La bravoure dont il fait preuve lors de ladéfaite française de Poitiers, en 1356, alors qu'il est tout juste âgé de quatorze ans, lui vaut le surnom de « Hardi ». Il est appelé un temps Philippe « sans Terre » mais son père le récompense au retour de sa captivité londonienne en lui conférant, en 1360, laTouraine enapanage. En 1363, le roi lui concède le duché de Bourgogne, dont il avait hérité à la mort du dernier duccapétien de Bourgogne,Philippe de Rouvres (décédé sans descendance à l'âge de 15 ans). Son mariage, le dans l'église Saint-Bavon deGand avecMarguerite de Male, veuve du précédent duc de Bourgogne et riche héritière présomptive des comtés deFlandre, d'Artois, deRethel, deNevers et ducomté de Bourgogne, puis la mort de son beau-pèreLouis de Male en 1384, le rendent maître de nombreux territoires, apportés endot par sa femme.
Cet amateur d'art,mécène fastueux, passionné par l'architecture, mais aussi homme politique habile, avisé et subtil, mène la politique bourguignonne avec prudence —« Il voyait loin » écrit le chroniqueurJean Froissart dans sesChroniques[1] ;Christine de Pizan, autre témoin de l'époque, souligne son« souverain sens et conseil ». Philippe jette les bases d'unÉtat bourguignon puissant qui, à son apogée, se dresse en rival du royaume de France, allant jusqu'à le mettre en péril. Il ouvre une page prestigieuse de l'histoire de la Bourgogne, et ladynastie des Valois de Bourgogne, qu'il fonde, règne plus d'un siècle.
L'héroïsme de Jean le Bon et de son fils Philippe à la bataille de Poitiers est resté célèbre. Il vaut au premier sa réputation de roi-chevalier et au deuxième son surnom de « Hardi »[N 2].
Labataille s'engage le. Les Français, avec des troupes certes fidèles aux principes de bravoure et d'honneur de leur chevalerie mais, mal disciplinées et mal coordonnées, mises devant une armée anglaise qui a pour elle l'unité de commandement et qui est puissamment aidée par la supériorité de ses archers, voient rapidement le sort tourner en leur défaveur. Au moment critique de la bataille, Jean II se place sur une élévation de terrain. Conscient du péril qu'ils courent, il fait mettre à l'abri ses fils aînésCharles (le futur roi Charles V),Louis qui devient par la suite Louis Ier de Naples etJean (futur Jean de Berry), voulant ainsi préserver la lignée mâle de sa dynastie. Il conserve toutefois auprès lui le jeune Philippe, tout juste âgé de quatorze ans, encore trop jeune pour brandir l'épée[10]. Exposé à tous les dangers, Philippe assiste son père dans un corps à corps héroïque et gagne, grâce à sa bravoure, son surnom du « Hardi »[11],[12],[N 3]. Ses cris de bataille deviennent légendaires :« Père, gardez-vous à droite ! Gardez-vous à gauche ! »[13]. Jean le Bon et Philippe, blessés, sont finalement faits prisonniers par les Anglais[14],[15] et connaissent la captivité.
Son testament dans lequel on lit ces mots :« Item, ordonnons et instituons nos hoirs en nostres paiis et biens quelqu'ils seront ceux et celles qui par droit ou coustume du paiis le devent ou puent estre », a établi comme héritiers ses parents les plus proches, qui se partagent par la suite ses biens[20]. En vertu de cette disposition, chaque pièce du puzzle bourguignon revient au dernier possesseur ou ses héritiers légitimes. Ainsi, les comtés de Boulogne et d'Auvergne passent àJean de Boulogne, oncle maternel du défunt. Les comtés d'Artois et deBourgogne et la « terre de Champagne » reviennent à sa grand-tante,Marguerite de France, fille cadette dePhilippe V de France, veuve deLouis de Flandre et de Nevers. Le duché, la pièce maîtresse, a deux compétiteurs.Charles le Mauvais est roi de Navarre, petit-fils de Marguerite de Bourgogne et arrière-petit-fils du duc Robert II. Il a des droits qui ne sont pas inférieurs à ceux de Jean le Bon, petit-fils par sa mèreJeanne, du duc de BourgogneRobert II[21]. Mais Jean le Bon, Marguerite de France et Jean de Boulogne, d'un commun accord, éliminent Charles le Mauvais, indésirable. Comment, écrit Joseph Calmette,« au lendemain des déprédations anglaises à Flavigny et à Saulieu, aurait-on pu envisager de faire duc de Bourgogne un ami d'Édouard III, un ennemi juré du roi de France ? »[22]. Dans unecharte de, Jean le Bon déclare réuni à la couronne le duché de Bourgogne. Le roi met la main sur celui-ci à titre de plus proche héritier et non par droit de retour à la couronne.
L'abbatiale Saint-Bénigne de Dijon, dans laquelle Jean le Bon prête serment de respecter les privilèges de la ville.
L'entente entre les cohéritiers pour prendre de vitesse Charles le Mauvais permet que la dévolution du duché se fasse par un consentement quasi universel. Le, le roi Jean fait sa « joyeuse entrée » dans lacapitale bourguignonne où il prête, dans l'abbatiale Saint-Bénigne, le serment de maintenir les privilèges de la ville. En accédant à toutes les requêtes, en confirmant les franchises et en leur accordant d'importantes concessions, lors de la séance solennelle desÉtats de Bourgogne, en date du, le roi multiplie les gestes destinés à rassurer les Bourguignons.« En présence des États, il jure de respecter l'autonomie judiciaire du duché, l'existence de la commission des comptes, le droit du maréchal de Bourgogne à lever les gens d'armes, et réalisant l'unité des pays bourguignons par le rattachement des enclaves royales aux baillis ducaux, élevés à la dignité de bailliages royaux, au détriment des droits de ressort reconnus jusque-là aux baillis de Sens et de Mâcon[23] ». Le traité deCîteaux du consacre officiellement la victoire de Jean le Bon. Le roi regagne ensuite Paris après avoir nommé Henri de Bar, sire de Pierrefort, gouverneur de la Bourgogne et après avoir confié la défense du duché àJean II de Melun,comte de Tancarville[24].
Lors de la séance des États du, à travers de respectueuses paroles, l'assemblée lui fait entendre de fiers et catégoriques propos, échos des aspirations locales, et qui sonnent comme des avertissements. Joseph Calmette explique :« Le duché ne doit devenir une province tombée dans le domaine royal. Le duché doit rester duché. La Bourgogne ne doit pas se confondre avec le royaume ». Le roi, en tentant subrepticement d'annexer la Bourgogne à son domaine, selon les termes desLettres Patentes de 1361, se heurte à la conscience bourguignonne[25]. Cette mise en garde des États de Bourgogne infléchit la politique royale. Le roi annule par conséquent la réunion déclarée irrévocable en 1361 et décide finalement de céder le duché[26].
Territoires cédés par la France à l'Angleterre par letraité de Brétigny (suit le tracé du premier traité de Londres)
Sensible à l'avertissement des États et renonçant à sa conception unitaire, le roi Jean va prendre des décisions qui vont répondre aux aspirations des Bourguignons. Le roi est mécontent des mauvais résultats obtenus par lecomte de Tancarville. Devenu impopulaire et incapable d'obtenir des États les subsides nécessaires à la lutte contre lesCompagnies, le roi le disgracie. Le le roi le remplace par Philippe, son plus jeune fils, duc de Touraine à qui il donne le titre de lieutenant-général du duché avec autorité entière pour en administrer les affaires[N 5],[N 6]. Le lendemain, Jean le Bon quitte la Bourgogne pour Paris. Convoqués par le duc de Touraine, lesÉtats tiennent leur réunion le et lui accordent lessubsides importants pour l'entretien des garnisons et la répression des Compagnies[N 7], subsides qu'ils avaient jusqu'alors refusés à Tancarville.
Le premier acte de son administration est un succès pour Philippe. Mais la lieutenance donnée au jeune prince n'est, dans l'esprit du roi, qu'une étape avant la donation totale duduché[18]. Joseph Calmette écrit :« Nul ne pouvait s’y méprendre, la lieutenance confiée à Philippe n’était qu’un voile transparent et provisoire. C’était le duc de demain qui se laisse voir au travers »[27]. Par lettres tenues secrètes, datées du et depuisNuremberg, Jean le Bon avait obtenu, de son beau-frère l'empereurCharles IV, suzerain légitime de laComté, l'investiture de cette province en faveur de son fils Philippe[28],[29].
