LePamir est un massif de hautemontagne centré sur l'Est duTadjikistan avec des prolongements enAfghanistan, enChine et auKirghizistan. Situé à la jonction entre plusieurs systèmesorographiques d'Asie centrale et duTibet, il possède trois sommets principaux de plus de 7 000 mètres dont lepic Ismail Samani, généralement considéré comme sonpoint culminant à 7 495 mètres d'altitude, ce qui a valu au massif le qualificatif de « toit du monde ». Son nom s'applique aussi bien à un certain type devallée glaciaire plus fertile que les montagnes et lesplateaux qui les entourent. Ces derniers sont généralement soumis à des conditions climatiques extrêmes, avec des précipitations très faibles et des écarts de températures importants, en particulier dans la moitié orientale désertique du massif. Toutefois, le Pamir est l'une des régions qui abritent le plus deglaciers en dehors des pôles, dont leglacier Fedtchenko avec 77 kilomètres de long. Ceci lui permet d'être parcouru par un grand nombre de rivières appartenant aux bassins de l'Amou-Daria à l'ouest et duTarim à l'est, et de contenir des centaines de lacs. Alors que la pauvreté de la flore caractérise l'écorégion unique destoundra et désert d'altitude du Pamir, la faune est très diversifiée. Ainsi, l'Argali de Marco Polo est uneespèce tout à la foisendémique et menacée de disparition.
Le massif est fréquenté depuis plusieurs millénaires. Il s'est trouvé sur des itinéraires secondaires de laroute de la soie dès l'Antiquité. Toutefois, seuls lesTadjiks dès leIIe siècle puis lesKirghizes à partir duXVIe siècle y demeurent.Marco Polo est le premierEuropéen à faire mention, auXIIIe siècle, de sa traversée du Pamir. Rares sont ceux qui suivent ses pas jusqu'au milieu duXIXe siècle, lorsqu'il est exploré et placé au cœur d'un conflit géopolitique, le « Grand Jeu », entre l'Empire russe au nord et l'Inde britannique au sud. Le massif retombe dans l'oubli occidental auXXe siècle. AuXXIe siècle, il est peuplé par différentes populations qui se sont adaptées à la montagne : des Tadjiks, à l'ouest et au sud, et des Kirghizes, au nord et à l'est. Ces derniers mènent une viesemi-nomade, emmenant paître leurs animaux dans les quelquespamirs fertiles. Ils ont perpétué une culture riche de nombreuses traditions particulières.
Le Pamir reste une des régions les plus isolées au monde. Les infrastructures sont peu développées et la population continue à dépendre de l'aide extérieure. Le tourisme, essentiellement axé sur l'alpinisme, letrekking et l'écotourisme peine à se développer, malgré la présence de nombreusesaires protégées, notamment leparc national du Pamir qui est le plus grand d'Asie centrale.
Le moinebouddhisteXuanzang est le premier à évoquer dans ses écrits, vers640,Po-mi-lo ouPho-mi-lo, le plateau du Pamir[2],[3],[4],[5],[6]. Cette prononciation est très proche dukirghizPamil, le mot pour désigner une zone montagneuse[2],[6]. Le terme est repris sous la formePomi au milieu duVIIIe siècle sous ladynastie Tang[2],[6]. Xuanzang le situe au centre duCongling ouTsoung Ling (葱嶺), littéralement les « montagnes Oignon », qui s'étendent sur un périmètre plus grand que le Pamir dans son acception géographique habituelle[3],[4],[5],[7].
Gottlieb Wilhelm Leitner rejette ces théories, en rappelant que les personnes fréquentant chaque été les pâturages de ces plateaux ou de ces hautes vallées parlent deslangues turques, notamment kirghiz etili turki, et les désignent indistinctement sous le nom depamirs[9]. Ainsi,pâ pourrait signifier « montagne » et « mira » serait une « vaste région » ou un « plateau » ; selon une explication concurrente,pan oupai désigneraient le « pied » ou la « base » etmir la « montagne »[2], soit le « piémont de la montagne » ou le « socle de la montagne »[2],[10]. Ces pamirs seraient au nombre de sept ou huit, bien qu'une hypothèse alternative veuille que le mot ne désigne pas un type spécifique de vallée mais une vallée bien particulière, celle du lac Zorkul[2]. Par extension, lespamirs forment tout à la fois un vastepamir et la région du Pamir[9]. Une alternative linguistique, toutefois peu plausible, veut quePa-i-michr signifie « socle du soleil » enouzbek et qu'il ait été interprété par « pied deMithra », l'équivalent du dieu du soleil dans la mythologieindo-iranienne[2].
La situation du massif lui a valu localement, selon Wood, le qualificatif deBam-i-dunya, le « toit du monde » enwakhi ou en kirghiz[2],[9],[11],[12]. Il serait dérivé depay-i-mehr puisBamyar enpersan[2]. Quoi qu'il en soit, l'expression devient courante à l'époque victorienne[3]. Ainsi, en1876,Thomas Edward Gordon écrit :
« Nous étions désormais sur le point de traverser le fameuxBam-i-dunya, le « toit du monde » en vertu duquel le nom de la région élevée où des pistes jusque-là relativement inconnues apparaissaient sur nos cartes. [...] Wood, en 1838, était le premier voyageur européen des temps modernes à visiter le Grand Pamir. »
— The roof of the world: being a narrative of a journey over the high plateau of Tibet to the Russian frontier and the Oxus sources on Pamir[13]
« La question des frontières naturelles du Pamir est discutable. Habituellement, le Pamir est considéré comme couvrant le territoire duchaînon Trans-Alaï au nord, auchaînon Sarikol à l'est, aulac Zorkul, larivière Pamir et le cours supérieur duPiandj au sud, à la section médiane de la vallée du Piandj à l'ouest ; au nord-ouest, le Pamir inclut les parties orientales des chaînonsPierreIer etDarvaz. [...] Certains chercheurs ont restreint cette interprétation, n'y incluant que la partie orientale de ce territoire, alors que beaucoup, inversement, considèrent le Pamir plus largement pour inclure les montagnes contiguës à l'est et diverses autres à proximité[20]. »
Le Pamir s'étend sur environ 500 kilomètres d'est en ouest et 300 kilomètres du nord au sud[18]. Malgré des limites à géométrie variable, il est possible de distinguer deux grands ensembles parmi les montagnes du Pamir : une partie occidentale, constituée par la région du Badakhchan, avec des montagnes acérées et des vallées profondes et étroites, parcourues de torrents, et parsemées de petits villages verdoyants perchés sur descônes de déjection et desterrasses alluviales ; la partie orientale présente de hauts plateaux isolés et désertiques entre 3 500 et 4 500 mètres d'altitude, faits de dépôts meublesproluviaux etmorainiques, et surmontés de sommets comparativement peu élevés[20],[21]. La limite entre ces deux ensembles est traditionnellement marquée par la crête de Zulumart puis les cols de Pereval Pshart et Pereval Kara-Bulak[20].
