Deuxième fils d’un secrétaire à l’intendance dePicardie et d’Artois, d'unefamille de robe anoblie seulement en 1750[4], Pierre Choderlos de Laclos est poussé par son père à s'engager dans l'armée. Il choisit l’artillerie, bien que les perspectives de promotion y soient restreintes, car son extraction ne peut lui permettre plus noble carrière[5] ; mais cette arme technique convient bien à son esprit mathématique. Il est admis en1760 à l’École royale d'artillerie de La Fère. Il est nommé successivement aspirant en1761 puis sous-lieutenant en1762. Rêvant de conquêtes et de gloire, il se fait affecter à labrigade de Cosne pour le service des colonies, en garnison àLa Rochelle. Mais letraité de Paris de 1763 met fin à laguerre de Sept Ans. Faute de guerre, le jeune lieutenant de Laclos est obligé d’étouffer ses ambitions dans une morne vie de garnison, aurégiment de Toul artillerie en 1763. Il devientfranc-maçon dans la loge L’Union[6], àStrasbourg de 1765 à 1769, àGrenoble de 1769 à 1775, puis àBesançon de 1775 à 1776. Cette année-là, affilié à la loge parisienne Henri IV, il en devient levénérable maître[6]. Parvenu dans les hauts-grades de la franc-maçonnerie, il crée son propre chapitre, la Candeur[6]. Nommé capitaine à l’ancienneté en 1771 – il le restera durant dix-sept ans jusqu’à la veille de laRévolution – cet artilleur, froid et logicien, à l’esprit subtil, s’ennuie parmi ses soldats grossiers. Pour s'occuper, il s'adonne à la littérature et à l’écriture. Ses premières pièces, en vers légers, sont publiées dans l’Almanach des Muses. S’inspirant d’un roman deMarie-Jeanne Riccoboni, il écrit le livret d'un opéra-comique,Ernestine, dont lechevalier de Saint-Georges compose la musique[7]. Cette œuvre n’a qu’une seule représentation, le, devant la reineMarie-Antoinette. C'est un échec.
Lors de cette même année 1777, il reçoit la mission de préparer l’installation àValence d'une nouvelle école d’artillerie qui recevra notamment le jeuneNapoléon Bonaparte. De retour àBesançon en1778, il est promu capitaine en second de sapeurs. Durant ses nombreux temps libres en garnison, il rédige plusieurs œuvres, où il apparaît comme un fervent admirateur deJean-Jacques Rousseau et de son romanla Nouvelle Héloïse, qu’il considère comme « le plus beau des ouvrages produits sous le titre de roman ». En 1778, il commence à rédigerLes Liaisons dangereuses.
Sur l'île d'Aix, en 1778, devant la menace anglaise,Montalembert propose la construction d’un fort au fond de la rade, construit en bois, avec une importante capacité d'artillerie disposée dans des casemates. Laclos est chargé de superviser les travaux engagés, sous le contrôle des officiers du Génie. Il joue, a priori, le rôle de conseiller technique. À la suite de cette mission, il rédige unMémoire sur les troupes destinées à la défense du fort de l’île d’Aix où il propose une réforme au sein de l’armée qui supprimerait la distinction entre infanterie et artillerie. Ce dossier sera classé sans suite, si ce n’est qu’il alimentera le discrédit porté à l’officier tout au long de sa carrière, en raison de son non-conformisme[8].
Durant sa mission à l'Île-d'Aix mais également àParis[10], Pierre Choderlos de Laclos passe du temps à l'écriture desLiaisons dangereuses. Promu à la fin de l’année 1779 capitaine de bombardier, il demande un congé de six mois qu’il passe dans la capitale française où il écrit ; il sait que désormais son ambition littéraire doit passer avant son ambition militaire qui est dans l'impasse.
Son ouvrage en gestation contient ses frustrations militaires — n’avoir jamais pu faire valoir ses qualités lors d’une guerre — mais aussi les nombreuses humiliations qu’il estime avoir subies au long de sa vie, de la part des « vrais » nobles, ainsi que des femmes qu’il pense inaccessibles[11].Les Liaisons dangereuses pourraient donc aussi être considérées comme une sorte de revanche et de thérapie[réf. nécessaire].
