Paul devient dès lors le principal artisan de la diffusion du christianisme dans plusieurs villes deMéditerranée orientale, notamment enAsie mineure et enGrèce, puis àRome. LaTradition chrétienne le surnomme l'« Apôtre des Gentils » c'est-à-dire desnon-juifs, ou encore l'« Apôtre des nations ».
Au cours de sa mission itinérante, qui s'étend desannées 40 auxannées 60, il adresse deslettres à ces premières communautés. Ces lettres, dites « épîtres pauliniennes », écrites avant lesÉvangiles, sont les documents les plus anciens du christianisme. Elles représentent l'un des fondements de lathéologie chrétienne, en particulier dans le domaine de lachristologie, mais aussi, d'un point de vue historique, une source majeure sur lesorigines du christianisme.
La biographie de Paul repose uniquement sur deux sources : sestreize lettres (dont sept sont jugées authentiques par la quasi-totalité des spécialistes), et lesActes des Apôtres, dont la deuxième partie est pour l'essentiel un récit de l'activité missionnaire de Paul jusqu'à son arrivée à Rome[1].
Certaines données des Actes ne coïncident pas avec les informations puisées dans les lettres. Les historiens considèrent alors celles-ci comme la source la plus fiable, carLuc, auteur des Actes, « était d'abord un théologien du Fils de Dieu et de son Église, et [...] ses relations avec les "faits historiques" n'étaient pas aussi naïves qu'on le croyait[1] ».
La date de naissance de Paul est inconnue, mais il est probablement venu au monde juste avant ou juste après le début duIer siècle[2].
Selon ses propres écrits, Paul est issu d'une famille juive et peut rattacher son ascendance généalogique à latribu de Benjamin[3], comme on peut lire dans les passages suivants :« moi, circoncis le huitième jour, de la race d'Israël, de la tribu de Benjamin, Hébreu né d'Hébreux […] »[p 1],« Je dis donc : Dieu a-t-il rejeté son peuple ? Loin de là ! Car moi aussi je suis israélite, de la postérité d'Abraham, de la tribu de Benjamin »[p 2] et« Sont-ils Hébreux ? Moi aussi. Sont-ils Israélites ? Moi aussi. Sont-ils de la postérité d'Abraham ? Moi aussi »[p 3]. De plus, selonLuc, il provient deTarse enCilicie, une région située dans la partie méridionale de l'actuelleTurquie, comme on peut le lire dans les passages suivants[4] :« Je suis juif, reprit Paul, de Tarse en Cilicie, citoyen d'une ville qui n'est pas sans importance. [...] »[p 4] et« Je suis juif, né à Tarse en Cilicie [...] »[p 5]. SelonJérôme de Stridon, il serait plutôt né àGiscala enGalilée et sa famille aurait été déportée à Tarse alors qu'il était encore un enfant[4],[5].
Il porte d'abord un nom hébraïque,Saül (enhébreu :שאולŠā’ûlprononcé : [ʃɑ.uːl]), lequel nom signifie « demandé [à Dieu], désiré »[6]. Plus tard, il adopte lecognomen romainPaulus, qui signifie littéralement « petit », « faible », « peu considérable »[7]. Aussi est-il connu, dans lechristianisme, sous son nom latinPaul.
Dans sa jeunesse àJérusalem, Paul aurait été instruit parGamaliel pour y apprendre la Loi[5]. Selon Luc, il le mentionnerait lui-même en disant :« Je suis juif, né à Tarse en Cilicie ; mais j'ai été élevé dans cette ville-ci, et instruit aux pieds de Gamaliel dans la connaissance exacte de la loi de nos pères, étant plein de zèle pour Dieu, comme vous l'êtes tous aujourd'hui »[p 5].
Paul connaît l'araméen et l'hébreu. Sa langue maternelle est legrec de lakoinè[8], et c'est dans la traduction desSeptante qu'il lit laBible. Les études récentes attestent une maîtrise de ladiatribe grecque[9], ce qui suppose une éducation sérieuse à Tarse. Il est d'une famille apparemment aisée, puisque celle-ci possède ledroit de cité romain, ce qui ne l'empêche pas — selon une pratique assez courante à l'époque dans les familles juives, et en particulier parmi lesrabbins — d'apprendre un métier manuel : lesActes indiquent qu'il fabrique destentes, c'est-à-dire qu'il est probablementtisserand ousellier.
Plusieurs aspects de la vie de Paul demeurent mal expliqués : sa double appartenance juive et romaine, sa conversion radicale, ses contacts avec les autorités romaines. Quant à sa citoyenneté romaine réelle ou supposée, elle embarrasse de nombreux historiens. Toutefois les recherches modernes montrent que bien des citoyens de son époque disposaient d'unetribu (inscription électorale), nécessairement romaine, et d'uneorigo, une cité d'origine (père, grand-père, etc.) pérégrine ou même étrangère de droit à l'empire.
Paul indique que la citoyenneté romaine lui vient de son père. Celui-ci, ou un de ses ancêtres, aurait-il bénéficié de cette citoyenneté sur décision impériale ? C'est peu probable si l'on se fie à une inscription datant de l'époque d'Auguste trouvée àPergame, en Asie mineure, où l'on ne compte aucun citoyen romain parmi les notables, tandis que des octrois de citoyenneté romaine à des magistrats de haut rang sont attestés aux époques plus tardives deTrajan et d'Hadrien[10]. La présence de Juifs citoyens romains àÉphèse en ainsi qu'àSardes etDélos est cependant mentionnée parFlavius Josèphe[11].
L'information donnée parJérôme de Stridon (qui la tiendrait d'Origène), selon laquelle la famille de Paul était originaire deGalilée, déplacée àTarse à la suite d'exactions commises par les armées romaines dans la province de Judée (en 4 avant l'ère chrétienne,ou 6 après l'e.c.),« cette version des faits permet d'accorder une certaine confiance à quelques données jusque-là difficiles à expliquer », écritMichel Trimaille. La revendication de Paul d'être« hébreu, fils d'Hébreux » (Philippiens, 3, 5 ;2e lettre aux Corinthiens, 11, 22), suppose, avec la Judée, des relations plus étroites que celles d'un quelconqueJuif de la Diaspora.« Si la famille de Paul a été déportée depuis une génération seulement, il n'est pas étonnant que dans sa famille, on n'ait pas oublié l'appartenance à latribu de Benjamin (Philippiens 3, 5), alors que la plupart des Juifs des anciennes diasporas avaient perdu la mémoire de leurs racines tribales. Ses anciennes études àJérusalem (Actes, 22, 3) deviennent plus vraisemblables[12] ».
