Richard,« d'un esprit plus anglo-saxon que français, reposait sur le comique de situation. (…) L'absurdité du dialogue naissait de cette situation. Un genre d'humour qui, malheureusement, était peu transposable sur disque, ce qui a été un gros handicap dans notre carrière ! »[16]. Leurs rapports se dégradent jusqu'au point où ils ne se parlent plus en dehors de leurs passages sur scène[2]. Le duo s'arrête lorsque Lanoux est appelé auThéâtre national populaire, un engagement incompatible avec la tournée des cabarets[2]. La fin de leur duo, et l'incertitude qu'elle apporte à sa carrière, perturbe un temps Pierre Richard, dont la famille vient de s'agrandir d'un deuxième enfant[2]. Au cours de la décennie, il apparaît également dans desémissions de variétés réalisées parJean-Christophe Averty,Pierre Koralnik etJacques Rozier[10],[17].
Pierre Richard considèreYves Robert, artisan de son succès, comme son « père de cinéma ».
Après avoir interprété ensemble la pièceEn pleine mer en 1966, le comédien et réalisateurYves Robert, appréciant son jeu différent, écrit pour Pierre Richard un petit rôle dansAlexandre le Bienheureux (1968)[2],[13]. C'est son premier véritable rôle au cinéma, après de rares figurations[18]. Il profite de ce rôle secondaire pour déployer tout son comique physique le temps d'un numéroburlesque à peine esquissé au scénario[2]. Yves Robert est impressionné par cette démonstration et lui suggère :« Arrête de jouer dans le cinéma des autres. Tu n'as aucune place dans le cinéma français. Tu n'es pas un comédien, tu es un personnage. Tu n'es pas unjeune premier commeAlain Delon, tu n'es pas unerondeur commeBernard Blier, tu n’es rien de tout ça. C’est ton atout. Tu as une place particulière, qui n’est pas encore écrite. C'est à toi de l'écrire et de faire ta place. Tout t’est permis. Invente-toi. Fais ton cinéma »[19],[20],[18].
S'il est d'abord déçu de se voir considérer en tant que personnage et non acteur, Pierre Richard reconnaît l'énorme influence des propos du réalisateur sur sa carrière, ainsi que son aide ultérieure[2]. Le comédien trouve dansLes Caractères deLa Bruyère le personnage qui lui correspond : il est depuis l'enfance maladivement distrait et maladroit, comme Ménalque[2],[13],[21]. Cela débouche sur l'écriture duscénario, en collaboration avecAndré Ruellan, de son premier film,Le Distrait (1970)[2],[13]. Déterminé à révéler son talent, Yves Robert produit le film avec sa maison de productionLa Guéville et pousse Pierre Richard à mettre en scène lui-même son scénario[2],[13]. Robert lui adjoint les conseillers techniquesMarco Pico etPierre Cosson et le guide dans toutes les étapes du film[2],[18]. Ce premier film réunit un million et demi d'entrées[2],[18]. Pierre Richard devient une valeur montante dès son premier rôle principal (excepté l'oubliéLa Coqueluche en 1969) et sa deuxième apparition importante au cinéma[2]. Il confirme ce succès avec deux autres réalisations,Les Malheurs d'Alfred (1972) puisJe sais rien, mais je dirai tout (1973)[2].
Sur une idée du scénaristeFrancis Veber,Yves Robert lui confie le rôle principal de sa comédied'espionnage,Le Grand Blond avec une chaussure noire (1972), dans lequel il est la victime innocente des manigances deJean Rochefort etBernard Blier[22],[10],[23]. Sous l'œil d'un autre réalisateur, l'acteur est employé différemment :« Quand je me mets moi-même en scène, j'utilise aussi bien mes défauts que mes qualités. Mais je me suis aperçu que tout ce que j'avais mis dans le personnage duGrand Blond, et que j'aimais bien, parce que c'était moi, Yves Robert l'avait impitoyablement gommé au montage. Il a coupé tout ce qui n'était plus François Perrin mais Pierre Richard. D'abord je me suis senti frustré. Et puis, à la réflexion, je crois qu'il a eu raison : c'est son film, pas mon numéro »[22]. Peu avant la sortie en salles, les séances destinées à la presse, désastreuses, le font douter de la qualité du film, à tel point qu'il pense sa célébrité déjà terminée[2]. Il estimait dèsLe Distrait qu'il ne bénéficierait que d'un court moment de coup de projecteur[2]. Finalement,Le Grand Blond avec une chaussure noire est une réussite commerciale avec 3,5 millions d'entrées[22],[23]. Il acquiert le surnom durable du « Grand blond »[2]. Le film remporte unOurs d'argent spécial à laBerlinale[24]. L'exploitation à l'étranger le fait connaître à l'international[23]. Son expérience la plus gratifiante est la rencontre, à la sortie d'une projection du film àNew York, avec la fille deDanny Kaye : elle lui déclare voir son père dans sa prestation[2]. Le succès américain du film annonce de possibles incursions àHollywood mais les projets envisagés avec ferveur parJerry Lewis ouGene Wilder ne voient jamais le jour[13],[n 2].
Cette consécration l'assoit désormais comme l'une des plus grandes vedettes du cinéma français de l'époque[2],[23]. En cette première moitié desannées 1970, il peut être considéré comme l'acteur comique le plus présent et populaire, alors queLouis de Funès tourne plus rarement ces années-là[23]. Ce succès lui permet de renouer pleinement avec sa famille, à l'exception de son père, dépensier et ruiné, dont il perçoit qu’il ne s'intéresse à lui que pour son argent[2]. Preuve de sa notoriété nouvelle, il est accompagné parLino Ventura pour unebrève apparition dansLa Raison du plus fou (1973), au sein de la riche distribution réunie parRaymond Devos etFrançois Reichenbach[26].