Six mois après sa nomination à la lieutenance, par un acte daté du, donné àGermigny-sur-Marne, le roi fait de son fils Philippe le duc de Bourgogne. Il lui fait donation pleine et entière du duché ainsi qu'aux héritiers de ce dernier, à l'instar de ce que le roiRobert II avait fait à l'époque capétienne avec son filsRobert Ier. L'acte, tenu secret, est confié à la discrétion de Philibert Paillart, chancelier de Bourgogne, en lui commandant de ne les remettre qu'après sa mort. Ceslettres patentes du[N 8], promulguées par le roiCharles V, sept jours après son sacre, rendent officielle la constitution du duché bourguignon des Valois[30],[31]. Philippe prend alors officiellement le titre de « duc de Bourgogne »[N 9],[32] et devient en même temps premierpair de France.
Il adopte dès sa nomination comme duc de Touraine, de nouvellesarmes, qui se distinguent de celles du roi par l'ajout d'une bordure ; elles se lisent :« D'azur semé de fleurs de lys d'or à la bordure componée d'argent et de gueules ». Après avoir rendu la Touraine au profit de la Bourgogne, il choisit d'écarteler ces armes de fils de France avec les anciennes armes des ducs de Bourgogne capétiens (« bandé d'or et d'azur de six pièces à la bordure de gueules »), souhaitant montrer par là qu'il se pose en héritier et successeur légitime de ces derniers[33]. Après avoir été au service du roi contre lesGrandes compagnies et mené des expéditions de à, enBeauce, enNormandie, et enrégion parisienne contre le comte de Montbéliard, Philippe revient en Bourgogne en. Le de ce mois, il célèbre son « Joyeux Avènement » à Dijon, en compagnie de son frère Louis d'Anjou. Tout comme son père avant lui, il prête alors serment en l'église abbatiale de Saint-Bénigne de respecter les privilèges de la ville et du duché[33].
Le don royal que Jean le Bon et Charles V font à Philippe est double : ils lui offrent à la fois un domaine foncier et un« faisceau de droits » remarque Bertrand Schnerb. Le domaine ducal est vaste et riche et, en sa qualité, le duc est le plus puissant des seigneurs fonciers de laprincipauté. Il possède des terres dans le duché, des enclaves en Outre-Saône (lecomté de Bourgogne)[34], des villes, des châteaux, des bourgs, des forteresses, des manoirs, des maisons et autres édifices. Ce domaine est constitué de vastesseigneuries foncières groupées autour de châteaux ou de résidences ducales, entourés de terres cultivées et de vignes, mises pour une part en régime defaire-valoir direct et pour une part divisées entenures paysannes. Le duc possède aussi des prés, des forêts, des réserves de chasse, des étangs et des rivières. L'encadrement de ces biens est assuré par lesbaillis locaux, leschâtelains et lesprévôts ducaux. Ses droits sont nombreux : il exerce des droits féodaux sur ses vassaux directs et sur ses fiefs, droits qui concernent aussi les arrière-fiefs (fiefs tenus par lesvassaux de ses vassaux directs). Il en perçoit des revenus substantiels (droits de mutation etdroits de succession), d'autant plus que Jean le Bon lui a transféré toutes sesvassalités à son avènement comme duc[35]. Philippe devient égalementseigneur justicier, tenant la basse, la moyenne et la haute justice : il détient un droit supérieur, distinct des droits féodaux et banaux, sur son duché (c'est la « baronnie du duché »). Comme le roi pour le royaume de France, le duc Philippe le Hardi détient des droits supérieurs de justice qui stipulent que tout jugement exercé dans le duché en son nom l'est en vertu d'une délégation de ses propres pouvoirs judiciaires. Ces droits permettent à Bertrand Schnerb d'affirmer que le duché de Bourgogne est administré comme une véritable et autonome « souveraineté territoriale »[36].
Le premierduc de Bourgogne valois, Philippe, est un habile politique[37]. Il a au plus haut point le sens de la mesure et l'instinct du possible[38]. Philippe, tel qu'il apparaît dans les portraits, est grand, puissant, d'une structure massive, est doté d'un large menton prognathe et d'un nez légèrement affaissé[39].« Noir homme et laid »[40],[41], il passe pour être un« homme de grand savoir, de grand travail et de grande volonté ».Christine de Pisan vante son« souverain sens et conseil » etJean Froissart dit de lui qu'il« voyait loin ». Avec son talent politique de premier ordre, très pénétré de ses devoirs, il a l'ambition de jouer dans le « royaume des Fleurs de Lis » un rôle féodal de premier plan. C'était aussi unmécène généreux, fastueux, éclairé de tous les arts, surtout passionné pour l'architecture mais toujours à court d'argent.
Labataille de Nájera, au cours de laquelle le Prince noir inflige une terrible défaite aux Franco-Castillans. Cette bataille les débarrasse toutefois définitivement de nombre de « routiers », ces membres des Grandes compagnies. Miniature deLoyset Liédet,Chroniques de Jean Froissart,BnF, FR 2643,fo 312 vo.
Les Grandes compagnies, fléaux composés de bandes errantes et toujours renaissantes de soldats licenciés, que dirigent des aventuriers sans foi et sans honneur, exercent leurs ravages depuis letraité de Brétigny. On les désigne indifféremment sous la qualification de Bretons, de Normands, d'Anglais, de Gascons[42]. Ces bandes sévissent dans toute la France et leduché de Bourgogne est particulièrement menacé. Cette soldatesque sans emploi vit de sang et de pillages, elle sème la terreur, s'empare de places, de châteaux, de forteresses, de bourgs, de hameaux et maisons isolées. Les bandes surgissent, parfois simultanément, de tous côtés de la province.Nivernais,Puisaye,Avallonnais,Auxois,Duesmois,Chalonnais,Mâconnais, toute lavallée de la Saône de Pontailler-sur-Saône à Mâcon, sont dévastés. Comme si cette calamité ne suffisait pas, les barons comtois, ennemis d'Outre-Saône, soutenus par les subsides anglais, ouvrent les hostilités entre les deux Bourgognes pendant que le roi de Navarre et son fils, en collusion avec les Comtois, conduisent des actions audacieuses, tantôt concomitantes, tantôt alternées[43]. La lutte contre ses bandes de « routiers » monopolise tous les efforts de Philippe le Hardi et de son conseil ducal jusqu'en 1369, date à laquelle le duché retrouve une tranquillité dont les habitants avaient depuis longtemps perdu le souvenir[44]. Ces bandes ont à leur tête des capitaines expérimentés dans les rangs desquels la Bourgogne souffre des actions malfaisantes d'un Gilles Troussevache[N 10], d'un Arnaud de Talebardon, d'un Guillampot, d'un Guiot du Pin, d'un Bour Camus, d'un Jean de Chauffour, d'un Seguin de Batefol[N 11], d'un Espiotte enfin[N 12], pour n'en citer que quelques-uns. Certains finissent par se faire prendre et connaissent le glaive de la justice ducale[N 13]. Ces capitaines travaillent pour leur propre compte ou au service de celui qui paie[N 14].
Les ennemis d'Outre-Saône, les fiers et fougueux barons comtois, les Neufchâtel, les Montfaucon ont à leur tête le terribleJean de Neufchâtel[45], le plus redoutable et le plus haineux[46]. Sa capture lors des combats pour la tentative de prise dePontailler-sur-Saône par les Francs-Comtois[N 15],[47] marque un des jours heureux du règne. Une secrète association lie alors le roi d'Angleterre, le roi de Navarre et les Francs-Comtois. Pour la défense du duché, Philippe peut compter sur les gens d'un grand dévouement du conseil ducal. Le sire de Sombernon, Jean de Montagu, lieutenant du duché en son absence[48], le chancelier Philibert Paillart, Gui de Frolois, sire de Molinot, lieutenant et capitaine général du duché[49], du chancelier Bertrand d'Uncey[50]. Les maréchaux de Bourgogne, Guillaume de la Trémoille etGui de Pontailler[N 16], les baillis de Chalon et de Dijon, Girard de Longchamp et Hugues Aubriot, Jacques de Vienne enfin[51]. Tous ces fidèles ont multiplié leurs efforts pour parer aux dangers d'une situation souvent critique, notamment lors des absences de leur maître, appelé par son frère le roi Charles V à de lointaines chevauchées contre les Anglais et leduc de Lancastre[N 17].
