Entré en politique commeradical, il s'éloigne de lagauche à partir de la fin desannées 1890. Il est plusieurs fois éludéputé entre 1888 et 1910, alternativement pour l'Aisne et l'Yonne.
En 1931, se présentant une nouvelle fois à laprésidence de la République, il devance au premier tour lerépublicain-socialiste et pacifisteAristide Briand puis l’emporte face àPierre Marraud, grâce notamment au soutien ducentre et de ladroite. En tant que chef de l'État, Paul Doumer se montre partisan d'un renforcement de la puissance militaire française, appelle à l'unité nationale et critique l'attitude partisane des partis politiques.
Moins d'un an après le début de son septennat, alors qu'il inaugure un salon d'écrivains anciens combattants, il estassassiné au moyen d’une arme à feu parPaul Gorgulov, un immigré russe aux motivations confuses, qui sera exécuté par la suite. Cette fin fait de lui, à ce jour, le dernier président de la République à avoir été assassiné.
Joseph Athanase Doumer naît le àAurillac, dans ledépartement du Cantal[b],[2]. Au début de sa carrière, il optera pour le prénom de son grand-père paternel, Paul, en raison de sa consonance plus républicaine que ses prénoms d’état civil[1],[5]. Il est baptisé le jour même de sa naissance en l'église catholique Notre-Dame-aux-Neiges d'Aurillac et a deux sœurs aînées : Renée (née en 1854) et Thérèse (née en 1855)[1].
S'il est admis que ses parents sont de condition très modeste, les origines et premières années du futur président de la République sont longtemps restées très incertaines. Son acte de naissance indique qu'il est le fils de Jean Doumer,« employé dans les chemins de fer et absent à cet effet », et de Victorine Fanie Alexandrine David,« sans profession »[2]. Le couple ne s’est probablement jamais marié, Victorine David ayant précédemment épousé — à quinze ans, le 17 juillet 1835 àCastelnau-Montratier (Lot) — un marchand dénommé Jean Louis Bach, né dans la commune homonyme deBach, qui l'aurait abandonnée et dont elle n'aurait pas divorcé[4],[6].
Contrairement à ce qui est traditionnellement rapporté, le père ne serait pas mort prématurément mais il aurait abandonné sa famille, conduisant Victorine David à déménager en région parisienne avec ses trois jeunes enfants[4]. Pour assurer leur survie, celle-ci aurait dès lors travaillé commefemme de ménage etcouturière[7].
Longtemps, la principale hypothèse qui circulait était que le père de Paul Doumer exerçait comme employé itinérant deschemins de fer d'Orléans avant de quitter Aurillac avec sa famille en pour s'installer dans lacommune de Montmartre[c] puis de mourir le mois suivant, peut-être des suites d’un accident du travail[1],[4],[9].
À ses treize ans, en raison de la situation financière de sa famille, il doit abandonner ses études pour entrer enapprentissage ; il est alors un des rares adolescents français à bénéficier de ce type de contrat[1]. Durant six années, il est apprenti en tant quecoursier, puis commeouvriergraveur dans une fabrique parisienne demédailles[1].
À vingt ans, dispensé deservice militaire du fait de son statut d'orphelin, Paul Doumer est nommé professeur de mathématiques au collège deMende (Lozère)[11]. En 1878, il obtient unelicenceès mathématiques, condition posée par le père deBlanche Richel, Clément Richel, pour qu'il puisse épouser cette dernière[7],[d] À partir de 1879, afin d'avoir une rémunération plus importante, il enseigne au collège deRemiremont, dans lesVosges[16],[17]. Il devient en 1880 secrétaire de la fédération vosgienne de laLigue de l'enseignement, qui prône le développement de l'instruction pour assurer le renforcement de laTroisième République[16] ; à ce titre, il organise des conférences sur l'histoire et les valeurs républicaines[12]. Il quitte l'enseignement en en invoquant des problèmes de santé mais étant en réalité vexé par un rapport de l'inspection générale de l'Éducation nationale critique à son égard[12].
Dès lors, Paul Doumer s'investit pleinement dans le secteur de la presse, écrivant des articles à l'occasion de séjours à Paris. Par l'intermédiaire de son beau-père, il entre en contact avec plusieurs personnalités républicaines, dont les sénateurs et conseillers généraux de l'AisneHenri Martin etWilliam Waddington. Avec le soutien de ces derniers, il devient en 1883 rédacteur en chef du journalLe Courrier de l'Aisne, àLaon, où il établit son domicile. À la tête du journal, traditionnellementmodéré, il adopte une ligne trèsradicale et un ton polémique. C'est pourquoi à la mort d'Henri Martin, à la fin de l'année 1883, la direction du journal l'oblige à démissionner. Il figure parmi les élus municipaux laonnois de 1884-1888 et occupe la fonction d’adjoint au maire de Laon. Il est également répétiteur au collège de la commune[18].
Après son départ forcé duCourrier de l'Aisne, il fonde, notamment avecGabriel Hanotaux,La Tribune de l'Aisne, dont il devient le premier directeur et qu'il oriente résolument à gauche. Dans le premier numéro du journal, il écrit :
« La création deLa Tribune n'a pas eu et ne doit pas avoir pour effet de provoquer une scission dans le camp républicain du département de l'Aisne. Nous voulons réagir contre la méthode trop préconisée et trop suivie qui consiste à remettre les destinées de la République aux mains de ses amis de dernière heure, à ses amis les plus tièdes, les plus imbus des doctrines monarchiques […] La grave question des rapports de l'État avec les diverses Églises est depuis longtemps pendante. L'opinion publique est insuffisamment préparée à la seule solution possible : la suppression du budget des cultes. […] »
Il travaille également pour les journaux parisiensLe Matin etLe Voltaire[19]. À l'instar d'autres personnalités, il se sert de ce journal, qui connaît un important succès, comme d'un tremplin électoral[18].
Armand Albert (1890-1923)[28], docteur en médecine,mort pour la France des suites d'une maladie contractée pendant la Grande Guerre[g] ;
Lucile Jane (1893-1917)[31], mariée à Georges Creté et morte de chagrin[évasif], après la disparition de ses frères lors de la Première Guerre mondiale[h],[32] ;
Germaine Louise (1897-1985),résistante ayant abattu un sous-officier allemand pendant laSeconde Guerre mondiale[33], mariée au docteur Georges Louis Lemaire.
Ses enfants lui inspirent l'ouvrage de moraleLivre de mes fils (1906), dans lequel il écrit :« Je souhaite qu'ils se forment une idée élevée de l'homme du vingtième siècle, du bon Français, du citoyen de notre République, et que, les yeux fixés sur ce modèle, ils s'attachent à l'imiter, à réaliser en eux-mêmes les qualités et les vertus qu'ils auront mises en lui. […] Il faut aimer la patrie jusqu'à lui tout sacrifier, ses biens, sa vie, ses enfants, mais aussi jusqu'à puiser dans cet amour d'elle la force et le courage[34],[35]. » L'ouvrage est réédité après laPremière Guerre mondiale, qui tue quatre de ses cinq fils (alors qu'il avait la possibilité d'user de ses relations pour écarter ceux-ci des zones de combat)[36].
Avec l'appui de son journal, Paul Doumer s'implante dans le département de sa belle-famille, l'Aisne, qu'il qualifie de« pays de la loyauté »[37]. Il fonde et devient secrétaire de l'association républicaine ducanton de Laon[18].
Il se présente auxélections municipales d' àLaon, où la liste sur laquelle il figure obtient la majorité face à celle soutenue parLe Courrier de l'Aisne, dirigé parWilliam Waddington[20]. Paul Doumer devient conseiller municipal (républicain radical), étant àtrente ans le benjamin du nouveauconseil municipal[18]. Deux semaines plus tard, à la suite de la démission dumaire de la ville, Jean-François Glatigny, il est élupremier adjoint au nouveau maire, Charles Bonnot[38]. Pendant son mandat, ce dernier cherche à modérer les positions de son premier adjoint, qu'il juge excessives[39]. Membre de la commission municipale chargée de l'agriculture, de l'industrie et du commerce, Paul Doumer se montre soucieux de réaliser des investissements tout en s'assurant de l'équilibre du budget municipal. En vertu de laloi Goblet, il exige au plus tôt lalaïcisation de l'école communale des garçons. Rapidement, il acquiert une réputation de grand travailleur et de connaisseur des dossiers de la commune, qui compte alors quelque 10 500 habitants[40]. Sa mesure phare est le lancement de la construction dutramway de Laon, qui permettra de relier lagare à la ville haute : mis en service en 1899, le tramway connaîtra un réel succès et fonctionnera jusqu'en 1971[37],[41].
