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Les « cubes impossibles » deM. Escher sont des représentations graphiques paradoxales.
Unparadoxe, d'après l'étymologie (grec ancienπαράδοξος /parádoxos, « contraire à l'opinion commune », deπαρά- /pará-, « contre », etδόξα /doxa, « opinion »), est une idée ou une proposition à première vue surprenante ou choquante, c'est-à-dire allant contre lesens commun. En ce sens, leparadoxe désigne également unefigure de style consistant à formuler, au sein d'un discours, une expression, généralementantithétique, qui va à l'encontre du sens commun.
Leparadoxe, comme le précise la neuvième édition dudictionnaire de l'Académie française[1], en est venu à désigner plus tard, de façon plus restrictive, une proposition qui contient ou semble contenir unecontradiction logique, ou unraisonnement qui, bien que sans faille apparente, aboutit à uneabsurdité, ou encore une situation qui contredit l'intuition commune malgré la définition originelle dans la huitième édition de ce même dictionnaire.
Le paradoxe est un puissant stimulant pour la réflexion. Il est souvent utilisé par lesphilosophes pour nous révéler la complexité inattendue de la réalité. Il peut aussi nous montrer les faiblesses de l'esprit humain et plus précisément son manque de discernement, ou encore les limites de tel ou tel outilconceptuel. C'est ainsi que des paradoxes basés sur des concepts simples ont permis de faire des découvertes enscience ou enphilosophie ainsi qu'en mathématiques et en biochimie.
Le paradoxe est le plus souvent un ensemble d’au minimum deuxaffirmations qui impliquent une tension conflictuelle entre elles, notamment lorsqu'elles semblent évidemment vraies. Toutefois, certains paradoxes, commecelui du menteur, ne sont formés que d'une seule affirmation, ayant plusieurs conséquences apparemment logiques, mais contradictoires.
Lespremiers paradoxes énoncés comme tels apparaissent dans l'antiquité grecque et sont l'œuvre deZénon d'Élée, qui cherchait à montrer les conséquences absurdes découlant de la tentative de découper le mouvement ou le temps (contre lespythagoriciens). Ils préfigurent alors l'usage qui sera fait du paradoxe dans les sciences physiques et mathématiques. Par la suite, le paradoxe sera un élément moteur de la science en devenir. Ainsi, chaque discipline balbutiante générera ses paradoxes :
« Le bon sens, quoi qu'il fasse, ne peut manquer de se laisser surprendre à l'occasion. Le but de la science est de lui épargner cette surprise et de créer des processus mentaux qui devront être en étroit accord avec le processus du monde extérieur, de façon à éviter, en tout cas, l'imprévu »
Le paradoxe joue un rôle moteur dans les sciences, parce qu'il pousse à l'analyse fine, et de là à une formalisation mieux poussée et à la recherche d'une meilleure cohérence. Il a de plus un effet si motivant et mobilisateur (bien que non fédérateur) qu'on le rencontre comme élément fondamental de constructions scientifiques (leparadoxe d'Olbers et leparadoxe de Saint-Pétersbourg, par exemple).
Leparadoxe de Hempel, en particulier, joue un rôleépistémologique fort : celui d'une mise en garde concernant les sciences de la nature. Il énonce en effet qu'une théorie ne peut êtretotalement validée par une simple accumulation d'observations. En d'autres termes, il attire l'attention sur les dangers de l'induction logique quand sesimplicites ne sont pas clairement définis.
En mathématique, l'argument diagonal à la base duParadoxe de Russell est fondateur de lalogique mathématique qui modifia en profondeur, l'appréhension desmathématiques. Le paradoxe deBertrand Russell a un statut particulier : celui dethéorème mathématique (au sein d'unethéorie erronée). Il fut donc, non pas vecteur de progrès, mais à la source d'un renoncement : lacaractérisation du Tout. De plus, ce paradoxe (et le paradoxe en général) révèle que le non-sens d'une proposition n'est pas intuitivement évident.
En rhétorique, et selon les mots de H. Bénac :« le paradoxe cache souvent, sous une formule ou une idée qui paraît étonnante, une vérité que l'on peut soutenir ». En s'opposant à ladoxa, le paradoxe argumentatif, dans le discours ou l'échange, permet l'expression des préjugés d'une communauté, autorisant ainsi la réflexion à progresser. Le plus souvent il vise à éveiller la réflexion ou la critique, par un effet de surprise, l'image paradoxale mobilisant l'attention de l'interlocuteur comme dans cet exemple dePaul Valéry :
Les crimes engendrent d'immenses bienfaits et les plus grandes vertus développent des conséquences funestes
— 'Dialogues,Eupalinos'
Le recours au paradoxe peut également avoir une visée satirique, comme chezMolière dansLes Femmes savantes, où il critique lessophismes desprécieuses.