Selon Michel Trimaille encore, la citoyenneté romaine de Paul peut être mise en doute : en effet, même si elle« n'imposait pas d'obligations inconciliables avec la foi juive », elle impliquait malgré tout« la reconnaissance d'institutions, y compris culturelles et religieuses, difficilement acceptable pour unpharisien strict. On peut considérer que Luc [qui présente Paul comme citoyen romain dans les Actes des Apôtres] a vu là une simple manière de situer son héros au sommet de la hiérarchie sociale ». Dans lesActes des Apôtres, Paul affirme qu'il est citoyen romain par naissance[13].
Doutant que leSanhédrin de Jérusalem ait pu disposer du pouvoir d'extrader des Juifs deDamas,Alfred Loisy a jugé invraisemblable cet aspect de la mission répressive de Paul contre les chrétiens de Damas racontée en 9,2[14].Flavius Josèphe affirme qu'un tel pouvoir d'extradition avait été accordé par les Romains àHérode le Grand, mais c'est insuffisant pour conclure[14].
La« conversion » de Paul a lieu entre31 et36[15],[16],[17]. Selon lesActes des Apôtres, l'événement s'est produit au cours d'un voyage versDamas. LeNouveau Testament le présente comme un persécuteur des disciples deJésus jusqu'à sa rencontre mystique avec le Christ, vers 32-36[18], mais l'historicité de ces persécutions fait débat dans la recherche moderne, tout comme l'emploi du mot « conversion » à son propos[19] : dans la mesure où Paul est un Juif qui, après l'événement du chemin de Damas, ne quitte pas le judaïsme mais reconnaît en Jésus de Nazareth leMessie qu'attend Israël, il ne se « convertit » pas[20]. Il n'utilise d'ailleurs pas ce terme et parle plutôt à ce propos d'« apocalypse » dans le sens de « révélation »[19].
Les Actes relatent (au début du chapitre 9) en ces termes la rencontre mystique de Paul avecJésus-Christressuscité : « [Paul] tomba par terre, et il entendit une voix qui lui disait : Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? Il répondit : Qui es-tu, Seigneur ? Et le Seigneur dit : Je suis Jésus que tu persécutes. Il te serait dur de regimber contre les aiguillons[p 6]. » Paul sortit de cette rencontre bouleversé[21] et persuadé que celui qu'il persécutait était le Seigneur donné par Dieu pour le salut de son peuple. Selon les Actes, à la suite de ce bouleversement, il perdit la vue pendant trois jours[p 7]. Ensuite, il futbaptisé au nom du Christ parAnanie de Damas lorsque ce dernier« imposa [ses] mains à Saul, en disant : Saul, mon frère, le Seigneur Jésus, qui t'est apparu sur le chemin par lequel tu venais, m'a envoyé pour que tu recouvres la vue et que tu sois rempli duSaint-Esprit[p 8]. » Immédiatement après cela, « il recouvra la vue. Il se leva, et fut baptisé[p 9]. »
Sa fonction d'apôtre est confirmée par les trois « colonnes » qui dirigent le mouvement :Jacques le Juste,Pierre etJean (Galates 2, 7:9). Il se présente alors lui-même lors de ses voyages comme un apôtre désigné directement par le Christ, et comme le bénéficiaire de la dernière apparition de Jésus (1 Co 15,8).
Il fut l'apôtre qui favorisa activement, sans en être cependant l'initiateur, l'« ouverture vers lesgentils » — c'est-à-dire lesnon-juifs[22] — de l'Église naissante. Pour lespremiers chrétiens, juifs d'origine, laLoi de Moïse n'était pas remise en question et les « incirconcis » demeuraient des personnes peu fréquentables, auxquelles le message du Christ ne semblait pas destiné. Paul, à la suite deBarnabé, alla prêcher chez eux. Si Paul a tenté de donner une portée plus universaliste (moins contraignante) au judaïsme, il n'a en revanche jamais voulu rompre avec lui. Sa prédication garde toujours un caractère profondémentsynagogal. Paul, d'ailleurs, plus qu'aux « gentils » s'adresse auxcraignants-Dieu, c'est-à-dire auxprosélytes « judaïsants » d'origine grecque et ayant adopté certaines croyances et pratiques juives.
Les trois premiers voyages missionnaires de Paul.En vert : premier voyage.En rouge : deuxième voyage.En bleu : troisième voyage.
Après sa conversion , Paul séjourne quelque temps àDamas, puis enArabie, ensuite àJérusalem,Tarse, avant d'être invité parBarnabé àAntioche. C'est de cette ville qu'il partira pour ses voyagesmissionnaires. Ses voyages s'effectuent dans un intervalle de quelques années de45 à58 environ[p 10].
Carte du premier voyage missionnaire.
Son premier voyage, estimé de 45 à 49, est un aller-retour qu'il effectue en compagnie de Barnabé et deJean Marc (cousin de Barnabé). Il visiteChypre (Paphos), laPamphylie (Pergé) et prêche autour d'Antioche de Pisidie. Paul et Barnabé cherchent àconvertir desJuifs, prêchent dans lessynagogues, sont souvent mal reçus et obligés de partir précipitamment – à cause de leur annonce du salut et de la résurrection en Jésus (Actes 13:15-41), sans que cela soit systématique (Actes 13:42-49). Sur le chemin du retour, ils ne repassent pas parChypre et se rendent directement de Pergé àAntioche.
Leconcile de Jérusalem et leconflit d'Antioche, daté généralement autour de l’année50[a] et dont l'ordre de déroulement lui-même fait l’objet de débats[25], sont les deux premiers épisodes attestés d'un profond différend qui s'est développé à l'intérieur même du mouvement des disciples de Jésus. Il oppose, de manière parfois très vive et durant plus d'une décennie, Paul, représentant les chrétiens d'origine grecque, à Pierre et Jacques, représentant les chrétiens d'originejudéenne[23].
Reconstitution de la ville deJérusalem à l'époque deJésus. Vue de l'enceinte fortifiée dans le secteur de l'Ophel.