Vue panoramique depuis les hauts plateaux du sud-est du Pamir depuis la route reliantKhorog àMurghab auTadjikistan.Image de synthèse représentant depuis l'ouest le Pamir (au centre), lesmonts Tian (à gauche), l'Hindou Kouch (premier plan à droite), leKarakoram (second plan à droite) et lacordillère du Kunlun (dernier plan à droite).Image de synthèse représentant depuis l'est le Pamir (au centre), les monts Tian (à droite), l'Hindou Kouch (dernier plan à gauche), le Karakoram (premier plan à gauche) et la cordillère du Kunlun (premier plan en bas).
Lespamirs, de fertilesvallées glaciaires fermées par desmoraines et naturellement irriguées, mais uniquement parcourues denomadeskirghizes[29],[30],[31], sont traditionnellement comptés au nombre de sept[32],[33] ou huit[34]. LePamir Taghdumbash, surnommé la « Tête suprême des montagnes » ou « pamir du sommet de la montagne », est situé entre le chaînon Sarikol au nord et lecol Kilik (4 827 m) au sud, dans le Sud-Ouest duxian autonome tadjik de Taxkorgan, en Chine. Il est fermé à l'ouest par lecol Wakhjir (4 923 m) qui le sépare de la partie amont de la vallée duWakhan-Daria. Il descend vers l'est avant de marquer un coude vers le nord jusqu'àTaxkorgan, à environ 3 000 mètres d'altitude, pour une distance d'une centaine de kilomètres. C'est le seulpamir à appartenir aubassin du Tarim. Il est peuplé deKirghizes, deSarikolis et deWakhis[34]. LePamir Wakhan se trouve à l'extrémité orientale ducorridor du Wakhan, enAfghanistan, au nord duKarakoram, en amont de la localité deBaza'i Gonbad. Il descend sur une trentaine de kilomètres vers l'ouest-nord-ouest. C'est le plus étroit de tous lespamirs. Il offre de richespâturages[34]. Le Pamir Khord ou Pamir Kitshik, plus connu sous le nom dePetit Pamir, se situe entre le Selsela-Koh-i-Wākhān au nord et le Karakoram au sud, entre le lac Chaqmaqtin et le village deSarhad, dans la partie centrale du corridor du Wakhan. Il est en contact au nord-est avec la vallée de l'Oksu. Il s'étend vers le sud-sud-ouest sur une centaine de kilomètres[32],[34]. Le Pamir Kalan ou Pamir Tshong, plus connu sous le nom deGrand Pamir, est comme son nom l'indique le plus long et le plus large de tous lespamirs. C'est une vallée en auge qui s'étire sur environ 130 kilomètres depuis lelac Zorkul vers le sud-sud-ouest, entre les chaînons Alitshur méridional au sud et Selsela-Koh-i-Wākhān au nord, et qui abrite le cours de larivière Pamir[32],[34]. Un peu plus au nord, lePamir Alitshur s'étend entre les chaînons septentrionaux et méridionaux du même nom. Il contient les lacsYashilkul, Bulun-Kul et Sasyk-Kul puis se prolonge vers l'ouest par le Shugnan[32],[34]. Plus au nord encore, le Pamir Sarez (le « pamir de la piste jaune ») est coincé entre les chaînons Alitshur septentrional et Muskol, autour dulac Sarez. Bien que figurant sur plusieurs cartes et ayant vu son existence rapportée par des explorateurs, son existence a été remise en cause parNey Elias arguant qu'il ne possède aucune des caractéristiques habituelles d'unpamir en raison de son relief encaissé.Francis Younghusband explique qu'une petite vallée fertile d'une quinzaine de kilomètres de longueur se trouve plus à l'est, aux environs deMurghab, et qu'elle a été mal reportée sur les cartes[32],[34]. Le Pamir Rangkul (le « pamir du lac coloré ») se situe sur quarante kilomètres de long autour du lac du même nom, tandis que le Pamir Khargosh (ouKargushî, le « pamir du lapin ») se trouve sur trente kilomètres de long au sud et à l'est du lac Kara-Kul[32],[34],[35] ; leur existence est toutefois contestée[34]. Plusieurs autres vallées ont pu prétendre au qualificatif depamir mais des différences géomorphologiques et des usages locaux peu marqués les ont rejetées[34].
Le tableau ci-dessous liste les principaux chaînons composant le Pamir classés par altitude décroissante. Lechaînon Kashgar en grisé est considéré comme une zone de transition avec le Pamir, voire une partie intégrante de lacordillère du Kunlun[27].
Voici un résumé des principaux sommets par ordre d'altitude composant le Pamir. Les sommets en grisé font partie duchaînon Kashgar considéré comme une zone de transition avec le Pamir, voire une partie intégrante de lacordillère du Kunlun[27].
Carte du Pamir mettant en évidence le bassin de l'Amou-Daria, avec lePiandj et leVakhch et leurs affluents respectifs sur les trois quarts occidentaux du massif ; le quart oriental appartient aubassin du Tarim ; au centre, le bassinendoréique dulac Kara-Kul.
La grande majorité des rivières qui arrosent le Pamir appartiennent aubassin de l'Amou-Daria. La plus importante de ces rivières est lePiandj, qui naît de la jonction duPamir et duWakhan-Daria et marque les limites sud et sud-ouest du massif, en même temps quela frontière entre leTadjikistan et l'Afghanistan. Il a pour affluent en rive droite leGunt, au niveau de la ville deKhorog, lui-même rejoint par le Shakhdara à l'entrée de l'agglomération ; suit leBartang, appelé Oksu dans sa partie amont et Murghab (signifiant « l'eau auprès de laquelle nichent les oiseaux ») dans sa partie intermédiaire, qui naît à quelques hectomètres des sources du Piandj et traverse pourtant littéralement le Pamir d'est en ouest sur plusieurs centaines de kilomètres avant de s'y jeter ; puis viennent leYazgoulem et leVanch. Marquant la frontière septentrionale du Pamir sous les noms de Kyzyl-Sou puis Surkhob, leVakhch se jette également en rive droite du Piandj très à l'ouest du massif, aux confins sud-ouest du Tadjikistan, pour former l'Amou-Daria. LeMuksu et l'Obihingou sont des affluents en rive gauche du Surkhob qui drainent les chaînonsPierreIer etDarvaz. Quelques rivières alimentent le lacendoréique deKara-Kul, dont les Karadzhilga et Muskol. L'ouest duchaînon Sarikol appartient aubassin du Tarim[20],[36]. Quelque 173 rivières parcourraient le massif, auxquelles s'ajoutent plus de 200 sources minérales, dont un tiers desources chaudes[37].
