Les chrétiens livrés aux bêtes dans le Colisée de Rome sous l’empereur Domitien l’an 90 de Jésus-Christ, tableau de Louis-Félix Leulier.
Lapersécution deschrétiens recouvre une diversité d'actions et de comportements dont le point commun est une répression au caractère injuste, cruel et persistant des croyants chrétiens, de leurs clercs, représentants ou de leurs institutions religieuses par des pouvoirs religieux ou laïcs faisant montre d’acharnement voire d'une volonté d'anéantissement.
Des persécutions de chrétiens ont ainsi pu aller jusqu'à des massacres organisés par certains régimes.
L'absence de définition conceptuelle précise de la persécution en droit international rend l'acception de la notion évolutive et contextualisée, rendant parfois difficile l'identification de persécutions locales qui revêtent toujours une apparence légale : peut ainsi identifier des « lois persécutrices » qui n'ont rien d'illégal mais qui ont pour objectif d'aboutir à plus ou moins moyen terme à la disparition d’une minorité religieuse[1].
Pour Marie-Françoise Baslez, l’approche historienne est nécessaire, mais complexe, pour cerner le phénomène : celle-ci pose la nécessité d'une approche critique de la documentation disponible aussi bien du côté des agresseurs que de celui des victimes, en évitant de se limiter à des jugements de valeur émotionnels, afin de tenter de comprendre l'ensemble des acteurs concernés, y compris sociaux et politiques, souvent moins apparents dans les sources, en se gardant de conclure trop hâtivement face à des faits exceptionnels dans une répression ordinaire de régimes policiers ou militaires, ou lorsque sont visés des lieux symboliques comme les édifices religieux ou des personnalités religieuses en vue[1].
Au cours du premier siècle de l'Empire romain, les chrétiens sont peu nombreux généralement tolérés mais parfois sujets à des persécutions locales et sporadiques, souvent en raison de leur refus d'adorer les dieux de l'Empire. Ainsi, d'un point de vue historique, on ne peut parler de persécutionreligieuse — au sens contemporain — à propos des chrétiens durant les deux premiers siècles de l'Empire, d'autant que l'époque de la séparation dujudaïsme et duchristianisme est mal définie[note 1].
Néanmoins, il existe des persécutions locales organisées contre les chrétiens dès le début duIIe siècle. Ainsi, la lettre dePline le Jeune de 112, qui parle de « superstition déraisonnable et sans mesure »[2], montre le mécanisme concret de condamnation pour le motif d’obstinatio, l’« entêtement » dans le refus d'obtempérer à l'ordre de sacrifier à d'autres dieux sans qu'on puisse identifier quoi que ce soit qui relève d'une persécution religieuse en soi[3]. À cette époque, l'attitude de l'autorité romaine relève plutôt du « politique » et non du « doctrinal » : on réprime le refus public d'adhérer à la cité et à son culte car ce « scandale » entraîne des troubles locaux[4].
Au troisième siècle, avec lapersécution de Dèce (249-251) et decelle de Valérien (257-259), le christianisme connaît pour la première fois de son existence des persécutions généralisées, bien qu'elles soient de courtes durées et d'une efficacité relative[5]. En260, dès la mort de son père et co-empereur Valérien,Gallien fait cesser la persécution générale en cours etpromulgue un édit de tolérance qui constitue la première légitimation officielle du christianisme par les autorités romaines[6]. Cette décision inaugure pour les chrétiens une période de coexistence pacifique avec l'État romain qui est retenue sous le nom de « petite paix de l'Église »[7].
Mais au début duIVe siècle, le régime de laTétrarchie donne lieu à une dernière persécution généralisée, connue sous le nom de « Grande persécution ». En303,Dioclétien et ses collègues lancent plusieurs édits contre les chrétiens qui ordonnent aux gouverneurs et magistrats municipaux de se saisir et de faire brûler le mobilier et les livres de culte chrétiens[8] ; au début de l’année 304, un édit ordonne, sous peine de mort ou de condamnation aux travaux forcés, à tout citoyen de faire un sacrifice général pour l’Empire[9]. La persécution est très inégalement appliquée sur l’Empire, assez vite abandonnée en Occident après 305, plus longue et sévère en Orient[10]. En 311, Galère décrète l’arrêt de la persécution, édictant peu avant sa mort un nouvelédit de tolérance.L'historiographie chrétienne – et donc la très grande majorité des sources[11] –, qui s'est développée en même temps que leculte des martyrs, et dont la tradition présente une succession chronologique d'oppositions entre « mauvais empereurs » alternant avec de « bons empereurs », envisage dix vagues de persécutions qu'elle attribue aux empereursNéron,Domitien,Trajan,Marc Aurèle,Septime Sévère,Maximin le Thrace,Dèce,Valérien,Aurélien et enfinDioclétien.
Il existe unObservatoire de la liberté religieuse dans le monde[13], créé par l'organisation catholiqueAide à l'Église en détresse (AED)[14] qui fournit une base documentaire sur la situation de l'Église catholique et des principales religions dans le monde pour plus d'une centaine de pays[15].
