LePastel des teinturiers ouguède (Isatis tinctoria L.) est une espèce deplantes herbacées bisannuelles, de la famille desBrassicaceae, qui pousse à l'étatsauvage enEurope du Sud-Est ainsi qu'enAsie Centrale et en Asie du Sud-Ouest[1]. Nomméewaide en Picardie,vouède[2] en Normandie etwedde dans le Nord, elle est connue aussi sous lesnoms vernaculaires[3] d'herbe de saint Philippe,varède,herbe du Lauragais.
Lenom vulgairepastel vient dulatinpasta « pâte », par l'occitanpastèl, car autrefois les feuilles d'Isatis tinctoria étaient broyées dans les moulins à pastel et formaient une pâte ensuite fermentée et séchée. De la pâte tinctoriale, le terme en est venu à désigner aussi la plante avec laquelle on la fabrique. Le terme depastel des teinturiers est aussi employé si on désire lever toute ambiguïté avec les valeurs depastel utilisées en dessin.
En 1753,Linné décrivit la plante sous le nom d'Isatis tinctoria[5].Le nom de genreIsatis dérive du grecἴσατις /ísatis « pastel[6] », par le latinisatis, employé parPline l'Ancien[7], livre XX, 59. Ce terme est dérivé du verbeἰσάζω /isadzô, « rendre égal, égaliser »[3], car selonDioscoride II, 177[8], la planteἴσατις ἀγρία /ísatis agría aurait été employée pour cicatriser les plaies.
La culture du pastel ou guède s'est développée au Moyen Âge, en Picardie et a fait la fortune de la ville d'Amiens entre leXIIe et leXVe siècle grâce à ses capacités tinctoriales. Avec laGuerre de Cent Ans, la culture recula jusqu'à disparaître en Picardie et se développa dans le Midi toulousain, véritable « Pays de Cocagne ». La culture de la guède se poursuit aujourd'hui dans la région de Toulouse et tente une timide percée, après des siècles de disparition, en Picardie où on l'appelle lawaide.
La première année, la plante forme une rosette de feuilles basalespétiolées. Ses feuilles sont d'un vert un peu glauque,oblongues lancéolées, de 15-20 cm de long, avec un pétiole de 0,5-5,5 cm[11]. Ce sont elles qui sont récoltées pour l'extraction du pigment bleu. La plante ne fleurit pas de toute la saison. Si la seconde année, les conditions environnementales ne sont pas favorables à la formation de graines, elle peut encore rester à l'état de rosette un an de plus.
Le centre d'origine d'Isatis tinctoria est en Asie Centrale[1].La plante est spontanée enAfrique du Nord, enEurope (pourtourméditerranéen principalement) et enAsie occidentale, Russie du Sud-Est, jusqu'auXinjiang (Chine).
Elle est assez rare, sur une grande partie de la France, mais commune en Corse[3].
Elle a été répandue par la culture dans toute l'Europe, particulièrement en Europeoccidentale etméridionale depuis des temps très reculés.
Elle croît sur sols secs à assez secs, dans les friches, les bords de chemins, sur les dalles rocheuses, sur les rochers et les pelouses méditerranéennes. C'est une espècethermophile.
Isatis tinctoria est très polymorphe en ce qui concerne la forme du fruit, la forme et la taille des oreillettes des feuilles caulinaires et la quantité d’indument.
Précisons tout de suite que le terme « pastel » en français comporte quatre acceptions : la planteIsatis tinctoria, la matière colorante bleue fournie par cette plante, la nuance de bleu clair fournie par cette teinture, et desbâtonnets de couleurs et les œuvres réalisées avec[18].
La description détaillée des procédés de fabrication du pastel en Languedoc, donnée par de Lasteyrie[19] en 1811 ou par un historien contemporain Gilles Caster[20] (1964), peut se résumer ainsi :
Récolte :
Les feuilles des rosettes sont récoltées sur les pieds de pastel la1re année.Broyage des feuilles dans un moulin pastellier (Thuringe, 1752).Moulins pastelliers rénovés àLézat-sur-Lèze enAriège.Pigment indigo extrait du pastel.De la feuille au pigment bleu.
Les feuilles sont récoltées sur les pieds de quatre mois environ, issus de semis faits en début d'année. Seule une petite parcelle était préservée pour fournir l'année suivante des graines de semence[20].
