Philippe d’Orléans est d'abord titréduc de Chartres. Il reçoit une éducation soignée, principalement tournée vers la fonction militaire et diplomatique, comme il sied à un petit-fils de France. Il s'intéresse particulièrement à l'histoire, la géographie, la philosophie, aux sciences et à la musique. Contrairement à son oncle et à son père, il monte mal, se montre mauvais danseur et n’aime pas la chasse. En revanche, il a la prodigieuse mémoire de son oncle : très tôt, il connaît sur le bout des doigts les mémoires et généalogies des grandes familles de la cour. Il a aussi une grande capacité de travail et de l'intelligence.
Avec la naissance des trois fils duGrand Dauphin, fils aîné deLouisXIV, leduc de Bourgogne en 1682, leduc d'Anjou en 1683, leduc de Berry en 1686, le duc de Chartres se retrouve sixième dans la ligne de succession au trône, ce qui ne lui laisse que bien peu d’espérances de régner et ne le place pas dans la meilleure situation pour faire un mariage avantageux. De plus, la France est en guerre avec la presque totalité de l’Europe, ce qui rend impossible un mariage étranger.
Aussi, dès 1688, Louis XIV fait allusion àMademoiselle de Blois, bâtarde légitimée. Ce mariage parachèverait la politique d’abaissement des branches cadettes de la maison de Bourbon voulue par le Roi Soleil, maisMonsieur et sa femme, laPrincesse Palatine, jugent une telle union tout simplement scandaleuse, indigne et pour tout dire inimaginable. Louis XIV utilise alors l'influence dumarquis d'Effiat sur Monsieur pour le convaincre.
Philippe est plus hésitant, d’autant que l’idée est soutenue par son précepteur, l'abbé Dubois. Au début de 1692, Louis XIV convoque son neveu et lui déclare qu’il ne peut mieux lui témoigner son affection qu’en lui donnant en mariage sa propre filleFrançoise-Marie de Bourbon, ce à quoi le jeune homme ne sait répondre qu’en balbutiant un remerciement embarrassé. La Palatine, apprenant l’issue de l’entrevue, jette les hauts cris mais ne peut affronter le roi, d’autant qu’elle sait ne pouvoir compter sur le soutien de son mari. Ce dernier ne se révolta que peu de temps avant sa mort, lançant à son frère que :« Sans tirer aucun profit de ce mariage, Chartres n’en gardera que la honte et le déshonneur ». Elle borne l’expression de son mécontentement à tourner le dos au Roi, après qu'il lui a fait une profonde révérence mais ensuite, comme seul le prétend le duc de Saint-Simon, elle donne à son fils une énorme gifle devant toute la Cour. Le mariage n’en a pas moins lieu, le[2].
En, il est nommé pour commander les armées françaises en Espagne. Il accepte assez mal que leduc de Berwick ait précipité la bataille pour remporter un jour avant son arrivée, donc sans lui, une victoire[3]. Philippe d’Orléans marche surSaragosse qu’il prend, et fait de même avecLérida. Il rentre à Versailles et revient en Espagne en pour entamer lesiège de Tortosa, entreprise vouée à l’échec selon les jalouxprince de Condé etprince de Conti. Le, Tortosa capitule[4]. Condé et Conti envoient lemarquis de Dangeau complimenterMadame, la mère de Philippe d’Orléans, persuadés que la nouvelle était fausse. Ils en sont pour leurs frais et doivent constater la victoire de leur rival dans les faveurs du roi[5].
Le lendemain de la mort deLouisXIV, le, conformément à l’usage, la lecture du testament royal est effectuée lors d'une séance solennelle auparlement de Paris, rassemblant toutes les cours souveraines, les princes du sang et les ducs et pairs, qui doit proclamer la régence. Dans son testament, Louis XIV tente de limiter les pouvoirs duduc d’Orléans, et indique alors la composition du conseil de régence, véritable conseil de gouvernement. Il confie ainsi auduc du Maine, un de ses bâtards légitimés, la garde et la tutelle du jeuneLouisXV en le nommantrégent du royaume, disposant également de laMaison militaire[7].