Première élection à la Chambre des députés (1888-1889)
En 1888, Paul Doumer est investi par les radicaux pour l'élection législative partielle faisant suite à la mort du député de l'Aisne Ernest Ringuier[42]. À la tête duCourrier de l'Aisne,Charles Sébline mène alors une intense campagne contre Doumer, dénonçant son manque d'expérience et sonparachutage dans le département[i]. Il doit également faire face à la candidature du populairegénéral Boulanger, qui fait figure de favori sur ces terres plutôt rurales et conservatrices[44]. Terminant en deuxième position du premier tour, Paul Doumer bénéficie finalement du désistement de Boulanger, arrivé nettement en tête du scrutin grâce au soutien des paysans et des mineurs[45]. Le, dans un contexte de faible participation, il est élu député avec 47 % des suffrages exprimés, contre 37 % au candidatorléaniste René Jacquemart[46]. Il démissionne alors de ses mandats à Laon et quitte la rédaction deLa Tribune de l'Aisne[47].
À laChambre des députés, où ont encore lieu de vifs débats entre partisans de la monarchie et de la république, il fait partie des rares élus issus de la classe ouvrière[48]. Durant sesdix-huit mois de mandat, pendant lesquels il siège au sein dugroupe de la Gauche radicale, il se montre très actif, rédigeant plusieurs rapports, notamment sur les finances, l'armée et la marine. Il vote contre le projet de loi Lisbonne visant à réduire laliberté de la presse et en faveur de l'abandon duscrutin de liste au profit duscrutin d'arrondissement. Avec le dirigeant radicalLéon Bourgeois, il milite pour le développement dessociétés coopératives ouvrières de production afin de réduire l'influence de ses adversaires socialistes, étantrapporteur de la loi sur le sujet[49]. Ses relations avec le général Boulanger se dégradent lorsqu'il se prononce contre la proposition de celui-ci de réviser leslois constitutionnelles, puis lorsqu'il vote pour les poursuites contre le général et trois députés issus de laLigue des patriotes[7],[49].
En 1891, à la suite de la mort du députéRené Laffon et avec l'aide de Floquet, il se porte candidat à un scrutin législatif partiel dans la première circonscription d'Auxerre, dans l'Yonne[50]. Malgré la campagne hostile conduite à son égard parL’Estafette deJules Ferry, il est élu au second tour avec 59 % des voix exprimées[51]. Il quitte alors la tête du cabinet de Floquet[52]. Le, dans son premier grand discours à la Chambre, il appelle à une augmentation de l'impôt sur les successions et à l'instauration d'un impôt corrélé aux ressources des citoyens, qui sera par la suite appeléimpôt sur le revenu. Faisant de cette dernière idée son combat principal dans un système fiscal qu'il juge très inégalitaire, il s'attire les critiques de la droite et d'une partie de la presse, notamment duFigaro[52]. En, aux côtés deGodefroy Cavaignac, il porte une proposition d'impôt progressif sur le revenu qui fait notamment face à l'opposition deRaymond Poincaré : la Chambre repousse le texte par267 voix contre 236[20],[52].
Paul Doumer est réélu auxélections législatives de 1893 dès le premier tour de scrutin avec 56 % des suffrages exprimés[52]. À l'ouverture de la nouvelle législature, il obtient qu'une séance soit consacrée chaque vendredi au travail et à la condition des ouvriers[52]. En plus de la fiscalité, il travaille essentiellement sur lescolonies, quelques années après le « tournant colonial » pris par la Troisième République. En 1893, il est rapporteur d'une proposition de loi deJoseph Reinach visant à instaurer unministère des Colonies de plein exercice, ce qui est fait l'année suivante[53]. En tant que rapporteur du budget des Colonies, il intervient en 1895 dans le cadre du projet de loi ayant pour objet le règlement provisoire de la situation financière duprotectorat de l'Annam etdu Tonkin et des dépenses de l'expédition du Siam ; il est alors pressenti pour remplacer legouverneur général de l'Indochine française,Armand Rousseau, malade[7].
Premier passage au ministère des Finances (1895-1896)
Cherchant à allieréquilibre des finances publiques etjustice sociale, Paul Doumer conduit unepolitique de rigueur, procédant à un plan d'économies et à une augmentation de l'impôt sur les successions. À l'instar des projets qu'il a précédemment défendus en tant que député, il prône la mise en place d'unimpôt global et progressif sur le revenu. Devant remplacer lacontribution personnelle et mobilière et l'impôt sur les portes et fenêtres, ce projet de prélèvement visant à s'appliquer aux revenus supérieurs à 2 400 francs suscite l'opposition de la droite et d'une partie de la majorité, effrayées par la personnalisation de lafiscalité directe, laprogressivité et ladéclaration de revenus. Le ministre des Finances leur répond que lesystème fiscal français fait davantage reposer l'impôt« sur le pauvre que sur le riche », et que la mesure, déjà adoptée par laPrusse, permettrait d'accroître les rentrées fiscales dans la perspective d'un nouveau conflit militaire[53]. Avec le soutien des socialistes, le principe de l'impôt sur le revenu est approuvé par la Chambre des députés, ce qui constitue une première, les projets similaires précédents ayant tous été repoussés par l'assemblée[53].
Mais Paul Doumer se heurte à l'hostilité du Sénat, plus conservateur que la chambre basse, et doit faire face à des appels de membres de sa majorité à retirer son projet s'il ne veut pas faire chuter le gouvernement. Le ministre des Finances ne renonçant pas, le Sénat contraint le cabinet Bourgeois à la démission, le[55]. Paul Doumer se voit alors tenu pour responsable du renversement du ministère. Redevenu simple député, il propose une nouvelle fois l'établissement de l'impôt sur le revenu en[53]. Cet impôt sera finalement instauré en 1914, en raison de la nécessité d'accroître les recettes de l'État à l'aube de la Première Guerre mondiale[56],[57].
Gouverneur général de l'Indochine française (1897-1902)
Paul Doumer aux côtés de Nguyễn Trọng Hợp etCao Xuân Dục lors d'un concours triennal (Nam-Dinh, 1897, photographie d’André Salles).
À la fin de l'année 1896, après la mort d'Armand Rousseau, le président du Conseil,Jules Méline, lui propose de devenirgouverneur général de l'Indochine française[13]. Paul Doumer répond positivement à l'offre du chef de gouvernement modéré, ce qui est considéré comme une trahison par les radicaux[58]. Les détracteurs de Doumer l'accusent d'avoir accepté la fonction afin de bénéficier d'une rémunération conséquente alors qu'il est de notoriété publique qu'il est endetté[58]. Il devient gouverneur général le, étant remplacé à la Chambre des députés parJean-Baptiste Bienvenu-Martin[11].
Doté d'importants pouvoirs, Paul Doumer est chargé de réorganiser l'Indochine française, qui connaît alors une grave crise[59]. Marquées par l'affaire du Tonkin, l'opinion publique et la classe politique se montrent méfiantes à l'égard du territoire, qui est largement déficitaire et pour lequel d'importantes dépenses sont régulièrement engagées[60]. Dans ce contexte, pendant les premiers temps de sa fonction, Paul Doumer ne bénéficie pas de nouveaux crédits pour l'Indochine[58]. Chargé avant tout de redresser cette situation financière, il s'entoure d'un cabinet restreint, composé d'hommes venus avec lui de métropole[58]. Il réprouve la politique de ses prédécesseurs, qui n'étaient selon lui que de simples« administrateurs », adoptant pourleitmotiv« gouverner partout, n'administrer nulle part »[61]. À l'inverse des précédents gouverneurs généraux, il se rend régulièrement sur le terrain et bénéficie d'une réputation d'ubiquité[58].
L'Indochine française — qui comprend la colonie deCochinchine et les protectorats de l'Annam, duTonkin, duCambodge et duLaos — doit selon Paul Doumer être gérée par un pouvoir central fort[62]. Estimant que la conquête coloniale par étapes a conduit à un morcellement et jugeant insuffisante l'Union indochinoise, Paul Doumer entreprend une refonte administrative visant à unifier les différents territoires de l'Indochine. En 1899, sur le modèle de l'Indian Civil Service, il crée un corps unique desservices civils dont il confie la surveillance à des inspecteurs chargés de lutter contre lacorruption et l'arbitraire[63]. Appelant à un État doté d'un appareil administratif et budgétaire performant, il met en place des organes centralisateurs. Mais rapidement, l'organisation initiée par Paul Doumer — surnommé le« Colbert de l'Indochine » — compte un très grand nombre de fonctionnaires et présente d'importantes rigidités[64].
Pour renforcer le gouvernement général, il réduit l'influence de ladynastie Nguyễn, et fait supprimer la fonction dekinh luoc, qui maintenait une forme de liaison entre le Tonkin et la cour impériale deHué, au profit durésident supérieur français[65]. Jugeant les Européens plus aptes à décider que lesindigènes, il affaiblit ainsi considérablement le gouvernement impérial[61]. Dans un article publié en 1909, il énumère les caractéristiques desraces supérieures : propension au travail, patriotisme, amour de la culture, courage et force morale ; dans cette optique, il estime que lesAnnamites sont supérieurs aux populations voisines en raison de leur intelligence et de leur discipline[66]. Afin de renforcer la connaissance des Français pour les particularités de cette région d'Asie, il crée l'École française d'Extrême-Orient, qui attire nombre de savants[67]. Sa politique mêle ainsi des éléments d'assimilation et d'association[68].