Lorsqu'elles ont atteint leur maturité, les feuilles de la rosette, assez longues, se détachent facilement par simple torsion ou d'un petit coup de faucille. La récolte se faisait de la mi-juin jusqu'à fin septembre[n 1], en plusieurs prélèvements successifs. À chaque passage, on ne prélevait que les feuilles commençant à jaunir, parvenues à « maturité ». La quatrième ou cinquième coupe est de moindre qualité[19],[21].
Les cocagnes :
Les feuilles récoltées sont en général lavées dans un ruisseau pour les débarrasser de la terre qui peut les souiller. Une fois séchées, elles sont portées aumoulin pastellier le plus proche, pour être broyées moyennant une redevance[20]. Là, elles sont écrasées pour en exprimer une pulpe. Un moulin pastellier est fait d'une grosse meule à axe horizontal tournant dans une auge de pierre où sont disposées les feuilles à broyer. La traction animale est préférée.
Après broyage, la pâte de pastel est mise à sécher en tas sous un hangar durant un temps variable suivant le lieu de fabrication. Une fois séché et durci, le pastel est écrasé et mis en boule à la main. Ces boules grosses comme le poing ou un peu plus, sont nommées « coques » ou« cocagnes »[n 2] (ou coquagnes pour Caster[20]) dans leLauragais. Au fur et à mesure de leur fabrication, les cocagnes sont disposées sur des claies pour qu'elles continuent à sécher pendant un à deux mois. Quand elles sont bien déshydratées, les coques (nommées alorspastel de Cocagne) sont dures et ne risquent plus de se détériorer ; elles peuvent être transportées et être commercialisées pour servir à la préparation de la matière tinctoriale (ou agranat) utilisée dans les cuves de teinturiers[22].
L'agranat :
Les marchands de pastels acquièrent les cocagnes bien sèches auprès des cultivateurs et procèdent à une opération nomméeagrenage. On retrouve dans les textes toujours les trois mêmes verbes occitans :agranar, banhar, virar, c'est-à-diremoudre, mouiller, remuer, nous dit Caster[20].
En début d'année, les cocagnes sont écrasées avec des maillets et éventuellement réduites en poudre dans un moulin. La substance est ensuite aspergée d'eau de rivière ou d'urine pour provoquer une « fermentation » : le pastel s'échauffe et fume, indique l'Encyclopédie de Diderot et D'Alembert. La pâte est remuée régulièrement à la pelle pour contrôler sa température et faire en sorte que le processus ne s'emballe pas ou ne ralentisse pas trop. La pâte émet des bulles et exhale une odeur ignoble qui oblige à travailler à la campagne, loin de Toulouse.Une fois sèche, la pâte de pastel fournit une poudre tinctoriale de couleur noire, nomméeagranat[n 3].
L'agranat est mis en sac ou en baril pour être transporté. Convenablement stocké, il gardait ses propriétés colorantes une dizaine d'années[23].
L'usage du pastel comme pigment colorant est un sous-produit de la teinture : on recueillait l'écume à la surface des bains de teinture, et cettefleurée séchée donnait une poudre bleue utilisée comme pigment pour des peintures. C'est ce pigment incorporé à du carbonate de calcium qui permet l'obtention de bâtonnets utilisés pour dessiner, et qui a donné le nom de « pastel » à ces bâtonnets et à la technique artistique qui les utilise[24].
Teinture de cuves pour le pastel
Le pigment colorantindigo (ou indigotine) de l'agranat est insoluble et ne peut être utilisé directement pour teindre en profondeur les fibres de laine ou de coton. Il faut utiliser unprocédé dit « de cuve » pour transformer l'indigo en une molécule soluble, par réduction en milieu alcalin (à pH autour de 10). On obtient duleuco-indigo, de couleur jaune verdâtre, qui pourra imprégner les fibres lorsqu'on les plongera dans la teinture. Quand on le retire du bain, le leuco-indigo s'oxyde au contact de l'air et redonne le pigment bleu, insoluble, déposé sur les fibres.
