Marivaux, néPierre Carlet, baptisé le àParis et mort le à Paris, est un journaliste, romancier et dramaturge français.
Surtout connu pour son théâtre et attaché auxComédiens italiens, Marivaux est aussiromancier etjournaliste, toujours spectateur solitaire d'une société en pleine transformation[1].
Il existe peu de documents et d'informations concrètes, précises et référencées sur la vie de Marivaux ; nombre de celles qui circulent à son sujet sont donc erronées ou infondées[3]. Trois exemples justifient la prudence dont il faut entourer toute biographie de Marivaux et l'importance de référencer toute information.
Le nom « Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux » n’apparaît jamais comme tel et n'a aucun fondement administratif ou généalogique. Marivaux est né Pierre Carlet. À son entrée à la faculté de droit, il se fait appeler Pierre Decarlet. En 1716, il utilise pour la première fois le nom de « Carlet de Marivaux », en signature de l'épître de l'édition de sonHomère travesti[4]. Quant à Chamblain, c'est le nom de famille de son cousin germain du côté maternel,Jean-Baptiste Bullet de Chamblain, accolé dans des catalogues de libraires[5].
Marivaux est issu d'une famille de nobles originaires deNormandie qui avait fourni un sénateur au Parlement deRouen. Son père, Nicolas Carlet, travaille dans l’administration de la marine jusqu’en 1698, puis à laMonnaie, où il a acheté, le, une charge de contrôleur-contre-garde à la Monnaie de Riom, dont il est devenu directeur, probablement vers 1703[a],[6],[7]. Sa mère, Marie-Anne Bullet, est la sœur dePierre Bullet, architecte du roi, qui ouvrira à Marivaux les portes de la Cour[8].
En 1698, la famille part s'installer à Riom. Il est élève aucollège des Oratoriens de Riom de 1704 à 1711[9], et poursuit sa formation àLimoges, à la fin de ses études secondaires. Il entame des études de droit, mais fréquente surtout les salons littéraires de la ville, où il déclare Molière dépassé. Mis au défi, il écrit, en une semaine, sa première pièce,Le Père prudent et équitable, qui est joué à Limoges en 1708[b].
En octobre 1710, il entreprend, en dilettante, des études à l’École de droit de Paris, plus pour plaire à sa famille que par vocation[10]. Logé à Paris chez son oncle Pierre Bullet, mort en 1716, il entame, la même année, une carrière de journaliste et de dramaturge en 1716.
Le, il épouse Colombe Bologne[11], fille d’un riche avocat originaire deSens, conseiller du Roi[c], dont la dot permet au ménage de vivre dans l’aisance.Prosper Jolyot de Crébillon signe l'acte comme témoin[d]. La fille unique du couple, Colombe Prospère naquit moins de 7 mois plus tard, le[13] ; elle entre à l'abbaye Notre-Dame du Trésor en 1745 et y termine sa vie.
Son père meurt le. La famille est vraisemblablement fortement affectée par labanqueroute de Law en 1720[10]:18.
Le, il est admis à la licence en droit[14]. Reçu avocat, il n’exercera jamais[15]. Il perd son épouse en 1723[8]:4. Marivaux est élu à l'Académie française en 1742. Malade depuis 1758, Marivaux succombe à unepleurésie le.
Son premier texte est une comédie d'intrigue en un acte et en versle Père prudent et équitable, ou Crispin l’heureux fourbe jouée dans un cercle d’amateurs en 1706 à Limoges et éditée en. En 1712, il édite son premier romanLes Effets surprenants de la sympathie[8]:11.
Sa rencontre avecFontenelle et la fréquentation du salon deMadame de Lambert sont déterminantes[16]. Il fréquente les« Modernes »[16]:15, et singe les Anciens en traitant dans un esprit néo-précieux enjoué et décalé le patrimoine culturel des écrivains classiques[16]:16, notamment lalittérature homérique, dont il parodie les adaptations contemporaines, avecl’Homère travesti ou L'Iliade en vers burlesques, brocardant, en 1716, l’abrégé de l’Iliade en alexandrins d’Houdar de la Motte, qui est en soi une réponse critique à la traduction en prose d’Anne Dacier[17],[18], etLe Télémaque travesti, dont le tome premier n’a paru en 1736, mais qui était rédigé depuis 1714, et qui parodieLes Aventures de Télémaque deFénelon, parues en 1699[19].
En 1720, il s’essaie néanmoins à la tragédie classique, en cinq actes et envers, avecAnnibal, joué en à laComédie-Française, mais ne rencontre pas le succès, et ne reviendra jamais à ce genre[20].