Le Grand Blond avec une chaussure noire démontre à la profession que le personnage de Pierre Richard peut être utilisé avec brio par un autre réalisateur que lui-même[27]. Dès lors, d'autres réalisateurs s'intéressent à lui pour bâtir des comédies sur son nom et son personnage, d'autant plus que son aura commerciale s'est décuplée[27]. L'acteur se plaît dans ces engagements moins lourds que la conception d'un film du début à la fin ; il peut ainsi mieux se concentrer sur son rôle[27]. Néanmoins, la verve contestataire de ses premiers films s'étiole chez ces autres auteurs[27],[28].
En plein succès, Pierre Richard tente déjà des rôles ou des films différents[10].Juliette et Juliette (1974), comédieféministe menée parAnnie Girardot etMarlène Jobert, le montre en boxeur raté[29],[10]. Il retrouve ensuite avec plaisirPhilippe Noiret dansUn nuage entre les dents (1974), premier film réalisé parMarco Pico, un ami de longue date[30],[10]. Dans cette comédie plus noire, il apparaît sous un autre jour :« AprèsLe Grand blond,Le Distrait,Les Malheurs d'Alfred, les grands yeux bleus, l'air angélique, ça m'amusait de jouer dans un film dans lequel j'étais mal rasé, je picolais et je gueulais »[30]. L'atypiqueJacques Rozier le met en scène dansLes Naufragés de l'île de la Tortue (1976) : après s'être battu pour que le film existe, l'acteur est agréablement déconcerté par les méthodes de tournage libres et instinctives de ce réalisateur qui travaille toujours sans véritable scénario[31],[32],[10],[17]. Ces trois films passent toutefois inaperçus[33],[34].
Francis Veber lui écritLe Jouet (1976), comédie à l'argument glaçant : l'humiliation d'un employé contraint d'être la propriété du fils de son patron[2],[41]. Pierre Richard enjoint Veber à réaliser le film, puisqu'il est souvent critique envers les cinéastes qui mettent en scène ses scénarios[2],[13].Le Jouet est le premier film auquel participe sa société de productionFideline Films, fondée en 1974[42]. Sur le tournage, il est déstabilisé par la direction très pointilleuse de Veber, obligeant à multiplier les prises[2]. Le réalisateur modère son jeu, limite ses improvisations et réfrène ses fulgurances gestuelles[2]. De comique, Pierre Richard s'approche ainsi davantage du comédien et parfait son jeu[2],[43]. Prévu comme l'attraction deNoël 1976,Le Jouet déçoit la critique et le public, et ne comble pas les attentes des producteurs, malgré un résultat honorable d'un million et demi d'entrées[2],[41],[43]. L'acteur vit mal ce qu'il considère comme un échec, d'autant plus pour un film faisant écho à sa propre enfance, et craint de ne pas pouvoir se départir de son emploi comique habituel aux yeux du public[43],[41].
Le réalisateurGérard Oury fait appel à Pierre Richard pourLa Carapate (1978), comédie sur fond demai 68, signant son retour au cinéma cinq ans aprèsLes Aventures de Rabbi Jacob (1973)[44]. Le film doit d'abord l'adjoindre dePatrick Dewaere mais celui-ci est déçu par le scénario[28],[44]. Oury distribue alors le rôle àVictor Lanoux, sans savoir qu'ils formaient un duo dans les années 1960[44]. Le film remporte un grand succès, toutefois moindre que ceux qu'avait connu Oury avecLouis de Funès. Pierre Richard réalise ensuiteC'est pas moi, c'est lui (1980), jouant à nouveau avec Aldo Maccione. Malgré le succès, il ne va plus réaliser de film avant longtemps :« Mettre en scène ne m'amusait plus. Mon cinquième film [C'est pas moi, c'est lui] n'était pas meilleur que le quatrième [Je suis timide… mais je me soigne] lequel n'était guère mieux que le troisième [Je sais rien, mais je dirai tout]. Je me suis dit : tu te complais dans la superficialité. Si tu dois faire un nouveau film pour l'ajouter sur ta filmo, c'est pas la peine[45] ! » Gérard Oury le dirige une seconde fois dansLe Coup du parapluie (1980), où il retrouveValérie Mairesse[46].
Francis Veber lui confie un rôle de malchanceux naïf dansLa Chèvre (1981), d'abord prévu pourJacques Villeret[2],[47]. Le partenaire envisagé,Lino Ventura, refuse de tourner avec lui, après avoir déjà écarté Villeret[2],[47]. Pierre Richard pense àGérard Depardieu, alors plutôt orienté dans le cinéma d'auteur, plébiscité par les critiques et encore rare dans des comédies[2],[47]. À cause de l'insuccès duJouet, Veber a attendu quatre ans avant de retourner à la réalisation[43].La Chèvre est un triomphe à sa sortie, avec sept millions d'entrées[47]. Avec les bénéfices en tant que coproducteur, Pierre Richard finance des films d'auteurs commeLa vie est un roman (1983) d'Alain Resnais etLe Plein de super (1976) d'Alain Cavalier, dans lesquels il ne joue pas[2],[28],[48],[42]. Il avait été sollicité parYves Robert, producteur de ces films, qui n'arrivait pas à en boucler le budget[28]. Il déclare en :« La moindre des honnêtetés quand on gagne l'argent que je gagne, c'est de ne pas le réinvestir dans des laveries ou des restaurants, mais dans le cinéma… Et puis, c'est vrai aussi que ça me fait vachement plaisir de savoir qu'un film a pu finalement se faire grâce à moi… C'est peut-être égoïste, mais c’est un plaisir que je m’offre[48]. »
Il enchaîne avecUn chien dans un jeu de quilles (1983) deBernard Guillou, dont il a déjà produitla première réalisation ; séduit par le sujet, il permet au projet d'exister par ses fonds propres et sa notoriété et joue à nouveau avecJean Carmet[49],[48]. Le film ne dépasse pas le million d'entrées, une déroute sévère au regard des chiffres totalisés la même année parLes Compères, nouvelle réunion avec Veber et Depardieu, attirant près de cinq millions de spectateurs[33],[34],[50]. Avant le prochain Veber, il retrouve Yves Robert avecLe Jumeau (1984), dont il est la seule tête d'affiche, pour un résultat commercial plus modeste[51],[33],[34].