Sur le plan financier, confronté aux contraintes budgétaires imposées par la métropole, il renforce la lutte contre lafraude, instaure de nouveauxprélèvements obligatoires et augmente ceux déjà existants. L'institution en 1899 d'un budget général se fait au détriment des budgets locaux et notamment de la Cochinchine, principal moteur économique de l'Indochine étant parvenu jusque-là à conserver une forte indépendance. Cette dernière mesure attire à Paul Doumer de vives critiques de la presse et des figures de la Cochinchine, notamment dePaul Blanchy etCharles Le Myre de Vilers, qui affirment qu'il souhaite faire payer la colonie pour les protectorats[63]. Grâce notamment auxdroits de douane et à la mise en place — très contestée par la population — desrégies (sur lesel, l'opium que la Régie de l'opium raffine et vend pour le compte de l'état par le biais du service desDouanes jusqu'en 1945[j] et l'alcool de riz), le gouvernement général parvient rapidement à dégager desexcédents budgétaires[63].
Si elles appauvrissent et révoltent les populations indigènes, ces nouvelles recettes permettent à Paul Doumer d'obtenir le soutien de laBanque de l'Indochine et de lancer plusieurs grands projets d'infrastructures (chemins de fer, routes, ponts, ports, etc.) en utilisant les techniques et le savoir-faire européens[69]. C'est en particulier le cas àHanoï, où sont notamment construits leGrand Palais et lepont Paul-Doumer, qui s'étend sur une longueur de 1 670 mètres au-dessus dufleuve Rouge[70]. Paul Doumer organise dans la ville une exposition mondiale, qui se déroule en 1902 et 1903, afin de présenter la modernisation en cours en Indochine ; le coût élevé de cet événement, pénalisé par la démission de Doumer, laisse le budget de la ville en déficit pendant une décennie[71],[70]. Il se fait également construire laVilla Blanche — du nom de sa femme — aucap Saint-Jacques, lieu de villégiature prisé des coloniaux de Cochinchine française[72]. En matière agricole, il permet la répartition des terres en faveur des colons et grandes entreprises françaises[63].
Considérant que« la civilisation suit la locomotive », il est un ardent partisan de la construction d'un chemin de fer traversant tout le territoire, le « Transindochinois », dont le plan du réseau avait commencé à être dressé par son prédécesseur,Armand Rousseau[13],[73]. Ce chemin de fer, construit par des« coolies » dans des situations précaires, sera achevé en 1936[13]. Pour la réalisation de laligne du Yunnan, il obtient un emprunt de200 millions de francs-or[74]. Les services de Paul Doumer font également terminer les travaux du port d'Haïphong[75]. Il transfère le gouvernement à Hanoï, où il fait construire unenouvelle résidence pour les gouverneurs généraux et qu'il désigne comme capitale de l'Indochine en 1902 en remplacement deSaïgon[63]. En collaboration avec le médecinAlexandre Yersin, il ordonne aussi la construction de la ville deDalat, afin que les travailleurs européens puissent profiter d'unsanatorium et récupérer ainsi du rude climat de l'Annam[76]. À la suite de l'agronomeAuguste Chevalier et de l'économisteHenri Brenier, Paul Doumer se montre favorable à l'acclimatation de l'hévéa — dont la culture est déjà importante enMalaisie britannique et auxIndes néerlandaises — dans les terres récemment conquises deSumatra[77]. Il est également à l'origine de l'université de médecine de Hanoï[67].
Inquiet de l'avancée en Asie de laRussie et duRoyaume-Uni, Paul Doumer semble être favorable à une colonisation de la Chine par la France[67]. Sans en informer Paris, il fait en sorte de créer une situation de fait devant conduire à l'annexion de la prospère province duYunnan, dans le sud-est du pays[67]. À ce titre, il visite en la capitale de la région,Kunming, où il fait face au refus du vice-roi de satisfaire sa demande d'obtention d'un terrain destiné à construire une gare ferroviaire. Cet incident diplomatique conduit à un soulèvement d'habitants duxian de Mengzi redoutant l'achat de leursmines d'étain par les Français[67]. Le ministre français des Affaires étrangères,Théophile Delcassé, assure alors à la Chine et au Royaume-Uni qu'il n'entend pas annexer le Yunnan[78]. Quelques mois plus tard, éclate contre les colons larévolte des Boxers, lors de laquelle Paul Doumer fait envoyer des troupes d'Indochine pour soutenir leslégations étrangères[68],[79]. Dans le même temps, ses relations avec l'armée coloniale sont tendues, cette dernière n'acceptant pas l'ingérence du gouvernement général dans ses prérogatives[68].
Souhaitant revenir en métropole pour briguer un nouveau mandat de député auxélections législatives, Paul Doumer démissionne de sa fonction de gouverneur général en[13]. Il est remplacé en octobre suivant parPaul Beau, réputé plus consensuel que lui[80],[81]. Avec sescinq années passées en Indochine, Paul Doumer est l'un des gouverneurs généraux du territoire à la longévité la plus importante, la plupart de ses prédécesseurs ayant occupé le poste pendant un oudeux ans[82],[83]. Il est également considéré comme ayant été l'un des gouverneurs les plus actifs[54]. Face aux critiques dont il fait l'objet à son retour en métropole, notamment sur la question indigène, il publie en 1905 un ouvrage de souvenirs d'Indochine, qui servira de référence à plusieurs responsables militaires pendant laguerre d'Indochine[84],[85]. Ayant permis un redressement de la situation financière et administrative de l'Indochine et renforcé la position de la France face au Royaume-Uni, son action lui servira de tremplin pour la suite de sa carrière politique[86]. Ses successeurs inscriront d'ailleurs leur politique dans la continuité de celle de Paul Doumer, qui sera classé par legénéral de Gaulle parmi les meilleurs« proconsuls » de l'histoire de France[87].
De retour en métropole le, Paul Doumer décide de reprendre une carrière politique dans l'Aisne, et acquiert fin 1904 une vaste propriété àAnizy-le-Château[38]. Auxélections législatives de 1902, il se présente à nouveau dans la seconde circonscription de Laon, en tant que candidat radical pour lebloc des gauches. Après le désistement d'André Castelin, il l'emporte au premier tour, avec 98 % des suffrages, contre unsocialiste indépendant[88]. Il entre dans le même temps en contact avec l'historienAndré Lichtenberger, qui devient son assistant[k].
En 1904, il est éluconseiller général de l'Aisne dans lecanton d'Anizy-le-Château, un mandat qu'il exercera jusqu'à son élection à la présidence de la République : une telle longévité est exceptionnelle pour cette époque, les personnalités de la Troisième République n'accordant qu'une faible importance à l'échelon départemental[91]. Au conseil général de l'Aisne, dont il prendra la tête par la suite, l'une de ses premières actions est de faire repousser une proposition de motion félicitant le président du Conseil,Émile Combes, pour son action anticléricale[47]. Pendant ses différents mandats, Paul Doumer s'implique principalement sur les questions de transports : il fait notamment voter, sur le modèle desa réalisation à Laon, la construction d'untramway àtraction électrique reliantAnizy-le-Château àTergnier, et porte plusieurs projets delignes de chemin de fer[91].
Lors de l'élection à laprésidence de la Chambre des députés du, il présente sa candidature, qui reçoit le soutien de députés radicaux dissidents, du centre et de la droite appréciant son opposition au cabinet Combes. Avec265 voix, il remporte le scrutin face au président sortant, le radicalHenri Brisson, qui obtient25 suffrages de moins[96]. C'est la première fois qu'un candidat est élu à la présidence de la chambre basse grâce à un mélange de voix de gauche et de droite[97]. Cette élection fragilise le gouvernement et la majorité du bloc des gauches, qui commence à se déliter. Violemment conspué lors de son discours de victoire, Paul Doumer fait l'objet de vives critiques de la presse de gauche ; ainsi,L’Aurore relate l’issue du scrutin de la façon suivante :
Au « perchoir », quelques jours après son élection, Paul Doumer est considéré comme le principal responsable de la chute du cabinet Combes, ses adversaires parlant alors à son sujet de« boulangismecivil »[97]. À la fin de l'année 1905, conformément à la tradition en vigueur pour le président de la Chambre, il s'abstient lors du vote de laloi de séparation des Églises et de l'État[97]. S'il est critique envers l'absentéisme des députés et n'hésite pas à multiplier les séances de nuit, il ne se montre pas particulièrement assidu pour présider les débats de l'assemblée[97]. Le, après avoir contribué au rejet d'une résolution prévoyant l'élection du président de la Chambre auscrutin public et non plussecret, il est réélu avec287 suffrages contre 269 au candidat présenté par la délégation des gauches et soutenu par la Gauche radicale et legroupe radical-socialiste,Ferdinand Sarrien[99],[100].
Défaite à l'élection présidentielle et traversée du désert (1906-1912)
Parlementaires prenant part au scrutin présidentiel de 1906 (gravure du supplément illustré duPetit Journal).