Le Pamir abriterait entre 846 lacs pour un total de 1 343 kilomètres carrés[38] et 1 449 lacs[37], selon les sources. Outre le lac Kara-Kul, qui siège sur38 000 hectares[38] dans uncratère d'impact vieux de 25 millions d'années[39], dans le nord-est du Pamir, et dont les eaux sont les plus basiques avec unpH compris entre 7,3 et 8,0[38], figurent les lacs jumeaux Rangkul et Shorkul sur le versant occidental du chaînon Sarikol et lelac Zorkul, formé par unemoraine, entre les chaînonsAlitshur méridional et Wakhan[20]. Le lac Turumtaikul est le plus élevé avec 4 260 mètres d'altitude[38]. Au centre du massif, les lacslac Yashilkul (le « lac vert ») etSarez ont été créés par desglissements de terrain[20],[38]. Le second, conséquence duséisme de 1911[40], est naturellement formé par le barrage d'Usoi, le plus haut au monde. La retenue a une longueur de soixante kilomètres et une profondeur pouvant atteindre 500 mètres. Elle continue à s'élever à un rythme de vingt centimètres par an, faisant craindre une rupture du barrage et la destruction potentielle de 32 villages immédiatement placés en aval dans la vallée du Bartang auxquels s'ajouteraient cinq millions de personnes touchées dans le bassin de l'Amou-Daria[41],[42]. Certains lacs gèlent dès novembre jusqu'en mai et peuvent être recouverts d'un mètre de glace au milieu de l'hiver[38].
Vue aérienne du bassin collecteur duglacier Fedtchenko, le plus long du massif.
Le Pamir est parcouru par 3 000glaciers couvrant 8 400 kilomètres carrés selon des données desannées 1970[20] et 13 000 glaciers couvrant 12 000 kilomètres carrés selon des données plus récentes datant de1990 mais dans les limites géographiques étendues du massif[43]. Ils contribuent à alimenter 60 millions de personnes en eau au Tadjikistan, en Afghanistan, enOuzbékistan, auTurkménistan et auXinjiang[43]. Parmi ceux-ci, dans lechaînon de l'Académie des Sciences, se situe leglacier Fedtchenko, le plus long de l'ancienneURSS et le plus long glacier en dehors de la région polaire[43],[44] avec 77 kilomètres de long[20]. Il contient, au début desannées 1960, 200 millions de mètres cubes de glace transformée en altitude grâce aux importantes accumulations de neige[18]. Dans les chaînonsPierreIer,Darvaz, Vanch etYazgoulem se trouvent les glaciers Grumm-Grzhimailo avec 36 kilomètres de long, Garmo avec 27 kilomètres, Surgan avec 24 kilomètres, de l'Institut de Géographie avec 21 kilomètres et Fortambek avec 20 kilomètres[20]. Le plus long glacier duchaînon Trans-Alaï est le glacier du Grand Saukdara avec 25 kilomètres, alors que le glacier Lénine progresse jusqu'à une vitesse de cent mètres par jour et avance parfois de plusieurs kilomètres dans les vallées[20]. Ces accélérations ont été observées et expliquées aux glaciers Medvezhy (littéralement « glacier de l'Ours ») et Bivatchny (littéralement « glacier du Bivouac ») non comme une conséquence de l'augmentation de leur volume mais comme celle d'une fonte inhabituelle qui fait que la glace n'a plus la même résistance[45]. Les chaînonsRushan et Alitshur septentrional possèdent également des glaciers importants. Toutefois, la superficie occupée par les glaciers est nettement inférieure à celle de la dernièreglaciation[20], où ils formaient unecalotte glaciaire commune avec l'Hindou Kouch et leplateau tibétain[46]. En raison duchangement climatique, ce retrait s'est globalement accéléré au cours des cinquante dernières années, mais de seulement 3 à 5 % au centre et à l'est du massif contre 15 % à l'ouest. Le glacier Fedtchenko a reculé de plus de 1 000 mètres entre1920 et2000, dont 750 mètres depuis1958, et a perdu 2 kilomètres carrés de surface entre cette même date et2009[43]. Le débit des rivières a augmenté de 2 % au cours des dix à vingt dernières années en raison de la fonte des glaciers et de la hausse des précipitations[43].
En raison de cette histoire géologique, le Pamir est parcouru par un important réseau defailles disposées en arcs de cercles orientés vers le nord qui délimitent différents domainespétrologiques[20],[55],[56],[57]. La marge septentrionale du massif, correspondant au versant nord duchaînon Trans-Alaï, est composée deconglomérats, degrès, deschistesargileux, decalcaires et deroches volcaniques datant de la fin du Permien auCénozoïque, qui ont été intensément déformés et surélevés dès le milieu de l'Oligocène[20]. Le nord du massif correspond à l'anticlinal complexe qui s'étend du versant méridional du chaînon Trans-Alaï à l'importante faille de Vanch-Akbaital au sud. Il est essentiellement lié à l'orogenèse hercynienne du Permien, même s'il a été affecté par les événements géologiques duMésozoïque-Cénozoïque. Sa composition s'étend des schistesmétamorphiques de la fin duPrécambrien à desmarbres, des grès, de l'argile et de lacraie, mais également à des roches volcaniques duPaléozoïque et à desintrusions degranitoïdes du Trias auJurassique moyen[20],[49],[58]. Une fine zone de transition composée d'une ceinture d'ophiolites est le témoin de l'obduction d'une portion delithosphère océanique au niveau de la faille de Vanch-Akbaital[57]. Au sud, la partie centrale du Pamir est recouverte par une vastenappe de charriage formée desédiments du Paléozoïque et du Mésozoïque déposés sur leplateau continental de l'ancienne Téthys, avec des traces de roches volcaniques duMiocène. Ces roches sont fortement déformées par l'orogenèse alpine du Cénozoïque[20],[49],[59]. Quelquesfenêtres présentent des schistes faiblementmétamorphisés de la fin du Précambrien et des alternances destrates sédimentaires, principalement marines mais aussi debauxites d'origine volcanique, du milieu du Paléozoïque auCrétacé supérieur. Ces roches autochtones ont connu des intrusions de granitoïdes duPaléogène et duNéogène qui ont pu favoriser un métamorphisme local[20]. La région duchaînon Rushan et du col de Pereval Pshart est constituée de stratesterrigènes du Paléozoïque supérieur, basculées et disloquées vers le nord. Elles contiennent de ladiabase et de laspilite, ainsi que des intrusions de granitoïdes datant du Jurassique à l'Éocène, liées à l'orogenèse alpine. Elle est géologiquement proche du sud-est du massif, vastesynclinorium complexe, également composé d'épais dépôts marins terrigènes et d'inclusions de granitoïdes, auxquels s'ajoutent desflyschs du Trias et du Jurassique ainsi que des grès, des conglomérats et destufs duCrétacé au Miocène[20],[49],[52],[58]. Enfin, le sud-ouest du massif, isolé par la faille de Hunt-Alitshur, est constitué de schistes, degneiss et de marbres du Précambrien qui ont été peu affectés par les phases orogéniques successives, à l'exception, là encore, des intrusions de granitoïdes du Crétacé et de l'Oligocène au Néogène[20],[49].