L'autorisation donnée au mois de par le comteLouis de Male à Bruges de percer un canal entre laReie, qui relie la cité à la mer, et laLys, crée une situation de tension avecGand. La ville voit en effet son activité économique menacée au profit de Bruges. Les métiers de Gand,bateliers ettisserands surtout, choisissentJean Yoens comme leur chef. Le mouvement de révolte (leschaperons blancs) gagne d'autres villes :Grammont, Damme,Courtrai et Ypres. Pour la première fois le duc de Bourgogne intervient dans les affaires flamandes et, à la demande de Louis de Male, joue un rôle d'intermédiaire entre le pouvoir comtal et les révoltés. Il permet, le, la conclusion d'un traité de paix, vite rendu caduc par une répression des insurgés qui, finalement, conduit ces derniers à opérer une campagne de « décastellement » des places fortes comtales situées dans le pays de Gand. La guerre de Flandre commence au[57].
Philippe le Hardi intervient de nouveau, mais en soutenant ouvertement Louis de Male cette fois. À l', il obtient desÉtats de Bourgogne la levée de 60 000 francs pour financer l'engagement contre les Gantois ; la ville de Dijon lui donne un millier d'hommes[58]. Cependant, vaincu à Bruges le par les Gantois emmenés parPhilippe van Artevelde, Louis de Male doit se réfugier à Lille. Il fait alors de nouveau appel à l'aide à son gendre Philippe de Bourgogne. Ce dernier, en qualité d'hériter présomptif des domaines du comte, et donc de la Flandre, a tout intérêt à remettre de l'ordre dans la province. Avec l'aide de son frèreJean de Berry, il tente en 1382 de faire intervenir le pouvoir royal français dans la guerre de Flandre. Depuis l'Artois, il écrit une lettre au roiCharles VI, âgé de 14 ans et qui rêve d'exploits militaires[59], pour lui demander de s'impliquer, arguant une menace contre la chrétienté. La guerre contre Gand est en effet pour Philippe un impératif religieux : la Flandre est alors un« terrain d'affrontement, pris entre ses inclinations pour les Anglais et ses attaches françaises » au sein de la question duGrand Schisme d'Occident (survenu en 1378). Dès le début, les révoltés se réclament d'Urbain VI alors que Philippe soutientClément VII[60]. Les liens économiques entre Gantois et Anglais, qui produisent la laine utilisée par les drapier flamands, amènent van Artevelde à faire jouer l'alliance anglaise nouée parJacob van Artevelde, son père au début de laguerre de Cent Ans[61]. Le royaume d'Angleterre, lui-même en proie à de graves troubles intérieurs, ne lui apporte cependant qu'un soutien symbolique.
Scène de la bataille de Roosebeke, miniature de Loyset Liédet,Chroniques de Jean Froissart, BnF, Fr.2644.
La difficulté pour Charles VI et ses oncles est d'obtenir le financement d'une expédition pour vaincrePhilippe van Artevelde qui tient tout le comté et qui, vers, à la tête d'une armée de 100 000 hommes, assiègeAudenarde, ville fidèle au comte[61]. Ils doivent pourtant agir pour éviter la contagion de la révolte à d'autres villes du royaume, Paris en tête[62]. Cette situation pourrait affaiblir l'autorité royale et déstabiliser le royaume de France. Les tentatives d'alliance anglo-flamandes, bien qu'infructueuses, fournissent un prétexte, même si beaucoup n'y voient qu'une manœuvre du duc de Bourgogne pour reprendre en main son futur héritage.Clément VII soutient donc l'expédition française, qui peut ainsi prendre la forme d'unecroisade[63].
Dans le but d'écraser van Artevelde en bataille rangée et de rétablir ainsi l'autorité royale, Charles VI se met en marche à la tête d'une armée d'au moins 20 000 hommes[N 23], dont Philippe fait naturellement partie, à la tête de 2 000 combattants, au départ d'Arras[64]. Il s'agit surtout d'une armée aguerrie qui a chassé les Anglais du royaume et qui est invaincue depuis 1369. À son approche, les villes flamandes se soumettent les unes après les autres, payant un tribut qui finance l'expédition. Van Artevelde, voyant que le pays lui échappe, se retourne et affronte l'ost royal àRoosebeke le. Van Artevelde est tué et l'esprit de la rébellion est brisé. Les Brugeois négocient leur soumission dès le lendemain, moyennant un tribut de 120 000 francs, et leur adhésion à l'obédience de Clément VII[65].
Le« Jacquemart » de Dijon : horloge rapportée de Courtrai par Philippe le Hardi après la bataille de Roosebeke.
Philippe organise ensuite la restauration de l'autorité royale, laquelle passe par la soumission des villes et l'acceptation de l'impôt. ÀCompiègne, le, le duc de Bourgogne, qui parle en maître et en homme d'État, fixe les grandes lignes de la politique royale pour un an[66]. Charles VI soumet donc les villes les unes après les autres en y entrant à la tête de son imposante armée, et ceci en y reproduisant un cérémonial rodé. LeGrand schisme qui déchire l'Occident depuis 1378 a aggravé la situation financière de l'Église déjà mauvaise sous les papes d'Avignon : il y a deux Saints-Sièges, avec deux administrations pontificales[67]. Le contrôle deBruges est un enjeu économique majeur pour les deux papes car le produit de la fiscalité pontificale en Europe du Nord y transite. Du fait de leurs alliances anglaises, les Flamands sont suspects de passer sous l'obédience du papeUrbain VI d'autant queLouis de Male reconnaît le pape romain. L'expédition française de 1382, soutenue par l'antipapeClément VII, et labataille de Roosebeke qui restaure l'autorité du roi de France sur la Flandre, mettent donc en péril le commerce de la laine anglaise et la fiscalité pontificale romaine[68].
Dès lors, Urbain VI réagit et fait prêcher lacroisade en Angleterre par Henri Despenser, l'évêque de Norwich. Ce sont lesfrères mineurs qui se chargent de relayer la campagne sur le terrain : ils flattent l'orgueil national naissant et les Anglais achètent massivement desindulgences pour financer la croisade[69]. Celle-ci est acceptée par le Parlement anglais le[70]. Henri Despenser débarque àCalais au mois de à la tête de 3 000 hommes[71]. Les Anglais saccagent ensuiteGand le et s'attirent l'inimitié des Flamands dont le comte soutient pourtant Urbain. Ils occupent par la suiteDunkerque,Bergues,Bourbourg,Cassel,Poperinghe et mettent le siège devantYpres le. La ville résiste. Louis de Male appelle les Français à son secours par le biais de Philippe le Hardi. L'immobilisation de l'armée anglaise donne au duc de Bourgogne le temps de réagir, note Bertrand Schnerb. L'armée royale est en effet convoquée à Arras le. L'apprenant, Henri Despenser lève le siège d'Ypres et se replie sur Bergues et Bourbourg. La première ville est enlevée par les Français le. La garnison de Bourbourg capitule après une contre-attaque ratée.Gravelines négocie sa reddition pour 15 000 florins. Une trêve est vite obtenue et l'évêque de Norwich regagne finalement l'Angleterre avec ses troupes[72].
Des rencontres pour conclure une trêve entre Anglais et Français se tiennent àLeulinghen en et. La délégation française est conduite par les ducs de Berry et de Bretagne et par le comte de Flandre tandis que le côté anglais est mené par Jean de Gand et son fil Henri. Le statut de la ville rebelle de Gand provoque des complications dans les négociations, Louis de Male refusant que le traité de paix s'applique à la cité. Le, letraité est conclu, et Louis de Male ne parvient toujours pas à isoler Gand. Peu de temps après, il meurt. Dès lors, Philippe le Hardi hérite de fait des comtés d'Artois, de Bourgogne, de Flandre, de Nevers et de Rethel[71]. Le duc de Bourgogne organise des funérailles grandioses le, une façon de se poser en successeur légitime de Louis de Male[73].