K. Delaunay-Delfs[25] et Marie Marquet[26] proposent plusieurs techniques de cuve, naturelles ou chimiques, pour teindre au pastel, pour le particulier.
la racine d'isatis (板蓝根 / 板藍根, bǎnlán gēn) « évacue la chaleur pathogène et les toxines du sang ; rafraîchit le sang, calme la gorge ». Elle a pour indications « fièvre,grippe,méningite,hépatite,encéphalite ; infection cutanée,érysipèle,abcès,parotidite ».
la feuille (大青叶 / 大青葉, dàqīng yè) est « antipyrétique, antiphlogistique, contrepoison, antiseptique », ses indications sont « délires, évanouissements, irritations cutanées dues à la chaleur, gorge sèche et irritée, abcès, érysipèle »[33].
Plus de 80 composés d'Isatis tinctoria ont été isolés[34],[35],[36],[37], dont desglycosides,alcaloïdes,acides organiques, descomposés indoliques, dusaccharose et diversglucides, desnitriles (2-phenilacetonitrile, octanenitrile...),furanes (2-éthylfuran) etlignanes,acides aminés,terpènes, sesquiterpènes etflavonoïdes[38]. Chenet als[35] répartissent les composés actifs en trois classes : les indole alcaloïdes (indiburine, indigo, indican, glucobrassicine... en tout 46 composés), lesphénylpropanoïdes comportant deslignanes (lariciresinol, pinoresinol...8 composés) et desflavonoïdes (vicenine, stellarine...10 composés) et les terpénoïdes (β-sitostérol, γ-sitostérol, daucostérol). Signalons quelques composés intéressants pour leurs propriétés pharmacologiques ou tinctoriales :
Glucosinolates
La plante est exceptionnellement riche en indoleglucosinolates : englucobrassicine, en néoglucobrassicine, et glucobrassicine-1-sulfonate[39]. Une étude a montré qu'elle pourrait servir à prévenir lecancer[40], car elle a un taux deglucobrassicine vingt fois supérieur à celui dubrocoli[41]. La glucobrassicine est un précurseur deisothiocyanates.
Tryptanthrine
Les feuilles de pastel contiennent unalcaloïde, nommé tryptanthrine[42], possédant une forte activité inhibitrice de lacyclo-oxygénase-2 (COX-2) et de la 5-lipoxygénase[43]. Les extraits de feuilles ont montré une activité anti-inflammatoire sur l'œdème de la patte de souris[44] ainsi qu'une inhibition de l'asthme de la souris induit par allergènes[45].
La plante ne produit pas directement le vibrant pigment bleu-indigo, nomméindigo, mais des précurseurs incolores de ce colorant[12],[47],[48] accumulés dans lesvacuoles sous forme de dérivés de l'indoxyle : l'indican (indoxyle β-D glucoside) et lesisatan A, B et C (dérivés de l'indoxyle). L'indican se trouve principalement dans la racine. Les précurseurs, extraits de la feuille fraiche, produisent de l'indigo au cours des traitements qui suivent la récolte.
Travail des pastelliers : hydrolyse et oxydation
Lors du broyage et des macérations des tissus de la plante, les vacuoles sont brisées et libèrent les indoxyle-glycosides et les isatans A, B et C, qui sont alors exposés à la β-glucosidase, une enzyme hydrolysante logée dans les chloroplastes.
Isatan B
L'hydrolyse libère de l'indoxyle (une cétone jaune, soluble) et un sucre :
L'oxydation : en présence dedioxygène de l'air, deux molécules d'indoxyle se dimérisent pour former l'indigo (ou indigotine), le pigment bleu et un peu d'indirubine, un isomère rouge de l'indigo[49] :
Travail du teinturier : la teinture de cuve réalise une réduction puis une oxydation
L'indigo(tine), ce pigment coloré, est insoluble et la teinture des tissus nécessite de passer par une formeréduite (le leuco-indigo), soluble, capable de se fixer sur les fibres de textiles:
indigo → leuco-indigo
Leuco-indigo
Une fois absorbée par les fibres, la forme réduite est à nouveauoxydée dans sa forme bleue stable :
leuco-indigo → indigo
Cette oxydation se fait spontanément par exposition à l'air.
Indigo(tine)
La teinture bleue tirée du pastel était très impure et donnait un bleu d'azur tendre, dit bleu de pastel. Par contre, la teinture bleue extraite de l'indigotier (Indigofera tinctoria) donnait des bleus plus profonds, car le pigment colorant y était plus concentré[50]. Le pigment colorant, l'indigo, est le même mais ce sont les « impuretés » associées à des techniques différentes d'extraction sur des plantes tinctoriales différentes qui font la différence de teinte.