En 1781, promu capitaine-commandant de canonniers, il obtient un nouveau congé semestriel au cours duquel il achève son chef-d’œuvre. Il confie à l’éditeur Durand Neveu la tâche de le publier en quatre volumes qui sont proposés à la vente le. Le succès est immédiat et fulgurant ; la première édition comprend deux mille exemplaires qui sont vendus en un mois — ce qui pour l’époque est déjà assez extraordinaire — et dans les deux années qui suivent une dizaine de rééditions sont écoulées. Le roman est même traduit en anglais dès 1784[12].
La publication de cet ouvrage, dont l'anonymat a été facilement percé à jour, est considérée comme une attaque contre l'ordre social, est jugée comme une faute par la hiérarchie militaire. Sommé de se rendre immédiatement dans sa garnison enBretagne, depuis laquelle il est envoyé àLa Rochelle en 1783 pour participer à la construction du nouvel arsenal, il fait la connaissance de Marie-Soulange Duperré[13], qu'il charme et avec qui il a rapidement un enfant. Il a 42 ans, elle seulement 24, mais, réellement amoureux, il l’épouse en 1786 et reconnaît l’enfant[14]. Marie-Soulange est le grand amour de sa vie et lui donnera deux autres enfants.
Choderlos de Laclos ne ressemble en rien àValmont, le séducteur archétype de son roman épistolaire, et n’en a aucune des tares[15]. Il n'a rien d'un séducteur : on le décrit comme « un monsieur maigre et jaune » à la « conversation froide et méthodique », un « homme de génie ; très froid ». Sa vie sentimentale est teintée de rousseauisme[16] ; il est fidèle à son épouse, de même qu’il est pour ses enfants un père attentionné.
En 1783, il participe à un concours proposé par l'Académie deChâlons-sur-Marne dont le sujet est « Quels seraient les meilleurs moyens de perfectionner l’éducation des femmes ? », ce qui lui permet de développer des vues qu'on pourrait aujourd'hui qualifier de féministes sur l’égalité des sexes et l’éducation des jeunes filles. Dans son traitéDe l'éducation des femmes resté inachevé, il dénonce l’éducation donnée aux jeunes filles qui ne vise, selon lui, « qu’à les accoutumer à la servitude, et à les y maintenir ». Le thème de l’émancipation féminine avait déjà dansLes Liaisons dangereuses un rôle important.
En 1788, Pierre Choderlos de Laclos quitte l’armée. Après une période de recherche personnelle du meilleur moyen de favoriser son ambition et diverses tentatives pour approcher un grand seigneur, il entre au service duduc d’Orléans dont il partage les idées sur l’évolution de la royauté.
Larévolution qui éclate est enfin pour lui l’occasion de vivre intensément,il s'engage dans laLigue des aristocrates, un groupuscule de petits nobles qui sera interdit parRobespierre[réf. nécessaire]. Dès le début, il mène des intrigues en faveur de son maître et organise complots et machinations. Les 5 et, il travaille auxjournées versaillaises. D’aprèsGonzague Saint Bris, Choderlos de Laclos aurait organisé de bout en bout la marche des femmes à Versailles pour réclamer du pain[18]. Parmi les manifestantes, quelques hommes déguisés auraient été prévus pour s'infiltrer dans le palais[18]. En, il fonde leJournal des Sociétés des amis de la constitution, émis par leClub des Jacobins[19],[20]. Le, il négocie le rachat des six cents piques du.Il rédige avecBrissot la pétition à l’origine de lafusillade du Champ-de-Mars.[réf. nécessaire]
Il se rallie à l'idée républicaine et quitte l'exil à Londres qu'il aurait partagé avec leduc d'Orléans[18] pour un poste deCommissaire du Conseil exécutif[21] au ministère de la Guerre où il a la charge de réorganiser les troupes de la jeune République. Ce poste de commissaire du ministère était équivalent au grade degénéral de brigade. Grâce à ses activités, il est chargé de l'organisation du camp deChâlons en et il prépare de façon décisive lavictoire de Valmy.
