En1511, l'artiste de Nuremberg s'est occupé de la réédition de quelques-unes de ses anciennes xylographies, comme l'Apocalypse, et a publié une nouvelle série sur la Passion, appeléePetite Passion, pour la distinguer de laGrande Passion de 1497-1510. Il s'agit d'une œuvre de format plus petit mais, en dépit du nom, bien plus ambitieuse, composée de trente six gravures représentant des scènes qui se déroulent de la Genèse au Jugement Dernier.
Dans la scène de l'Ecce Homo,Ponce Pilate propose à la foule de choisir de libérer soit le brigandBarabbas soit leChrist. Pour cette gravure, Dürer s'inspire de la scène similaire deWilhelm Pleydenwurff etMichael Wolgemut dansDer Schatzbehalter oder Schrein der wahren Reichtümer des Heils und der ewigen Seeligkeit genannt (Le trésor ou écrin des véritables richesses du salut et de l’éternelle félicité) dufranciscainStephan Fridolin, imprimé parAnton Koberger en 1491. Alors que Wolgermut utilise un escalier monumental pour distribuer sa composition et créer une certaine profondeur de champ au sein d'une scène dense en personnages réclamant avec force cris lacrucifixion d'un Christ assez peu mis en valeur, Dürer, qui occulte presque les marches menant auprétoire, fait preuve d'une certaine économie de moyens. A la manière d'unmystère, sa scène se concentre sur le balcon où le Christ nimbé de lumière de détache sur un fond sombre, obtenu par un dense réseau de hachures. La foule en contrebas a laissé place à trois personnages principaux, aux poses énergiques, presquemaniéristes, exprimant une certaine violence. Il partage avec l'ambition de toucher le fidèle par l'image[18].
Raphaël reprend le motif de l'homme au premier plan, vu de dos et tendant le bras, un motif particulièrement apprécié par Dürer que l'on retrouve aussi dans saDécollation de Jean Baptiste de 1510, dans le dessin à lasanguine datant de 1515, qu'il offrit à Dürer,Étude de nus et de tête[19].
Dürer exacerbe la dimension pathétique du sujet par rapport à l'estampe deMartin Schongauer qui lui a été source d'inspiration,Le Grand Portement de Croix (avant 1479). Le Christ, effondré sous le poids de la Croix, ne regarde plus le fidèle, mais tourne son visage angoissé versVéronique tenant le voile. Les trois bourreaux qui l'assaillaient ont désormais une figure unique d'autant plus virulente. Comme chez Schongauer, le puissantclair-obscur de la composition contribue à détacher la figure du Christ de l'arrière-plan, accentuant sa solitude[20].
Cette gravure est l'évocation tardive d'un modèle que Dürer connaissait certainement très bien depuis ses années de formation dans l'atelier de Michael Wolgemut qui s'inspira duGrand Portement de Croix à plusieurs reprises (Retable de la Vierge, 1479 ;Retable de Sebald Perringsdörffer, 1486)[20].
Costantino Porcu (dir),Dürer, Rizzoli, Milan 2004.
Mathieu Deldicque et Caroline Vrand (dir.),Albrecht Dürer. Gravure et Renaissance, In Fine éditions d'art et musée Condé, Chantilly,, 288 p.(ISBN978-2-38203-025-7).