Image de synthèse représentant la vallée duVanch, fortement érodée.
La formation despamirs, dans la partie occidentale du massif, commence au Miocène sous un régimecontinental et par l'effet de l'érosion fluviale, à partir de la marge puis en s'étendant vers l'est. De ce fait, les vallées sont fortement entaillées à l'ouest, moins profondes au centre du Pamir et pratiquement absentes dans la partie orientale[20]. Le Pamir s'est élevé à un rythme moyen de 2,5 à 3 millimètres par an au cours du dernier million d'années[66]. Cette dynamique se poursuit avec des mesures atteignant 15 millimètres par an dans lechaînon PierreIer[54]. Il est parfois décrit comme la zone la plussismique au monde, avec notamment deux tremblements de terre d'une magnitude supérieure à 7 dans la première moitié duXXe siècle, àSarez en 1911 etKhait en 1949, chaque fois accompagnés deglissements de terrain[67],[68].
La partie occidentale du Pamir est soumise à unclimat continental, avec des étés tempérés et secs et des hivers longs et froids. Sa partie orientale est aride, avec un taux d'humidité parfois inférieur à 10 %, souvent glaciale, soumise à un intense ensoleillement et à des vents violents[3],[20],[21],[69],[70]. Situé enzone subtropicale, il est soumis en été à desmasses d'airtropicales[20] alors que, à partir d'octobre, unedépression se met en place à l'ouest du massif, qui perdure jusqu'en avril, et apporte des précipitations sur lespiémonts occidentaux[18] et retient les masses d'air froid à l'est[20].
Vue d'un vieil hommewakhi au retour de sa collecte de bois au début de l'automne dans lecorridor du Wakhan.
L'ouest du massif reçoit généralement de 90 à 260 millimètres de précipitations par an, avec un pic en mars et avril et un minimum en été, alors qu'elles sont comprises entre 60 et 120 millimètres à l'est, avec un maximum légèrement influencé par lamousson en mai et juin et un creux en août[20],[69]. Ainsi, entre juillet et septembre, le lac Kara-Kul reçoit en moyenne 4,8 millimètres de précipitations[70]. En périphérie du massif,Garm, sur le cours moyen duVakhch, à 1 800 mètres d'altitude au nord duchaînon PierreIer, reçoit 700 millimètres par an tandis qu'aux alentours de 3 000 mètres d'altitude, les précipitations peuvent atteindre localement 1 000 millimètres dans l'ouest du Pamir. Elles se traduisent sur les sommets par d'importantes quantités de neige, si bien que lastation météorologique permanente duglacier Fedtchenko, à 4 169 mètres d'altitude, enregistre fréquemment des épaisseurs cumulées de vingt-cinq mètres[18],[20]. De ce fait, et grâce aux nombreux jours de brouillard ou de nuages bas qui limitent lasublimation de la neige, l'étage des neiges éternelles, situé par exemple à 4 800 mètres d'altitude dans les piémonts occidentaux et à 5 500 mètres dans lechaînon de l'Académie des Sciences, est le plus élevé au monde[18]. Vladimir Ratzek rapporte avoir vu uneavalanche se vaporiser avant même de retomber au sol et, malgré une importante chute de neige, un sol redevenir sec en seulement deux heures après la réapparition du soleil, par sublimation[73].
DesTadjiks dont la langue est très proche dupersan[83],[88] occupent majoritairement les vallées de l'ouest dans des petits villages épars appeléskishlaks[18],[84],[85], alors qu'une présence russe n'est relevée que dans l'agglomération deKhorog[85], à 2 200 mètres d'altitude, au sein de la vallée duPiandj qui constitue jusqu'àRushan la région la plus dense du massif[18]. Ces Tadjiks des montagnes ont généralement le teint clair et prétendent descendre des anciens guerriers duRoyaume gréco-bactrien[89],[90]. Si la plupart des Tadjiks sontmusulmanssunnites, les populations du Pamir sont essentiellement deschiitesismaéliens d'obédiencenizârite reconnaissant pourimamAga Khan[89],[90],[91]. Des communautészoroastriennes isolées subsistent aussi dans les montagnes[91]. Les Tadjiks du Pamir sont divisés en six groupes culturellement similaires : les Shugnanis, les Rushanis, les Bartangis, les Yazgouls, les Ishkashimis et lesWakhis[88]. Chaque vallée possède son propre dialecte[89]. Les Shugnanis, les Rushanis et les Bartangis, auxquels s'ajoutent notamment les Sarikolis duxian autonome tadjik de Taxkorgan, sont les seuls à parler des dialectes intelligibles entre eux. Le shugnani est donc utilisé commelangue franque, si bien que des tentatives de normalisation sur la base de l'écriture latine ont été entreprises dans lesannées 1920-1930, sans succès[88]. Depuis leur reconnaissance en1989, un travail de transcription enalphabet cyrillique est en cours sur ces langues[92]. En attendant, letadjik standard des plaines est donc utilisé comme langue littéraire[88],[89]. Au milieu duXXe siècle, environ 40 000 personnes sont recensées comme parlant une langue du Pamir[88], chiffre qui monte à près de 100 000 au début desannées 1990[90]. En dehors du shugnani, la situation des dialectes du Pamir, certains parlés par à peine 1 000 locuteurs, est considérée comme fragile[92]. En outre, des Tadjiks des montagnes, culturellement similaires à ceux du Pamir mais religieusement et linguistiquement proches de ceux des plaines, peuplent l'ouest du massif, principalement leraion de Darvaz[93].