Il participe à la mise au point, dans les années 1795, des boulets decanon explosifs,« c'est-à-dire creux, emplis de poudre et capables – en faisant exploser la poudre qu'ils contiennent – d'envoyer des éclats à leur arrivée au sol »[22]. Nommé commissaire en chef des expériences par le ministre de la Marine, il prend possession duchâteau de Meudon le, mais est arrêté le lendemain chez lui, en vertu de la loi sur les suspects[23]. À cause de la trahison deDumouriez, il est emprisonné commeorléaniste. Incarcéré à laprison de La Force, puis àPicpus, il échappe à la guillotine grâce à des protections et finit par être libéré le sous laConvention thermidorienne. En 1795, espérant être réintégré dans l’armée, il rédige un mémoire intituléDe la guerre et de la paix qu’il adresse auComité de salut public, mais sans effet. Il tente aussi d’entrer dans la diplomatie et de fonder une banque sans davantage de succès.
Finalement, il fait la connaissance du jeune généralNapoléon Bonaparte, le nouveau Premier Consul, artilleur comme lui, et il se rallie aux idées bonapartistes. Le, il est réintégré comme général de brigade d’artillerie et affecté à l’Armée du Rhin sous legénéral Eblé, où il reçoit le baptême du feu à labataille de Biberach. Affecté au commandement de la réserve d’artillerie de l'armée d'Italie, il meurt le àTarente, non pas lors d’un affrontement, mais affaibli par la dysenterie et le paludisme, et est enterré sur place. Auretour des Bourbon en 1815, sa tombe est violée et détruite.
De l'éducation des femmes, 1783[25].Le texte inachevé de Laclos, composé d'unDiscours sur la question proposée par l'Académie de Châlons sur Marne et d'une dissertation titréeDes femmes et de leur éducation, a été édité sous ce titre par Édouard Champion à la LibrairieLéon Vanier en 1908. Il est réédité en 2018 auxéditions des Équateurs[26], complété par un court texte, établi par Jean Dagnan-Bouveret et titré par ses soinsEssai sur l'éducation des femmes (le manuscrit original n'en avait pas), paru dansLa Revue bleue en mai 1908, qui commence par ces mots :« La lecture est réellement une seconde éducation qui supplée à l'insuffisance de la première[27]. »
Instructions aux assemblées de bailliage, 1789
Journal des Sociétés des amis de la Constitution, 1790-1791
↑Antoine Oury, « Le manuscrit autographe des Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos »,ActuaLitté,(lire en ligne, consulté le)
↑Dangerous Connections : Or, Letters Collected in a Society, and Published for the Instruction of Other Societies, T. Hookham, At his Circulating Library, New Bond Street, Corner of Bauton Street,(lire en ligne)
↑On considère habituellement qu'un des modèles vraisemblables de Valmont est le libertinPaulin de Barral, qu'il a pu rencontrer lorsqu'il était en garnison à Grenoble, et dontStendhal écrit, dansMémoires d'un touriste (Grenoble, le 18 août [1837], à onze heures du soir),« ToutAllevard est encore rempli du souvenir d'un homme aimable, M. D. B*** qui mettait sa gloire à être l'amant de toutes les jolies filles du pays ».
↑Laclos proposa un système de découpage par secteurs égaux, désignés par des lettres de l'alphabet, ensuite, à l'intérieur de ces secteurs de numéroter les rues en affectant les numéros impairs aux rues parallèles à la Seine, et les pairs, à celles qui lui sont perpendiculaires. LaRévolution stoppa temporairement les projets de numérotation.
↑Recueil des actes du comité de salut public avec la correspondance officielle et le registre du Conseil exécutif provisoire, publié parF.(François).-A.(Alphonse) Aulard, Table alphabétique des cinq premiers volumes, Paris 1893, p.51
La Fin de l’Ancien régime : Sade, Rétif, Beaumarchais, Laclos (études réunies et présentées par Béatrice Didier et Jacques Neefs), Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, 1991, 203 p.(ISBN978-2-90398-170-9)