Philippe le Hardi entre solennellement avec sa femme Marguerite à Bruges, Ypres,Messines,Dixmude, Damme,Malines etAnvers. Il prend rapidement des mesures militaires et décide de la levée d'un impôt permettant de financer la défense de la Flandre. Il nommeGuy II de Pontailler et Jean de Ghistelle« gouverneurs du pays de Flandre »[N 26], confiant la charge respectivement au principal office militaire de Bourgogne et à un représentant d'un grand lignage de Flandre, proche conseiller de Louis de Male. Le duc décide également de programmes de rénovation et de consolidation des places fortes, notamment la construction d'un château à l'Écluse[74]. En prenant possession du comté de Flandre, il n'y trouve qu'une résistance : les Gantois. La trêve, conclue à Leulinghen en pour une durée de 15 mois, empêche la reprise immédiate des hostilités avec ces derniers mais ceux-ci reçoivent encore du soutien de l'Angleterre. Au, Philippe instaure l'aide censée financer la guerre contre Gand négociée avec les villes flamandes lors de leur reddition contre un pardon général. Les Gantois reçoivent un renfort anglais de 100 hommes d'armes et 300 archers. Ils reprennent les hostilités dès la fin de latrêve de Leulinghem, en. Ils tentent de prendre Bruges et parviennent à occuper le port deDamme. Les Français, qui montent une armée pour débarquer en Angleterre dans le port de L'Écluse, marchent contre eux. La troupe commandée par Charles VI et Philippe reprend Damme le. Mais, une nouvelle fois, les Français ne marchent pas sur Gand[72]. Par contre la ville est isolée, ses voies de ravitaillement sont bloquées et sa population menacée par la famine — autant de conditions qui poussent les insurgés à négocier, d'autant plus que la guerre dure depuis plus de six ans déjà. Philippe sait que son intérêt converge avec celui des bourgeois flamands. Il reçoit donc des envoyés flamands avec lesquels il conclut letraité de Tournai le, acte officiel qui rétablit la paix dans lecomté de Flandre. Les clauses montrent clairement la volonté d'apaisement de Philippe[75].
Par ce traité, le duc de Bourgogne accorde aux Gantois son pardon (même à tous ceux qui en Flandre ont été bannis à condition qu'à leur retour ils jurent de respecter les clauses du traité), il confirme tous leurs privilèges en échange de leur soumission et de leur engagement à être« de bons, loyaux et vrais sujets ». Il sait être conciliant, permettant à chacun de choisir son obédience, ou faisant rédiger les lettres de la chancellerie en flamand. Toute la Flandre lui fait allégeance, ce qui règle le conflit[76]. Il veille, aussi bien dans son action au gouvernement du roiCharles VI de France que dans les conséquences des évènements duGrand schisme d'Occident, aux intérêts économiques des villes drapières. Il bénéficie à ce sujet des conseils d'hommes d'affaires parmi lesquelsDino Rapondi tient le premier rang[75]. En effet, en prenant possession du comté de Flandre, en, Philippe le Hardi sait que pour être accepté par les Flamands, il doit leur rendre leur prospérité économique, d'autant plus que la guerre a duré plusieurs années (1379-1385), ravageant le pays. Philippe décide une reconstruction rapide. Il favorise le repeuplement de villes dévastées par l'octroi de privilèges fiscaux. Les effets d'une telle politique ne se font sentir qu'à longs termes, et certaines villes ne se relèvent qu'avec difficultés, même si le duc est soutenu dans son action par les Quatre Membres de la Flandre, collège représentatif des sujets flamands[77]. La prospérité de la Flandre dépend en premier lieu des échanges avec l'Angleterre qui est à l'époque le principal fournisseur de laine de l'industrie textile du nord du royaume, et celle-ci exige d'être payée ennobles d'or. Philippe fait donc battre des nobles flamands contenant très légèrement moins d'or que la monnaie anglaise. L'effet est rapide : l'économie est relancée et le duc y puise de substantiellesplus-values. Au vu de ce succès, le Conseil du roi se rend compte des méfaits du franc fort et de la raréfaction de la monnaie sur la circulation des marchandises. En, cédant au pressions des milieux d'affaires, le roidévalue le franc et augmente le prix dumarc de métal précieux. L'effet de cette politique associée au retour de la paix est très favorable et l'économie est relancée. La paix est enfin faite entre les sujets qui ont accepté l'impôt et le roi qui apporte paix et prospérité économique[78].
Après avoir hérité des terres de son beau-père, Philippe le Hardi se lance dans une politique matrimoniale active. De son union avec Marguerite de Male il a dix enfants, dont quatre filles et trois garçons atteindront l'âge adulte. Un lien plus étroit avec l'Empire lui permettrait d'assurer sa position. En 1385,Jean sans Peur, le premier fils de Philippe le Hardi, se marie àMarguerite de Bavière, et sa sœurMarguerite de Bourgogne épouseGuillaume IV de Hainaut, le premier fils d'Albert de Hainaut, régent des comtés de Hainaut, Hollande et Zélande. De son côté, Charles VI se marie àIsabeau de Bavière. Ainsi se noue une solide alliance entre lesWittelsbach et les Valois, qui permet de faire entrer tous les Pays-Bas dans l'orbite française mais en particulier permet à Philippe le Hardi d'espérer encore agrandir sa principauté. De plus, les princes germaniques, à la recherche d'alliances puissantes susceptibles de faire basculer l'élection impériale dans leur clan, n'ont rien à attendre des Français. Les Anglais sont liés aux Luxembourg par le mariage de Richard II d'Angleterre avecAnne de Bohème ; dès lors il est logique pour les Wittelsbach de rechercher l'alliance française[79]. Cette alliance bavaroise avec le pouvoir royal renforce la position du duc de Bourgogne[80].
Philippe entend également renouer l'alliance avec l'Autriche. En 1392, il donne la main de sa filleCatherine de Bourgogne au futurduc d'AutricheLéopold IV de Habsbourg.« Cette première union de la maison de Habsboug et de la maison de Bourgogne marqu[e] le point de départ d'une politique de pénétration bourguignonne » en terres d'Empire[81]. Le duc tisse aussi des liens matrimoniaux avec lamaison de Savoie : le[N 27], jour de la saint Michel,Marie de Bourgogne se marie àAmédée VIII[84],[85]. Enfin, en 1402, le duc s'assure également, de la même manière : par l'union matrimoniale, les terres du Luxembourg. Il unit son filsAntoine avecJeanne de Luxembourg, fille du plus puissant seigneur de Picardie. Ces liens permettent à la principauté de Bourgogne de développer son influence enPicardie[86].
Même en dehors de sa politique d'expansion matrimoniale, le duc Philippe agrandit le territoire de la principauté. En 1387, Philippe refuse de tenir sa promesse faite à son frère Charles V au moment de son mariage, de restituer leschâtellenies de Lille, de Douai et d'Orchies en faisant valoir que son mariage, subordonné à ce don, a été conclu dans l'intérêt de la France[87]. En 1390, avec la dot de Marguerite de Bavière, le duc fait l'acquisition, moyennant soixante mille francs d'or, ducomté de Charolais appartenant à la maison d'Armagnac. Ce comté est par la suite attribué àJean sans Peur.
Les doubles mariages de 1385 servent les visées expansionnistes du duc de Bourgogne, l'expédition de Gueldre en 1388 en est une manifestation supplémentaire.Jeanne de Brabant, veuve deVenceslas Ier de Luxembourg, dont l'héritière est Marguerite de Flandre, est menacée parGuillaume VII de Juliers, duc de Gueldre. Le duc, soutenu par l'Angleterre, fait état des engagements du défunt à l'égard des Luxembourg pour la possession de quelques places et, de surplus le duc de Gueldre a insolemment défié Charles VI. Philippe obtient du Conseil royal la décision d'envahir leduché de Gueldre[88]. Une fois de plus le duc de Bourgogne met les moyens du royaume au service de ses propres intérêts. Au cours de sa progression vers le duché de Gueldre, sur la proposition du duc de Bourgogne qui veut éviter le pillage des riches terres de la duchesse, l'armée franco-bourguignonne ménage leBrabant et leHainaut, et emprunte le difficile itinéraire via les Ardennes et le Luxembourg. Déjà des murmures s'élèvent contre le duc de Bourgogne, auteur de ce choix. Le àCorenzich, le duc de Gueldre se soumet au roi de France à des conditions honorables. Le retour de l'armée à la mauvaise saison s'avère fort pénible. Des murmures contre le duc de Bourgogne s'élèvent hautement dans l'armée et même dans toute la France. Brillante et bien équipée, l'armée regagne laChampagne en fort piteux état après une marche qui s'apparente à une mauvaise déroute. Si elle coûte cher à la France, lachevauchée est toutefois fructueuse pour Philippe. Il a gagné contre Luxembourg et la duchesse, reconnaissante, se place sous le protectorat bourguignon. Par contrat du, elle cède sa seigneurie en nue propriété à Philippe[38].