De manière plus générale, ces événements — avec d'autres péripéties conservées dans certaines lettres de Paul[p 11],[26] — ont eu une incidence considérable sur les rapports entre les deux tendances principales : les « pauliniens », d'une part, qui soulignent la valeur de la croyance dans leMessie et les « jacobiens » et « pétriniens », d'autre part, qui soutiennent l'observance de laTorah[27] : en d'autres termes, est-ce que lesalut s'obtient par la croyance au Messie ou par l’observance de la Torah[28] ? Les premiers sont à l’origine du courant rétrospectivement appelé « pagano-christianisme » et les seconds à celui nommé « judéo-christianisme »[29].
Paul rapporte de façon assez détaillée ce conflit dans une lettre écrite aux communautés deGalatie, probablement la communauté d'Éphèse, dans les années54-55[30], alors que le récit desActes des Apôtres date d'une trentaine d'années après les faits.
Les débats que soulèvent ces événements ne sont pas doctrinaux ni liés à lathéologie de Paul — qui semble se développer ultérieurement —. Ils sont d'ordrerituel[23] et consécutifs à un phénomène nouveau : l'apparition d'adeptes non juifs dans le mouvement de Jésus, des Grecs issus dupaganisme. L'observance des règles prescrites dans laTorah par ces chrétiens d'originepolythéiste devient alors une question épineuse : par exemple, l'obligation de la circoncision, déjà problématique médicalement pour un adulte à l'époque, de plus interdite pour un non-juif dans la société romaine[b].
Lors de laréunion de Jérusalem, l'observance de laTorah par les chrétiens d'originepolythéiste est examinée[30] et la question de lacirconcision y est notamment soulevée par despharisiens devenuschrétiens. Examinée par lesapôtres et lespresbytres (« anciens ») en présence de la communauté, elle est arbitrée parPierre qui adopte le principe suivant, accepté parJacques, l’autre dirigeant de la communautéhiérosolymitaine : Dieu ayant purifié le cœur despaïens par la croyance en lamessianité de Jésus, il n'y a plus de raison de leur imposer le « joug » de laTorah[31].
Jacques s'inquiète des problèmes pratiques qui naîtront dans les « communautés mixtes »[30] qui réunissent les chrétiens d'origine juive et ceux d'origine païenne[c] : les premiers ne doivent pas avoir à craindre de souillure à la fréquentation des seconds qui doivent observer un minimum de préceptes qui sont communiqués par une lettre à destination de ces derniers, connue sous le nom de « décret apostolique »[32]. Il n'y est plus question de la circoncision, pourtant à l’origine du débat[28].
La réunion de Jérusalem n'a pas réglé le problème de la coexistence de chrétiens de diverses origines et courants culturels, notamment au moment des banquets cérémoniels, lepartage eucharistique[33]. C'est à la même époque que prend place un épisode de tension entre Paul etPierre, connu sous le nom de« conflit » ou « rupture » d'Antioche, au terme duquel Paul quitteAntioche, dans ce qui s'apparente à un exil d'une communauté qu'il a contribué à fonder[34].
Après la réunion de Jérusalem, lesActes des Apôtres[p 12] mentionnent la lettre écrite par les apôtresJacques, Pierre etJean avec lesanciens de la communauté deJérusalem, laquelle est envoyée aux communautés d'Antioche, deSyrie et deCilicie — zone de mission confiée à Paul et Barnabé — et probablement portée par ceux qu'une épître de Paul appelle les « envoyés (apostoloi, apôtres) de Jacques »[35][source insuffisante]. Ce document, qui soulève de nombreuses questions d'ordre littéraire et historique[32], soit est à l'origine du différend, soit a été rédigé pour apaiser les esprits après l’incident[33].
Il y est demandé aux destinataires d'observer le compromis défini par Jacques. Cette lettre contient probablement les quatre clauses que latradition chrétienne appelle « décret apostolique »[32], et dont voici l'une des versions :
« L'Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé de ne pas vous imposer d'autres charges que celles-ci, qui sont indispensables : vous abstenir des viandes immolées aux idoles, du sang, des chairs étouffées et des unions illégitimes. Vous ferez bien de vous en garder. Adieu[p 13]. »
À la lumière d'une lettre de Paul[35], il est possible que l'observance de ces quatre clauses ait visé à résoudre l’épineux problème de la communauté de table entre les disciples d'origine juive et ceux d'origine païenne[32], même s'il n'en est fait aucune mention dans le décret tel qu'il a été conservé[d].
En tout état de cause, la venue des « envoyés de Jacques » àAntioche, avec probablement des directives orales, semble avoir provoqué un bouleversement dans les habitudes des communautés chrétiennes de la ville où lesjudéo-chrétiens et les « pagano-chrétiens » avaient pris l'habitude de prendre les repas symbolisant l'eucharistie en commun[36]. Ce à quoi la venue des émissaires de Jacques, munis de ses directives, semble avoir voulu mettre un terme. Cela ne se passe pas sans émoi et Paul prend vertement[37] à partie l'apôtrePierre[38] qui, alors qu'il partageait jusque-là les repas en compagnie des « paganos-chrétiens », se tient à l'écart de ceux-ci consécutivement au passage des envoyés de Jérusalem[36], se voyant alors reprocher son hypocrisie[37].
C'est peut-être l'attitude tranchante de Paul dans certaines de ses lettres à la suite de ces événements — et d'autres dans ses missions ultérieures — qui a fourni au « parti des circoncis »[36], insatisfait de l’arbitrage de Jérusalem et n’ayant pas renoncé à imposer l’observance de la Torah pour le salut des fidèles[39], une raison de considérer ce dernier comme rompu par lui, initiant contre Paul, lors de sa visite àJérusalem de 58, un cycle de procès et d'incarcérations qui le mèneront — si l'on suit lesActes[40] — de Jérusalem àRome[41].
Paul effectue son deuxième voyage, vers 50-52, sans Barnabé, en compagnie deSilas. Son premier objectif est de rencontrer à nouveau les communautés qui se sont créées enCilicie etPisidie.
Le troisième voyage, entre 53 et 58, est une entreprise de consolidation : Paul retourne voir les communautés qui se sont créées enGalatie,Phrygie, àÉphèse, enMacédoine jusqu'àCorinthe. Puis il retourne àTroie en passant par laMacédoine. De là, il embarque et voyage par bateau jusqu'àTyr,Césarée etJérusalem où il est arrêté.