La fin de la collaboration avecFrancis Veber (ici en 2012) porte un coup à la carrière de Pierre Richard.
Francis Veber confronte une troisième fois Pierre Richard et Gérard Depardieu dansLes Fugitifs (1986), à l'ambiance plus sombre[47],[52],[50]. Son personnage de dépressif lui permet d'ajouter quelques touches dramatiques à son jeu[2]. Tout au long de leur partenariat, Veber lui offre ainsi d'explorer ses qualités de comédien[2]. Pierre Richard juge :« Mon parcours d'acteur de comédie, c'était d'en arriver là : à l'émotion qui permet de faire rire et pleurer[10]. » Le film est encore un succès commercial, de près de quatre millions et demi d'entrées[50],[33],[34].
Toutefois, le départ de Veber pour les États-Unis, en quête d'une carrière àHollywood, empêche une quatrième réunion avec Depardieu[2],[50]. Pierre Richard est désemparé par la fin de cette collaboration, qui lui offrait ses meilleurs films[2],[50],[n 3]. Durant la même période, ses autres films n'intéressaient pas autant le public. Veber craint même d'avoir eu un impact négatif sur sa carrière :« Je me suis demandé si notre association ne lui avait pas fait plus de mal que de bien. […] il s'est arrêté d'écrire et de mettre en scène en travaillant avec moi, et je me souviens qu'il avait dit dans la presse : "Ma chance et ma malchance, c'est d'avoir rencontré un auteur"[50]. »
Pierre Richard réaliseParlez-moi du Che (1987), un documentaire pour la télévision surChe Guevara[53], personnage qu'il dit avoir admiré comme beaucoup de jeunes de l'époque et à qui il souhaitait rendre hommage[54],[25],[55]. Son ami le journalisteJean Cormier, après avoir rencontré le père du révolutionnaire, proposa à l'acteur de tourner un film à l'occasion des vingt ans de sa mort[56]. ÀCuba et enAmérique du Sud, ils interrogent des membres de sa famille, des proches, et des Cubains, récoltant des heures de témoignages[56],[57].Fidel Castro l'invite à le rencontrer après avoir vu le film[58]. Jeune, l'acteur était aussi fasciné parSalvatore Giuliano et toute la périodeanarchiste, admirant des figures commeEugène Dieudonné etMarius Jacob[28]. Il envisagea un temps de monter un film sur Dieudonné, dont il confierait la réalisation àMarco Pico[28].
Le producteurClaude Berri réunit dans le vaudevilleÀ gauche en sortant de l'ascenseur (1988) les éléments d'un succès annoncé : une pièce populaire deGérard Lauzier, un trio en pleine gloire — Pierre Richard,Richard Bohringer etEmmanuelle Béart — et une réalisation d'Édouard Molinaro, déjà derrière des adaptations réussies de théâtre[59]. Jugé démodé, trop proche du théâtre filmé, le film n'intéresse que 600 000 spectateurs, deux ans aprèsLes Fugitifs[59]. Renouer avec le succès comique sans Veber s'avère difficile pour l'acteur :« C'était une période formidable : on était très liés, on travaillait, on produisait ensemble. Le jour où Veber est parti aux U.S.A., je me suis senti perdu… Je ne trouvais plus de bonnes comédies à tourner » dit-il àTélérama en 1991[45]. Il raconte aussia posteriori :« Mettre en scène ne m'amusait plus, je ne voulais pas également tourner des comédies superficielles »[60]. Il se consacre à la remise en état du vignoble attaché à son château, acquis en 1986[2].
Depuis un certain temps déjà, Pierre Richard désire aborder un rôle dramatique, un contre-emploi[2],[45],[53]. Cependant, aucun cinéaste ne songe à lui confier un tel rôle[2].Claude Sautet l'apprécie mais ne le voit pas jouer la banalité du quotidien[2],[n 4]. SeulClaude Lelouch avait pensé lui écrire un méchant :« Je voudrais que tu joues un salaud, une ordure. D'autant plus dangereux que tu serais comme tu es et que tout le monde te trouverait sympa », sans suite[28]. Des projets avecClaude Miller etBertrand Blier ne se sont pas concrétisés[56]. Le monde du cinéma ne l'imagine pas ailleurs que dans ses pures comédies[2]. Pourtant,Coluche, tête d'affiche de grosses comédies, a pu révéler ses talents dramatiques dansTchao Pantin (1983)[2],[45].