Il compose également des comédies sociales sur des sujets tels que larelation maitre-valet, la liberté et l’égalité entre les individus (L'Île des esclaves en), ou la situation des femmes (La Nouvelle Colonie en)[23]. Placées dans des cadres utopiques, ces pièces, qui ont eu peu de succès à leur création, développent ses réflexions sur les relations humaines et ancrent Marivaux dans lesLumières[10]:142.
Néanmoins, ses succès ne sont jamais éclatants ; lesComédiens Français et leur public ne l’apprécient pas et leThéâtre-Italien reste une scène parisienne secondaire.
Marivaux s’est toujours tenu à l’écart des « Philosophes » et n’a jamais fait partie d’aucune coterie et n’a jamais cherché à tisser autour de lui un réseau de sympathisants dans la république des lettres, malgré son amitié personnelle avec le financier et philosophe Helvétius[24], qui, très riche, lui payait une pension, comme à beaucoup d’autres gens de lettres[23]:260.
Parallèlement, il expose ses réflexions dans des journaux dont il est l’unique rédacteur, à la fois conteur, moraliste et philosophe :Le Spectateur françois (25 livraisons entre 1721-1724), inspiré duSpectator anglais,L’Indigent Philosophe (1727) etLe Cabinet du philosophe (1734). Il y décrit la société cloisonnée et hiérarchisée de son temps. Il dépeint avec humour les travers de ses contemporains, développe ses conceptions esthétiques, défend son goût pour une écriture spontanée et son droit de rire des hommes en général « et de moi-même que je vois dans les autres[25]».
Marivaux est, avec l’abbéPrévost, un des écrivains qui ont le plus profondément réfléchi sur le paradoxe de l’écriture romanesque[25]:20.
Sa principale œuvre romanesque estLa Vie de Marianne dont la rédaction s’étend sur environ quinze ans (-). L’héroïne, âgée, raconte sa vie, mais entremêle son récit de considérations sur l’amour, l’amitié, la sincérité, la reconnaissance sociale du mérite personnel. Ce roman couvre une semaine de la vie de son héroïne. Il demeure inachevé[26]:184, maisMarie-Jeanne Riccoboni lui a donné une suite en 1761,Suite de la vie de Marianne[27],[28], assez médiocre pastiche néanmoins apprécié par les contemporains, et peut-être même Marivaux lui-même[29].
Les thèmes deLa vie de Marianne se retrouvent dansLe Paysan parvenu, unroman d'apprentissage publié en qui raconte la venue à Paris et l’ascension sociale de Jacob, aidée par ses succès amoureux.
Académicien modèle, très assidu aux séances, il y prononça plusieurs discours -Réflexions en forme de lettre sur le progrès de l’Esprit humain (1744),Réflexions sur l’esprit humain à l’occasion de Corneille et de Racine (1749),Réflexion sur les Romains et les anciens Perses (1751), sans jamais se dérober aux charges, aux corvées multiples qui lui étaient imposées[31]. Dès lors, il ne composera plus que quelques pièces, à destination de laComédie-Française, d'ailleurs éditées sans être jouées, et un dialogue,L'Éducation d’un prince (1753).
Si le travail de Marivaux en tant que romancier et journaliste reste peu connu, la classification de ses pièces proposée parMarcel Arland[33] montre que la connaissance de son théâtre, abondant, est elle aussi bornée au seul registre des comédies d'amour, aux dépens en particulier des comédies morales.
La chronologie montre par ailleurs, que Marivaux n'a pas abordé successivement ces registres, mais les a alternés tout au long de sa carrière littéraire, attestant ainsi d'une volonté et de capacités à utiliser tous les ressorts de la comédie.
Registre le plus présent dans le théâtre de Marivaux, celui-ci prolonge ses études journalistiques et le positionne, dans le sillage deMolière, comme un observateur des caractères, mais également dénonciateur des hiérarchies sociales de son temps. C'est à travers ces textes en particulier que Marivaux peut être rattaché aumouvement des Lumières[35].
Arland n’ignore pas les limites de sa classification et renvoie à d’autres tentatives ; la sienne exclut d’ailleursAnnibal (),Mahomet second (1726 ? Tragédie inachevée en prose),La Commère () etLa Provinciale ().
Deux pièces sont perdues :L’Heureuse Surprise[g], etL’Amante Frivole[h].
Le théâtre de Marivaux répond à la devise latine « castigat ridendo mores » (qui« corrige les mœurs par le rire »[i]) et crée une sorte de pont entre la bouffonnerie et l’improvisation traditionnelle de lacommedia dell'arte, avec ses personnages stéréotypés (essentiellementArlequin), source de burlesque, et un théâtre plus littéraire et psychologique, plus proche des auteurs français et anglais. Ce qui implique que ce théâtre utilise divers niveaux de comique, les domaines du ludique, du satirique et du poétique[25]:36.