La molécule d'indigotine est très proche de celle donnant le rouge de la pourpre et n'en diffère que par l'absence de deux atomes de brome[51].
Le pastel fut la seule source de teinture bleue disponible en Europe jusqu'à la fin duXVIe siècle, avant que le développement des routes commerciales vers l'Extrême-Orient permette l'arrivée de l'indigo extrait de l'indigotier.
Les premières traces archéologiques du pastel remontent auPaléolithique et ont été trouvées dans la grotte Dzudzuana, Imereti (Géorgie). Elles sont datées entre 32000 et 34000 ans[52].
Toujours dans l'Antiquité romaine, mais dans la partie occidentale de l'empire, le pastel fut cultivé au centre et au sud de la péninsule italienne.Pompei fut un centre important de production d'indigo de pastel[57].Jules César raconte dans sesCommentaires sur la Guerre des Gaules (livre V, 14) que lesBrittons se peignaient le corps avec duuitrum avant de livrer bataille. Pour le latiniste de l'EPHE, Jacques André, le uitrum est apparenté aux formes germaniquesweit,wād, picardwaide, anglaiswoad, c'est-à-dire guède, pastel[58] (Isatis tinctoria). Les Romains en tiraient un bleu terne pour teindre les vêtements de travail des artisans et des paysans. La preuve archéologique de l'existence du pastel en Angleterre à l'âge de fer a été établie en 1992 par Hall[59],[n 6].
Pline indique dans le livre XXII de son Histoire Naturelle[7] « En Gaule, on appelleglastrum une plante qui ressemble au plantain ; les épouses et les brus des Bretons s'en barbouillent tout le corps et s'avancent nues dans certaines cérémonies sacrées, imitant la couleur des Éthiopiennes ». D'après Stéphane Schmitt, le traducteur de Pline, et le latiniste Jacques André[58], ceglastrum (gaéliqueglaisin «guède») serait le pastelIsatis tinctoria.
LesPictes, une tribu d'Écosse, doivent probablement leur nom (dulatinPicti, désignant des personnespeintes ou peut-êtretatouées) à leur coutume d'aller au combat nus, couverts seulement de peintures de guerre[n 7]. Les représentations de guerriers ou de chasseurs sur lespierres pictes ne révèlent toutefois pas de tatouages évidents et l'origine de la teinture utilisée reste incertaine.
La Vierge tout de bleu vêtue (Nativité au cardinal Rolin, c. 1490).
En Europe, les trois couleurs de base des cultures anciennes étaient le rouge, le blanc et le noir. Le bleu était utilisé mais il ne devint une couleur à la mode qu'à partir duXIIe siècle. Dans la peinture européenne, laVierge Marie qui était presque toujours habillée d'une couleur sombre, commence à être vêtue de bleu[60].
Le culte marial et essor de la culture de la guède
L'extraordinaire développement du culte marial va assurer la promotion de cette couleur et l'étendre au domaine de l'héraldique. Les rois capétiens adoptent unécu d'azur (semé de fleurs de lis d'or) en hommage à la Vierge, protectrice du royaume de France. À la suite de l'adoption du bleu parPhilippe-Auguste etSaint-Louis, les seigneurs s'empressent de les imiter. En outre, pour teindre en noir les robes desclercs, les teinturiers utilisaient de la teinture de pastel associée à d'autres teintures.
AuMoyen Âge, l'utilisation de la teinture de pastel ne se limitait pas aux tissus. Ainsi l'illustrateur desÉvangiles de Lindisfarne employait un pigment à base de pastel comme couleur bleue.
Comme la seule teinture naturelle bleue était à cette époque obtenue à partir de pastel, on comprend que la vogue du bleu ait stimulé la culture du pastel des teinturiers. Dès 1230, il fait l'objet d'une culture et d'une transformation à grande échelle, pour satisfaire la demande grandissante des drapiers et des teinturiers.
EnFrance, laPicardie (principalement l'Amiénois et leSanterre) était un espace important de production de guède (ou waide) qui devint le principal support du négoce amiénois auXIIIe siècle. La waide était cultivée dans des parcelles jardinées, sur les sols riches à l'est d'Amiens et dans la vallée de laSomme et de ses affluents (Avre,Noye,Selle,Ancre…). La quasi-totalité de la récolte était dirigée sur Amiens et de là exportée enFlandre ou enAngleterre[61].Dans cette ville, une statue du mur sud de la nef de la cathédrale représente deux marchands waidiers devant un sac de tourteaux de waide et le soubassement de la façade occidentale est décorée de fleurs de waide stylisées.