Dans lesActes des Apôtres[p 14], il est rapporté que, lors de son dernier séjour àJérusalem en 58, Paul a été accueilli très chaleureusement parJacques le Juste, le « frère du Seigneur » et chef de la communauté desnazôréens, ainsi que par les anciens (Actes 21:17-26)[41]. Ceux-ci lui font savoir que, selon des rumeurs, il a enseigné aux juifs de ladiaspora l'« apostasie » vis-à-vis de « Moïse », c'est-à-dire le refus de lacirconcision de leurs enfants et l'abandon desrègles alimentaires juives[41]. Jacques et les anciens suggèrent à Paul un expédient qui doit montrer aux fidèles son attachement à laLoi juive : il doit entamer son vœu denaziréat et payer les frais pour quatre autres hommes qui ont fait le même vœu[41]. Puis, ils lui citent les clauses du « décret apostolique » émis pour les chrétiens d'origine païenne, que Paul n'aurait pas remplies[41].
Un mouvement de contestation houleux, soulevé par des Juifs d'Asie, entraîne l'arrestation de Paul alors qu'il se trouve dans leTemple de Jérusalem[p 15],[47]. Paul est accusé d'avoir fait pénétrer un « païen », Trophime d'Éphèse, dans la partie du Temple où ceux-ci sont interdits sous peine de mort[47].« Apparemment, Jacques et les anciens ne font rien pour lui venir en aide, ni pour lui éviter son transfert àCésarée » puis plus tard àRome[47]. SelonSimon Claude Mimouni, cet incident montre un certain durcissement du groupe de Jacques le Juste en matière d'observance, probablement lié à la crise provoquée par lesZélotes, qui aboutira en 66 à larévolte des Juifs contre les Romains[47].
Paul comparaît devant leprocurateur de JudéeAntonius Felix[48], alors que le grand-prêtre Ananie soutient l'accusation contre lui. L'orateur Tertullus l'accuse alors de« susciter des séditions chez tous les Juifs de la terre habitée »[p 16]. Toutefois, Felix ne statue pas sur son cas et le maintient en prison à Césarée. Pour décider du sort de Paul,Porcius Festus successeur de Felix et procurateur de 60 à 62, organise en 60 une autre comparution en y associantAgrippa II et sa sœurBérénice[48]. Après le procès, Bérénice participe à la délibération entre le roi et Porcius Festus[p 17],[49],[50].
Ayant fait « appel à César » en tant quecitoyen romain, Paul est renvoyé àRome pour y être jugé[p 18].
Pendant le trajet de Césarée à Rome, l'activité missionnaire de Paul se poursuit (Actes 28, 30-31). C'est au cours de ce voyage qu'il fait naufrage àMalte,« où les habitants lui témoignent une humanité peu ordinaire » (Actes 28:1-2). Après, il débarque àPouzzoles où il est reçu par une petite communauté chrétienne (Actes 28:13-14). Il serait arrivé à Rome vers60. On aurait permis à Paul de vivre dans une maison privée sous la garde d’un soldat, avec l'assistance de l'esclaveOnésime (Phil 8-19).
SelonEusèbe de Césarée,« après avoir plaidé sa cause, l'apôtre repartit de Rome, de nouveau, dit-on, pour le ministère de la prédication[p 19] ».Marie-Françoise Baslez estime « vraisemblable » la mission enEspagne, queClément de Rome évoque dans son épître à la fin duIer siècle[52].« LesActes de Pierre, biographie romancée composée vers 180, affirment la réalité du voyage espagnol et l’interprètent comme une nouvelle étape dans l'évangélisation du monde païen[52]. » Selon lesActes de Pierre,« pour accomplir cette tâche, ses fidèles de Rome lui donnent un an »[p 20],[54]. EnCatalogne, àTortose, la tradition veut que Paul ait consacré Rufus commeévêque de cette ville, et àTarragone, l’église Saint-Paul a été construite, dit-on, sur le rocher sur lequel l’apôtre serait monté pour prêcher[55].
La lettre àTite ainsi que les deux adressées àTimothée situent les dernières années de Paul dans laprovince romaine d'Asie[54]. Elles sont écrites par des contemporains de Paul et« les indications de personnes et de lieux, dépourvues de significations particulières, ont toutes chances d'avoir un caractère historique[54]. » Paul arrive àÉphèse vers 65,« alors que le groupe chrétien de la ville est en crise[56]. » Il oblige Timothée à lui céder sa place à la tête de la communauté des chrétiens,« mais face aux difficultés que lui font ses opposants, il se retire àMilet et demande à Tychique de lui succéder[56]. »
Durant deux années, Éphèse constitue la base de lamission de Paul en direction des « Juifs et des Grecs » de la province romaine d'Asie[56]. C'est à cette communauté que Paul adresse sonépître aux Éphésiens, dont l'authenticité est discutée[56].
Paul est arrêté dans la province d'Asie[57]. Cette fois encore, l'accusation desubversion motive son arrestation[58].
Plusieurs passages des épîtres de Paul laissent entendre que l'apôtre souffrait d'unemaladie chronique potentiellement mortelle. Lorsqu’il aborde cette question, Paul en parle comme d’une « écharde » enfoncée dans sa chair dont Dieu ne l'a pas débarrassé malgré ses prières (2 Co 12:7-9). Le mot grec qu'il utilise,skolops, désigne littéralement un « pieu » ou un « pal ». Plusieurs pathologies ont été suggérées :ophtalmie purulente,épilepsie,thalassémie,paludisme. Plusieurs chercheurs se sont prononcés en faveur de cette dernière hypothèse, dont l’archéologueWilliam Mitchell Ramsay, le théologienErnest-Bernard Allo et l'historienThierry Murcia[59]. Le paludisme était la maladie la plus répandue dans l'Antiquité et les crises paludéennes, dont on ignorait l'origine, étaient alors fréquemment attribuées à l'action d'undémon[60].
La fin de sa vie reste obscure : lesActes des Apôtres se terminent brusquement sur l'indication qu'il est resté deux ans àRome en liberté surveillée. Ainsi, ni le martyre deJacques le Juste (62), ni celui des deux héros des Actes — Pierre et Paul — ne sont racontés. En revanche, plusieurs sources évoquent sa mission àÉphèse vers65 et une deuxième arrestation le conduisant à nouveau à Rome[61],[56].