L'acteur trouve un personnage différent dans le rôle-titre deMangeclous (1988),superproductiond'auteur deMoshé Mizrahi[60],[53]. Cette coûteuse adaptation d'un roman d'Albert Cohen par le réalisateur de l'acclaméLa Vie devant soi (1977) est un événement médiatique[61],[62]. Si le film demeure une comédie, le rôle de Mangeclous efface la naïveté de ses personnages habituels : il est ici un baratineur orgueilleux, rusé et avide d'argent[63],[10],[45],[53]. Il apparaît barbu et les cheveux courts et teints en brun[45]. Les riches dialogues d'Albert Cohen lui permettent de s'exprimer davantage par le verbe que par le geste[10],[63]. Alourdi par son extrême fidélité au texte[63],Mangeclous est un cuisantéchec, ne réunissant que 180 000 entrées[62]. Pierre Richard réitère une composition atypique dansBienvenue à bord (1990) en auto-stoppeur mystérieux, inquiétant, bavard et manipulateur face àMartin Lamotte ; là encore, le film est ignoré par le public[10],[45],[53]. Autre expression de sa sensibilité, le comédien écritLe Petit blond dans un grand parc, longue lettre adressée à ses enfants racontant sa propre jeunesse[2]. Il n'avait jusqu'alors jamais abordé ce sujet avec eux, en particulier ses rapports houleux avec son père[2].
Pierre Richard revient à la réalisation avec la comédieOn peut toujours rêver (1991), dans lequel il partage l'affiche avec l'humoristeSmaïn[45],[64]. Il se donne un contre-emploi — « un rêveur qui aurait vieilli, un clown qui aurait perdu son maquillage » — dans le rôle de « L'Empereur », magnat de l'industrie et de la finance ayant perdu goût à la vie[10],[64],[53]. Après avoir joué dans les années 1970 des « têtes en l'air » souvent confrontées à des patrons, il campe l'un d'entre eux, grisonnant, sérieux, froid et pathétique[10],[45]. Le film n'obtient qu'un modeste résultat de 625 000 entrées[64]. Tandis que lacomédie noireVieille canaille (1992) le montre plus sobre que d'habitude aux côtés deMichel Serrault,La Cavale des fous (1993) deMarco Pico, écrit par Pierre Richard, est une pure comédie burlesque, bien qu'il joue le psychiatre plutôt qu'un malade ; ces deux films sont boudés par le public[65],[10],[66],[64]. Par ailleurs, il est blessé queFrancis Veber n'ait pas pensé à lui pour le rôle principal de la pièceLe Dîner de cons (attribué àJacques Villeret), marquant le retour de l'auteur en France[2]. Changeant de registre, il tourne dans deux drames historiques passés inaperçus :La Partie d'échecs (1994), avecCatherine Deneuve, et un rôle secondaire dansL'Amour conjugal (1995)[67],[68],[66],[69],[56]. Il revient aussi sur scène dans deux pièces deGeorges Feydeau avecMuriel Robin[66].
« On me propose aujourd'hui des choses qu'on ne me proposait pas il y a dix ans. (…) Je commence à avoir des rides, physiques ou morales, qui intéressent certains metteurs en scène. (…) Il a fallu beaucoup de temps pour s’apercevoir que je pouvais être autre chose qu’un ludion qui se situe entre ciel et terre. Ces films ne sont pas toujours des succès commerciaux d’ailleurs, mais le problème n’est pas là : j’avais envie de faire autre chose. »
Il retourne à la réalisation avecDroit dans le mur (1997) dans lequel il incarne un acteur de cinéma comiquehas been, transparente transposition de sa vision de l'état de sa carrière à ce moment[66],[2],[53]. Il tourne le film dans une ambiance tendue, divergeant avec le producteur sur le ton voulu, lui souhaitant s'orienter vers le drame tandis queJean-Louis Livi l'attend dans son registre ordinaire[2]. Avec seulement 18 000 entrées, c'est un échec critique et commercial total[2],[53]. Cet insuccès l'empêche de pouvoir à nouveau réaliser un film, ce dont il n'a de toute façon plus envie[2],[30].
Ses tentatives dramatiques ne retrouvent pas le succès que lui avaient valu ses anciens films, ni le soutien critique[28],[66],[2]. Ses nouvelles comédies n'attirent pas non plus les spectateurs[53],[64]. Éclipsé par de nouvelles générations de comiques, Pierre Richard semble définitivement ne plus avoir les faveurs du public[18],[53],[64]. Son agentDominique Besnehard regrette de ne pas lui avoir fait réussir pleinement son virage dramatique, commeMichel Serrault avait pu le faire[66].
Après ces échecs, Pierre Richard pense arrêter sa carrière au cinéma[18]. De fait, il ne tourne pas pendant quelques années et se consacre davantage au théâtre[18]. Dans le sillage des créations deJosée Dayan, le tournant des années 2000 voit l'essor des téléfilms et mini-séries historico-littéraires à grand budget[72]. La télévision lui offre des rôles différents. L'acteur tient le rôle dramatique du vieux Vitalis dans la mini-sérieSans famille (2000) deJean-Daniel Verhaeghe, d'aprèsHector Malot[66],[73]. En 2002, il revient àCuba pour incarnerRobinson Crusoé, tirant profit de sa barbe et sa chevelure hirsute, dans le téléfilmRobinson Crusoé deThierry Chabert, adapté du roman deDaniel Defoe[66],[57],[73]. Le tournage a lieu en majeure partie sur les plages deBaracoa, à l'extrémité de l'île cubaine[74].