Philippe d'Orléans, adulte de la famille royale le plus proche du roi, qui dispose alors de la charge, purement honorifique, de « président du conseil de régence », s’efforce, et obtient, de faire casser un testament qui le prive de prérogatives qu’il juge dues à sa naissance[8]. Le Parlement le reconnaît donc comme seulrégent, ce qui lui permet de réorganiser le Conseil à son gré et d’évincer le duc du Maine, bientôt exclu de la succession au trône que son père lui avait accordée[b]. Toutefois, le Régent doit, pour rallier le Parlement de Paris à sa cause, lui restituer ledroit de remontrance supprimé par Louis XIV, ce qui ne sera pas sans conséquence auXVIIIe siècle[9].
Il tente de séduire les Français par une politique nouvelle : la paix est rétablie. Il soutient lesjansénistes, abandonne la cause desStuarts, tente de rétablir les finances et l’économie avec les audaces deLaw. Ce revirement diplomatique aura pour conséquence sur les derniers descendants de la dynastie catholique des Stuart que Jacques-Édouard se réfugiera en Avignon puis à Rome[10].
En 1718, le Régent renonce à la polysynodie et reprend le type de gouvernement en vigueur sous Louis XIV. Il opère aussi un changement dans sa politique religieuse. Après avoir soutenu lecardinal de Noailles et les ecclésiastiques opposants à labulleUnigenitus, il constate avec déception l'inefficacité de sa loi du silence visant à réduire la fracture du clergé de France. Avec le soutien des cardinaux Bissy et Rohan, il s'engage dans la voie de l'accommodement et la rédaction d'un corps de doctrine, sorte de synthèse desvues gallicanes sur laquerelle janséniste, signé en 1720. Le régent est particulièrement satisfait de sa politique et déclare avec son humour habituel :
Sur les autres aspects de la politique, il s’impose aux parlements et aux légitimés (septembre 1718), prend les armes contre l’Espagne dans une alliance avecLondres etVienne (janvier 1719). La personnalité de l’abbé Dubois, son ancien précepteur, devenu archevêque, cardinal et ministre, s’impose de plus en plus auprès de Philippe, le fonctionnement de la polysynodie devenant de plus en plus difficile.
Le Régent réside auPalais-Royal qui devient, de 1715 à 1723, le cœur de la vie politique et artistique, supplantantVersailles. Sur le plan personnel, Philippe d'Orléans n'a rien changé à sa vie frivole. Le Palais-Royal est le théâtre de ses abandons à la débauche en compagnie de ses « roués[d] », « fanfarons d’incrédulité et de crimes » ; les petits soupers y tournent parfois à l’orgie[13].
Les chansons satiriques de l'époque lui prêtent une relation incestueuse avec sa fille aînée,Marie-Louise-Élisabeth d'Orléans qui, après la mort de son mari, accumule les amants et scandalise la cour tant par sa soif d'honneurs et de gloire que par ses coucheries et ses grossesses illégitimes[e].
Lorsque les calamités fondent sur le royaume — incendies,peste de Marseille, effondrement dusystème de Law —, le pays souffre et gémit, on accuse l'irréligion du Régent. Cependant, la sagacité et la finesse ducardinal Dubois dans les affaires, l’énergie intermittente de Philippe d'Orléans et l’absence de toute opposition organisée permettent à la monarchie de rester debout.LouisXV est sacré le et confirme le cardinal Dubois commeprincipal ministre, mais celui-ci mourra le.
Son cœur est porté à la chapelle Sainte-Anne (nommée la « chapelle des cœurs » renfermant les cœurs embaumés de 45 rois et reines de France) de l'église du Val-de-Grâce. En 1793, lors de la profanation de cette chapelle, l'architecteLouis François Petit-Radel s'empare de l'urnereliquaire envermeil contenant son cœur, le vend ou l'échange contre des tableaux à des peintres qui recherchaient la substance issue de l'embaumement ou « brun momie » — très rare et hors de prix — alors réputée, une fois mêlée à de l'huile, pour donner un glacis incomparable aux tableaux[20].
La vie privée du régent a pu défavorablement influencer le jugement porté sur sa politique gouvernementale[21]. Sa régence s’en est mieux tirée que la plupart des autres[22], son goût pour les idées nouvelles l’ayant conduit à engager des réformes novatrices : c’est ainsi qu'est née lapolysynodie, qui comportait de nombreux Conseils se chargeant des affaires du royaume[23]:25. Ces conseils peuvent être assimilés à des organes subalternes du régime, mais les réformes qu'ils ont pu mettre en place furent toutefois efficaces, les nobles étant assistés de roturiers éprouvés à ces exercices[11]:31. Cependant, son action la plus significative fut d'accepter ledroit de remontrance duParlement, ce qui eut des conséquences importantes par la suite : blocage des réformes voulues par Louis XV en premier lieu, et par Louis XVI ensuite, ce qui mena à la révolution de 1789[9].