Au début de l'année 1906, après avoir publié sonLivre de mes fils, Paul Doumer se porte candidat à laprésidence de la République pour succéder àÉmile Loubet. Soutenu par les cléricaux, il reçoit l'appui financier de commerçants et hommes d'affaires, tandis queJean Jaurès fait partie de ses plus farouches opposants[97]. Le, avec371 voix (43,8 %), il est battu au premier tour par le président du Sénat et candidat du bloc des gauches,Armand Fallières, qui réunit449 voix (52,9 %)[101]. Plus clivant que son adversaire, Paul Doumer a souffert auprès de la gauche de son rapprochement avec les conservateurs, de sa contribution à la chute du gouvernement Combes et de son souhait de renforcer la fonction présidentielle[95].
Réélu confortablement député de l'Aisne (63 % des voix au premier tour) auxélections législatives de, il ne brigue pas un troisième mandat au « perchoir », Henri Brisson lui succédant après l'ouverture de laIXe législature[102]. Évincé du groupe de la Gauche radicale, il siège commenon-inscrit à la Chambre[36]. Il estrapporteur général du budget, et défend la colonisation et le réarmement du pays[103]. Le, il est reçu àSaint-Pétersbourg par le tsarNicolasII, qui souhaite l'interroger sur son action en Indochine, ainsi que sur des questions liées aux finances et aux travaux publics[103]. En parallèle, Paul Doumer écrit des articles dans le journalLe Petit Parisien[103]. Lors desélections législatives de 1910, abandonné par la gauche et laissant sceptiques certains conservateurs, il perd son siège de député, recueillant 47 % des voix au second tour face àAndré Castelin, qui l'avait déjà battu en 1889 et qui se présentait cette fois comme candidat républicain indépendant[7],[104]. Plusieurs commentateurs annoncent alors la fin de la carrière politique de Doumer[105].
Pendant les deux années qui suivent cet échec, bénéficiant de son parcours politique et de son expertise en matière financière, Paul Doumer se consacre au monde des affaires. Il préside de nombreux conseils d'administration, notamment celui de laCompagnie générale d'électricité (CGE), celui de laChambre syndicale des fabricants et constructeurs de matériel pour chemins de fer et tramways et celui de l'Union minière et métallurgique deRussie[106]. À la tête de la CGE, à laquelle il accède alors qu'il n'avait aucun lien avec elle, il préside un temps les filialesCompagnie nationale du Rhône etEnergía Eléctrica de Cataluña ; il conservera cette fonction à la CGE jusqu'en 1927, démissionnant seulement lors de ses nominations au gouvernement[106]. Jusqu'en 1914, il est également vice-président de l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM). Ces multiples fonctions, qui lui assurent de confortables revenus alors qu'il était jusque-là toujours endetté, lui attirent les critiques de la presse et d'opposants, qui le jugent affairiste[106].
En 1912, il décide de briguer un siège desénateur. À cette époque, une entrée au Sénat est considérée comme plus prestigieuse qu'une élection comme député[107]. Alors qu'il est rejeté par les radicaux de l'Aisne, notamment par le députéPascal Ceccaldi, il opte pour une candidature enCorse, après avoir sans succès tenté de se présenter dans son départemental natal duCantal. Il reçoit alors le soutien duParti républicain démocratique (PRD), classé au centre droit de l'échiquier politique[107]. Pendant la campagne desélections sénatoriales,Bastia-Journal le décrit comme un« histrion d'Indochine, vautour d'Auvergne, traître à son parti, brûlé partout »[107]. Malgré l'hostilité des francs-maçons, dugouvernement Caillaux et du Parti radical, il l'emporte au premier tour de scrutin, le, avec 59 % des suffrages, ce qui en fait le mieux élu des trois sénateurs du département[l],[109]. Au début de l'année 1913, il adhère augroupe de l'Union républicaine, alors que les radicaux se réunissent au sein de laGauche démocratique radicale et radicale-socialiste[107].
Paul Doumer en 1913.
Comme à la chambre basse, Paul Doumer apparaît comme un expert des thématiques financières et militaires : il siège ainsi à lacommission des Finances et àcelle de l'Armée, dont il est rapporteur alors que lecoup d'Agadir laisse présager une nouvelle guerre avec l'Allemagne[19]. Dénonçant depuis des années un manque de préparation de la France face à un éventuel conflit militaire, il fait en sorte d'augmenter les effectifs de l'armée, notamment en accélérant l'adoption duprojet de loi consacrant le retour auservice militaire detrois ans (au lieu de deux), s'opposant ainsi vivement àÉdouard Herriot[110]. Il continue de prôner un important réarmement de la France, écrivant dans son ouvrageLa Métallurgie du fer (1912) que« c'est par l'acier qu'on sauvegarde l'indépendance d'un peuple »[111]. Début 1914, il est nommé membre du Conseil supérieur aéronautique militaire[7].
Lors du déclenchement de laguerre, il décide de rester à Paris alors que les autorités politiques se replient àBordeaux[112]. À sa demande, il devient chef du cabinet civil dugouvernement militaire de Paris, conduit par legénéral Gallieni[113]. Cette nomination rencontre l'opposition du président du Conseil,René Viviani, et d'autres personnalités politiques, qui font circuler la rumeur que Doumer et le général fomentent uncoup d'État[112]. Entre septembre et, finalement nommé en raison de l'insistance de Gallieni, Paul Doumer assure la liaison entre l'état-major et legouvernement Viviani, qui se trouve à Bordeaux. Il travaille sur les travaux defortifications de Paris — dont il est un fervent partisan, se montrant horrifié à l'idée de laisser les forces allemandes pénétrer dans la capitale —, mais aussi sur l'acheminement desfabrications de guerre et sur la fourniture desservices publics[7],[16]. Alors que l'état de siège est déclaré, il préside la commission chargée d'organiser les secours volontaires, et assiste le général Gallieni dans sa décision de réquisitionner plus d'un millier detaxis parisiens dans le cadre de labataille de la Marne[112]. Devenu le parlementaire occupant la position civile la plus élevée, Paul Doumer relègue au second plan lepréfet de la Seine et lepréfet de police de Paris[114]. Lors de la reprise des travaux parlementaires, le, le cabinet civil du gouvernement militaire est supprimé[115].
Vice-président de lacommission de l'Armée du Sénat à partir de, Paul Doumer continue d'appeler à l'augmentation des effectifs militaires et de prôner le refus de tout passe-droit pour les fils issus de familles aisées. Il tente sans relâche d’assurer ses prérogatives de contrôle sur le gouvernement et l'armée[m], ce qui engendre des tensions avec legénéral Joffre etAlexandre Millerand, ministre de la Guerre, une fonction que Doumer est réputé convoiter[n]. Au nom de sa commission, Paul Doumer est rapporteur du projet de ratification des 34 décrets relatifs à l’organisation militaire pris entre août et par le gouvernement, notamment par le ministre de la Guerre : il juge les textes illégaux car n’ayant pas fait l’objet d’unedérogation législative, mais accepte leur ratification au nom des circonstances exceptionnelles[117]. En, il part en mission àPétrograd pour négocier avec l'empereurNicolasII l'envoi en France de troupes russes[20].
La guerre touche personnellement Paul Doumer, puisqu'elle coûte la vie à quatre de ses fils[34],[118]. Sa propriété d'Anizy-le-Château est en outre détruite par les Allemands[20],[91]. Marqué par ces tragédies, Paul Doumer se fera jusqu'à sa mort un ardent défenseur de la cause desanciens combattants[119]. Pendant le conflit, il tient à effectuer de nombreuses visites sur lefront, où il relève des erreurs commises par les autorités, à qui il reproche un manque d'organisation, notamment lors de labataille du Chemin des Dames[35]. En, il se voit refuser l’accès aufront de l'Est par Joffre et Millerand, toujours méfiants à l’égard de la volonté de contrôle du Parlement, qui s’en émeut vivement[120].
Le, dans legouvernement dePaul Painlevé, il devientministre d'État et membre duComité de guerre, où siègent égalementLouis Barthou,Léon Bourgeois etJean Dupuy[121]. Cette nomination est en partie due à la volonté du nouveau président du Conseil d'apaiser les relations entre le pouvoir exécutif et le Sénat alors que la commission sénatoriale de l'Armée s'est montrée particulièrement virulente à l'égard duprécédent gouvernement[35]. Travaillant avec Léon Bourgeois, Paul Doumer forme un comité économique coordonnant les efforts des finances, du commerce de l'armement, du ravitaillement et des travaux publics[16],[20]. Il fait notamment adopter un projet de loi sur le recrutement de l'intendance militaire[35]. Mais le cabinet Painlevé tombe le,deux mois seulement après sa formation[122]. Nommé chef du gouvernement,Georges Clemenceau ne reconduit pas Paul Doumer, qu'il respecte mais avec qui ses relations sont tendues[123],[124].