L'acteur rencontre de jeunes artistes ou journalistes issus des générations qui étaient enfants à l'apogée de son succès, dont le scénaristeChristophe Duthuron[75],[60],[9]. L'admiration dont fait preuve cette nouvelle génération le touche et motive son retour[76],[60]. Ces nouvelles connaissances le poussent à explorer son passé, à travers des livres, des spectacles, des interviews et des conférences[77],[78]. En 2003, il revient à 70 ans au théâtre dans sonseul en scèneDétournement de mémoire, où il raconte des souvenirs de carrière[2],[n 5]. Il renoue avec le succès public et même critique[2]. Il poursuivra ce principe de spectacle de souvenirs dansFranchise postale puisPierre Richard III[79]. À l'avènement desDVD, il participe aux bonus établis pour ses films[9]. Des documentaires commencent à être consacrés à sa carrière et son style particulier, le premier étantPierre Richard, l'art du déséquilibre en 2005[9],[80]. En parallèle, il réapparaît progressivement au cinéma[53]. En second rôle, il reforme un couple comique avecJane Birkin dansMariées mais pas trop (2003)[81].Damien Odoul lui offre un nouveau rôle principal d'ampleur, un vieillard attendant la mort dans son château dans le drameEn attendant le déluge (2005)[53]. La même année, il est président du jury dufestival Très Court. À sa demande,Pierre Palmade lui écrit une pièce pour eux deux, avecChristophe Duthuron :Pierre et Fils, jouée avec succès en 2006 et exhumant le nom du personnage duDistrait[82],[83],[84].
Vingt ans après ses derniers succès, Pierre Richard est reconnu un élément important de l'histoire ducinéma comique français[18],[76],[27],[85]. De jeunes critiques réévaluent certains de ses films dans des revues qui lui étaient défavorables à l'époque[76],[85]. Le, l'Académie des arts et techniques du cinéma lui décerne leCésar d'honneur pour l'ensemble de sa carrière[18]. Il pensait d'abord refuser ce prix[28]. Il avait été très choqué par la tardive remise du même prix àBernard Blier quinze jours avant sa mort[28]. Sur l'insistance de son entourage, il accepte la récompense et vient à la cérémonie enchaussures de sport, comme un pied de nez[2],[28]. Le prix est remis par le comédienClovis Cornillac, un de ses partenaires dansLe Cactus (2005)[2]. Le parterre lui fait une longueovation debout[2],[85]. Dans son discours de remerciements, il rend surtout hommage aux grands comiques américains qui l'ont inspiré[2]. En 2016, laCinémathèque française lui consacre une rétrospective[77]. Son implication dans laréalisation de ses premiers films, à la manière de ses modèles américains, est mise en avant[27]. En 2014, il devient le parrain d'un site web consacré à lacomédie au cinéma[86]. UnMagritte d'honneur lui est décerné enBelgique, en2015[87].
Pierre Richard en conférence de presse àMoscou en 2010.
À partir desannées 2000, preuve de cette réhabilitation, Pierre Richard est sollicité par les metteurs en scène de la nouvelle génération[76]. Enthousiaste, il déclare en 2005 :« Je connais un vrai renouvellement d'appétit qui me permet avec bonheur de tenter de nombreuses choses, des comédies mais également des films plus sombres et intimistes commeEn attendant le déluge. Ce nouvel appétit est dû en partie au fait qu'à ma grande joie, de manière quotidienne, j'apprend que des jeunes réalisateurs ou des jeunes acteurs m'adorent. De la part de ces personnes, je n'attendais pas un tel attachement. Mais c'est normal en fin de compte, car je me sens plus en phase, à mon âge, avec cette génération plutôt qu'avec la mienne. Même dans la vie, d'ailleurs, tous mes potes ont [la trentaine]. (…) Les jeunes font perdurer ma jeunesse d'esprit. Et cette jeunesse se retrouve dans certains de mes rôles »[76]. Il devient désormais un second rôle de luxe dans des comédies françaises et quelques films dramatiques[53]. Il apparaît fréquemment aux côtés deClovis Cornillac[76], que ce soit dansLe Cactus (2005),Le Serpent (2006),Faubourg 36 (2008) etMes héros (2012), des films aux genres très divers, de la comédie authriller. Grand admirateur,Pierre-François Martin-Laval lui confie des seconds rôles dans ses réalisations comiquesEssaye-moi (2006) etKing Guillaume (2009)[85]. Après avoir doublé un personnage interprété parJeff Bridges en version originale dansLes Rois de la glisse (2007), il prête pour la première fois sa voix à des dessins animés français, pourMia et le Migou (2008) puisKérity, la maison des contes (2009)[88],[89].
En 2024, Pierre Richard prépare un huitième film intituléL'Homme qui a vu l'ours qui a vu l'homme, près de trente ans après sa dernière réalisation[118].
Le, Pierre Richard épouseDanielle Minazzoli (née en 1941), danseuse qu'il a rencontrée au cours Dullin, qui deviendra actrice et avec laquelle il tournera à plusieurs reprises.
Avec Danielle Minazzoli, il a deux enfants : Christophe (né en 1960),contrebassiste et directeur général de la société Vins Pierre Richard, et Olivier (né en 1965),saxophoniste du duoBlues Trottoir. Ce dernier accompagne par ailleurs son père sur scène dans la pièceFranchise postale[3].
Il est six fois grand-père, notamment d'Arthur Defays (né en 1992), acteur et mannequin, et de Maë Defays (née en 1996), chanteuse desoul et dejazz.
Dans lesannées 1980, Pierre Richard habite dans une maison àMontmartre, à l’angle de l’avenue Junot et de la rue Simon-Dereure[121],[122]. Après son divorce, il vit pendant une douzaine d'années, notamment sur unepéniche, amarrée au quai de la Concorde quand il se trouve àParis[123],[124],[125]. Il a eu pour voisin l'architecte océanographeJacques Rougerie, avec qui il a partagé des vacances àCuba, en partant sur l’Aquaspace, un trimaran à coque transparente pour voir la vie sous-marine[126].
Une bouteille de Château Bel Évêque, levignoble de Pierre Richard dans l'Aude.