Le nom de Marivaux a donné lieu au verbe « marivauder » pour signifier « échanger des propos galants et raffinés ». Par extension, le mot « marivaudage » a été créé, du vivant même de Marivaux. Très critiqué par certains des contemporains de Marivaux, notamment les tenants duclassicisme, le style affecté et « néologique » ne caractérise pas que le langage marivaldien. Il prend la forme d’une analyse morale et psychologique raffinée qui agence une ambiguïté morale pour permettre d’échapper à un choix difficile. Marivaux nomme, en plusieurs endroits, « bonne foi mitigée »« cet oxymore mental, dont les termes ne peuvent exister que dans l'espace vague et incertain ouvert par l'usage de la « mauvaise foi[26] ».
Souvent incompris, en son temps, car jugé alambiqué, le langage marivaldien a néanmoins donné naissance à nombreuses expressions courantes dans la langue française actuelle, comme« tomber amoureux »,« tenir en échec » ou« mettre en valeur »[10]:63.
Dans son théâtre — mais aussi dans ses romans et le reste de son œuvre —, Marivaux s’est beaucoup intéressé à la femme et aux problèmes qui la concernaient auXVIIIe siècle, à un point tel que plusieurs critiques ont parlé d’un« féminisme marivaudien ». Pour d’autres, la redéfinition qu’il propose à travers ses textes de la condition féminine demeure superficielle, et le statut de ses héroïnes, ambigu[37]:41.
« À l’égard de M. de Marivaux, je serais très-fâché de compter parmi mes ennemis un homme de son caractère, et dont j’estime l’esprit et la probité. Il y a surtout dans ses ouvrages un caractère de philosophie, d’humanité et d’indépendance, dans lequel j’ai trouvé avec plaisir mes propres sentiments. Il est vrai que je lui souhaite quelquefois un style moins recherché, et des sujets plus nobles ; mais je suis bien loin de l’avoir voulu désigner, en parlant des comédies métaphysiques. Je n’entends par ce terme que ces comédies où l’on introduit des personnages qui ne sont point dans la nature, des personnages allégoriques, propres, tout au plus, pour le poème épique, mais très-déplacés sur la scène, où tout doit être peint d’après nature. Ce n’est pas, ce me semble, le défaut de M. de. Marivaux ; je lui reprocherais, au contraire, de trop détailler les passions, et de manquer quelquefois le chemin du cœur, en prenant des routes un peu trop détournées. J’aime d’autant plus son esprit que je le prierais de le moins prodiguer. Il ne faut point qu’un personnage de comédie songe à être spirituel ; il faut qu’il soit plaisant malgré lui, et sans croire l’être : c’est la différence qui doit être entre la comédie et le simple dialogue. Voilà mon avis, mon cher monsieur, je le soumets au vôtre[38]. »
« Marivaux fit comme les disciples de Luther, qui, dans leur licence hétérodoxe, allèrent beaucoup plus loin que leur maître. […] Le travestisseur d’Homère, ennemi déclaré et blasphémateur intrépide de l’Iliade, pouvait être comparé à ces incrédules endurcis, qui, en attaquant le culte public, outragent avec audace ce qu’ils ont le malheur de mépriser[39]. »
— D’Alembert
« Nous avons encore perdu un autre écrivain célèbre. M. de Marivaux de l'Académie Française est mort ces jours passés âgé de plus de soixante seize ans. Cet auteur a fait quelques tragédies détestables un grand nombre de comédies la plupart pour le Théâtre Italien et quelques romans qui ont eu du succès et qu'il n'a pas achevés. Sa Mariane et son Paysan parvenu sont très connus. Il avait un genre à lui très aisé à reconnaître très minutieux qui ne manque pas d'esprit ni parfois de vérité mais qui est d'un goût bien mauvais et souvent faux[40]. »
— Correspondance littéraire, 15 février 1763. Paris, Furnes, 1829, tome troisième, p. 182.
« Presque tous les ouvrages de Marivaux respirent l'enjouement et la finesse et supposent assez généralement une imagination vive et un caractère d esprit singulier. (...) Celles [de ses pièces] qu'on regarde comme les meilleures sontLa Surprise de l'Amour,Le Legs etle Préjugé vaincu au théâtre français et, au théâtre italien,La Surprise de l'Amour,La Double Inconstance etL'Epreuve. (...) lorsqu'elles [ses pièces] manquent d'un certain intérêt de cœur il y existe presque toujours un intérêt d'esprit qui le remplace. (...) les défauts que l'on remarque dans les ouvrages dramatiques de Marivaux ne viennent que d'une surabondance d'esprit qui fait tort à la délicatesse de son goût[41]. »
— Annales dramatiques, vol. 6, Paris, Babault et al., 1810, p. 130-133.