Charles V de France meurt le àBeauté-sur-Marne, affaibli par la mort de sa femme survenue deux ans plus tôt[97]. Son fils,Charles VI, qui n'a que douze ans, lui succède. Par testament de Charles V, Philippe le Hardi,Louis d'Anjou etJean Ier de Berry, ses oncles paternels, ainsi queLouis de Bourbon, son oncle maternel, sont nommés ses tuteurs et se partagent la direction du conseil avec les « marmousets », surnom donnés aux conseillers bourgeois du jeune roi. Charles VI se fait sacrer àReims le mais il ne peut régner seul qu'à ses vingt ans (le)[98]. Le est mis sur pied un système collégial de gouvernement[99]. Les oncles ont la direction du Conseil pour lequel ils choisissent ensemble 12 membres. Ils sont parvenus ainsi à évincer les conseillers de Charles V. Il se partagent ainsi la régence et, donc, les recettes fiscales, jusqu'en 1388. Dès lors, leursprincipautés deviennent indépendantes de fait[100] — c'est la période dite du « gouvernement des oncles ».Louis d'Anjou, de par son degré d'aînesse, exerce la présidence du conseil, Philippe est occupé par les affaires de Flandre,Jean de Berry doit gérer son immense apanage qui représente le tiers du royaume[100]. Louis d'Anjou garde donc les mains libres, cependant Philippe qui conserve la garde des enfants a une carte à jouer importante : il peut inspirer au roi la politique à mener. Une lutte pour le pouvoir s'engage donc entre Louis d'Anjou et Philippe le Hardi. Ce dernier parvient peu à peu à évincer son aîné, et, en 1382, Louis d'Anjou quitte le royaume pour l'Italie[101].
Dans lesannées 1390, le contexte politique en Europe étant plus favorable à une expédition militaire contre lesTurcs, Charles VI et Richard II décident d'une opération conjointe pour aider le roiSigismond de Luxembourg. La folie du roi de France oblige cependant à proposer le commandement de ce « voyage en Hongrie » à Philippe le Hardi et à Jean de Gand. Finalement, en 1395, le duc décide de placer à la tête de l'armée de croisés son fils, lecomte de Nevers, Jean, nommé plus tard « Jean sans Peur », et ce afin que le prestige d'une telle croisade retombe sur la maison de Bourgogne. L'idée decroisade est en effet de plus en plus à l'honneur à la cour de la principauté. L'armée franco-bourguignonne quitte Dijon au mois d' et rallieBuda, en Hongrie, en, où elle rencontre le contingent anglais. L'objectif est alors de suivre lavallée du Danube et de prendre la place forte deNicopolis. Le, la force chrétienne rencontre l'armée turque du sultanBayézid, qui finit par remporter le combat[108].
La réputation du duc est alors mise en danger, d'autant plus que son fils a été capturé par les Turcs. Philippe doit réunir divers fonds et lever un impôt spécial à la hâte. Il parvient à le racheter au sultan moyennant une rançon de 200 000 ducats dès 1398. De retour en France, Jean sans Peur et ses compagnons deviennent cependant de véritables héros[109], alors que lamaison de Bourgogne voit son prestige rehaussé à tel point qu'elle devient par la suite, dans lesannées 1420-1460,« l'un des principaux foyers d'exaltation de l'idéal de croisade et de lutte contre la menace turque »[110]. L'engouement pour la littérature de croisade témoigne de ce prestige. C'est en effet à la cour de Bourgogne que sont produits le plus de romans s'inspirant de textes antérieurs, ou en faisant œuvre originale, et puisant dans« la mémoire des possessions septentrionales », note Jacques Paviot[111].
En 1394, il y a déjà plus de quinze ans que deux papes rivaux se retrouvent à la tête de lachrétienté.Boniface IX siège àRome, et reçoit l'appui de la Vénétie, de l'Angleterre, de l'Allemagne, de la Pologne et de la Hongrie. Dans le camp deBenoît XIII, pape d'Avignon, se rangent la France, la Castille, l'Aragon, le Portugal, l'Écosse, la Savoie et le royaume de Chypre. Cette année-là, Philippe le Hardi demande à l'université de Paris de lui présenter une recommandation sur les moyens de mettre fin à ceschisme. De plus, avec une politique fiscale agressive qui prive le clergé d'une grande part des bénéfices issus de ses charges, Benoît XIII s'est mis à dos nombre de religieux[112]. Philippe le Hardi, qui suit une politique conciliante vis-à-vis de la papauté de Rome pour ménager les Flamands, a tout intérêt à mettre fin à la division en son sein. Après plusieurs mois de délibérations, l'université présente trois solutions : la « voie de compromis » (laisser aux pontifes le soin de mettre fin eux-mêmes au schisme), la « voie de cession » (il faut les démettre simultanément et en élire un autre) ou la réunion d'un concile, qui aurait pour but de trancher le problème. En, leConseil du roi appuie le principe d'une démarche pour la voie de cession (Louis d'Orléans, partisan de la voie de fait, qui sert ses intérêts italiens a été évincé par Philippe le Hardi)[112]. Cependant, ni Benoît XIII ni Boniface IX, n'acceptent de se démettre. On décide alors de les y obliger en ayant recours à unesoustraction d'obédience[113]. Entre l'université de Paris et leSaint-Siège, les positions se raidissent. Dès lors, les Parisiens font valoir leur projet de réforme de l'Église et voient en Philippe le Hardi leur champion[112]. Le duc tente alors, en 1396, de remplacer l'évêque de Cambrai[114],André de Luxembourg, mort récemment, par son candidat : Louis de la Trémouille. Cependant, le pape Benoît XIII s'y oppose et missionne son favori à ce poste. La tension entre le pape et le duc est à son maximum[115].
En 1398, une assemblée d'évêques tenue à Paris vote uneordonnance[116], retirant au pape les bénéfices et les taxes ecclésiastiques au profit du roi de France. Autrement dit, l'Église de France se gouverne elle-même et c'est le roi qui légifère en matière religieuse. Seule l'autorité spirituelle est reconnue au pape d'Avignon. La France est bientôt imitée par la Sicile, la Castille et la Navarre.Benoît XIII refuse de plier, même si les fonds ne rentrent plus. Assiégé dans sa citadelle pendant plusieurs mois par des ennemis locaux, il parvient à s'enfuir en 1403 et se réfugie chez le comte de Provence,Louis II d'Anjou, qui s'oppose depuis le début à la soustraction d'obédience[117]. La soustraction d'obédience s'avère vouée à l'échec. Plusieurs évêques commencent à se plaindre, surtout lorsque le gouvernement français commence à taxer les revenus des paroisses[117]. Lecamp orléaniste a pris, dès 1401, parti contre la soustraction d'obédience. Le, laCastille restitue son obédience au pape. La France suit le. On en revient aux tractations diplomatiques qui ne donnent aucun résultat, les pontifes de Rome et d'Avignon campant toujours sur leurs positions. Pour remercierLouis d'Orléans de son soutien, le pape lui offre 50 000 francs (aux dépens de la fiscalité imposée aux clercs), ce qui a pour effet de dresser l'université contre lui et de la faire basculer un peu plus en faveur duparti bourguignon[118].
Le discrédit du duc de Bourgogne à la suite de l'expédition désastreuse contre le duc de Gueldre est immédiatement mis à profit parle jeune roi et lesanciens conseillers de son père. Ceux-ci, commePhilippe de Mézières ouOlivier de Clisson, l'ont éduqué et en ont fait un partisan du « bon gouvernement », de la paix, des économies, de la politique intérieure et du souci de l'opinion publique, ce qui est clairement différent de la politique menée par les princes qui utilisent la guerre pour justifier l'impôt[119]. Or, à partir de 1388, ces conseillers acquièrent davantage de pouvoir auprès du roi[120].