En 1986, il devient le propriétaire du château Bel Évêque, possédant un domaine viticole et situé àGruissan, dans l'Aude[127],[128],[129]. Il a d'abord été séduit par ce château entouré de vignes dans lesCorbières, avant de s'intéresser à la production de vin[60],[128]. Il se lance ensuite dans la restauration du vignoble, aidé du régisseur du domaine et d'unœnologue local[130],[128]. Sonexploitation agricole s'étend sur50 hectares de vigne et lesvignerons employés de son entreprise produisent environ 80 000 bouteilles par an (rouge etrosé), sous la marque commerciale « Château Bel Évêque »[131],[132]. Une cuvée se nomme« Blondus Ricardus »[129]. Il délègue la gestion du domaine à sa sœur puis la confie à son fils à partir de 2019[128],[129]. La popularité internationale de l'acteur lui permet d'attirer l'intérêt des visiteurs français et étrangers sur son vignoble[128],[129]. Il en fait ainsi la promotion dans ses voyages liés au cinéma[128].
Il obtient ses plus grands succès dans des rôles de personnages maladroits, souvent lunaires. Lui-même voit une constante dans ses films en tant que réalisateur, comme dans ceux qu'il a tournés pour d'autres :« l'inadaptation de [s]on personnage, son décalage au monde dans lequel il évolue »[28].
Selon l'acteur, cette inadaptation constitue« une règle essentielle duburlesque »[11]. Se réclamant de la tradition duslapstick, son cinéma emploie abondamment legag visuel[18]. Pierre Richard cite l'inspiration de grands burlesques :« tous les comiques que j’admire sont destructeurs,Charlie Chaplin commeBuster Keaton ouJacques Tati. Ils perturbent le paysage dans lequel ils déboulent, ils cassent, ils renversent, ils abîment, ils bousculent l'ordre établi. L'univers bourgeois, ils le mettent sens dessus dessous. J'essayais, moi, de me servir de ma maladresse pour critiquer le monde moderne »[133]. Jacques Tati lui prédit d'ailleurs :« Vous serez un grand acteur… parce que vous avez les jambes pour ça. Vous savez vous en servir »[133].Sophie Tatischeff, fille du comique, voit« un passage de témoin » dans le fait queLe Distrait, première réalisation de Pierre Richard, soit sorti quelques semaines aprèsTrafic, dernier film de Tati[133]. Pierre Richard ravive le burlesque français à une époque où ses représentants — Jacques Tati,Pierre Étaix ou encoreRobert Dhéry — ont moins de succès, supplantés par le comédie de dialogue à laMichel Audiard[134].
Jérémie Imbert, biographe de Pierre Richard, le considère comme incarnant« la synthèse improbable du muet et du parlant, héritier deBuster Keaton pour la gestuelle et l'expression du corps, et deGroucho Marx pour les jeux de mots et le burlesque verbal »[135]. Pour respecter son jeu très physique, Pierre Richard n'est pas doublé dans les cascades, expliquant :« J’avais remarqué une chose : un cascadeur tombe comme un cascadeur. Or si je joue un banquier, je dois tomber comme un banquier, c’est-à-dire un type qui ne sait pas tomber. Quand c’était délicat, des cascadeurs me montraient comment m’y prendre pour ne pas me blesser. Mais après, je le faisais à ma manière »[28].
Vladimir Cosma, ici en 2007, est le compositeur incontournable des films de Pierre Richard, dèsLe Distrait.
Grâce au pur burlesque, Pierre Richard revendique« remplir un autre rôle de la comédie : pointer du doigt quantité de tares »[11]. Ses films intègrent l'ambiance libertaire de l'après-mai 68 et dénoncent divers aspects de l'époque, une veine exploitée par d'autres films comiques de la décennie[134]. L'acteur estime que chaque histoire, à côté de la comédie,« servait aussi la critique d’un système qui nous pressure »[28]. Il s'attache, dans ses réalisations, à insuffler un aspect« dénonciateur » dans son comique« burlesque » et« poétique »[11]. Les actions de son personnage tournent davantage en dérision l'absurdité du monde qui l'entoure que le héros lui-même[134]. Ainsi,Le Distrait évoque le cynisme du monde de la publicité et lasociété de consommation,Les Malheurs d'Alfred dénonce l'abrutissement par les jeux télévisés etJe sais rien, mais je dirai tout fustige l'industrie de l'armement[2],[11],[134]. Dans ce dernier exemple,Bernard Blier, en père du héros, incarne la figure de l'homme d’affairespompidolien, Pierre Richard expliquant que« Blier, à l’écran, était le symbole-même de cette grande bourgeoisie formatée, féroce et sans état d’âme. Il représentait le capitalisme que mon personnage burlesque venait dynamiter »[13]. L'acteur-réalisateur regrette que les critiques de l'époque ne relevaient jamais ce sous-texte politique et subversif[2]. Reflétant l'essor du cinéma porno dans les années 1970,On aura tout vu (1976) traite de la compromission de l'artiste par le besoin de gagner sa vie[40],[18].Le Jouet est une parabole sur lamarchandisation de l'homme, l'argent capable de tout acheter[2]. Pierre Richard le définit comme« un film de gauche qui dénonce la lâcheté des journalistes, l'oppression d'un puissant homme de presse, inspiré deMarcel Dassault… Or Veber est tout sauf un homme de gauche »[13].
Bernard Blier incarne à plusieurs reprises la figure d'autorité monolithique face à Pierre Richard.