La politique étrangère du Régent a été, contrairement à celle de Louis XIV, globalement favorable à la paix, même s’il a eu à mener, au début de sa régence, une courte guerre avec l'Espagne, dont le roi, inquiet de son renversement d’alliance, avait tenté de le faire renverser par le duc du Maine à travers laconspiration de Cellamare[23].
La seconde partie de la Régence le voit opter pour un rapprochement avec les puissances protestantes en signant une Triple Alliance à La Haye en 1717 avec les Provinces-Unies et l’Angleterre[24], alliance complétée l’année suivante, par la Quadruple Alliance avec l’Autriche[25]. Il a néanmoins promu la paix avec l'Espagne en entérinant lapaix d'Utrecht et en scellant l’alliance des Bourbons de France et d'Espagne par les fiançailles, en 1721, du jeuneLouisXV avec l'infanteMarie-Anne-Victoire d'Espagne, âgée de 5 ans[f],[15].
Dans le domaine économique, lorsque le Régent est entré aux affaires, les caisses de l’État étaient vides et le peuple était écrasé par les guerres qui avaient eu lieu à la fin du règne deLouisXIV. Les principales conséquences du système mis en place parJohn Law furent d'ailleurs positives : relance de l’économie[26], allègement de la dette de l'État, désendettement des agents privés sous le double effet de l'inflation et de la baisse des taux d'intérêt[27], et boom économique durable, avec l'essor du commerce extérieur[28], offrant à l’État de telles marges de manœuvre financières que celui-ci n'allait retrouver jusqu'à la Révolution[27], bien que les Français aient par la suite conservé une vive méfiance contre le papier-monnaie, si bien qu’à la veille de sa mort, Philippe d’Orléans songeait à rappeler le financier, mais la mort l’en a empêché[29].
La personnalité du Régent fut plus contrastée. Il était réputé pour sa débauche, il s'adonnait à desorgies au cours des fameux petits soupers en compagnie de quelques convives, qu'on appelait les « roués », comme lemarquis d'Effiat, le marquis de Canillac, lemarquis de Biron, etc. Sa fille, « Joufflotte », la plantureuseduchesse de Berry qui avait une réputation de Messaline, y participait souvent. On lui prête plus de cinq favorites et il fut même précoce dans le domaine sentimental, étant donné qu'il eut en 1688, alors âgé de quatorze ans, une fille avec une certaine Éléonore, fille d'un concierge du garde-meuble du château où il vivait[30]. Leduc de Saint-Simon laissa à tort de lui l'image d'un prince oisif, indolent et superficiel[21]. Il avait en effet de grandes capacités de travail. Quand il n'était que le fils de Monsieur, frère du Roi, il se montra volontiers peu travailleur, mais dès qu'il devint Régent, il était capable de se lever très tôt et de travailler jusque tard dans l'après-midi[g]. Pour finir, les deuxopéras auxquels il travaille (en faisant un peu de composition, écrivant lelivret et en réalisant les décors des représentations) dans les années 1690, montrent son goût pour les arts en général. Néanmoins il ressentait dès cette époque une inimitié à l'encontre deVoltaire qu'il fit mettre à laBastille en 1717 : en présence d'un informateur de police, Arouet s'était répandu en propos injurieux contre la duchesse de Berry, ajoutant que la princesse, grosse à nouveau, se terrait auchâteau de la Muette pour y accoucher.
Au début des années 1690, il eut pour sa formation musicaleMarc-Antoine Charpentier, qui lui offrit un petit traité deRègles de composition H.550. En collaboration avec son maître de musique, il composa des motets, parmi lesquels unLaudate Jérusalem Dominum à cinq parties, un opéra,Philomèle aujourd'hui perdu. Par la suite il eut d'autres compositeurs à son service : parmi euxJean-Baptiste Morin nommé « Ordinaire de la musique » (probablement dès 1701),André Campra,Nicolas Bernier,Henry Desmarest etCharles-Hubert Gervais, avec lequel Philippe d’Orléans compose deux autres opéras,Suite d'Armide ou Jérusalem délivrée etPenthée. Sa participation à la composition d’Hypermnestre de Charles-Hubert Gervais demeure discutable et se cantonnerait à la composition des deux tambourins[h].