Traditionnellement, la mort de Paul est associée à larépression collective des chrétiens de Rome, accusés d'avoir incendié la ville en64. Il n'existe cependant aucune source qui établisse un lien entre cette répression et la condamnation de Paul[62]. En outre, laPremière épître de Clément (5,7 et 6,1)« distingue clairement le martyre de l'apôtre et la persécution de64[63] ». Les plus anciennes indications chronologiques au sujet de sa mort datent duIVe siècle et font référence aux années67-68[62] sous le règne de l'empereurNéron. Pour M.-F. Baslez« les Actes du martyre de Paul, tel que le souvenir s'en conserva dans laprovince romaine d'Asie jusqu'auIIe siècle, situent l'événement dans le même contexte que l'Épître aux Philippiens et que laDeuxième épître à Timothée[64]. » Paul aurait donc continué ses activités missionnaires après avoir été relâché, avant d’être de nouveau arrêté et ramené àRome pour y être jugé.
Après sa condamnation, Paul est conduit à la sortie de Rome, sur laVia Ostiense, pour y être décapité[64]. OutreLuc et Tite, il aurait été entouré par des convertis issus de la maison impériale[64]. Latradition orale des chrétiens de Rome indique qu'il se tourna vers l'Orient pour prier longuement.« Il termina sa prière enhébreu pour être en communion avec lesPatriarches. Puis il tendit son cou, sans plus prononcer un mot[p 21],[64]. »
Une tradition chrétienne[65] rapporte qu'en258, au cours despersécutions deValérien, les reliques de Paul et de Pierre furent placées temporairement dans lescatacombes de Saint-Sébastien, appelées à cette époque « Memoria Apostolorum » en raison du culte de ces deux saints, des graffiti sur les murs attestant de ce culte.
« Un sarcophage pouvant contenir les reliques de l’apôtre Paul a été identifié dans la basilique romaine deSaint-Paul-hors-les-Murs [...] Sous le maître-autel actuel, une plaque de marbre duIVe siècle, visible depuis toujours, porte l’inscriptionPaulo apostolo mart (Paul apôtre martyr, ndlr). La plaque est munie de trois orifices probablement liés au culte funéraire de saint Paul. [...] Le long de la voie Ostiense, un édicule aurait été élevé sur la tombe de l’apôtre Paul, après sa mort dans le cours duIer siècle. Comme poursaint Pierre, l’empereurConstantin entreprit ensuite au début duIVe siècle de faire construire une basilique pour abriter la tombe. Puis, en386, un demi-siècle après la mort de Constantin, devant l’afflux des pèlerins, une basilique plus grande fut construite à la demande des empereursValentinien II,Théodose etArcadius[67]. »
Un sondage a permis de relever des traces d'un tissu précieux en lin coloré de pourpre, laminé d'or fin, d'un tissu de couleur bleu avec des filaments de lin, ainsi que la présence de grains d'encens rouge, de substances protéiques et calcaires et de fragments d'os. L'examen aucarbone 14 montre que ces ossements appartiennent à « une personne ayant vécu entre leIer et leIIe siècle ». PourBenoît XVI, cela semble confirmer la tradition qui y voit les restes de Paul[68] ».
Plusieurs reliques du saint ont été transférées ailleurs. En 665, le papeVitalien envoie des reliques au roiOswiu de Northumbrie et pour la reine fait un cadeau d'une croix avec une clé d'or fabriquée à partir des chaînes de Pierre et de Paul[69]. Le 2 mars 1370, le papeUrbain V fait porter les chefs de Pierre et Paul, placés dans des reliquaires, dans leciborium de labasilique Saint-Jean-de-Latran[70].
L'attribution des lettres de Paul n'a pas été remise en question avant 1840, quand les travaux de l'AllemandFerdinand Christian Baur l'amenèrent à n'accepter que quatre lettres comme authentiques (Romains, Corinthiens 1 & 2, et Galates). Si les courantsexégétiques de lacritique radicale estimèrent longtemps que rien des lettres de Paul n'était authentique, les théologiensAdolf Hilgenfeld (1875) etHeinrich Julius Holtzmann (1885) rajoutèrent à la liste de Baur les épîtres à Philémon, aux Thessaloniciens 1 et aux Philippiens, pour constituer ce qui est généralement considéré aujourd'hui comme les sept « lettres incontestées » de Paul ou épîtres « proto-pauliniennes ». De nos jours, l'authenticité ou l'attribution des autres est plus ou moins discutée. On distingue classiquement :
Elles sont considérées comme étant de Paul, avec des dates de rédaction allant de 51 (la première aux Thessaloniciens) à 61 (pour l'épître aux Philippiens), ce qui en fait les plus anciens écrits chrétiens qui nous soient parvenus[71].
Ce sont, avec les dates de rédaction estimées par les historiens :
Ces trois lettres seraient l'œuvre de disciples de Paul sans que l'on puisse identifier précisément ces auteurs.
En 2000, la question de l'authenticité des épîtres se présente comme suit :
l'épître aux Colossiens est considérée commepseudépigraphique par 60 % des exégètes. Un argument tient à la destruction de la ville par un tremblement de terre sous le règne de Néron, au début de l'an 60 : la lettre serait un écrit pseudépigraphique, car adressée à une ville alors inexistante. Cet argument présuppose la date de rédaction de la lettre par Paul comme tardive. Traditionnellement attribuée à Paul aux alentours de l'an 60-61, les spécialistes estiment que les disciples de Paul l'ont rédigée vers la fin duIer siècle.
l'épître aux Éphésiens est considérée comme pseudépigraphique par 80 % des exégètes. Ce serait une réécriture de l'épître aux Colossiens développant le prolongement de l'action du Christ Sagesse de Dieu dans l'Église. La tradition la date des années de captivité à Rome de Paul, vers 61-62, et les chercheurs la placent plutôt aux alentours de 80-100.
pour ladeuxième épître aux Thessaloniciens, les avis sont partagés de manière égale. La tradition place sa rédaction vers l'an 50, alors que Paul est à Corinthe. Les spécialistes proposent des dates comprises entre 70 et 100, et une rédaction par le milieu paulinien. Par ailleurs, les destinataires de cette épître font aussi l'objet de débats, le titre ayant été ajouté a posteriori.
Ces statistiques évoquées par l'historienRégis Burnet sont reconnues par la communauté scientifique dans son ensemble[71].