Lepeuplier est utilisé dans la construction et comme bois de chauffage[94]. La maison typique du Pamir, appelée localementchid, est un marqueur central de la culture du peuple du Pamir. Elle inclut des élémentsindo-aryens, notammentzoroastriens. Son architecture repose sur des symboles vieux de 2 500 ans. Les murs sont faits de pierre et demortier ; le toit est plat et permet de faire sécher du bois et des denrées alimentaires. L'intérieur offre deux pièces, une petite pour les repas en été et pour le repos, qui donne accès à une seconde, plus grande, arrangée selon trois niveaux correspondant aux trois royaumes de la nature (minéral, végétal, animal) et aux trois niveaux de pensée (inanimé, végétatif etcognitif). Elle est supportée par cinqpiliers en bois correspondant auxcinq piliers et à cinq membres de la famille d'Ali, liés parsyncrétisme à cinq dieux et déesses zoroastriens. Deuxpoutres relient deux paires de piliers, symbolisant les mondes matériel et spirituel. Plusieurs autres groupes de poutres sont présents, dont six autour du foyer représentant les sixprophètes de l'islam ou les six directions de l'univers zoroastrien, et sept autres pour les sept premiers imams ou les sept principaux astres connus (leSoleil, laLune,Mercure,Vénus,Mars,Jupiter,Saturne) ou encore les septAmesha Spentas. Au plafond, unoculus fait de quatre carrés de bois concentriques superposés laisse passer la lumière du jour et symbolise lesquatre éléments. L'intérieur allie les couleurs rouge et blanc, respectivement sources de la vie et du bien-être[95].
Vue de l'ntérieur d'une maison traditionnelle avec les deux piliers.
Vue de l'intérieur d'une maison traditionnelle du Pamir.
Oculus traditionnel avec quatre carrés concentriques.
L'artisanat, en particulier letissage, joue un rôle important dans la culture locale, tout comme la danse et la musique traditionnelles, jouées sur destambûrs, desrubabs, dessetors, desdafs[96]. Lesbouzkachis sont encore pratiqués dans le district deMurghab[97]. Les Wakhis, qui se nomment entre euxxik[94], pratiquement la culturecéréalière et vivent entre 2 200 et 3 500 mètres d'altitude[87].
Plusieurs des plus hautes routes carrossables au monde traversent le Pamir. Parmi celles-ci figure laroute du Karakorum, entre laprovince deKhyber Pakhtunkhwa auPakistan et laChine, qui culmine aucol de Khunjerab à 4 693 mètres d'altitude. La seconde est laroute M41, dont le tronçon est surnomméPamir Highway (Pamirskii Trakt ou « route du Pamir ») en référence à la précédente, mais également la « route de la drogue », si bien qu'elle n'a été ouverte aux étrangers qu'en1998 et que les contrôles sont fréquents[98]. Ce tronçon relieDouchanbé auTadjikistan àOch auKirghizistan en traversant la région autonome duHaut-Badakhchan et culmine aucol Akbaital à 4 655 mètres d'altitude. Cette dernière constitue le principal itinéraire d'approvisionnement de la région. Elle alterne entreMurghab et Khorog les portions de mauvaisasphalte et de pistes en relativement bon état[99]. Depuis cette dernière, l'accès au nord en descendant le cours duPiandj et au sud en quittant la M41 versIshkashim se fait sur une étroite route renforcée. Les vallées duYazgoulem, duVanch et du Shakhdara sont accessibles via des routes en mauvais état[99]. Lecol Kulma à 4 362 mètres d'altitude, dans lechaînon Sarikol à lafrontière entre la République populaire de Chine et le Tadjikistan, a rouvert en mai2004 et permet de relier la route du Karakorum à la M41 la seconde quinzaine de chaque mois de mai à novembre.
Près de cinquante sites de l'âge de la pierre ont été découverts dans l'est du massif[100]. Plus de 10 000pétroglyphes etpictogrammes, représentant essentiellement des symboles et des poèmes religieux et des animaux, ont été recensés dans le massif, certains remontant auPaléolithique supérieur[101]. Des traces decharbon de bois issu d'un foyer humain ont été scientifiquement datées dans le Pamir de 9 500 ans[102]. Desreprésentations pariétales duNéolithique, reconnues comme les plus élevées au monde, figurent dans une grotte au sud deMurghab, à 4 000 mètres d'altitude[102]. En revanche, contrairement auxmonts Tian, aucune céramique de cette période n'a été trouvée[103]. Deskourganes ont été décelés dans la vallée de l'Aksu et sont attribués auxSakas mais leur ancienneté reste débattue[104]. Enfin, des restesarchéologiques de tombes recouvertes de rondins de bois ont été mis au jour sur les hauts plateaux de l'est du massif[105].
Les premiers véritables témoignages de l'histoire régionale sont l'œuvre de l'explorateurvénitienMarco Polo, en1273-1274, à l'occasion de sa traversée des montagnes versCathay, autrement dit laChine, probablement par la vallée duWakhan-Daria etKashgar, dans les pas de Xuanzang. Il en fait une description écrite sommaire mais unique pour l'époque : il aborde la difficulté descols à traverser, les paysages et la géologie, le climat, la faune, les productions agricoles, les populations, leurs traditions et leur religion[21],[111],[113]. Il rapporte aussi l'existence de dépôts derubis[60]. Il écrit :
« Par cette plaine on va chevauchant douze journées et elle est appelée Pamir. Pendant ces douze journées, on ne trouve ni habitation ni auberge, mais c'est un désert tout le long de la route, et l'on n'y trouve rien à manger : les voyageurs qui doivent passer par-là, il convient qu'ils emportent avec eux leurs provisions. Là ne sont aucuns oiseaux, à raison de la hauteur et du froid intense, et pour ce qu'ils n'y pourraient rien trouver à manger. De plus, sachez qu'à cause du froid, le feu n'est pas aussi clair et brûlant, ni de la même couleur que dans les autres lieux, et les viandes ne peuvent pas bien cuire. »
En raison de la chute de l'Empire timouride, les routes caravanières deviennent dangereuses, aucunEuropéen n'y retourne avantBento de Góis en1603, lequel n'apporte aucune connaissance véritablement nouvelle sur la région[111],[114].
LesKirghizes investissent le nord du massif autour duXVIe siècle[82],[115], ce que ne parviennent pas à faire lesMoghols venus du sud[111]. Même lorsqu'auxXVIIIe et XIXe siècles les émirats deBoukhara et d'Afghanistan prennent le contrôle d'une partie du Pamir, ce n'est que sous la forme de dépendances vis-à-vis de seigneurs locaux auxquels sont versés des tributs[90],[111].
Jusqu'à la fin duXIXe siècle, le massif, apparemment pauvre en ressources naturelles et constituant jusque-là un intérêtgéostratégique faible, reste peu convoité[111]. Ce n'est que vers1870 que le Pamir et leKarakoram deviennent une zone de tension entre l'Inde britannique et l'Empire russe en pleine expansion ; ce conflit est surnommé le « Grand Jeu »[106],[126]. Les Russes envoient des missions de reconnaissance dans le nord et le centre du massif alors que les populations du sud sont soumises par les autorités britanniques[121],[126]. Ces dernières tentent de persuader ladynastie Qing d'étendre son territoire à l'ouest, afin d'effectuer la jonction avec l'Afghanistan, mais les Russes les devancent et occupent finalement le massif[126]. Les frontières sont fixées en1895 au niveau ducorridor du Wakhan, comme suggéré dès1873[106]. L'Empire russe annexe les possessions de l'émirat de Boukhara dans le massif en1904[90].