De plus, la difficulté des relations avec sa famille, en particulier son père, transparaît dans certaines histoires[13],[27]. Le patron incarné parBernard Blier dansLe Distrait est comme un père à qui le personnage de Pierre Richard tente de plaire[27]. Il a d'ailleurs choisi Blier pour leur parfaite opposition :« c'est comme pile et face. Il a la nuque carrée, moi j'ai une nuque fine. Il a aucun cheveu, moi… Il a l'œil glacé, moi l'œil plutôt souriant »[27]. L'homme de télévision joué parPierre Mondy dansLes Malheurs d'Alfred est aussi une figure paternelle, ou paternaliste, que le héros veut détruire[27]. Les générations s'affrontent dansJe sais rien, mais je dirai tout entre le père marchand d'armes et le fils soixante-huitard, à l'image de la famille des industriels Defays opposée à ce que Pierre Richard devienne saltimbanque[13],[27]. Surtout,Le Jouet montre un garçon grandissant dans le luxe que le père délaisse pour ses affaires, comblant son absence par une surenchère de biens matériels[2],[13]. Le manque de communication entre un père et son fils est au cœur du film[13]. L'acteur explique :« le petit Rambal-Cochet du film, son père lui offre tout ce qu’il veut mais lui choisit comme jouet un pauvre journaliste auquel il va s'attacher. Ce manque d'affection paternelle, je l'ai aussi ressenti. Mon père ne savait que m’emmener à la chasse »[13]. Veber avait aussi connu une enfance gâtée avec un père absent, mais tous deux n'ont jamais abordé ce point à l'époque[2].
Tentant de répondre sur la rareté du genre burlesque en France, Pierre Richard déclare :« C'est un cinéma visuel extrêmement lié à celui qui le crée à l’écran. En France, il y a euJacques Tati et… moi[11] ! » En outre, il considère que sonburlesque a surtout été vu comme simplement« charmant et poétique », sans que le côté« dénonciateur » soit jamais remarqué[28]. Il note que, par la suite, pris dans ce qu'il appelle« la spirale du succès », il tourne davantage pour d'autres réalisateurs que lui-même et que s'amenuisent les aspects contestataires de ses premiers films[11]. Il reconnaîta posteriori s'être« un peu perdu » dans des comédies plus commerciales[11]. S'il déclare assumer sa carrière, il juge plutôt ratés certains des films qu'il a lui-même réalisés, commeC'est pas moi, c'est lui etDroit dans le mur[28]. Il qualifie de « films maudits » ses films atypiques qui n'ont pas connu le succès, citant entre autresUn nuage entre les dents (1974),Les Naufragés de l'île de la Tortue (1976) ou encoreEn attendant le déluge (2005), trois œuvres qu'il déclare adorer[28].
Puisqu'il façonne son personnage d'après son véritable caractère, Pierre Richard n'est jamais sûr de ses talents d'acteur :« Être comédien, c'est quoi ? Donner vie à des personnages que vous n'êtes pas, avec le plus de réalisme possible, de vérité surtout. Et paradoxalement, c'est toujours moi qu'on retrouve derrière ces personnages et non le contraire. C'est peut-être pourquoi j'ai toujours douté d'être un comédien. C'était toujours moi, confronté à des situations comiques : distrait, inadapté, malchanceux, timide[9],[18]. »
Les films de Pierre Richard connaissent une exploitation internationale, notamment dans toute l'Europe et en Amérique latine. Il obtient par exemple de bons résultats commerciaux enEspagne et enAllemagne[33]. Dans ce dernier pays,Le Grand Blond avec une chaussure noire est un tel succès que ses films ultérieurs sortent avec un titre commençant par « Der große Blonde »[138]. Il découvre également sa popularité àCuba lors deson documentaire sur Che Guevera à la fin des années 1980. À partir des années 1990, des cinéastes étrangers le sollicitent pour des co-productions internationales[139]. Cette notoriété lui permet aussi de vendre son vin à travers le monde[128],[129],[139].
Interrogé à l'approche de l'élection présidentielle française de 2017, Pierre Richard se définit comme un« socialiste romantique », sans indiquer son vote précis[153]. En 1995, il se déclarait incertain sur la position à adopter :« Comme tout le monde, j'ai des opinions politiques et sociales, artistiques, bien sûr. Des acteurs disent souvent : « J'appartiens à tous les publics, je n’ai pas le droit de… » C’est vrai que parfois l'engagement politique de certains m'agace, parce que je crois qu'on n'a pas à profiter de sa célébrité pour influencer des gens.Montand m'agaçait parfois, ouBedos : « Voilà ce qui est bien, voilà ce qui est mal. » Ils en savent plus que les autres parce qu’ils ont une notoriété ? En même temps, je me demande aussi pourquoi, sous prétexte de devoir plaire à tout le monde, un artiste devrait fermer sa gueule »[56]. En 2017, il fustige le manque d'éthique d'hommes politiques inquiétés par la justice commePatrick Balkany ouNicolas Sarkozy[153].
À l'inverse, Pierre Richard volontiers prête sa notoriété à des causes écologiques et sociales[58],[153]. En 1989, il est l'un des parrains de la création du magazineReporterre[154]. Depuis 2007, il est le parrain de l'Association de Solidarité Franco-Nigérienne (ASSOFRANI) dont le but est de réaliser des puits auNiger[155]. En France, il soutient en 2012 la création d'une gareTGV àNarbonne — région de son vignoble — dans le cadre du projet deligne Montpellier-Perpignan[156], notamment en participant à une campagne publicitaire diffusée nationalement[157]. En, il manifeste aux côtés de l'associationDroit au logement, qui occupe alors depuis deux mois nuit et jour laplace de la République à Paris[158]. Étant connu enUkraine et enRussie, il envoie après l'invasion russe en un message vidéo de soutien aux Ukrainiens et de paix entre les deux peuples, ensuite diffusé par le gouvernement ukrainien[140],[159]. À partir de 2020, il est « ambassadeur » de l'association deprotection de l'enfance Les Papillons créée en 2018 parLaurent Boyet, réalisant pour elle des vidéos, en particulier durant lapandémie de Covid-19 ; l'association lui retire son titre d'ambassadeur en décembre 2023 quand il signe unetribune de soutien àGérard Depardieu dans le cadre desaccusations visant l'acteur[160],[161]. Après plusieurs autres personnalités, Pierre Richard exprime à son tour ses regrets d'avoir signé la tribune et présente publiquement ses excuses[162]. Le 2 janvier, le président de l'association deprotection de l'enfanceLes papillons déclare être prêt à « engager le dialogue avec lui»[163] et envisager de continuer leur collaboration[164]. En, il se mobilise contre l'arrestation du militant écologistePaul Watson, fondateur deSea Shepherd[165].