Les épîtres « trito-pauliniennes » ou « pastorales »
Depuis 1976 et les travaux d'Albert Vanhoye, il est admis que l'épître aux Hébreux n'est pas une épître mais un traité, et que Paul de Tarse n'en est pas l'auteur. Le texte ne contient d'ailleurs aucune allusion à Paul en tant qu'auteur, et est l'œuvre d'un anonyme. Sa datation fait débat, et les historiens placent sa rédaction entre 60 et 90. Son admission dans le canon néotestamentaire a fait l'objet de divergences, et ce dès les premiers siècles du christianisme.
On peut également grouper ces treize lettres selon leurs thèmes :
lettres à dominanteeschatologique (les deux épîtres aux Thessaloniciens ; la première aux Corinthiens) ;
lettres traitant de l'actualité du salut et de la vie des communautés (les deux épîtres aux Corinthiens, celles aux Galates, aux Philippiens et aux Romains) ;
lettres dites « de captivité » (l'épître à Philémon date de cette époque) qui parlent du rôle cosmique duChrist (Col ; Ép) ;
lettres dites « pastorales », traitant de l'organisation des communautés (les deux épîtres à Timothée et celle à Tite).
D'après un passage de l'épître aux Romains, les épîtres authentiques auraient été dictées à un secrétaire[p 22]. On sait en effet que l'écriture n'était pas chose aisée et que les écrits étaient dictés à un ou plusieurs scribes.
Le discours paulinien a un aspect très répétitif. Cette parole insistante a souvent été comparée à celle d'un bègue.Bossuet par exemple écrivait que les beaux esprits ont appris « à bégayer humblement dans l'école de Jésus-Christ, sous la discipline de Paul » (cité parChateaubriand,Le Génie du christianisme, livre V, chapitre 2, note 21).Ernest Renan quant à lui se demandait : « Le style de saint Paul […], qu'est-il, à sa manière, si ce n'est l'improvisation étouffée, haletante, informe, du "glossolale" ? […] On dirait un bègue dans la bouche duquel les sons s'étouffent, se heurtent et aboutissent à une pantomime confuse, mais souverainement expressive[73]. »
Les différences entre leJésus de Paul et celui desÉvangiles ont parfois été jugées considérables.
Inversement, il est aussi mis en évidence la continuité entre l’enseignement deJésus de Nazareth et celui de Paul concernant l'interprétation de l'histoire, l'amour deDieu pour tous les hommes, la justification par la foi, l'éthique[74].
Cet enseignement est centré sur leChrist, « mort pour nos péchés, selon les Écritures », « ressuscité le troisième jour, selon les Écritures » (1 Co 15, 3-4), désigné comme le « Seigneur » (1 Co 12, 3), le « Fils de Dieu » (Rm 1, 4, etc.) qui est l’« Esprit de vie » (Rm 8, 2), et en qui « habite corporellement toute la plénitude de la divinité » (Col 2, 9) :
« S'il n'y a point de résurrection des morts, Christ non plus n'est pas ressuscité. Et si Christ n'est pas ressuscité, notre prédication est donc vaine, et votre foi aussi est vaine. » (1 Co 15, 13-14).
« Les Juifs demandent des miracles et les Grecs cherchent la sagesse : nous, nous prêchons Christ crucifié ; scandale pour les Juifs et folie pour les païens, mais puissance de Dieu et sagesse de Dieu pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs. » (1 Co 1, 22-24).
La rédemption s’adresse à tous, indépendamment de la race, de la condition sociale, du sexe, etc.
« Il n'y a plus ni Juif ni Grec, il n'y a plus ni esclave ni homme libre, il n'y a plus ni homme ni femme ; car tous vous êtes un en Jésus-Christ. » (Ga 3, 28).
Ainsi, l’Église ne représente plus seulement une communauté de croyants mais devient un corps mystique (Ep 1, 23 ;Col 1, 24).
Paul met l'accent sur la foi, l'espérance et donne une place fondamentale à l'amour, sans lequel toute recherche de vie intérieure, de spiritualité profonde ou desalut est vaine :
« Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n'ai pas l'amour, je suis un airain qui résonne, ou une cymbale qui retentit. Et quand j'aurais le don de prophétie, la science de tous les mystères et toute la connaissance, quand j'aurais même toute la foi jusqu'à transporter des montagnes, si je n'ai pas l'amour, je ne suis rien. Et quand je distribuerais tous mes biens pour la nourriture des pauvres, quand je livrerais même mon corps pour être brûlé, si je n'ai pas l'amour, cela ne me sert de rien. » (1 Co 13, 1-3).
Cette idée est refusée parÉtienne Trocmé, qui dit à ce sujet :
« Sans sous-estimer l’immense portée de la pensée paulinienne, on doit dire que l’apôtre n’est pas le créateur des idées centrales de la doctrine chrétienne. Sa doctrine deDieu vient tout droit de l’Ancien Testament et dujudaïsme. Lachristologie qui définit la personne duChrist remonte pour une large part à la primitiveÉglise de Jérusalem (cf. les discours dePierre en Actes 2 à 4), et le titre de « Seigneur » (« Kurios ») si fréquent sous la plume de Paul, a une origine palestino-syrienne. La doctrine duSaint-Esprit, que Paul a beaucoup développée, n’est pourtant pas sa création, puisqu’elle a de profondes racines bibliques et qu’elle est préfigurée, non seulement àQumrân, mais aussi chez les chrétiens palestiniens de la première génération (Mc 3, 28-30 et par ; Ac 2, 1-13 ; 8, 29-39 ; 15, 28). Quant à la doctrine dusalut, exposée par Paul avec tant de vigueur dans sesépitres aux Romains et auxGalates, elle véhicule bien des notions venues dujudaïsme palestinien (la mort du Christ interprétée comme unsacrifice, Rm 3, 25 ; ou encore comme un acquittement judiciaire, Rm 3, 31-24 ; etc.). Bref, Paul est ici un génial interprète, non le créateur qui aurait donné au christianisme son système doctrinal propre[76]. »
Néanmoins, Paul ne cite que peu les paroles du Christ[77]. Pour Christophe Senft, « la comparaison de la prédication de Jésus et l'évangile de Paul fait apparaître de surprenantes convergences entre la parole de Jésus et celle de son apôtre »[78]. Selon Charles L'Eplattenier : « [...] le caractère des lettres de Paul, écrits de circonstance, n'appelait pas la référence aux paroles et à la vie de Jésus, et que Paul pouvait davantage s'y référer dans son enseignement aux Églises (il faut ici distinguer lekérygme, proclamant la mort et la résurrection de Jésus comme événements de salut, de l'enseignement...). Or nous ne savons rien de lacatéchèse de Paul lors de ses longs séjours à Antioche, Corinthe ou Éphèse[79]. »
Paul se veut relativement indépendant des autres apôtres. Étant directement inspiré du Ressuscité, il ne se sent pas lié à une tradition humaine concernant Jésus (Gal. 1:16-17, cf. II Cor, 5: 16). Son christianisme a des points communs avec le christianisme hellénistique d'Étienne mais est distinct de lui. Le christianisme « paulinien » s'est fédéréa posteriori avec les tendances dirigées parPierre etJacques (Gal. 2:9).