LePew Research Center publie également des informations sur la persécution religieuse, mais sans faire de distinction entre les diverses religions. Leur étude présente l'intérêt de distinguer la persécution « officielle », orchestrée par l'État, de l'hostilité populaire dans chaque pays[18]
Toujours en 2014, les auteurs duLivre noir de la condition des chrétiens dans le monde[21] estiment entre 100 et 150 millions le nombre de chrétiens qui subissent des atteintes à leur religion dans les termes de l'article 18 de laDéclaration universelle des droits de l'homme[22]. D'après Marc Fromager, directeur de l'AED France, « 200 millions de chrétiens ne sont pas libres de vivre leur foi »[23]. Selon l’Index mondial de persécution 2014 publié parPortes Ouvertes, 2 123 chrétiens sont morts persécutés en 2013[24]. Pour 2014, l'ONG recense au moins 4 344 chrétiens assassinés à travers le monde pour leur foi ainsi que 1 062 lieux de cultes visés[25].
En outre, laSomalie et l'Irak rejoignent laCorée du Nord – où des milliers de chrétiens sont morts ou forcés au travail dans des camps depuis 1953 – dans la liste des pays où il est interdit de simplement prier et même de croire[25]. Si les chrétiens ne sont pas les seuls discriminés, ils sont les plus touchés dans les atteintes à la liberté de croire dans la mesure où ces atteintes se déroulent dans 110 pays sur 198 étudiés par lePew Research Center en 2014, souvent victime defanatisme religieux notammentislamique tel qu'il est à l’œuvre auMoyen-Orient avec l'organisation État Islamique ouBoko Haram auNigéria mais aussi au Pakistan ou, dans une moindre mesure, enInde où le parti politique nationalisteBharatiya Janata Party prône unhindouismeidentitaire. Enfin, le nombre de chrétiens chassés de chez eux atteint des sommets en 2015 avec 700 000 chrétiens de Syrie – soit 40% d'entre eux – et 130 000 d'Irak ayant quitté leur pays d'origine[25]. Au Moyen-Orient, « les chrétiens risquent tout simplement de disparaître »[26], s'alarmeMarc Fromager, dans son ouvrage sorti en 2015 :Guerres, pétrole et radicalisme, les chrétiens d'Orient pris en étau.
Le rapport dirigé par l’évêqueanglican deTruro (Royaume-Uni),Philip Mounstephen, sur la persécution des chrétiens dans le monde et dont une version provisoire est publiée le révèle que « dans certaines régions, le niveau et la nature des persécutions sont sur le point de répondre à la définition internationale dugénocide, adoptée par l’ONU ». Il estime qu’à l’échelle mondiale, une personne sur trois, quelle que soit sa religion est victime de persécution, si on inclut aussi les persécutions dites « économiques » (refus de logement, d’emploi), et précise que « les croyants persécutés sont chrétiens, dans une écrasante majorité des cas (80 %) »[27].
L'Index Mondial de Persécution des chrétiens 2023, établi parPortes Ouvertes, fait état de plus de 360 millions de chrétiens persécutés dans le monde, une persécution qui ne cesse d'augmenter[28]. Suivant cette associationchrétienne évangélique, cela représente environ 1 chrétien sur 7 dans le monde, 2 chrétiens sur 5 sur la zone Asie / Moyen-Orient, 1 chrétien sur 5 en Afrique et 1 chrétien sur 15 en Amérique Latine[29].
LaCorée du Nord occupe la première place du classement, avec un score de persécution inédit. Le simple fait de posséder une Bible en Corée du Nord peut être puni d'emprisonnement, de tortures voire d'exécution[29].
↑abcd eteMarie-FrançoiseBaslez,« Loin du "martyr de désespoir" », dans Jean-Michel di Falco, Timothy Radcliffe et Andrea Riccardi (dirs.),Le Livre noir de la condition des chrétiens dans le monde, Paris, XO,(ISBN9782845637368)
↑Correspondance de Pline le Jeune et de Trajan sur les chrétiens de Bithynie - Cité dansL'Empire romain et le christianisme, Claude Lepelley, Questions d'histoire/Flammarion page 29 et 90Pline le Jeune,Lettres, tome X, 97-98
↑Sylvie Honigman,Les Conditions de diffusion du christianisme dans l'Empire romain, université de Caen, conférence pour l'APHG Basse-Normandie, juillet 1996,résumé en ligne
↑François Jacques et John ScheidRome et l'intégration de l'empire, I,p. 127
↑Dans ces deux états, si la répression est systématisée sur plusieurs confessions chrétiennes, essentiellement protestantes, elle relève d'une attitude vis-à-vis des religions en général dans le cadre d'un durcissement autoritaire qui n'épargne pas l'Islam. cf. Sébastien Peyrouse,Le christianisme en Asie centrale. Miroir des évolutions politiques, inLe Courrier des Pays de l’Est,no 1045, mai 2004,p. 51-61,résumé en ligne
↑« Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu'en privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites ».
↑Marc Fromager,Chrétiens en danger, vingt raisons d'espérer, Nouan-le-Fuzelier, Éditions des Béatitudes,, 192 p.(ISBN978-2-84024-512-4)