En littérature, le paradoxe est employé à des fins illocutoires, pour témoigner le plus souvent de sa bonne foi, ce qui est en soi un paradoxe.Jean-Jacques Rousseau notamment fonde toute son entreprise desConfessions sur le paradoxe :
Pardonnez-moi mes paradoxes: il en faut faire quand on réfléchit; et quoi que vous puissiez dire, j'aime mieux être homme à paradoxes qu'homme à préjugés
— Emile, II
Finalement, le paradoxe est souvent une figure permettant d'approcher la vérité, en ce sens elle est proche dusymbole. Elle peut parfois soutenir uneironie.
Certains paradoxes consistent à inverser untruisme :
Est-il exact que vous ayez dit et écrit ceci : ce qu'il y a de plus profond dans l'homme, c'est la peau ? - C'est vrai.- Qu'entendiez-vous par là ? - C'est simplissime (...)
Le paradoxe est une figure essentiellement employée dans les genres argumentatifs comme le discours ou le raisonnement, néanmoins tous les genres littéraires peuvent y avoir recours.
Le paradoxe est facilement traduisible dans les autres Arts, visuels surtout, comme enpeinture. Lessurréalistes fondent leur démarche esthétique sur le paradoxe comme symbole durêve et de l'inconscient.René Magritte notamment a su exploiter les images frappantes permises par le paradoxe, dans, entre autres son tableau intituléLa Trahison des images.
Il faut avant tout garder à l'esprit quele paradoxe est affaire d'interprétations. Cependant, sans chercher à catégoriser, on peut énoncer quelques mécanismes de création et de résolution de paradoxes :
Trouver uneprémisse fausse est le moyen le plus simple de construire ou résoudre un paradoxe. Leparadoxe EPR, par exemple, a sciemment été rédigé afin de déterminer la prémisse fausse (unpostulat en l'occurrence) cachée au sein de lamécanique quantique, mais l'expérience a obligé les physiciens à remettre en question non les postulats de monde quantique, mais au contraire les interprétations d'Einstein, utilisant desvariables cachées et apparemment plus plausibles.
« ... je poursuivrai dans ce sens [la mise en doute] jusqu'à ce que je connaisse quelque chose de certain, ou du moins, à défaut d'autre chose,que je connaisse comme certain que justement il n'y a rien de certain. »
Le meilleur moyen d'appréhender l'argument diagonal est encore l'étude des paradoxes construits en l'employant. L'exemple le plus concis est
Je mens (en ce moment).
Comme pour tout paradoxe de ce type, on aboutit à la conclusion que
Si c'est vrai alors c'est faux... et inversement.
Les paradoxes de cette catégorie sont basés sur l'auto-référence. De manière plus élaborée, en définissant un objet, une entité ou un état ; puis l'on fait voir que l'objet défini entraîne, de par sa définition même, un non-sens. Voir par exemple :Paradoxe du menteur,Paradoxe du barbier,Paradoxehétérologique de Grelling,paradoxes de Berry, ou encore : Paradoxe du pape (Après avoir déclaré : « Je ne suis pas infaillible », un pape serait-il toujours infaillible ?).
Hormis leparadoxe de Russell, la logique mathématique rejette ce genre de définitions réflexives arguant qu'elles ne peuvent être formalisées (le paradoxe donne justement une preuve de cette impossibilité). Elles procèdent de l'amalgame entre « pensée » et « méta-pensée », ou plus prosaïquement, entredéfinition etobjet défini.
C'est un procédé très subtil. Il consiste, sans que cela apparaisse, à employer un mot, ou une tournure de phrase, dans deux sens différents ou deux contextes (angle ou point de vue) différents. On effectue ensuite un amalgame (une confusion) et l'on obtient une absurdité.
Les paradoxes bâtis sur le modèle dusyllogisme sont caractéristiques de ce procédé. Unglissement de sens ou decontexte s'opère entre les deuxprémisses. Puis la conclusion crée l'amalgame, qui se traduit par une aberration. La fraude réside donc dans l'usage invalide du syllogisme.
Le paradoxe « bon-marché/cher » est un exemple d'amalgame sémantique.
En toute généralité, un tel paradoxe (il faut plutôt parler de question épineuse) se construit sur l'opposition de deux propositions. On fait valoir alors qu'il n'existe pas démarcation entre la validité de l'une et de l'autre.
Plus formellement, on considère un axe (le temps, une quantité ou un grandeur quelconque) apparaissant comme uncontinuum, et unprédicat de sorte que l'une des propositions est son affirmation de ce prédicat, en un point de l'axe, l'autre sa réfutation en un second point. Où est alors, sur le segment ainsi défini, la limite de véracité du prédicat ?
Plus grossièrement : si une chose est vraie ici, et fausse là, où est la limite ?
L'exemple le plus représentatif est le paradoxe du barbu : Où est la frontière (en considérant le nombre de poils ou la longueur des poils) entre le barbu et l'imberbe ? Les questions de cet acabit sont innombrables. Entre autres, de nombreux problèmes métaphysiques, éthiques, ou législatifs (concernant les limites de la vie, de l'âme, de la responsabilité, etc.), peuvent être énoncés par ce procédé.