L'Épître aux Romains a servi de référence àLuther pour fonder sa doctrine de la justification par la foi. Elle sert aussi de référence au théologienKarl Barth et au juristeCarl Schmitt pour penser l'origine de l'État ou les impasses de la démocratie[73].
Alain Badiou déclare à son sujet : « Pour moi, Paul est un penseur-poète de l'événement, en même temps que celui qui pratique et énonce des traits invariants de ce qu'on peut appeler la figure militante. Il fait surgir la connexion, intégralement humaine, et dont le destin me fascine, entre l'idée générale d'une rupture […], et celle d'une pensée-pratique, qui est la matérialité subjective de cette rupture[73]. »
Jean-Michel Rey, dans son essaiPaul ou les ambiguïtés[80], souligne l'étrange actualité de l'apôtre : « La pensée paulinienne imprègne toute notre conception de la politique ; elle en organise, le plus souvent à notre insu, les principales articulations[73] ». En effet, que l'on soit réformiste ou révolutionnaire, nous sommes incapables de dire la nouveauté autrement que sur un mode violent : une conversion absolue, où l'accueil de l'inédit appelle non seulement une émancipation à l'égard du passé, mais encore le désaveu de l'antérieur. Ce modèle propre aux philosophies de l'histoire, ce prototype des idéologies progressistes est propre à la structure de pensée de Paul. Son discours sépare en toute netteté le présent du passé. Le passé est désigné comme ne pouvant pas comprendre et reconnaître les formes de la nouvelle réalité[73].
Nietzsche considère que Paul est le véritable fondateur, davantage que Jésus, du christianisme. DansL'Antéchrist, pour dénoncer la valorisation de ce qu'il désigne comme une décadence à imputer au christianisme, il rappelle plusieurs paroles de Paul, dont celle-ci présente en 1 Co 1, 28 : « Dieu a choisi ce qui estfaible devant le monde, ce qui estinsensé devant le monde, ce qui estignoble et méprisé » : c'est là ce qui fut la formule,in hoc signo, ladécadence fut victorieuse[81]. » Voici les versets concernés :
« Mais ce que le monde tient pour insensé, c'est ce que Dieu a choisi pour confondre les sages ; et ce que le monde tient pour rien, c'est ce que Dieu a choisi pour confondre les forts ; et Dieu a choisi ce qui dans le monde est sans considération et sans puissance, ce qui n'est rien, pour réduire au néant ce qui est, afin que nulle chair ne se glorifie devant Dieu. » (1 Co 1, 27-29, traduction Chanoine Crampon)
Dans l’Antéchrist (fin de l'aphorisme 45), lephilosophe (anti-nationaliste, anti-chrétien et « anti-antisémite », et même parfois philosémite, sous l'influence dePaul Rée[82]) écrit également :
« Qu’on lise la première partie de maGénéalogie de la morale : pour la première fois, j’y ai mis en lumière le contraste entre une moralenoble et une morale de tchândâla [« mangeur de chien » ensanskrit, hors-caste dans l'hindouisme], née deressentiment et de vengeance impuissante. Saint Paul fut le plus grand des apôtres de la vengeance[83]… »
Pour Nietzsche, le christianisme, inventé par Saint Paul (et non par Jésus, vu comme un « surhomme »), dévalorise le monde vivant et matériel au profit d'un « arrière-monde » idéal ; le philosophe allemand considère en effet que le christianisme de Saint Paul (qui est pour lui unplatonisme vulgarisé) promeut l'idée que la Création, le monde sensible, est un monde mauvais et en le considérant ainsi le christianisme a rendu réellement mauvais le monde (contrairement aux Anciens grecs, par exemple, qui acceptaient le monde sensible ou la Nature pour l'embellir, pour y puiser leurmythologie, pour s'en inspirer et créer en son honneur des fêtes sacrées, source de puissance et de beauté, toujours selon Nietzsche).
Les propos de Paul concernant les femmes lui ont été vivement reprochés et ont été opposés à la sollicitude queJésus a manifestée à leur égard. Il s'agit de rappels à l'ordre témoignant justement du fait que les femmes jouissaient d'une participation active au sein des premières communautés chrétiennes[84]. Pour Paul, comme dans la relation entre maîtres et esclaves (1 Co 7, 21-23), le statut compte moins que la fraternité dans les relations sociales ; de même l'autorité étatique doit être acceptée si elle s'exerce avec justice :
« Comme cela a eu lieu dans toutes les Églises des saints, que vos femmes se taisent dans les assemblées, car elles n'ont pas mission de parler ; mais qu'elles soient soumises, comme le dit aussi la Loi. Si elles veulent s'instruire sur quelque point, qu'elles interrogent leurs maris à la maison; car il est malséant à une femme de parler dans une assemblée. » (1 Co 14, 34-35) ; « Je veux cependant que vous sachiez que le chef de tout homme c'est le Christ, que le chef de la femme, c'est l'homme, et que le chef du Christ, c'est Dieu. » (1 Co 11, 3). « Que le mari rende à sa femme ce qu'il lui doit, et que la femme agisse de même envers son mari » (1 Co 7, 3).
« C'est pourquoi celui qui résiste à l'autorité, résiste à l'ordre que Dieu a établi et ceux qui résistent, attireront sur eux-mêmes une condamnation. » (Rm, 13, 2). « Rendez à tous ce qui leur est dû : l'impôt à qui vous devez l'impôt, le tribut à qui vous devez le tribut, la crainte à qui vous devez la crainte, l'honneur à qui vous devez l'honneur. Ne devez rien à personne, si ce n'est de vous aimer les uns les autres ; car celui qui aime son prochain a accompli la loi. » (Rm 13, 7-8).
Paul dit avoir« reçu dans [sa] chair une écharde, un envoyé de Satan » dont Dieu ne l'a pas débarrassé malgré ses prières (2 Co 12:7-9). La nature de ce mal, ou de cette maladie, n'a jamais été élucidée par les historiens.