Cependant, à partir duXVe siècle, le commerce et la production de waide enPicardie déclina au profit des producteurs concurrents duLanguedoc et de laThuringe. De 1380 à 1429, la ville exportait en moyenne 1 100 tonneaux de guède par an. À partir de 1429, les exportations tombèrent à200 tonneaux[61].
La culture du pastel fit la fortune de villes commeToulouse etErfurt[60]. Le climat du sud avec son long ensoleillement est plus propice à la production des précurseurs d'indigo dans les feuilles.
Hôtel de Bernuy, d'un grand négociant en pastel de Toulouse.
LeLauragais, triangle compris entreToulouse,Albi etCarcassonne, connut une grande prospérité grâce au commerce d'Isatis tinctoria qui ici prit le nom de « pastel ». Les pastelliers figuraient parmi les plus grandes fortunes de l'époque. Les coques transitaient dans les ports français deBordeaux,Marseille etBayonne. LeXVIe siècle marque l'apogée de la culture du pastel occitan. Le bleu était devenu un produit de luxe[62].
Vers 1450, Toulouse est une ville pauvre avec de nombreux immeubles à l'abandon et où l'unique pont sur la Garonne est mal entretenu[20]. Au cours du siècle suivant, la ville connaît un essor remarquable en s'ouvrant au commerce international. La Garonne est une voie de transport commode pour les milliers de balles[n 8] d'agranat (représentant des centaines de tonnes) envoyées jusqu'auport de Bordeaux puis de là, exportées jusqu'à Londres, Anvers, Rouen, Bilbao, etc.
Le négoce du pastel fit la fortune de quelques négociants qui sont encore connus des Toulousains pour les somptueux hôtels qu'ils ont construits dans cette ville. Le marchand de pastelJean de Bernuy, d'origine espagnole, achète le pastel (dans les années 1530) principalement dans les environs deMaurens (sud-est de Toulouse) et établit un comptoir à Bordeaux. Il vend enCastille, en Angleterre puis s'intéresse au marché méditerranéen. Il possédait un certain nombre de terres et deseigneuries dans le Lauragais où il faisait préparer les coques. Dans Toulouse, il fit édifier la plus haute tour privée de la ville et un somptueux palais : l'hôtel de Bernuy, construit en deux campagnes de 1503 à 1536 autour de deux cours, l'une gothique et l'autre Renaissance[20]. Sa fortune lui permit de se porter caution, en 1525, de l'énorme rançon demandée par Charles Quint pour libérer FrançoisIer fait prisonnier à la bataille de Pavie[63].
Pierre d'Assézat est un autre pastellier toulousain peut être encore plus célèbre que Jean de Bernuy. Il le doit à une puissance commerciale redoutable puisqu'il pouvait expédier en moyenne 12 000 balles chaque année, ce qui ferait en balles flamandes, 1 080 tonnes métriques. L'Espagne était la destination principale de son pastel mais il visait aussi en l'Angleterre, l'Écosse ou Rouen. Son sens des affaires lui permit de construire une demeure princière[20].
L'essor prodigieux de ce pays de cocagne ne dura qu'un temps. En 1560, survient un krach terrible sur la vente des coques. La surproduction, l'apparition de l'indigo (tiré de l'indigotier) et la spéculation firent s'écrouler les prix, entraînant la ruine des collecteurs. Les premiers troubles de la guerre de Religion créèrent un climat d'insécurité à Toulouse, peu propice au commerce. À Londres, la « teinture d'Inde » commence à apparaître. La route du Cap fournira régulièrement de l'indigo (de l'indigotier) à partir de 1563. Mais les pastelliers ne pouvaient imaginer que l'indigo détruirait totalement le commerce du pastel qui avait fait la fortune de Toulouse pendant deux générations[20].