Il s'engage aussi en particulier dans la protection despeuples autochtones d'Amérique du Sud[58],[153],[166]. Il critique par exemple en 2017 l'aberration des importations françaises contribuant à ladéforestation du bassin amazonien :« on plante dusojaOGM vendu ensuite en France pour nourrir nos animaux. On nous dit de manger français, mais nos vaches mangent brésilien[58]. » Depuis 2000, il est le président d'honneur de l'association Tchendukua Ici et Ailleurs d'Éric Julien, qui soutient les Indienskogi deColombie, les« gardiens de la Terre », vivant dans les montagnes de laSierra Nevada de Santa Marta[167],[166]. En 2011, il soutient officiellement le chefRaoni dans sa lutte contre lebarrage de Belo Monte[168] et continue depuis à accompagner l'associationPlanète Amazone[169] auprès de laquelle il a contribué à la création de l'Alliance des Gardiens de Mère Nature, mouvement regroupant des représentants indigènes du monde entier et leurs alliés[170],[166]. Son appel pour financer cette première assemblée des peuples autochtones est vu plus de deux millions et demi de fois surYouTube[166]. Il loge Raoni dans son appartement parisien lors de laCOP 21 en 2015[58],[166].
2009-2012 :Franchise postale de Pierre Richard et Christophe Duthuron, mise en scène Christophe Duthuron,La Pépinière-Théâtre et tournée
2012-2015 :Pierre Richard III de Pierre Richard et Christophe Duthuron, mise en scène Christophe Duthuron,Bobino, théâtre du Rond-Point,Festival d'Avignon 2013 et tournée
Sauf indication contraire ou complémentaire, les informations mentionnées dans cette section peuvent être confirmées par les bases de donnéesAllociné etIMDb.
Pierre Richard a incarné parmi ses plus grands rôles au cinéma, différents personnages portant un même nom mais sans le moindre rapport. Deux d'entre eux ont été imaginés parFrancis Veber :
Les Compères, un instituteur dépressif au chômage, chargé de mener une enquête en compagnie d'un journaliste macho (Gérard Depardieu) ;
Les Fugitifs, un cadre au chômage depuis trois ans, père d'une petite fille de cinq ans, ratant un hold-up et contraint à la cavale en compagnie d'un ancien cambrioleur (Gérard Depardieu).
Pierre Richard a lui-même créé le personnage de Pierre Renaud qu'il joue dans :
Je suis timide mais je me soigne, un caissier d'hôtel souffrant d'une timidité maladive et tentant de séduire une riche cliente avec l'aide d'un agent matrimonial (Aldo Maccione) ;
↑Pierre Richard, 2013 :« Jerry Lewis voulait signer pour trois films avec moi. (…) Gene Wilder m'adorait. Dès qu'il venait à Paris, on jouait au tennis. Il avait écrit un film pour nous deux,The Naked Lady, qui s'amusait de notre ressemblance (…) et il y avait une histoire de substitution d'identités. Quand je suis allé à Los Angeles avec Jean-Louis Livi, mon agent de l'époque, pour signer le contrat, on s'est retrouvés en pleine grève des studios. Surtout, le cousin de Gene venait de mourir et son meilleur ami,Richard Pryor, était à l'hôpital, entre la vie et la mort. Gene m'a dit : « Je suis désolé, je n'ai plus envie de tourner de comédies ». Il n'en a plus jamais refait[25] ».
↑Pierre Richard déclare :« Je ne sais pas ce qui s'est passé entre nous. Fâcherie ? Non. Blessure ? Non. Quoi ? Rien. Et c'est ce "rien" que je ne m'explique pas. J'aurais aimé connaître un jour les raisons de cette distanciation. Je ne les trouve pas, notre collaboration était excellente »[9],[50]. À son retour en France, Francis Veber ne le reprend dans ses projets suivants : il justifie plus tard ce choix par le fait que l'acteur était devenu trop âgé pour le rôle deFrançois Pignon[50]. À Hollywood,Frank Price(en), patron d'Universal Pictures, lui avait dit estimer qu'un réalisateur ne doit pas vieillir avec ses acteurs[50].
↑Pierre Richard, 1995 :« Claude Sautet me disait toujours : « Qu'est-ce que tu veux que je te fasse jouer, je ne peux pas te mettre avec un sac à provisions et une baguette de pain qui dépasse, tu es un extraterrestre »[56].
↑Le contenu du spectacle paraît ensuite dans le livreComme un poisson sans eau, détournement de mémoire.
↑Pierre Richard, avec Jérémie Imbert,Je sais rien mais je dirai tout, Flammarion, 2015,p. 51 :« Mon père était cloué au lit dans sa chambre du château (…). Je viens le voir dans sa chambre, tout heureux de l'avoir enfin un peu pour moi tout seul. »
↑Pierre Richard, avec Jérémie Imbert,Je sais rien mais je dirai tout, Flammarion, 2015,p. 59, alors qu'il a annoncé qu'il voulait devenir comédien :« Mon père ? N'en parlons pas. Lui, il s'en foutait. Faut dire qu'il avait d'autres responsabilités à assumer : la chasse, les courses de chevaux, les femmes et les voitures. »