La situation n'apparaît réellement paradoxale que si l'on démontre ou postule l'inexistence de la limite. Par exemple, considérons la question del'œuf et de la poule et celle de la naissance de l'âme au centre de la controverse sur lathéorie de l'évolution. Ces questions ne deviennent paradoxes que si l'on admet quetoute poule naît d'un œuf (de poule), tout œuf (de poule) sort d'une poule ou quesi un être possède une âme, alors son géniteur en possède une.
Ce genre de paradoxe est construit comme une démonstration recelant une erreur sournoisement dissimulée ; c'est donc unsophisme. Il s'agit alors plus d'un exercice destiné à piéger l'étudiant ou tester sa vigilance. Par exemple, leparadoxe des trois pièces de monnaie, leparadoxe des deux enveloppes.
Cette célèbre démonstration mathématique en est aussi un :
Soit a = b
On multiplie par b : ab = b²
On soustrait cette expression à "a² = a²" et on obtient : a²-ab = a²-b²
On factorise les expressions : a(a-b) = (a+b)(a-b)
On simplifie par (a-b) : a = (a+b)
Or a = b
Donc a = 2a
Soit 1 = 2
L'erreur, à première vue inexistante, est pourtant simple : il est interdit de diviser par 0 (précisément, entre autres, pour éviter ce genre de paradoxe ; on trouvera des arguments plus précis à l'articledivision par zéro). Or, l'étape de la simplification par (a-b), revient à diviser les expressions par (a-b), et a-b = 0.
Certaines situations sont considérées comme paradoxales car elles relèvent d'une logique dévoyée. Exemples historiques :
Guy de Maupassant détestait la Tour Eiffel et pourtant, il y montait le plus souvent possible, en expliquant à ses interlocuteurs étonnés :« C'est le seul endroit d'où je ne la vois plus ! »
Alors que la Gestapo vient l'arrêter avec sa compagne,Tristan Bernard affiche pourtant sa sérénité :« Jusqu'ici nous vivions dans la crainte ; à présent, nous vivrons dans l'espoir ! »[3]
Sollicité par une admiratrice pour un autographe,Sacha Guitry écrit de sa main :« Pardonnez-moi, mais je ne donne jamais d'autographe. » Et il signe !
Durant la prohibition, la sobriété n’était pas la qualité principale deW. C. Fields qui venait sur scène avec un thermos censé contenir du jus de pamplemousse. Un jour où ses amis lui avaient fait une plaisanterie, il s’écria :« Mais qui donc a mis du jus de pamplemousse dans mon jus de pamplemousse ? »
On retrouve le principe de paradoxe enpsychologie à travers des notions d'échanges.
Lorsqu'il s'agit d'un paradoxe exprimé par une seule personne on parle delangage paradoxal. Il s'agit d'une demande qui se contredit elle-même, le plus souvent l'expression de langage paradoxale fait référence a une opposition entre ce qui est exprimé par lelangageverbal, et par lelangage non verbal (par exemple, une mère encourageant oralement son enfant à grandir et à devenir autonome, et distillant dans le même temps de par ses attitudes, ses intonations, son profond désir de le voir rester son bébé).
Lorsqu'il s'agit d'un paradoxe « interne », on parle d'undilemme lorsqu'il s'agit d'un choix difficile, (le paradoxe se situant entre « le pour » et « le contre ») ; et d'unedouble contrainte si la situation est maintenue bloquée.
Courant psychologique inspiré par l'étude du paradoxe
La mouvance de l'école de Palo Alto relie la notion de paradoxe (ou la notion de double contrainte qui en découle) à des théories psychologiques et à de nouvelles formes de psychothérapie.
Les travaux engagés parGregory Bateson en sont une des principales origines avec une étude collective sur le « paradoxe de l'abstraction dans la communication ». Débuté en1952, elle permit une théorisation des mécanismes de laschizophrénie[4], qui sont présentés comme une adaptation à un contexte paradoxal. Elle introduit ainsi l'idée que la maladie mentale puisse être un mode d'adaptation à un contexte extérieur qui contiendrait l'élément pathologique. C'est le principe fondateur de lathérapie familiale qui s'attache à soigner cette pathologie relationnelle directement plutôt que l'effet induit sur un individu en particulier.
Un classement des types de paradoxes est effectué par d'autres figures de proue de cette école de pensée,Paul Watzlawick,Janet Beavin etDonald deAvila Jackson, qui ont dégagé en1972 trois types de paradoxes : les paradoxes logico-mathématiques, les paradoxes pragmatiques et l'injonction paradoxale.Anthony Wilden y ajoute la même année dans les contextes humains le paradoxe existentiel (dansSystème et Structure. Essais sur la communication et l'échange, en 1972).
Raymond Smullyan,Les énigmes de Shéhérazade de éd. Flammarion(ISBN978-2-0803-5564-5). La partie 2 du livre présente beaucoup d'énigmes et de paradoxes logiques.