En Allemagne, les habitants des cinq villes du pastel deThuringe,Erfurt,Gotha,Tennstedt,Arnstadt etBad Langensalza, avaient leurs propres chartes. À Erfurt, les négociants du pastel ont financé la création de l'université. Un tissu traditionnel est encore de nos jours imprimé au pastel en Thuringe, enSaxe et enLusace : il y est connu sous le nom deBlaudruck (littéralement « impression bleue » — il s'agit de tissus imprimés). Les négociants allemands exportaient leur pastel à Anvers, en Angleterre, Hongrie, Pologne et Italie. Avec l'importation de l'indigo de la Louisiane à partir du dix-huitième siècle les marchés se sont effondrés.
À Erfurt comme àCologne existent encore aujourd'hui des places de la vieille ville qui s'appellentWaidmarkt, au centre de l'ancien quartier des teinturiers. À Cologne une des rues proches s'appelleBlaufärberbach (approximativement « ruelle des teinturiers en textiles bleus »).
L'industrie textile italienne très florissante réclamait de grande quantité de pastel, (nommé iciguado), qui était fourni par des importations de France et d'Allemagne et une production locale enToscane,Lombardie etPiémont[64].
Le romanPastel, d'Olivier Bleys (Gallimard, 2000), traite de la culture du pastel à la fin duXVe siècle en Albigeois.
Le romanLe sentier des pastelliers de Georges-Patrick Gleize (Albin Michel, 2008), raconte une tentative de relance de la culture du pastel, en 1912, en Ariège.
Le pastel est aussi le sujet principal du roman fantastique destiné à la jeunessePastelle et le club de la violette tome 2, 《 La magie du triangle bleu 》.
↑actuellement la maturité est beaucoup plus précoce que ces indications datant d'avant leXVIIIe siècle
↑les rapports entre l'ancien motcocagne « fête, réjouissance » (qui a donné l'expressionpays de cocagne «pays imaginaire où tout est en abondance ») et lescoques, cocagnes, coquagnes « boule de pâte de pastel façonnée à la main » (emprunt au provençalcocanha coucagno) sont obscurs indique leCNRTL, la chronologie s'opposant, dans l'état actuel de la documentation, à un rapport de filiation. Notons ainsi qu'auXVIe siècle, Ferrières, un marchand de pastel de Toulouse, utilise le terme decocquoignes (Caster, 1998)
↑Pour Caster, l'agranat est « le produit industriel utilisable par les teinturiers. C'est du moins l'interprétation que nous proposons pour le moment, car le termeagranat, que les textes emploient constamment sans jamais l'expliquer, a connu autant de traductions que de chercheurs. »
↑Récolte du pastel,isateôs sugkomidê, Ισατεως συγκομιδη
↑malgré tout, cette interprétation est contestée par un adepte denéodruidisme, comme Saigh Kym LambSaigh Kym Lambert pour qui leuitrum/vitrum se réfère à un type de verre bleu-vert qui était courant à l'époque
↑Cela a été commémoré dans une chanson humoristique britannique,The Woad Ode(en)
↑laballe oucharge de 3 cabas et demi, faisait environ 80 kg (Caster)
↑Lachiver, Marcel,Le dictionnaire du monde rural,Fayard,
↑abcde etfJ-C. Rameau, D. Mansion, G. Dumé, C. Gauberville,Flore Forestière Française, guide écologique illustré, 3 région méditerranéenne, Ministère de l'agriculture et de la pêche,, 2426 p.
↑ab etcCharles-Philibertde Lasteyrie Du Saillant,Du pastel, de l'indigotier, et des autres végétaux dont on peut extraire une couleur bleue : ouvrage dans lequel on donne l'histoire de ces deux premières plantes, leur analyse, la manière d'en tirer l'indigo et de les employer à la teinture ; avec une instruction détaillée sur la culture et la préparation du pastel, Chez Deterville,(lire en ligne).
↑Universités de Médecine Traditionnelle Chinoise de Nanjing et Shanghai,La pharmacopée chinoise. Les herbes médicinales usuelles. 中药学, Éditions You Feng,(ISBN978-2-84279-361-6)
Traduit et augmenté par Dr You-wa Chen
↑Daniel P. Reid,La Médecine chinoise par les herbes, Editions OLIZANE,
↑Allan Hall, « Archeological records of woad (Isatis tinctoria) from medieval England and Ireland »,dans Beiträge zur Waidtagung (ed. Mullerott),vol. 4/5,
↑a etbMichel Pastoureau,Bleu, histoire d'une couleur, édition du Seuil,