L'état de Charles VI, malgré des périodes d'accalmie, se dégrade. Philippe le Hardi a réussi en 1392 à écarterLouis Ier d'Orléans, frère de Charles VI[125]. En 1394, le duc de Bourgogne est devenu le personnage dominant du pouvoir royal, il en est notamment le principal diplomate. En tant que principal diplomate, le duc de Bourgogne joue un rôle central dans les relations internationales et les négociations pour le compte du roi et du royaume de France. Il est responsable de la communication avec d'autres pays, de la négociation de traités et d'alliances, et de la promotion des intérêts de la couronne française à l'étranger. Ce rôle clé lui confère une influence considérable sur la politique et les décisions du royaume[126].
Après la mort du ducJean IV de Bretagne, en 1399, son fils,Jean V lui succède. Trop jeune pour gouverner le duché (il a alors dix ans), Philippe le Hardi, qui est son grand-oncle maternel, est déclaré tuteur du jeune duc et régent du territoire de Bretagne dès 1402[130].
Au, le duc de Bourgogne se rend àBruxelles pour y recevoir le gouvernement duduché de Brabant. Il tombe rapidement malade et décide de rejoindre la Flandre. Lors d'une halte àHal, Philippe le Hardi meurt, le[131] à l'auberge Den Hert[132]. Il semble avoir été victime d'une épidémie degrippe infectieuse, information relayée par leprimat de Saint-Denis et parChristine de Pizan[133].
Le corps du duc estembaumé et mis dans un cercueil de plomb. Ses entrailles et son cœur ont été prélevés et ont été enterrés respectivement àHal et àSaint-Denis. Le défunt est ensuite ramené à lachartreuse de Champmol, à Dijon depuis Hal (soit un itinéraire long de 550 kilomètres), dès le. Ses fils et des proches accompagnent le cortège funèbre qui fait halte dans plusieurs villes (Grammont, Audenarde, Courtrai, Lille et Douai). En Bourgogne, le cortège s'arrête plusieurs jours àSaint-Seine-l'Abbaye dans l'attente deJean sans Peur, qui s'est rendu à Paris pour prêter serment auprès du roi. Devenupair de France et duc de Bourgogne, Jean est présent lors de l'enterrement de son père, à l'église des chartreux de Champmol[134].
La mort du duc a suscité dans la littérature de son temps de nombreux échos. Beaucoup de récits ont idéalisé la scène et ont fait du personnage un exemple d'homme d'État prestigieux. SelonChristine de Pizan, le duc a délivré à ses trois fils rassemblés aux côtés de son lit de mort untestament politique, les engageant solennellement à rester loyaux envers le roi de France[135].
Philippe le Hardi reçoit leduché de Bourgogne par une lettre de Jean le Bon datée du. Il abandonne le duché de Touraine, qu'il tenait enapanage, contre le duché de Bourgogne, transmis en tant que grandfief[N 31]. Son mariage avecMarguerite de Flandre lui permet de se constituer une principauté, à l'origine de la puissance territoriale des ducs de Bourgogne. Ce territoire s'est en effet constitué peu à peu sous sonprincipat. À la mort de Louis de Male, en 1384, il entre en possession des terres et seigneuries d'importance : lecomté de Flandre et la seigneurie deMalines, lecomté de Nevers et la baronnie de Donzy, lecomté de Rethel, lecomté de Bourgogne (laFranche-Comté actuelle), la seigneurie deSalins et lecomté d'Artois, ainsi que quelques terres situées entre la frontière septentrionale du duché de Bourgogne et Troyes (« les terres de Champagne » : Jaucourt, L'Isle-Aumont, Chaource et Villemaur). Cet ensemble s'est accru en par l'achat — avec la dot deMarguerite de Bavière, l'épouse deJean, son premier fils, le futur duc de Bourgogne Jean sans Peur — ducomté de Charolais à Jean IIIcomte d'Armagnac et à son frère[136].
L'administration du duché et du comté de Bourgogne sous Philippe II est resté très semblable à celle constituée par sonprédécesseur. En matière judiciaire, les justice seigneuriales, prévôtales ou urbaines traitent les demandes des justiciables. Les tribunaux de bailliage leur permettent de faire appel. Des juridictions spéciales existent tels le maître de foire de Chalon ou legruyer (officier des eaux et forêts) de Bourgogne. Pour le comté, un parlement d'appel spécial siège àDole. Il existe aussi un autre organe d'appel : l'« auditoire des causes d'appeaux » de Dijon, comparable au conseil de Lille créé en 1386. Dès cette année, par une grande ordonnance datée du, et symétriquement avec la réorganisation du système en Flandre, Philippe II fonde uneChambre des comptes à Dijon, dont l'organisation est calquée sur celle, royale, de Paris. Sa compétence territoriale s'étend au duché et au comté, mais aussi au comté de Nevers et à la baronnie deDonzy, aux terres de Champagne et deFaucogney (qu'il a acquises). Les gens de compte contrôlent les finances ducales, supervisent la gestion et la conservation du domaine du duc et vérifient les comptes. Cette compétence persiste jusqu'en 1420, date à laquelle la Chambre des comptes de Lille concentre tous les pouvoirs en la matière[137].
Blason du comté de Flandre :« D'or au lion de sable armé et lampassé de gueules ».
Après son accession au comté de Flandre, Philippe le Hardi conserve les grandes institutions administratives, comme l'institutionbaillivale, très organisée, et notamment le souverain bailli de Flandre, office créé par Louis de Male. Les baillis comtaux sont chargés de défendre les droits et prérogatives du comte. Le duc se lance cependant dans un vaste programme de réforme, qui concerne en premier lieu lachancellerie. Dès 1385, Le duc décide de la fusion des charges de chancelier de Bourgogne et de Flandre et dont le titulaire devient legarde des sceaux. Le titre de chancelier de Bourgogne disparaît. Il s'agit selon Bertrand Schnerb de la première mesure decentralisation prise par le duc[138].
Une seconde mesure d'importance concerne l'organisation judiciaire et financière, qui ne prend effet qu'après le rétablissement de la paix en Flandre. Philippe II fait ainsi mettre en place une Chambre du conseil et une Chambre des comptes àLille, dès. Cette cité a été choisie pour des raisons linguistiques, politiques et géographiques selon Bertrand Schnerb : située enFlandre gallicante, elle n'a pas participé au soulèvement deGand et son emplacement, non loin de Paris et peu vulnérable militairement en fait une place idéale. Deux corps d'officiers sont institués : ceux chargés de la justice et ceux chargé des comptes, même si les deux organes peuvent sièger parfois conjointement. Cette administration s'impose rapidement à toute la Flandre et même auxseigneuries enclavées que sont celle d'Anvers et celle deMalines. Le comté d'Artois s'y soumet également[139].
Plusieurs études concernent lafiscalité sous le principat de Philippe le Hardi. L'analyse des documents financiers de Philippe le Hardi datant d'entre 1390 et 1400, distingue un double régime de recettes. Selon Van Nieuwenhuysen, les recettes ordinaires s'élèvent à 60 % alors que celles extraordinaires se montent à 40 % du revenu total du duc. Les recettes ordinaires sont fixées et annuelles : ce sont des impôts sur la production et la circulation tels lecens en nature ou en espèce, le droit de péage, ou encore le huitième du vin. Les recettes extraordinaires correspondent aux dons et pensions de la part du roi, aux emprunts directs et aussi aux diverses aides ducales souvent attribuées après accord desÉtats généraux de Bourgogne[140]. Ce sont les régions du Nord, celles du comtés d'Artois et de Flandre, qui sont les plus prospères pour les finances ducales : entre 1395 et 1403, le duc en tire de 35 à 48 % de ses recettes[141].
Selon Jean Rauzier, Philippe le Hardi a su se montrer un gestionnaire talentueux : tout en diminuant la charge propre à son domaine ducal, il a su donner naissance à une fiscalité moderne. Le duc s'est aussi, toutefois, montré très dépensier au début de son règne : la gestion de son parc immobilier se montait entre 79 et 86,5 % des rentrées domaniales annuelles[142], à tel point qu'il dut souvent emprunter ou recourir aucrédit. Cette source de revenus n'a cessé de s'accroître lors de son règne, atteignant 15 % de ses recettes en 1403 et 1404[143]. Pour Henri Dubois, le principat de Philippe le Hardi a ouvert la voie à la fiscalité de l'État moderne[144].