Les premières expéditions à caractère véritablement scientifique duXXe siècle se passent sous la direction de Willi Rickmer Rickmers. La première, en1913, estaustro-allemande, envoyée à l'instigation des clubs alpins des deux pays. À cette occasion, Rickmers prend, sans le savoir, la première photographie dupoint culminant du Pamir, lepic Ismail Samani. La seconde expédition, germano-soviétique, est envoyée au cœur du massif en1928. Rickmers est accompagné de Nikolai Petrovich Gorbunov[127],[128],[129]. Au cours de celle-ci, Karl Wien, Eugene Allwein et Erwin Schneider en profitent pour établir lapremière ascension dupic Lénine, par la face sud[127].
Malgré larévolution d'Octobre1917 et une renégociation des traités et alliances, le Pamir retombe progressivement dans l'oubli occidental[106]. Cet isolement est renforcé dès1929 lorsque laRépublique socialiste soviétique du Tadjikistan est déclarée au sein de l'URSS et que les habitants des montagnes sont appelés dans les champs decoton au sud-ouest[130]. Après la construction de laroute M41 en1931 destinée à désenclaver le massif[98], d'autres missions soviétiques suivent dans la décennie[131]. Peu avant laSeconde Guerre mondiale, sont construits les premiers villages permanents de la partie orientale du massif, en dehors deMurghab, alors connu sous le nom dePamirsky Post depuis sa fondation en1893. L'ouverture d'écoles et la mise en place dekolkhozes peuvent expliquer cettesédentarisation[132].
Après la guerre, Vladimir Ratzek est chargé de cartographier le Pamir, qui reste encore largement inexploré. À la tête de plusieurs expéditions militaires, il en profite pour gravir les plus hauts sommets du massif, notamment les trois de plus de 7 000 mètres d'altitude[44]. Leshélicoptères font leur apparition dans lesannées 1950 et facilitent l'essor de l'alpinisme[131]. En1962, Anatoly Ovtchinnikov etJohn Hunt sont chefs de l'expédition britanno-soviétique aupic Garmo durant laquelle Wilfrid Noyce, membre de la première expédition à l'Everest en1953 avec Hunt, et Robin Smith chutent mortellement lors de la descente. Lescrampons des Britanniques ne sont pas adaptés à la neige molle et instable du Pamir. La cordée glisse, ne parvient pas à freiner la chute, percute un monticule de glace et disparaît dans une falaise de 800 mètres de hauteur. Leurs compatriotes décident de les ensevelir sur le lieu de l'accident[133]. En1969, pour le centenaire de la naissance deLénine, le congrès international d'alpinisme est organisé au pic Lénine. Des membres de treize pays sont invités à se joindre aux Soviétiques pour participer à une expédition en masse, mais beaucoup manquent d'expérience. Rapidement, les grimpeurs se désorganisent, les abandons et les accidents dont un mortel se succèdent ; malgré tout, sur la centaine de participants, 86 atteignent le sommet parmi lesquels 30 étrangers[127]. En1974, une cordée constituée de huit alpinistes féminines est tuée lors d'une tempête alors qu'elle se trouve près du sommet[127]. En1990, uneavalanche déclenchée par unséisme tombe sur le camp II et tue 43 alpinisteseuropéens etrusses. Seul un en réchappe ; c'est l'accident le plus meurtrier de l'histoire de l'alpinisme[127],[134].
Il faut attendre laperestroïka, à la fin desannées 1980, pour que lesPamiris(en) soient autorisés à retourner dans leur région, puissent rebâtir leurs villages en ruines[135] et remettent en culture les4 000 hectares de terres laissées enfriche sur les16 000 hectares deterres arables[136]. Laguerre d'Afghanistan de 1979 à 1989, durant laquelle le massif sert de base arrière secondaire aux combattants, mais surtout laguerre civile tadjike de 1992 à 1996, qui voit les Pamiris réclamer une part d'autonomie vis-à-vis du pouvoir central communiste, plongent à nouveau le Pamir dans une zone de tension[106]. Les rares accès routiers sont détruits[137]. Entre-temps, toutefois, des projets d'études sont lancés, notamment par l'Université des Nations unies en accord avec les Académies des sciences, pour soutenir le développement du massif. Des propositions sont émises visant à protéger le patrimoine naturel et à promouvoir l'écotourisme[135].
La population du Pamir tire ses revenus d'uneéconomie de subsistance, basée sur l'élevage et uneagriculture vivrière, et d'activités illégales comme le trafic de drogue ou lebraconnage. Le tourisme peine à prendre durablement son essor et l'environnement reste relativement préservé en raison de l'isolement du massif autant que de la création de plusieurs aires protégées.
L'élevage demoutons dans les prairies d'altitude reste une source de revenus essentielle de la région. Leur laine sert notamment à la confection desdjuraby, des chaussettes ou des bas mi-longs à longs tricotés par les femmes selon des coutumes précises, avec trois aiguilles, et présentant des motifs à la fois traditionnels et uniques dont les teintures sont obtenues par le trempage du fil dans des infusions de plantes[138]. Leyak, originaire duTibet, est localement appelékutas. Pouvant peser jusqu'à 500 kilogrammes, il est élevé pour sa viande et pour sonlait qui sert à produire de lacrème et duyaourt. Sa laine et son cuir servent à confectionner des vêtements et autres ustensiles. La fermentation de ses bouses permet de produire du carburant. Il est utilisé dans l'agriculture commebête de somme. Il est capable de traîner des charges importantes, de traverser des torrents et de survivre en haute altitude[139].
Lapêche présente un potentiel de développement important dans les lacs du Pamir. L'espèceSchizopygopsis stoliczkai représente la quasi-intégralité des poissons pêchés, auxquels s'ajoutentSchizothorax intermedia etCarassius gibelio. Les rendements sont très variables en raison des moyens artisanaux utilisés et de l'exploitation irrégulière. À la fin desannées 1990, 180 tonnes de poissons sont extraites par an, dont 65 à 94 tonnes dans le seullac Yashilkul, le lac Turumtaikul étant le plus productif avec 34 à 40 kilogrammes par hectare et des prises moyennes de plus de huit kilogrammes. L'introduction de l'espèceCoregonus peled pourrait faire augmenter sensiblement la production[140].