Après l'armistice, bénéficiant d'un grand prestige moral — notamment à droite — en raison de son action et des épreuves qu'il a subies pendant le conflit, Doumer est un temps considéré comme un possible successeur du président de la République,Raymond Poincaré[36]. Il participe à l'élaboration de la « Charte des sinistrés » et à la mise en place d'une commission d'enquête sur les faits de guerre[125]. Au conseil général de l'Aisne, il plaide pour que la commune deCoucy-le-Château ne soit pas reconstruite, afin de laisser visible la« destruction sauvage » des Allemands[47]. Toujours impliqué dans les thématiques coloniales, il est membre de la commission du Sénat chargée de procéder à une étude économique sur les moyens d'accroître les efforts de production des colonies françaises, alors que la métropole est détruite. Le sénateur de la Corse continue également de s'intéresser aux questions financières, notamment à l'impôt sur le revenu, et à la refonte du système fiscal pour réduire l'important déficit public de la France[35]. Élurapporteur général du budget en, il s'oppose sur plusieurs sujets au ministre des FinancesFrédéric François-Marsal[126]. Il est alors vu comme ayant davantage d'influence qu'un ministre[126].
Neuf ans après avoir refusé son parachutage, les radicaux duCantal lui proposent une investiture auxélections sénatoriales de 1921, mais Paul Doumer décline l'offre[126]. Proche de l'Alliance républicaine démocratique (ARD), seul représentant de la droitegaviniste, il est réélu sénateur de la Corse au second tour avec 52 % des voix, un score sensiblement inférieur à celui qu'il avait obtenu dès le premier tour en 1912[127]. Bien qu'il ait utilisé ses relations parisiennes pour améliorer significativement les infrastructures de l'île — dont il dit qu'elle est« encore presque dans le même état oùJules César a trouvé laGaule » —, il a été desservi par les« ambitions continentales » qui lui sont prêtées et par son manque de présence sur le terrain pendant son premier mandat[126].
Retour au gouvernement et commission des Finances (1921-1926)
Le,vingt-cinq ans après sa première nomination, Paul Doumer retrouve le portefeuille de ministre des Finances, dans leseptième gouvernement Briand. Il doit principalement gérer les conséquences de la guerre. Dans un contexte économique difficile, il mène unepolitique protectionniste en relevant les tarifs douaniers à l'importation, organise lessociétés coopératives de reconstruction et définit les modalités d'indemnisation des dommages de guerre. Lors de laconférence de Londres de 1921, il négocie le montant des réparations dues par l'Allemagne, puis s'oppose au projet demoratoire proposé par Aristide Briand, qui a selon lui« la main molle »[128]. Confronté à une baisse des recettes alors qu'il reste attaché au principe d'équilibre budgétaire, il engage une réforme du système fiscal avec la mise en place d'un comité consultatif des impôts et revenus publics. Il fait passer le budget français de 28 à20 milliards de francs, notamment en diminuant les dépenses de fonctionnement de l'État et privilèges des ministères[128].
Alors qu'il affiche régulièrement des divergences avec les autres ministres et que plusieurs de ses propositions font polémique ou sont rejetées par la Chambre (en particulier celle d'augmenter la taxe sur le chiffre d'affaires), l'hypothèse de sa démission pour devenirgouverneur général de l'Algérie est envisagée[129]. Sa politique de diminution des crédits suscite d'importantes oppositions — comme celle dumaréchal Lyautey concernant leMaroc — et il ne parvient pas à freiner la chute dufranc[128]. Malgré son impopularité, Paul Doumer fait voter le budget pour 1922 avant le début de la nouvelle année, évitant ainsi le recours à la technique dite des « douzièmes provisoires », qui était utilisée depuistrente ans[128],[130]. Il demeure finalement ministre jusqu'à la fin du cabinet Briand, en, en plein scandale de laBanque industrielle de Chine, que Paul Doumer — très lié à sa concurrente, laBanque de l'Indochine — a refusé de faire refinancer par l'État[128],[131].
Il devient ainsi ministre des Finances pour la troisième fois, malgré l'opposition à son égard ducartel des gauches. En allusion au précédent passage de Paul Doumer rue de Rivoli, Briand précise alors que la politique financière ne sera plus« celle d'un homme » mais« celle du gouvernement tout entier »[29]. Dans une période de grande fébrilité des marchés financiers, Paul Doumer tente une nouvelle fois, sans succès, de stopper la chute du franc et de réduire le déficit public. Il instaure une banque d'émission àMadagascar et réorganise leCrédit maritime[133]. Le cabinet est renversé en, à la suite d'un vote de la Chambre sur la taxe sur les paiements, et Paul Doumer n'est pas reconduit dans leneuvième ministère Briand[134].
Durant l'été 1926, le président de la République,Gaston Doumergue, le charge de former un cabinet, mais, ne disposant pas d'une majorité et refusant tout compromis sur la question des réparations de guerre, Paul Doumer renonce à devenir président du Conseil[29]. Nommé à la tête du gouvernement et aux Finances,Raymond Poincaré mettra finalement en place plusieurs mesures préconisées par Doumer[15]. Celui-ci retrouve en la présidence de la commission des Finances du Sénat, où il se fait assister parHenry Chéron etJules Jeanneney[29],[135]. Bien que sénateur de la Corse, il reste conseiller général de l'Aisne, et préside leconseil général du département à deux reprises entre 1924 et 1931[136] ; les Axonais lui sont notamment reconnaissants d'avoir œuvré à la reconstruction de l'Aisne, qui était le département le plus sinistré du pays à l'issue de la Grande Guerre[126].
Président du Sénat et accession à l'Élysée (1927-1931)
Lors desélections sénatoriales de 1927, le président sortant du Sénat,Justin de Selves, est battu dans son département de Tarn-et-Garonne[137]. Pour lui succéder, le groupe de la Gauche démocratique radicale et radicale-socialiste présente la candidature de Paul Doumer, qui bénéficie des retraits en sa faveur des candidats investis par l'Union républicaine,Albert Lebrun etHenry Chéron[138]. Le, sans concurrent après que le groupe socialiste a décidé présenter un candidat, Paul Doumer est élu à la présidence du Sénat par238 voix pour273 votants et240 exprimés ; avant lui, seulAntonin Dubost avait obtenu un nombre de suffrages aussi important[139],[140]. Sonchef de cabinet estGaëtan Pirou[47].
Réélu sénateur de la Corse aveccinq voix de majorité au premier tour en 1929[141], Paul Doumer est facilement reconduit à la tête de la chambre haute chaque année jusqu’en 1931, toujours sans concurrent[142],[143],[144],[145]. Au « plateau », il appelle à la poursuite de l'Union sacrée et maintient sa volonté de faire payer l'Allemagne pour les réparations de guerre[138]. À la suite de la mort deGeorges Clemenceau, il prononce en tant que président du Sénat un vibrant discours d'hommage à celui-ci, qu'il admirait malgré leurs désaccords politiques[138]. Continuant son évolution à droite, il quitte en le groupe de la Gauche démocratique radicale et radicale-socialiste[29].
À l'approche de la fin de son septennat présidentiel,Gaston Doumergue annonce qu'il n'entend pas briguer un second mandat. Alors que le président du Sénat est par tradition souvent amené à devenir président de la République, Paul Doumer est longtemps donné seul favori pour succéder à Doumergue,25 ans après son échec face à Armand Fallières. Mais, considéré commenationaliste etbelliqueux par beaucoup de parlementaires de gauche, il doit faire face à la candidature de dernière minute de l'un des hommes politiques les plus en vue du moment,Aristide Briand, connu pour sonpacifisme[146].
Le, grâce à l'appui du centre et de la droite, Paul Doumer arrive en tête du premier tour avec442 voix (49,3 %) contre 401 (44,7 %) à Briand, qui se retire aussitôt[147]. Au second tour, pour remplacer la candidature de ce dernier, les radicaux présentent l'ancien ministrePierre Marraud. Paul Doumer est élu président de la République avec504 voix sur883 suffrages exprimés (57,1 %)[148]. Saluée par la majorité de la presse et des milieux d'affaires, son élection provoque la colère des députés de gauche et d'extrême gauche ; la tension est telle qu'Anatole de Monzie déclare que« c'est l'affaire Dreyfus qui recommence »[138]. Quelques jours avant son entrée à l'Élysée, Paul Doumer quitte ses différents mandats électoraux[149].
Paul Doumer posant pour lesphotographies officielles après son investiture à la présidence de la République.
Paul Doumer prend ses fonctions de président de la République le[150]. Il décide de résider aupalais de l'Élysée avec une partie de sa famille. Lors de la cérémonie d'investiture, Gaston Doumergue fait l'éloge du patriotisme de son successeur. De son côté, le nouveau président dénonce« lescrises politiques qui tiennent aux rivalités des partis »[151]. Première personnalité issue d'un milieu ouvrier à accéder à une telle fonction, il indique dans son message au Parlement :« Je veillerai au maintien et au perfectionnement de nos institutions démocratiques, auxquelles le pays est ardemment attaché. L'instruction, libéralement dispensée, doit permettre aux travailleurs sans distinction de gravir l'échelle sociale, suivant leurs mérites et leurs aptitudes. La démocratie n'admet ni privilèges, ni castes, et elle a le devoir d'assurer à tous les citoyens une égale liberté[83],[152]. »
Marque du président de la République française Paul Doumer.