Il a peint et gravé avec talent : on lui doit les illustrations d’une édition deDaphnis et Chloé pour laquelle il aurait fait poser nue la duchesse de Berry (que la rumeur accusait d'être la maîtresse de son père). Il achète pour sa couronne leRégent, le diamant réputé le plus beau d’Europe.
Il est à l'origine duRecueil Crozat, sollicitantPierre Crozat dans cette entreprise novatrice d'un catalogue gravé des plus beaux tableaux et dessins italiens issus des collections françaises[31].
Ce mariage arrangé, non désiré, ne fut guère heureux. Philippe, devenu duc d'Orléans en 1701 à la mort de son père, appelait sa femme « Madame Lucifer ». Ils eurent cependant huit enfants mais un seul fils :
une fille née en 1688 (le Régent fut père à 14 ans), née d'une prénommée Florence, servante au Palais Royal et fille de la femme du concierge du garde-meubles du Palais Royal. Cette fille a épousé Henri de Charencey.
↑Selon les règles typographiques, un nom commun employé en sens absolu, non suivi du nom propre, porte lamajuscule. En l'occurrence, « le Régent » désigne sans ambiguïté Philippe d'Orléans, de même que « laRégence » évoque systématiquement la période 1715-1723[1].
↑Le duc du Maine répliquera, en 1718, à ce qu’il considère comme un coup d’État en ourdissant laconspiration de Cellamare avec l’Espagne, pour retirer la régence du royaume de France à Philippe d’Orléans.
↑Un des contrecoups de cette réforme est peut-être laconspiration de Pontcallec, tentative de soulèvement d'origine antifiscale menée par une partie de la noblesse bretonne, en 1718-1720, au début de la Régence, possiblement en lien avec laconspiration de Cellamare, qui échouera misérablement.
↑Fin janvier 1716, la duchesse de Berry accouche clandestinement d'une fille au palais du Luxembourg. Au printemps 1717, derechef enceinte, elle se retire au château de la Muette jusqu'à sa délivrance. Fin mars 1719, proche du terme d'une nouvelle grossesse, la « féconde Berry » ne renonce pas pour autant à sa vie de plaisirs, enchaînant les sorties et les dîners, largement arrosés d'alcools violents. De retour au Luxembourg, après une nuit de débauches, l'imprudente, prise de vives contractions, perd les eaux et, affolée, se réfugie dans une petite chambre. Les difficultés du travail alertent les courtisans alors que la délivrance se fait attendre, augmentant le scandale. Cruelle aggravation aux tortures de l'enfantement, la fille du Régent, à l'article de la mort, se voit refuser les sacrements de l'Église. On la délivre enfin d'un enfant mort-né. Tandis que des poèmes satiriques brocardent la « naissance incestueuse » et les peurs de l'accouchée, celle-ci cache sa honte au château de Meudon. Mal relevée de ses couches, de nouveaux excès achèvent de délabrer ses intérieurs chahutés par la maternité. Après une longue agonie, la duchesse de Berry expire, le 21 juillet, à la Muette. L'autopsie de son corps révèle qu'elle est retombée enceinte durant sa convalescence à Meudon[14].
↑Ce mariage entre deux enfants de 12 et 5 ans sera cassé, quatre ans plus tard, pour non-consommation, ce qui provoquera la colère de Philippe V et une crise diplomatique.
↑Les Fêtes galantes, deMichel Peyramaure, écrit sous forme romancée mais s'appuyant sur des écrits contemporains du Régent.
↑En 1976, la musique de cet opéra (restituée et arrangée par le compositeur actuelAntoine Duhamel) a été nommée aux Césars pour le filmQue la fête commence.
↑a etbAlexandre Dupilet,La Régence absolue : Philippe d'Orléans et la polysynodie (1715-1718) : suivi d'un dictionnaire de la polysynodie, Seyssel, Champ Vallon,coll. « Époques »,, 437 p.(ISBN978-2-87673-547-7)
↑a etbHistoria,150 idées reçues sur l'Histoire, First Editions,,p. 167.
↑Harold A. Ellis,Boulainvilliers and the French Monarchy : Aristocratic Politics in Early Eighteenth-Century France, Cornell University Press,, 288 p.(ISBN978-1-50174-573-7,lire en ligne),p. 113.
Arnaud de Maurepas,Antoine Boulant,Les Ministres et les ministères du siècle des Lumières (1715-1789). Étude et dictionnaire, Paris, Christian-JAS, 1996, 452 p.