De lavigne, desabricotiers, despommiers, despoiriers, desnoyers et desmûriers sont cultivés sur lescônes de déjection et lesterrasses alluviales, bien drainés, où sont perchés les villages[20],[87]. Les conditions climatiques permettent une unique récolte annuelle d'orge, deblé, depomme de terre, defèves et depois[87]. Les populations sont fortement dépendantes de l'irrigation, notamment dans les vallées et les plateaux les plus arides dans la partie orientale. L'eau est détournée depuis les régions plus arrosées ou issue de la fonte des neiges et desglaciers. AuTadjikistan, depuis l'indépendance, l'agriculture est redevenuevivrière[18] afin de contrebalancer les 85 % d'importations alimentaires[136]. Lepavot à opium (Papaver somniferum) et lechanvre (Cannabis sativa) sont cultivés illégalement. Ils s'adaptent bien aux conditions arides et aux sols gelés. Le pavot est apparu auXIXe siècle et a été éradiqué par lesSoviétiques dans lesannées 1940. Depuis l'indépendance duTadjikistan, les plantesnarcotiques ont refait leur apparition en profitant d'une porosité des frontières et d'une facilité de conservation, faisant de cette activité une manne financière dans le Pamir[141]. Latourbe obtenue à base de plantes appelées localementteresken remplace parfois la bouse animale dans la production de carburant[142]. En raison de la raréfaction et de l'augmentation des prix des imports encharbon et enfioul après l'indépendance du Tadjikistan, ainsi que de l'absence de développement dans lesénergies renouvelables, le teresken est souvent utilisé en dernier ressort directement comme combustible, ce qui a mené à une désertification de l'est du massif dans les vingt dernières années[143].
L'ouest du massif, notamment la vallée du Shugnan et celles adjacentes, présente des filons delazurite (localement appeléeljadshuar) et des dépôts derubis qui ont été exploités respectivement depuis l'Antiquité et leMoyen Âge. Entre 500 kilogrammes et une tonne delapis-lazuli sont même extraits quotidiennement à la fin duXIXe siècle. Des filons sont de nouveau exploités entre1972 et le début desannées 1990. De lahouille et dulignite ont été extraits en petites quantités dans l'ouest et le centre du massif. Lesoufre, lesalpêtre, lesel et lemarbre pourraient être exploités de manière rentable si les infrastructures étaient développées[60].
Un accès facilité au cœur du massif devient possible dans la seconde moitié duXXe siècle. En1978, plus de 300cols ont déjà été franchis et répertoriés par les associations detrekking, dont le plus haut à 5 970 mètres d'altitude, le col Zimovstchikov entre leglacier Fedtchenko et un de ses tributaires, le glacier Vitkovsky, en1959[131]. La pratique de ce sport trouve vraiment son essor dans le Pamir à la fin desannées 1980 et au début desannées 1990. À la même époque, les hauts sommets du massif sont gravis par 200 à 400alpinistes, essentiellementrusses, chaque mois de juillet. Laguerre civile de 1992 à 1996 auTadjikistan met un coup de frein à ce développement touristique[18].
Vue deKhorog, capitale duHaut-Badakhchan et principal centre du tourisme pour le Pamir au Tadjikistan.
Depuis lesannées 2000, le massif s'est ouvert au tourisme international, bien qu'un permis spécial soit requis et des taxes versées auprès des autorités tadjikes[144]. En2003, 1 500 trekkers, principalementoccidentaux ont été recensés par l'agence nationale pour le tourisme ; en2006, à peine plus de 1 000 personnes se sont rendues à l'office du tourisme deKhorog[144]. Cette ville abrite le deuxième plus hautjardin botanique au monde[145]. L'agence Sayoh a la responsabilité de faire profiter les populations locales des retombées économiques mais s'est vue critiquée en raison des difficultés qu'elle oppose aux compagnies privées[144]. Des associations, des fondations et des institutions nationales étrangères et transnationales soutiennent les efforts de développement[144]. Malgré tout, l'écotourisme peine à séduire les touristes, seuls 10 % d'entre eux ayant visité leparc national du Pamir[144]. L'alpinisme, dont les infrastructures, y compris lesservices de secours, ont été mises à mal par la chute de l'Union des républiques socialistes soviétiques, connaît un début de regain d'activité, surtout à partir duKirghizistan[144]. La chasse à l'argali continue à être pratiquée avec des prix atteignant 30 000 euros par tête, dans un manque de transparence important, mais dont les rentes pourraient dépasser celles des taxes perçues par les autorités[144].
Leparc national du Pamir (ou Pamirsky), aussi appelé parc national tadjik, est créé le[40], après avoir été imaginé dès1992[135],[146]. Il s'étend sur 12 260 kilomètres carrés[147], soit un peu plus de 8 % de la superficie duTadjikistan. Il comprend dans ses statuts uneréserve naturelle qui joue le rôle de zone tampon[40] et porte la superficie de cetteaire protégée à 26 000 kilomètres carrés[148], ce qui en fait la plus grande d'Asie centrale[144]. En2008, elle est proposée pour intégrer la liste duPatrimoine mondial de l'UNESCO[147] et cette candidature est approuvée en2013[149]. Cette reconnaissance pourrait s'accompagner d'une relance de la fréquentation touristique[18]. Elle se base sur un paysage naturel remarquable, comprenant lepic Ismail Samani, leglacier Fedtchenko et lelac Sarez, sur unbiome unique caractérisé par un climat aride, sur une altitude élevée qui pourrait en faire le troisième plus haut site du Patrimoine mondial après l'Everest et leNanda Devi, sur une réserve hydrologique majeure et sur un relief unique[147].
Laréserve naturelle d'État de Dashtidjum (ou Dashtidzumsky), située au Tadjikistan, au sud-est de la crête Khazratisho et au nord duPiandj[150] sur la marge occidentale du Pamir, est unzapovednik, une réserve intégrale, c'est-à-dire le plus haut degré de protection parmi les aires protégées[151],[152]. Un refuge naturel (zakaznik) a d'abord été créé en1972 sur 533 kilomètres carrés, avant d'être complété par la réserve naturelle intégrale sur 197 kilomètres carrés[153] en1983[146],[152]. Un projet vise à ajouter 267 kilomètres carrés de zone tampon au refuge naturel pour porter sa superficie à 800 kilomètres carrés[153]. Unezone importante pour la conservation des oiseaux complète depuis2007 le réseau des aires protégées de Dashtidjum sur une superficie de 378 kilomètres carrés[154].
Laréserve naturelle d'État de Zorkul (ou Zorkylsky) est située autour dulac du même nom, le long de la frontière avec l'Afghanistan. Elle a été créée en1972 sur 165 kilomètres carrés en tant que refuge naturel[146],[155] avant d'être promue à son tour en réserve intégrale en2000 et agrandie sur 877 kilomètres carrés[156]. Elle contient un siteRamsar depuis2001 ainsi qu'une zone importante pour la conservation des oiseaux et prétend à inclure la liste du Patrimoine mondial de l'UNESCO[156].