Le jour même de son entrée à l'Élysée, il investit ledeuxième gouvernement Laval[153]. Toujours très critique envers les partis politiques, il doit gérer plusieurs crises ministérielles[54]. En, après la chute de Pierre Laval, il fait appel àPaul Painlevé pour la présidence du Conseil, mais celui-ci entend former un cabinet orienté à gauche alors que le président souhaite ungouvernement d'union nationale. À la suite de l'échec de Painlevé, il nommeAndré Tardieu, qui propose ungouvernement de centre droit, dans la formation duquel le chef de l'État intervient pour faire intégrerPierre-Étienne Flandin etPierre Perreau-Pradier aux Finances[154],[155]. Contrairement à la tradition, Paul Doumer essaie ainsi d'influencer de façon significative la composition du ministère[156].
Pour le reste, même s'il est difficile de tirer des conclusions d'une présidence n'ayant duré quedix mois, Paul Doumer semble exercer son mandat d'une manière assez peu éloignée de la pratique en vigueur sous la Troisième République : contrairement à l'intention qu'il avait exprimée lors de la campagne pour l'élection présidentielle de 1906, il n'hésite pas à jouer un rôle honorifique[157],[158]. Il reçoit ainsi des personnalités et délégations, inaugure des expositions et préside des manifestations publiques[157].Albert Thibaudet affirme à son sujet qu'il est« un président dont on a pu dire à la fois qu'il est sorti du rang et resté dans le rang »[156]. Continuant de s'intéresser aux thématiques financières bien qu'il ne puisse prendre position sur ce sujet, qui relève du gouvernement, Paul Doumer réaffirme son attachement au principe d'orthodoxie financière, réduisant les dépenses de fonctionnement et le nombre de réceptions à l'Élysée[159]. Passionné de sciences, il œuvre à la création duparc zoologique du Bois de Vincennes, qui sera inauguré par son successeur[159].
Sur les questions de politique extérieure et de défense nationale, qui suscitent son intérêt dans un contexte mondial tendu, il se montre résolumentanglophile : s'entretenant à de nombreuses reprises avec l'ambassadeur britannique en France, il défend une alliance avec leRoyaume-Uni sur le modèle de l'Entente cordiale, dont il était partisan en 1904. Opposé à touteamitié franco-allemande, il refuse de recevoir des représentants de la république de Weimar au palais de l'Élysée, au nom de ses fils morts pour la France. En prévision d'un nouveau conflit mondial, il appelle régulièrement au renforcement du système de défense français, qu'il juge insuffisant et inadapté par rapport à ceux d'autres pays[159]. En tant que chef de l'État, il exprime à nouveau son attachement aucolonialisme, en particulier à l'occasion de l'Exposition coloniale internationale, qui se tient de mai à à Paris. Faisant fi des critiques sur le sujet, il n'évoque jamais une possible réforme de l'Empire colonial français, craignant qu'une telle initiative ne débouche sur une perte d'influence de la France dans le monde[o],[159].
Durant sa présidence, l'une des plus courtes de l'histoire, Paul Doumer est d'abord perçu comme une personne très austère, mais voit sa popularité augmenter au fil des mois, notamment en raison de sa sobriété et de son patriotisme[7]. Après avoir fait état, à l'issue de l'élection présidentielle de 1931, de son intuition qu'il n'achèverait pas son septennat, le président Doumer est victime en d'unempoisonnement qui manque de peu de l'emporter[159]. En, en inaugurant une exposition sur l'aviation enSeine-et-Marne, il s'étonne de l'importance du dispositif de sécurité mis à sa disposition, et confie au haut fonctionnaireLéon Noël :« À mon âge, ce serait une belle fin de mourir assassiné »[7],[83],[155]. Malgré les mises en garde des responsables de sa sécurité, le chef de l'État continue de se mêler aux foules lors des manifestations auxquelles il participe[155].
Après s'être écroulé dans les bras du journaliste et piloteRoger Labric, Paul Doumer est transporté à l'hôpital Beaujon, situé à proximité du lieu de l'attentat[164]. Victime d'une importante hémorragie en raison de la section de l'artère axillaire, il est opéré et subit plusieurs transfusions[165]. Bien qu'aucune des blessures n'aita priori été susceptible d'être mortelle, les soins reçus par le président de la République semblent mal coordonnés et laligature de l'artère est pratiquée trop tardivement par l'interne de garde[158]. Ayant repris conscience, Paul Doumer se montre inquiet de savoir si son agresseur est français, mais se voit répondre qu'il a été victime d'un simple accident[161]. Le lendemain, il tombe dans le coma et meurt à l’aube, à l'âge de75 ans[166].
Les circonstances de sa mort suscitent émotion et indignation en France et à l’étranger[166]. Les autorités proposent àBlanche Doumer d'inhumer son mari auPanthéon, mais celle-ci s'y oppose en ces termes :« Ils me l'ont pris toute sa vie, ils me l'ont tué. Je veux au moins être avec lui dans la mort[158]. »
Jugé après une instruction de seulement un mois,Paul Gorgulov se montre incohérent et agité, mais voit saresponsabilité pénale retenue ; affirmant avoir agi seul alors que circule avec insistance la thèse d'un complot visant à stopper les projets de remilitarisation défendus par Paul Doumer, Gorgulov donne notamment pour mobile une prétendue complaisance de la France envers lesbolcheviks[167]. Condamné à mort par la cour d'assises de la Seine, il estguillotiné en public le[168].
Dans l'éloge funèbre qu'il prononce lors des funérailles nationales, le président du Conseil,André Tardieu, souligne :« Pour la seconde fois en soixante et un ans, la République a la douleur de conduire au tombeau son chef assassiné. […] Paul Doumer, pour trois quarts de siècle, fut le vivant témoignage de ce qu'est et de ce que peut la démocratie. Fils du peuple, c'est le peuple entier qu'il représentait. Et c'est aussi le peuple entier qu'ont frappé les balles qui l'ont tué. Des rigueurs, que la vie inflige à tous les hommes, et celles aussi qu'elle réserve aux humbles, il n'a rien ignoré. […] Patriote, au sens plein du mot, il l'était dans les fibres de son être. Son intimité de jeunesse avec ce grand historien de la France que futHenri Martin suffirait à le prouver, si l'histoire de sa vie n'en apportait l'éclatante démonstration. […] Pour assurer le succès des solutions qu'il croyait sages, il n'hésitait pas à sortir des traditions et des rites[169]. »
Paul Doumer le jour de son investiture à la présidence de la République.
Personnalité atypique se présentant durant toute sa carrière commeindépendant des partis politiques bien qu'il ne puisse totalement s'en écarter, Paul Doumer est initialement vu davantage comme un« technicien » pragmatique — traitant surtout de thématiques financières — que comme un« politique » ou un théoricien[171]. Entré en politique commeradical, il s'éloigne progressivement de lagauche pour rejoindre lecentre et ladroite au début des années 1900[172].
Tentant de résumer sa doctrine, son biographe Amaury Lorin écrit :« Le doumérisme renvoie non seulement à un corpus idéologique (l'impôt, leschemins de fer, l'interventionnisme, la défense et la paix par l'armement, l'expansion coloniale), mais, bien plus, à une manière de faire de la politique […] :rigueur budgétaire et rectitude morale sur les principes du modèle républicain. […] Sa volonté l'amène à soutenir des positions parfois difficiles, éventuellement impopulaires. En particulier, l'impôt sur le revenu et le réarmement ne suscitent guère l'enthousiasme dans l'insouciante France de laBelle Époque[86]. »
Son passage dans le secteur privé au début desannées 1910 le rapproche des milieux d'affaires, au point que le périodiqueLe Crapouillot le classe dans lesannées 1920 dans sa liste des politiques les plus engagés en faveur de la défense des intérêts ducapital[173]. Amaury Lorin indique à ce sujet :« Ardent promoteur d'un impôt sur le revenu refusé par les conservateurs, craignant qu'il ne risque d'entraver la bonne marche des affaires, Paul Doumer participe pourtant massivement, à gauche, à l'émergence progressive d'un affairisme sur le point de triompher parmi le personnel politique républicain. […] Il s'agit, pour l'intéressé, d'acquérir pour un temps des positions hautement rémunératrices. Celles-ci lui permettront en particulier de redémarrer brillamment une « deuxième carrière parlementaire », au Sénat[106]. »
Dénonçant la recherche perpétuelle des« jouissances matérielles de la vie », il refuse de considérer uniquement l'économie et le social[36]. En raison notamment de son amitié avec des historiens commeHenri Martin, il se dit résolumentpatriote et admirateur deJeanne d'Arc[18],[115]. Spécialiste des questions de défense, il considère lapuissance militaire comme le seul moyen de sauvegarde de la sécurité nationale : selon lui,« du jour où les fils de France cesseraient d'être de vaillants soldats, ils pourraient s'attendre à voir leur pays rayé de la carte du monde »[158]. Il est également un fervent partisan ducolonialisme, contribuant à la fondation d'une école coloniale à Paris (1889) et de l'Académie des sciences coloniales (1922), et appartenant au « groupe colonial » de la Chambre, qui invoque la« mission civilisatrice » de la République française[174],[175]. Il est également président de l'Alliance française, chargée de développer la langue et la culture françaises à l’étranger[138].