Sa modernité a valu à Marivaux de ne pas connaître de grand succès de son vivant. Depuis, son influence littéraire est non négligeable : sa technique romanesque profitera àStendhal, son style de dialogue théâtral, surtout, inspirera, auXIXe siècle, les comédies deMusset, et auXXe siècle celles deGiraudoux[16]:9. Et il a, a titre posthume, trouvé un public enthousiaste qui considère précisément comme moderne la complexité qu’on lui reprochait de son temps[42].
NB. Ne sont repris ici que les recueils - les éditions des œuvres individuelles sont signalées à leur article.
Marivaux, Théâtre complet, éd.Frédéric Deloffre avec la collaboration de F. Rubellin, Paris, Le Livre de Poche, La Pochothèque/Classique Garnier, 2000.
Marivaux, Œuvres de jeunesse, éditées par F. Deloffre, Paris, Gallimard, coll. La Pléiade, 1972.
Marivaux, Théâtre complet, texte préfacé et annoté parMarcel Arland, Paris, Gallimard, coll. La Pléiade, 1961.
Marivaux, Romans, texte présenté et préfacé par Marcel Arland, Paris, Gallimard, coll. La Pléiade, 1957.
Marivaux, théâtre, éd. par Fournier et Bastide, Éditions nationales, 1957.
Œuvres complètes de Marivaux, éd. par M. Duviquet, Paris, 1825-1830, 10 tomes.
Tomes 1 à 7 édités par Haut-Cœur et Gayet jeune, 1825.
↑Marivaux a représenté Claudine de Tencin sous les traits de Mme Dorsin dansLa Vie de Marianne[30].
↑« Notre métier à l'Académie est de travailler à la composition de la langue, et celui de M. de Marivaux est de travailler à la décomposer », écrit d’Olivet[32].
↑Un manuscrit autographe de cette pièce est signalé dans le catalogue de la bibliothèque deMartineau de Soleinne[36]. Ce document est perdu, selon Larroumet[32]:591.
↑Françoise Rubellin,Marivaux dramaturge : la double inconstance, le jeu de l’amour et du hasard, Paris, Honoré Champion,, 290 p.(ISBN978-2-85203-583-6,lire en ligne),p. 9.
↑a etbJean Fleury,Marivaux et le marivaudage : suivi d'une comédie, de La suite de Marianne par Mme. Riccoboni, et de divers morceaux dramatiques qui n'ont jamais paru dans les œuvres de Marivaux, Paris, E. Plon,,viii, 416 p., in-8º(OCLC123199729,lire en ligne),p. 42 & 78.
↑Sylvie Ballestra-Puech, « Les Balances de toile d'araignée du moderne Marivaux : du stéréotype critique à la métaphore heuristique »,Loxias, Nice,no 63,(ISSN1765-3096,lire en ligne).
Pierre Frantz (dir.),Marivaux : jeu et surprises de l’amour, Paris, PUPS, 2009.
Françoise Rubellin,Lectures de Marivaux. La Surprise de l’amour, La Seconde Surprise de l’amour, Le Jeu de l’amour et du hasard, Presses Universitaires de Rennes,.
Françoise Rubellin,Lectures de Marivaux : La Surprise de l’amour, La Seconde Surprise de l’amour, Le Jeu de l’amour et du hasard, Presses Universitaires de Rennes,.
Françoise Rubellin,Marivaux dramaturge : La Double Inconstance, Le Jeu de l’amour et du hasard, Champion,.
Jean Fleury,Marivaux et le marivaudage : suivi d'une comédie, de La suite de Marianne par Mme. Riccoboni, et de divers morceaux dramatiques qui n'ont jamais paru dans les œuvres de Marivaux, Paris, E. Plon,,viii, 416 p., in-8º(OCLC123199729,lire en ligne).
Alexis Lévrier,Les Journaux de Marivaux et le monde des spectateurs, Presses Paris Sorbonne, 2007.
Charlotte Simonin,« De l’autre côté du miroir : Marivaux à travers la Correspondance de Madame de Graffigny », dansFrançoise de Graffigny (1695-1758), femme de lettres des Lumières, Paris, Classiques Garnier,(ISBN978-2-406-09736-5,OCLC1191236472,lire en ligne),p. 189-228.