Philippe le Hardi gère sa principauté en étant assisté d'unchancelier à qui il délègue largement ses pouvoirs, note Bertrand Schnerb. Le duc est aussi entouré d'un Grand et petit Conseil qui le suit dans ses déplacements. Ce conseil n'a pas de composition fixe et Guillaume de Clugny, Guy Ralby, Lambert de Saulx, Pierre d'Orgemont, Philibert Paillard, Jean de Thoisy Jean Réponde et Richard Bonnot[145] y siègent en tant que membres. Les conseillersRichard Bonnot et jean de Thoisy représenteront le Duc avec tout pouvoir lors des négociations pour fixer à perpétuité les limites des provinces de Bourgogne et du Bourbonnais[146]. Lors de ses absences, Philippe délègue la gestion de sa principauté à ses gouverneurs et capitaines généraux, par exemple àGuillaume de Namur, son neveu, en. Cette nomination intervient toutefois seulement dans le cas où aucun membre de la famille ducale ne réside alors dans la principauté[147].
C'est en 1377 que le duc de Bourgogne décide de faire bâtir un couvent de l'ordre des chartreux, près de Dijon. Très pieux, il révère en effet tout particulièrement cetordre religieux[148]. Philippe le Hardi acquiert pour 800 francs un domaine qui appartient àHugues Aubriot, ancienbailli de Dijon, au lieu-dit La Motte de Champmol. La première pierre est posée en 1383 et une petite communauté de moines s'y installe la même année. L'égliseconventuelle est consacrée en 1388. En fondant la chartreuse de Champmol, Philippe manifeste une double volonté : celle de démontrer sa piété et celle de se poser enmécène. Selon Bertrand Schnerb, l'histoire de la chartreuse de Champmol est ainsi intimement liée à celle de l'État bourguignon : en la fondant, il indique que la capitale de ses États est Dijon, et non Lille[108]. L'édifice devient également lanécropole des ducs de Bourgogne Valois, après lui. Il confirme dans son testament donné àArras, dès le, qu'il désire y être inhumé. Par ailleurs, il rompt avec ses prédécesseurs puisque les ducs capétiens se faisaient inhumer à l'abbaye de Cîteaux, et affirme, de fait, la spécificité de la nouvelledynastie bourguignonne qu'il inaugure[149].
Philippe le Hardi est unbibliophile passionné, collectionneur d'ouvrages en tous genres[150]. Dès son principat, une bibliothèque ducale importante se constitue[151]. Il achète des copies de beaux manuscrits, des traductions du grec ou du latin principalement. Il commande même des ouvrages, comme sesGrandes Heures, ainsi queLa Vie de Charles V deChristine de Pisan (qui lui adresse une longuedédicace au début de sonÉpîtres d'Othea écrite en 1401), et en reçoit d'autres en dons. Il est le premier protecteur desfrères de Limbourg à qui il commande unebible moralisée, restée inachevée[152].Gace de La Bigne, chapelain du roi de France et auteur d'un traité devénerie lui dédicace son ouvrage intituléLe Roman des deduis[153]. À sa mort, l'inventaire de ses possessions, dressé en 1404, énumère 70 volumes[154].
Philippe le Hardi a, par sonmécénat, encouragé le développement d'une culture artistique diversifiée au sein de laquelle l'influence flamande a joué un rôle non négligeable[155]. La musique est encouragée par le duc, qui dispose d'unechapelle et d'un ensemble instrumental et vocal dont il ne cesse d'augmenter l'effectif. À la fin de son principat, sa chapelle compte en effet une vingtaine de personnes[156]. La peinture est elle aussi soutenue par le duc, qui emploie à son serviceJean de Beaumetz etMelchior Broederlam. Les peintres de l'hôtel ducal ne sont pas les seuls à travailler pour le prince de la cour de Bourgogne. Selon les besoins, Philippe le Hardi emploie aussi des artisans renommés.Colart de Laon est ainsi embauché pour peindre les bannières et étendards du comte de Nevers lors des préparatifs du « voyage en Hongrie » de 1396[157]. D'autres artistes sont employés pourenluminer les manuscrits commandés ou achetés par le duc. LecopisteJean L'Avenant est particulièrement sollicité par le duc[158]. Le duc exerce un mécénat littéraire conservateur, privilégiant lalittérature de chevalerie et decroisade. Il patronne Christine de Pisan etHonoré Bonet surtout[159].
Avec le rattachement de la Flandre à la principauté de Bourgogne, la tapisserie devient un produit de luxe accessible à Philippe le Hardi. En 1404, il possède environ 75 tentures. La tapisserie est surtout une marque de prestige : en l'utilisant pour faire des cadeaux, le duc en fait aussi un outil diplomatique[160]. En 1390, il offre ainsi uneHistoire du roi Clovis et uneHistoire de Notre-Dame auduc de Lancastre et auduc de Gloucester, puis uneCrucifixion, unCalvaire et uneMort de la Vierge au roiRichard II. En 1397, il fait expédier des tapisseries représentant l'Histoire d'Alexandre au sultan Bajazet, après la défaite de Nicopolis. Ses fournisseurs sont surtout de riches producteurs parisiens, commeNicolas Bataille, Jacques Dourdin et surtout Jean Cosset. Nicolas Bataille réalise les six pièces de laTenture de l'Apocalypse. en 1386. Le lissier Michel Bernard exécute quant à lui la commande d'une gigantesque tenture dite de laBataille de Roosebeke (200 m2), en 1387[161].
En Bourgogne, les demeures ayant appartenu à Philippe le Hardi et Marguerite de Flandre encore conservées sont rares. Ces résidences sont souvent dotées de jardins somptueux[162]. La résidence officielle est lepalais ducal de Dijon. Philippe le Hardi entreprend la rénovation du palais des ducs capétiens dès son arrivée à Dijon, et fait construire la tour Neuve (aujourd'hui la tour de Bar) en 1365 par Belin de Comblanchien[163]. Cette tour résidentielle, de trois étages, est pourvue de vastes salles équipées de grandes cheminées ; elle est le seul édifice du palais ducal restant de cette période[164]. Lechâteau de Germolles demeure la résidence la mieux préservée. Cet édifice est offert à son épouse,Marguerite III de Flandre, en 1381. C'est la princesse qui se charge de la transformer en une luxueuse résidence où travaillent les meilleurs artistes de l'école bourguignonne, et en particulierClaus Sluter etJean de Beaumetz. Le chantier de réaménagement s'étale sur une dizaine d'années, de 1382 à 1392[165].
Le corps de Philippe le Hardi est amené à Dijon et déposé dans le chœur de lachartreuse de Champmol le. Le tombeau et legisant sont l'un des chefs-d'œuvre de la sculpture bourguignonne. L'ensemble est réalisé par les trois sculpteurs du duc :Jean de Marville,Claus Sluter etClaus de Werve.Jean Malouel, peintre officiel du duc, a été chargé de la polychromie et des dorures. C'est un tombeau monumental qui retrace l'importance de Philippe le Hardi parmi les princes de son époque. Le tombeau repose sur un soubassement d'arcades où prennent place les membres du cortège funèbre de 41 pleurants représentés en train de dire des prières ou de porter les armes du duc[168]. Le tombeau de Philippe le Hardi terminé en 1410 demeure à la chartreuse de Champmol jusqu'à la Révolution. En 1792, il est transféré à lacathédrale Saint-Bénigne de Dijon sans destruction. En 1793, en revanche, la Convention vote la destruction du gisant qui est alors découpé. Le reste du tombeau est conservé mais des éléments, en particulier les pleurants, très appréciés pour leur réalisme et leur qualité, passent sur le marché de l'art. Le tombeau est remonté dans la première moitié duXIXe siècle. Un nouveau gisant est constitué, mais cette fois en costume de cérémonie, afin de faire de Philippe le Hardi un « presque roi ». Des pleurants sont refaits pour remplacer les manquants, mais en albâtre, quand les originaux étaient en marbre. Ainsi adapté, le tombeau se trouve aujourd'hui aumusée des beaux-arts de Dijon dans lepalais des ducs de Bourgogne. En 2004, lors du sixième centenaire de la disparition de Philippe le Hardi, une exposition intitulée « L'art à la cour de Bourgogne. Le mécénat de Philippe le hardi et Jean sans Peur et l'art en Bourgogne (1360-1420) » revient sur la personnalité artistique de Claus Sluter. Organisée par le musée des Beaux-Arts de Dijon et leCleveland Museum of Art, l'exposition présente quatre pleurants des tombeaux des ducs de Bourgogne et un tableau provenant de la chartreuse de Champmol[169].