En Indochine, Paul Doumer modère ses opinions et commence à prendre ses distances avec sa famille politique d'origine. Le radicalArthur Ranc déclare ainsi en 1900 :« Le Gaulois [journal conservateur] pose la candidature deM. Doumer à la présidence de la Républiqueclérico-nationaleuse »[176],[177]. Dès 1902, Paul Doumer noue des alliances avec les modérés.Jean Bepmale réclame alors, sans succès, son exclusion duParti radical[178]. Doumer dénonce la politique anticléricale du gouvernement Combes — formé d'une majorité de radicaux dans le cadre dubloc des gauches —, s'inquiétant d'une possible réduction deslibertés publiques et critiquant les gages donnés par le cabinet aux socialistes[179]. Il devient ainsi le principal dirigeant des radicaux hostiles au combisme, alors même qu'il s'était montré résolument anticlérical par le passé[180]. Ayant formellement rompu avec le Parti radical en 1905, Paul Doumer est considéré comme étant le candidat ducentre droit à l'élection présidentielle de 1906, où il reçoit l'appui d'une partie du clergé et de l'armée[103]. Sur le plan institutionnel, il semble partisan d'un régimeprésidentiel en prônant un renforcement des pouvoirs du Parlement, notamment descommissions parlementaires, et de ceux du président de la République[115].
En raison de cette évolution, il fait l'objet de vives attaques de l'extrême gauche, des radicaux restés à gauche et des franc-maçons[95],[121]. Ceux-ci le qualifient d'opportuniste, et lui reprochent sa bienveillance à l'égard de l'Église (il vote pour laloi du, qui précise et assouplit celle de 1905) et desanti-dreyfusards (gouverneur général de l'Indochine lors de l'Affaire, il ne prend pas position sur les accusations visant le capitaine)[68],[181]. Le socialisteJean Jaurès l'accuse un temps de préparer un coup d'État avec l'aide de militaires et de colonialistes[105],[182] etGeorges Clemenceau le décrit comme le« candidat de l'Église et de la monarchie » à l'occasion de l'élection présidentielle de 1906[183]. Paul Doumer continue par la suite de se rapprocher de la droite, d'autant plus que leclivage gauche-droite de l'entre-deux-guerres s'organise autour dunationalisme, dont Doumer est un partisan, et desrelations avec l'Allemagne, envers laquelle il se montre inflexible. Les élus centristes et de droite lui permettent ainsi d'accéder à la présidence de la République en 1931[29].
Sous la Troisième République, l'appartenance à lafranc-maçonnerie est fréquente chez les personnalités politiques, notamment auParti radical[184]. Le, à22 ans, sur recommandation d'Henri Martin etWilliam Waddington, Paul Doumer est initié franc-maçon par la loge parisienne l'Union fraternelle, dont il devient compagnon et maître l'année suivante[180].
Sur désignation de l'Union fraternelle, il siège au convent de l'obédiencelibérale leGrand Orient de France (GODF) de 1884 à 1888, puis au conseil de l'ordre de celle-ci, de 1888 à 1895. Il fait partie de ceux qui écartent les francs-maçons s'étant montrés favorables au coup d'État dugénéral Boulanger, et devient secrétaire de l'obédience en 1892[180]. Contrairement à d'autres hommes politiques, il refuse de se mettre en retrait de la franc-maçonnerie, lorsqu'il devient parlementaire. Il est alors également affilié à deux loges dans l'Aisne[q], à laloge Alsace-Lorraine, ainsi qu'à la loge Voltaire, dont il est cofondateur et « vénérable maître » pendant plusieurs années[r]. Devenu parlementaire de l'Yonne en 1891, il rejoint la loge Le Réveil de l'Yonne[180].
La franc-maçonnerie lui permet de nouer des relations avec des personnalités politiques, notammentLéon Bourgeois[185]. Favorable à l'intervention de la franc-maçonnerie dans le champ politique, il défend au sein de son obédience un vifpatriotisme, l'anticléricalisme et une réforme dusystème fiscal[180],[186].
En tant que ministre des Finances en 1895-1896, il reprend les travaux effectués au Grand Orient sur l'impôt sur le revenu[180]. Il entretient par la suite des liens avec des loges présentes en Indochine française, lorsqu'il en est le gouverneur général, mais refuse d'aider celles-ci à entraver l'action desmissionnaires chrétiens[180]. À son retour en métropole, il retrouve un rôle au sein du Grand Orient[180].
En 1905, dans le cadre de l'affaire des fiches, il se montre très critique envers son obédience et le gouvernement, qui ont participé au fichage de militaires afin de« républicaniser » l'armée[187],[188]. Il écrit :« Quand j'entrai dans la franc-maçonnerie, je savais m'affilier à des partisans d'une politique de progrès et de liberté. Peu après, une transformation pernicieuse s'opéra. La franc-maçonnerie est devenue une coterie d'où partit ladélation, le bas régime du mouchardage, dufavoritisme, de l'internationalisme[91]. » Il est alors exclu de la loge La Libre Pensée, écarté du GODF, et fait face à l'hostilité des francs-maçons lors de l'élection présidentielle de 1906[180]. Il est cependant membre honoraire de l'Union fraternelle jusqu'à la fin de sa vie[180].
Interrompu par son assassinat, le parcours politique de Paul Doumer s'étend sur près d'un demi-siècle, ce qui constitue une longévité exceptionnelle sous la République[189]. Il a en effet accédé très jeune à des responsabilités nationales (député à31 ans, ministre à 38, gouverneur général de l'Indochine française à 39)[s] et a été élu à l’Élysée à l’âge le plus avancé aprèsAdolphe Thiers (74 ans)[190].
Plusieurs fois donnée terminée à la suite de ses différents échecs électoraux, sa carrière politique présente plusieurs originalités. Ainsi, il n'a jamais été président du Conseil ou dirigeant d'un mouvement politique, contrairement à beaucoup de figures de son importance, sans doute du fait d'une intransigeance assumée. Paul Doumer a en outre présidé les deux chambres du Parlement français, ce qui est rare[189].
Dans un régime où lesparachutages sont mal vus par la population et les changements de départements très peu fréquents, il se fait alternativement élire au Parlement dans l'Aisne, dans l'Yonne et en Corse[52]. Cette démarche s'inscrit dans le caractère de plus en plus national que présentent les parlementaires français d'alors[43]. Cependant, il reste particulièrement attaché à sa première terre d'élection, l'Aisne, dont il est conseiller général pendant27 ans (il est plusieurs fois élu dansson canton axonais avec plus de 90 % des voix) et dont il défend activement les intérêts depuis Paris ; c'est d'ailleurs dans ce département qu'il effectue son premier déplacement présidentiel[157]. Se présentant volontiers comme« provincial », il se prononce pour ladécentralisation territoriale et leprincipe de subsidiarité : en 1900, il participe ainsi à la fondation dugroupe régionaliste[126].
L'ascension sociale de Paul Doumer, fils d'ouvrier devenu chef de l’État, n'a aucun équivalent dans l'histoire de France[172]. Il est élu à une époque, où il fallait généralement une manne financière personnelle considérable, pour pouvoir faire de la politique[191]. En particulier aux débuts de la Troisième République, les hommes s'étant élevés socialement grâce à leurs seules études sont très peu nombreux[48].Albert Thibaudet relève que les enseignants, dont fait partie Paul Doumer, sont quasiment la seule catégorie professionnelle aux revenus limités à s'engager en politique[192]. En raison de son parcours, Paul Doumer est ainsi considéré comme l'illustration de l'idée selon laquelle l'instruction et le mérite jouent un rôle déterminant dans la promotion sociale, même s'il a également profité de ses relations franc-maçonnes et coloniales[12].
Reconnu pour son importante capacité de travail, dormant peu, il est vu comme un homme modeste et cordial, mais aussi arriviste et parfois autoritaire, notamment lorsqu’il était en poste en Indochine[86]. Le terme de« boulangismecivil » a ainsi pu être utilisé à son sujet par ses adversaires de gauche[193]. Sa formation en mathématiques le sert indéniablement dans ses fonctions et mandats électoraux, en particulier sur les questions financières et fiscales, dont très peu d'élus sont spécialistes ; cette compétence reconnue lui vaut le respect des parlementaires de tout bord et le conduit à être appelé à trois reprises au ministère des Finances, notamment dans la délicate période de l'entre-deux-guerres[171].