En revanche, divers membres de l'Église épiscopalienne des États-Unis l'interprètent comme une forme d'homosexualité latente : par exemple, en 1978, le prêtre épiscopalien Tom Horner reprend la suggestion du militant Sidney Tarachow, qui avait noté le célibat de Paul, sa recherche d'affection et son besoin d'avoir des hommes comme compagnons de voyage[85].John Spong,évêque épiscopalien, dans son livreRescuing the Bible from Fundamentalism, publié chezHarperCollins en 1991, suscite la controverse, même parmi les chrétiens libéraux, en affirmant que Paul était un« homme homosexuel refoulé et dégoûté de lui-même ». Spong se base pour cela sur les expressions d'horreur de l'apôtre vis-à-vis de lui-même, son hostilité envers les femmes et son éternel célibat[86]. Cette théorie a été reprise par certains auteurs[87], mais elle reste peu crédible pour d'autres[88].
↑Dans une fourchette oscillant, selon les auteurs entre 48 et 52 ; voir par exemple Mimouni[23] (48-50) et Lémonon[24].
↑Les ectomies de type castration et circoncision — réprimées par les Romains — « sont considérées par ceux-ci comme une menace pour lesmores [mœurs] du fait d'un marquage génital qui induit […] un comportement anomique et incontrôlable […] mettant en péril l'idéal civique romain et sa discipline de virilité » ;PierreCordier,« L'étrange sexualité des castrats dans l’Empire romain », dans Philippe Moreau (éd.),Corps romains, Jérôme Millon,,p. 74.
↑SelonSimon Claude Mimouni, on admet en général que ce décret a été émis après la réunion de Jérusalem en l'absence de Paul qui paraît l'ignorer (1Co 8. 10) et n'en apprendre son existence que par Jacques lors de son dernier voyage à Jérusalem en58 (Ac 21. 25)[32].
↑a etbMichel Trimaille, "Que sait-on de Paul aujourd'hui ?", dansPierre Geoltrain,Aux origines du christianisme, Gallimard / Le Monde de la Bible, 2000, p. 309.
↑a etb(en)Jérôme de Stridon,De Viris Illustribus(en)(lire en ligne) :« Paul, formerly called Saul, an apostle outside the number of the twelve apostles, was of the tribe of Benjamin and the town of Giscalis[2] in Judea. When this was taken by the Romans he removed with his parents to Tarsus in Cilicia. »
↑PierreGeoltrain et Simon ClaudeMimouni,Pierre Geoltrain, ou Comment faire l'histoire des religions ?,Brepols,(ISBN978-2-503-52341-5),p. 241
↑Simon Légasse, « Paul apôtre, essai de biographie critique », Fides, 1991(ISBN9782762115123),p. 27.
↑Michel Trimaille,Que sait-on de Paul aujourd'hui ?, dansPierre Geoltrain,Aux origines du christianisme, Gallimard / Le Monde de la Bible, 2000,p. 310-311.
↑Rainer Riesner,Paul's Early Period: Chronology, Mission Strategy, Theology, Eerdmans Publishing, 1998, p. 27, donne un tableau synthétique sur l'état de la question concernant la chronologie de Paul
↑Thierry Murcia précise : « Paul identifie le responsable supposé du mal dont il souffre : un « ange de Satan chargé de [le] souffleter » (2 Corinthiens 12, 7). Malgré ses prières, confie-t-il, ce messager démoniaque revenait périodiquement à la charge pour le torturer (2 Corinthiens 12, 8-9). Et c’est lors d’une de ces fameuses crises que Paul annonce pour la première fois l’Évangile aux Galates. Dans la lettre qu’il leur adresse, l’Apôtre oppose alors, par antithèse, à l’oppression de cet « ange de Satan », l’accueil digne d’un « ange de Dieu » qu’ils lui ont réservé (Galates 4, 13-14). Paul s’en félicite et les loue plus spécialement de s’être abstenus de « cracher » devant lui (Galates 4, 14). Mieux qu’une simple marque de dégoût ou de mépris – comme l’ont compris la plupart des traducteurs – il faut plutôt y voir ici une forme de conjuration : un geste de rejet superstitieux visant à se protéger de l’esprit maléfique qui était censé avoir pris possession du corps du malade ou qui, du moins, le tourmentait » -Murcia 2017,p. 320.
↑Edina Bozóky,La politique des reliques de Constantin à Saint Louis. Protection collective et légitimation du pouvoir, Editions Beauchesne,(lire en ligne),p. 126
↑Henri Persoz,Enquête sur Paul et Jésus, Pourquoi Paul cite-t-il si peu les paroles du Christ ?, Édition : Paris, Ed. Église Réformée de la Bastille, 2001. « D'une part les passages où Paul paraît citer explicitement ou implicitement une parole de Jésus : I Th. 4,2.15 ; I Co. 7,10s et 9,14 ; Rm. 14,14 (ch. III). D'autre part, ceux où Paul évoque, de près ou de loin, l'enseignement ou la vie de Jésus : Rm. 12,14. 20 ; 13,8b ; 15,3 ; I Co. 15,3 ; I Th. 4,9, Ga. 5,14 ; 6,2 : Rm. 10, 14-17 ; I Co. 1,5. 2,16 ; Ph. 3,8 ; I Co. 2,1-12 ; II Co. 5,16 ; Ga. 1,12 ; 15-17 (ch. IV) »
↑Christophe Senft,Jésus de Nazareth et Paul de Tarse, Labor et Fides, 1985.
↑Friedrich Nietzsche,L'Antéchrist, 51, trad. par Henri Albert, révisée par Jean Lacoste, inŒuvres, t. II, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1993, p. 1088.
↑Rüdiger Safranski,Nietzsche - Biographie seines Denkens (2000), München, Hanser ; Eng. Nietzsche : A Philosophical Biography, translated by Shelley Frisch, New York, W.W. Norton, 2002,(ISBN0393050084) ; voir notamment Matthias Schubel,Nietzsche, le philosémite européen, Faculté des lettres et sciences humaines, Besançon, 2007.
↑Friedrich Nietzsche,L'Antéchrist, 45, inŒuvres, t. II, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1993, p. 1081.
↑Daniel Marguerat, « Saint Paul contre les femmes ? »,inLe Dieu des premiers chrétiens, Labor et Fides, 1990.