D'azur semé de fleurs de lys d'or, à la bordure componée d'argent et de gueules[170]
Commentaires : Avant 1364 : comte apanagiste de Touraine, fils cadet du roi de FranceJean II le Bon. Ces armes (de France brisées par une bordure), choisies par Philippe le Hardi qui les conserva après avoir renoncé à la Touraine pour la Bourgogne, sont restées celles de la Touraine mais sont parfois appelées « de Bourgogne moderne » en tant que partition des armes des ducs de Bourgogne de la maison de Valois(cf. infra) et de leurs successeurs jusque dans les actuellesgrandes armes d'Espagne, au moins dans la variante duCongrès des députés.
Écartelé d'azur semé de fleurs de lys d'or à la bordure componée d'argent et de gueules (qui est de Valois-Bourgogne) et de bandé d'or et d'azur de six pièces à la bordure de gueules (qui est de Bourgogne ancien)[170].
Commentaires : Après 1364 : duc de Bourgogne(Philippe le Hardi conserva en 1 et 4 les armes qu'il avait prises antérieurement comme fils cadet du roi de France).
Il laisse deux enfants naturels qu'il a de Marie d'Auberchicourt, dame du Risoir et de Bernissart-en-Artois, décédée le, fille de Baudouind'Auberchicourt, seigneur d'Estaimbourg et de Marguerite de Mortagne-Landas, dame de Bouvignies :
Henri du Risoir (v. 1360-1409), qui fonde la famille du Risoir ;
Suzanne de Brabant, qui épouse en 1409 Jacques Wytvliet[173].
↑Il aurait gagné son surnom lors de labataille de Poitiers, Collectif,Vie de cour en Bourgogne à la fin du Moyen Âge,Alan Sutton, collection : histoire et architecture, Saint-Cyr-sur-Loire, 2002,(ISBN2842537432),p. 7.
↑Par cette nomination, Jean le Bon souhaite honorer et récompenser son plus jeune fils pour sa bravoure lors de la bataille de Poitiers. Par ailleurs, en lui délivrant le duché à 21 ans, Jean le Bon respecte ledroit coutumier bourguignon, qui stipule que les enfants ne pouvaient avoir leur liberté que par le mariage, le domicile séparé ou l'émancipation, dansSchnerb 2005,p. 38.
↑Philippe obtient, dès, la levée d'unfouage octroyé par les États, de même qu'une aide sur la vente des vins, dansDubois 1987,p. 95.
↑Le texte intégral des lettres patentes a été édité parBarante 1826.
↑Selon l'acte, la cession du duché de Bourgogne est la récompense du« pur amour filial » de son fils, qui,« s'exposant volontairement à la mort, s'est tenu avec [son père] dans la bataille livrée près de Poitiers, sans peur et impavide, y a été blessé, capturé et détenu avec lui au pouvoir de leurs ennemis », dansBourgogne, éditions MSM,p. 109.
↑Seigneur de Castelnau de Barbiguières, gentilhomme gascon de la maison de Gontaut, on l’appelle le « roi des Compagnies », d'aprèsErnest Petit, 1909,p. 56.
↑« Marguerite de Male avait été fiancée à l'âge de dix ans, vers 1360, à Philippe de Rouvres », dansBourgogne, Éditions MSM, 2002,(ISBN2-911515-39-0), chapitre « Le grand duché Valois, Philippe le Hardi »,p. 110.
↑D'après Pierre d'Orgemont dont les chiffres sont considérés comme les plus fiables parmi les chroniqueurs de l'époque, cette armée est composée de 2 000 lances, 500 arbalétriers, 400 archers, 1 500 valets armés de haches, puis la bataille (3 000 chevaliers et 600 archers) et enfin l'arrière-garde de 1 500 lances et 600 valets armés, dansAutrand 1994,p. 126.
↑Acte conservé aux archives départementales, Nord, B 4073,fos 72-73 vo .
↑D'autres années ont pu être avancées pour la date du mariage. AinsiSamuel Guichenon, dans sonHistoire généalogique de la Royale Maison de Savoie (1660), donne dans un premier temps 1393[82] puis quelques pages plus loin le mois de[83].
↑Arnaud de Cervole est devenu seigneur en Bourgogne par une alliance avec la sœur et héritière deJean de Châteauvillain. Philippe le Hardi se fait parrain du fils d’Arnaud de Cervole. Le duc est àChâteauvillain pour le baptême le, d'aprèsErnest Petit, 1909,p. 94. Arnaud de Cervole trouve la mort alors qu’il est à proximité deMâcon. Il est chargé de rallier les divers corps de routiers de Franche-Comté et de Bourgogne pour les envoyer par la voie fluviale de laSaône et duRhône combattre les Turcs. Il éprouve désormais une nouvelle résistance à son autorité et des sentiments d’hostilité et de révolte de la part des routiers. Devenu chef trop autoritaire, lors d’une violente dispute il est tué par un cavalier de sa compagnie,« assez près de Mâcon sur li Sosne » dit Froissart, le. VoirErnest Petit, 1909,p. 203.
↑Froissart,Chroniques,IV, 24,§ 11 : « Le duc de Bourgogne, sage et imaginatif » ;§ 21 : « Le duc de Bourgogne, qui clair véoit et oyoit sur ces traités, … » ;IV, 27,§ 14 : « par espécial le duc de Bourgogne y entendait très fort de la partie des François » ; etc.
↑La Bourgogne au Moyen Âge, Académie de Dijon, Centre Régional de Recherche et de Documentation Pédagogiques, 1972,p. 135.
↑Sur cette période, lire :FrançoiseBériac-Lainé et ChrisGiven-Wilson,Les prisonniers de la bataille de Poitiers, Champion,, 485 p.(ISBN978-2-7453-0638-8).
↑NicolasOffenstadt,Faire la paix au Moyen Âge : discours et gestes de paix pendant la Guerre de Cent Ans,Odile Jacob,,p. 478.
↑MichelleBubenicek,« Bâtir un espace économique par-delà les ressorts. Le duc Philippe le Hardi, la réglementation du sel et la question des terres d’outre-Saône », dansDeux frontières aux destins croisés ?, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté,(ISBN978-2-84867-644-9,DOI10.4000/books.pufc.5968,lire en ligne),p. 149-160
↑Cédric Quertier et David Sassu-Normand, « Entretien avec Françoise Autrand et Bernard Guenée, à propos de la folie du roi Charles VI »,Tracés. Revue de Sciences humaines,no 6,(DOI10.4000/traces.3013,lire en ligne).
↑a etbDominiqueAncelet-Netter,La dette, la dîme et le denier : Une analyse sémantique du vocabulaire économique et financier au Moyen Âge, Presses Universitaires du Septentrion,,p. 29.
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↑Murielle Gaude-Ferragu,D'or et de cendres : La mort et les funérailles des princes dans le royaume de France au bas Moyen Âge, Presses Universitares du Septentrion,,p. 153.
↑HenriBeaune et Jules d'Arbaumont,La noblesse aux états de Bourgogne de 1350 à 1789, Mégariotis Reprints,(lire en ligne)
↑Recueil des édits, déclarations, lettres patentes, arréts du conseil, ordonnances et autres réglements émanés du roi et de son conseil, concernant l'administration des états de Bourgogne,(lire en ligne)
↑Jean François Bazin,Histoire de Dijon, Éditions Jean-paul Gisserot,,p. 17.
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↑Werner Paravicini et Bertrand Schnerb,Paris, capitale des ducs de Bourgogne, Thorbecke,,p. 73-75.
ChrystèleBlondeau,Un conquérant pour quatre ducs. Présence et représentations d’Alexandre le Grand à la cour de Bourgogne sous le principat des ducs Valois (1363-1477), thèse de doctorat, Université Paris X-Nanterre,(présentation en ligne).
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La version du 30 mai 2012 de cet article a été reconnue comme « article de qualité », c'est-à-dire qu'elle répond à des critères de qualité concernant le style, la clarté, la pertinence, la citation des sources et l'illustration.