Son assassinat lui permet de bénéficier d'une image consensuelle au sein de l'opinion publique française, qui salue son engagement républicain, son patriotisme et son ascension sociale[158]. Sa disparition marque la fin d'un« cycle républicain », la présidence de son successeur,Albert Lebrun, voyant la montée de l'antiparlementarisme, l'éclatement de laSeconde Guerre mondiale et l'instauration durégime de Vichy[156]. Dans les décennies qui suivent sa mort, Paul Doumer est davantage connu en raison de sa fin tragique — il est l'unique président de la République française assassiné auXXe siècle — que de sa carrière politique, pourtant très longue[15]. C'est seulement en 2013 qu'une biographie publiée à compte d'éditeur lui est consacrée (AmauryLorin,Une ascension en République : Paul Doumer (1857-1932), d'Aurillac à l'Élysée, Dalloz,premier prix de thèse du Sénat en 2012)[197].
Il fait cependant partie des chefs de l'État les plus honorés en France par le nombre de voies de circulation, établissements scolaires, monuments ou plaques qui lui sont consacrés : selon une estimation de 2007 de l'Association des maires de France, quelque 25 000 voies de circulation portent ainsi son nom[189]. Une loi promulguée le dispose qu'il« a bien mérité de la patrie »[198]. L'année suivante, lepaquebot à moteursPrésident Doumer est lancé àLa Ciotat par laCompagnie des messageries maritimes, tandis que l'avenue Paul-Doumer est inaugurée par le président Lebrun dans le16e arrondissement de Paris[199],[200]. En 1934, un monument sculpté parArmand Martial est érigé en son honneur dans sa commune natale d'Aurillac, et un timbre à son effigie est émis parLa Poste[156]. Enfin, pendant plusieurs décennies, l'ancien collaborateur de Paul Doumer à l'ÉlyséeJean Perreau-Pradier, accompagné d'anciens combattants, organise des événements lui rendant hommage[156].
Première de couverture duLivre de mes fils (1906).
Si Paul Doumer n'a pas procédé à la rédaction demémoires et a laissé plusieurs projets à l'état d'ébauche, il a préfacé et rédigé des ouvrages, notamment de morale. Les plus connus sontLivre de mes fils — qui est réédité et utilisé comme référence par les patriotes après que la Première Guerre mondiale a coûté la vie à quatre de ses enfants — et ceux sur son expérience en Indochine française[32]. Durant sa carrière, il fait publier les ouvrages suivants :
Paul Doumer,Situation de l'Indo-Chine (1897-1901) : rapport, Hanoï, F.-H. Schneider,, 556 p.(BNF36577728,lire en ligne).
Jacques Chauvin,Paul Doumer, le président assassiné, Paris, éditions du Panthéon,, 196 p.(ISBN978-2840940777) — ouvrage réalisé sans recherches archivistiques, dépourvu de notes et publié à compte d'auteur[15].
Sur son action en tant que gouverneur général de l'Indochine française
Michel Bruguière, « Le Chemin de fer du Yunnan : Paul Doumer et la politique d'intervention française en Chine (1889-1902) »,Revue d'histoire diplomatique,,p. 23-61.
Chantal Descours, « Paul Doumer et l'établissement de la régie générale de l'opium en Indochine »,Études & documents,,p. 273-291.
Amaury Lorin, « L'ambitieuse Indochine de Paul Doumer »,Aventures et dossiers secrets de l'histoire,,p. 60-77.
Amaury Lorin, « « La civilisation suit la locomotive » : lecredo ferroviaire de Paul Doumer, gouverneur général de l'Indochine (1897-1902) »,Revue d'histoire des chemins de fer,no 35,,p. 41-54(ISSN0996-9403,lire en ligne, consulté le).
Amaury Lorin, « Dalat, « station d'altitude » : fondationex nihilo de Paul Doumer, gouverneur général de l'Indochine (1898) »,Péninsule,no 52,,p. 225-234.
Amaury Lorin, « Le grand tournant : Paul Doumer, « démiurge de l'Indochine française » (1897-1902) »,Ultramarines : archives d'outre-mer, histoire des civilisations,no 27,,p. 14-21.
Amaury Lorin, « Paul Doumer, archétype du grand administrateur colonial français de laIIIe République »,Questions internationales (La Documentation française),no 46,,p. 112-119.
Amaury Lorin, « Un présidentiable formé par « l'école des colonies » : Paul Doumer en Indochine (1897-1902) »,Outre-mers, revue d'histoire,no 372,2e semestre 2011,p. 195-204.
Thi Hoai Trang Phan, « Paul Doumer : aux origines d'un grand projet, le chemin de fer transindochinois »,Histoire, économie & société,no 3,,p. 115-140.
Sur sa carrière politique en métropole
Amaury Lorin, « Paul Doumer et l'association des écrivains combattants (1919-1939) »,L'Écrivain combattant,no 115,,p. 12.
Amaury Lorin, « Paul Doumer, sénateur de Corse (1912-1931) : du parachutage à l'acclimatation »,Études corses,no 71,,p. 67-88.
Amaury Lorin, « Mai 1931 : un fils d'ouvrier à l'Élysée »,L'Histoire,no 364,,p. 34-35.
Amaury Lorin, « Paul Doumer (1857-1932), « bienfaiteur de l'Aisne » : histoire d'une adoption »,Mémoires de la fédération des sociétés d'histoire et d'archéologie de l'Aisne,no LVI,,p. 203-224.
Amaury Lorin, « Paul Doumer et l'Académie des sciences coloniales (1922-1932) »,Mondes et cultures : compte-rendu annuel des travaux de l'Académie des sciences d'outre-mer,vol. 1,no LXXII,,p. 291-298.
Dimitri Vicheney, « Le tragique destin de Paul Doumer »,Bulletin de la Société historique et archéologique duXVe arrondissement de Paris,no 28,,p. 50-65.
Amaury Lorin, « Un paranoïaque abat le président Doumer »,Historia,no 747,,p. 25-27.
Katherine Foshko, « The Paul Doumer Assassination and the Russian Diaspora in Interwar France »,French History,vol. 23,no 3,,p. 383-404.
Amaury Lorin, « Un « régicide républicain » : Paul Doumer, le président assassiné (6 mai 1932) »,Criminocorpus : histoire de la justice, des crimes et des peines,(lire en ligne, consulté le)..
Amaury Lorin, « On a tué le président ! »,L'Histoire,no 375,,p. 32-33.
↑Selon son biographe Amaury Lorin, ses ancêtres du côté paternel s’appelaient « Doumerc » avant que le « c » muet final du nom ne disparaisse des actes d'état civil pour une raison restée inconnue[1]. L'orthographe « Doumer » est ainsi utilisée sur son acte de naissance, son acte de décès et les actes de naissance de ses enfants[2],[3]. D’après Jean-François Miel, le nom de son père était « Doumerg » et non « Doumerc »[4].
↑À cette époque, de nombreuses familles ouvrières du Cantal partaient vivre en région parisienne[8].
↑Contrairement à ce qu'indiquent certaines sources, Paul Doumer ne possède pas, outre sa licenceès mathématiques, unelicenceès droit[14],[15].
↑Lors de l'élection législative partielle de 1888, Paul Doumer réside dans l'Aisne depuis cinq années[43].
↑Paul Doumer légalise le monopole de l'opium, très rentable pour le budget de l'Indochine française[63].
↑André Lichtenberger est son chef de cabinet quand Paul Doumer est président de la Chambre des députés. Ils fondent ensemble un périodique appeléL'Opinion[89].
↑Pendant laPremière Guerre mondiale, la commission sénatoriale de l'Armée procède à quelque125 auditions de membres du gouvernement[115].
↑En,Alexandre Millerand répond sèchement à Paul Doumer, qui se plaint d’un manque de communication d’informations de sa part :« Comment pouvez-vous penser que je donnerais un renseignement dont le commandement, consulté à plusieurs reprises par moi, déclare la divulgation en ce moment impossible ? Vous seriez à ma place, vous feriez ce que je fais et il n’est pas un ministre de la Guerre conscient de son devoir qui agirait différemment[116]. »
↑André Tardieu indique, lors de son éloge funèbre :« Cette présidence si courte fut éclairée d'une grande joie, l'Exposition coloniale. […] Le président Paul Doumer aimait à s'y dépouiller des obligations officielles de sa charge. Il y venait en expert, en ami. L'expression éclatante et concrète donnée à la France d'outre-mer, qu'il avait contribué à fonder, réjouissait son esprit et réchauffait son cœur au contact des souvenirs et des espérances[160]. »
↑Dans l'Aisne, Paul Doumer est membre de la loge Patrie et humanité — dont il devient le vénérable maître —, àSoissons, et de la loge Les Frères du Mont laonnois, àLaon[180].
↑Paul Doumer fonde la loge Voltaire en 1890, avecLéon Bourgeois,Camille Chautemps etCharles Floquet. Il en est élu vénérable maître en 1890, 1891 et 1892. Très connue, la loge adopte des positions libérales[185].
Sauf indication contraire ou complémentaire, les informations mentionnées dans cet article proviennent de l'ouvrage d'Amaury LorinUne ascension en République : Paul Doumer (1857-1932), d'Aurillac à l'Élysée, Dalloz,,premier prix de thèse du Sénat en 2012.
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La version du 25 avril 2019 de cet article a été reconnue comme « article de qualité », c'est-à-dire qu'elle répond à des critères de qualité concernant le style, la clarté, la pertinence, la citation des sources et l'illustration.