Cinq autres refuges naturels se trouvent dans la partie tadjike du Pamir, dont le but premier est la conservation et la reproduction de la faune et de la flore, en particulier celles duyanghir et de l'argali de Marco Polo qui sont chassés pour leurs cornes[146],[151],[155]. Le refuge naturel Sanvor (ou Sangvorsky)[146],[157], aussi appelé Sanglyar (ou Sanglyarsky)[151],[155], se situe dans lechaînon PierreIer. Il a été créé en1970[146] ou1972[157] et s'étire sur 509 kilomètres carrés[146],[155]. Le refuge naturel du Pamir inclut lelac Kara-Kul et s'étend sur 5 000 kilomètres carrés[155]. Il comprend le site Ramsar des zones humides du lac Kara-Kul[158]. Le refuge naturel de Muskol (ou Muzkulsky) se situe dans le chaînon du même nom[155] et couvre depuis1972 un territoire de 669 kilomètres carrés[146],[159]. Le refuge naturel Verkhniy Muzhkul[151] se trouve à l'est de ce dernier[160]. Enfin, le refuge naturel Ishkashim se trouve à l'extrémité sud-ouest du Pamir, au niveau du coude formé par le Piandj[151],[161]. Pour compléter, un autre site Ramsar protège les zones humides des lacs Shorkul et Rangkul[162].
La réserve faunique Pamir-i-Buzurg se trouve en Afghanistan, à l'extrémité occidentale du chaînon Selsela-Koh-i-Wākhān, sur son versant septentrional[163],[164]. Elle a été créée en1978 et possède le même niveau de protection que les refuges naturels du Tadjikistan[164].
La réserve naturelle de Taxkorgan, dans l'Ouest duXinjiang enrépublique populaire de Chine, s'étend sur 14 000 kilomètres carrés en partie dans les confins sud-est du Pamir. Elle abrite desloups, desGrands bharals, quelquesOurs Isabelle, 150 spécimens d'Argali de Marco Polo et 50 à 75onces. Elle est peuplée par 7 500 habitants qui chassent lesongulés afin de se nourrir et lescarnivores pour protéger leurs 70 000 animaux domestiques. Elle a un faible niveau de protection[69],[165].
Selon une légende, lorsque Dieu créa le monde et distribua les terres, le représentant desPamiris(en) fut si discret qu'il faillit être oublié et en eut beaucoup de chagrin. Dieu eut alors beaucoup de remords et lui attribua leBadakhshan qu'il voulait garder comme son propre jardin[166].
Certains auteurs situent dans le Pamir l'Éden biblique et lemont Ararat, oùNoé aurait pris pied après leDéluge[167].
Lesbouddhisteschinois imaginent que l'un des lacs du Pamir est habité par un granddragonvenimeux[168],[169]. Ses eaux noir-verdâtre seraient également remplies detortues (rouen), derequins (kiao) et decrocodiles (tho)[169]. Jadis, alors que des marchands de passage établirent un camp pour la nuit près du lac, le dragon entra en colère et tua les marchands au moyen de paroles magiques. Lorsque le roi de Pan-tho (ou Ko-pan-tho) en eut été informé, il confia son autorité à son fils et alla dans le royaume d'Ou-tchang où il étudia les paroles magiques des Brahmanes. Ayant conquis cette science en l'espace de quatre ans, il s'en revint et reprit l'autorité royale. À son tour, il lança des paroles magiques contre le dragon du lac. Celui-ci se changea en homme et, plein de repentir, il vint trouver le roi. Le roi l'exila aussitôt sur les montsTsong-ling, à deux mille lis (200 lieues) de ce lac[169].
La traditionismaélienne veut que les philosophesNasir e Khosraw et Tolib Sarmast aient été envoyés dans le Pamir pour le rendre habitable, auMoyen Âge. Ils construisirent des sentiers à flancs de montagne. Tolib mourut et fut enterré dans le Rushan, où poussent deux gigantesquesplatanes qui seraient issus des bâtons des deux hommes plantés dans le sol depuis 900 ans. Nasir, continuant son voyage, se retrouva assoiffé. Devant le refus d'une vieille femme de lui servir de l'eau, il planta son bâton dans le sol d'où jaillit une source qui coule encore aujourd'hui. Plus loin, un dragon essaya de le dévorer mais Nasir pria et le dragon fut changé en un rocher, encore visible près d'Ishkashim[170].
Selon une autre légende, le Pamir Alitshur était autrefois si fertile que duriz y poussait. LorsqueAli ibn Abi Talib répandit l'islam dans le Pamir, les habitants de cette vallée refusèrent de se convertir. Ali jeta une malédiction et jura que jamais plus descéréales n'y pousseraient.Alitschur signifierait le « fléau d'Ali » ou le « désert d'Ali ». Seule une mare à l'eau cristalline demeure, appelée Ak-balik (littéralement la « source blanche »). Elle abrite de gros poissons mais quiconque essaierait d'en attraper serait à jamais frappé de mauvaise fortune[171].
Ainsi, le massif abrite de nombreuxautels et sites sacrés. Ils sont entourés de nombreuses histoires, de mythes naturels ou liés à des saints. Ils font parfois office de protection et des offrandes y sont déposées. Ils sont généralement faits de pierres gravées et de cornes deyanghirs ou d'argalis[172].
Le Pamir a été l'un des théâtres ducinéma soviétique, à une époque où il restait une région largement inexplorée. Ainsi, en1927, leréalisateur Vladimir Erofeev, spécialiste du genreethnographique, tourne le filmLe Toit du monde : expédition dans le Pamir (Kryša mira: ekspedicija na Pamir), où il suit desgéologues. L'année suivante, Vladimir Adolfovitch Chneiderov participe à une exploration qu'il immortalise dans le filmLe Piédestal de la mort (Podnožie smerti). Il s'en inspire, en1935, pour réaliserDjoulbars, un classique d'aventures de l'èrestalinienne narrant la lutte héroïque entre un garde-frontière russe et son chien contre un groupe de brigands d'Asie centrale aux confins montagneux et enneigés de l'Empire soviétique[173].
↑(en)Thomas Edward Gordon,The roof of the world: being a narrative of a journey over the high plateau of Tibet to the Russian frontier and the Oxus sources on Pamir, Edmonston and Douglas,Édimbourg, 1876, page 121,[lire en ligne]
↑a etbAymon Baud, Philippe Forêt et Svetlana Gorshenina,La Haute-Asie telle qu'ils l'ont vue: explorateurs et scientifiques de 1820 à 1940, Éditions Olizane,(ISBN9782880862992), p.17.
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