Palladio concevait les élévations de ses villas selon les façades destemples romains. L’influence de ces temples devint plus tard la marque de fabrique de son œuvre. Les villas palladiennes sont généralement construites sur trois niveaux : un sous-sol ou rez-de-chaussée rustique qui comprenait les services pour ladomesticité et les pièces moindres. Au-dessus, lepiano nobile (étage noble), accessible par un portique atteint par une volée de marches. Cet étage accueille la salle de réception et les chambres. Au-dessus encore, se trouve unemezzanine basse avec les chambres secondaires et logements. Lesproportions de chaque pièce de la villa étaient calculées selon des règles mathématiques simples avec des rapports tels que3⁄4 ou2⁄3 et les autres pièces étaient interdépendantes de ces ratios[4]. Précédemment, les architectes utilisaient ces formules pour équilibrer une simple façade ; Palladio se servait de ces formules pour harmoniser tout l’édifice[5].
D’après son traité d’architecture, Palladio définit sept proportions majeures[6] :
le cercle ;
le carré ;
la diagonale du carré1⁄√2 ;
un carré plus un tiers3⁄4 ;
un carré plus un demi2⁄3 ;
un carré plus deux tiers3⁄5 ;
un double carré1⁄2.
Palladio tente d’y expliquer l’impact de ces proportions sur l’inconscient humain :
« Les proportions des voix sont harmonie pour les oreilles, celles des mesures sont harmonie pour les yeux. De telles harmonies plaisent souvent beaucoup sans que quiconque sache pourquoi, à l'exception des chercheurs de la causalité des choses[7]. »
Palladio conçut toujours sesvillas selon leur cadre. Lorsque les villas étaient sur des collines comme pour laVilla Rotonda, les façades étaient fréquemment conçues pour être identiques sur toutes les faces[8], ainsi les occupants avaient un excellent panorama dans toutes les directions. Aussi dans de tels cas, lesportiques étaient construits sur toutes les faces, alors les occupants pouvaient apprécier pleinement la campagne environnante tout en étant protégés du soleil. Quelquefois, Palladio avait recours auxloggias comme alternatives aux portiques. Ceci peut être un simple portique encastré. Occasionnellement, une loggia pouvait être placée au deuxième étage au-dessus de la loggia du premier créant unedouble loggia[9]. Les loggias avaient parfois plus de consistance en étant surmontées d’unfronton[N 3].
Palladio réfléchissait beaucoup au double emploi de ses villas en tant que fermes et luxueuses retraites pour riches propriétaires vénitiens[10]. Ces édifices similaires à des temples ont souvent des ailes basses, égales et symétriques sur les côtés, servant de fermes[N 4], pour loger les chevaux, animaux de la fermes et les outils agricoles[9]. En effet, les communs étaient parfois détachés de la villa, mais reliés par descolonnades ; les dépendances n’étaient pas seulement créées pour être fonctionnelles, mais aussi pour compléter et souligner la villa. Cependant, les ailes n’étaient pas considérées comme faisant partie de la demeure principale. C’est seulement auXVIIIe siècle avec les disciples de Palladio que ces ailes devinrent partie intégrante de la demeure[11].
James Ackerman est réputé pour sa vision du palladianisme et de ses atouts :
« Dans la génération de Palladio on ne trouve aucun autre architecte de premier plan qui soit né et ait été formé enVénétie. Ceux qui venaient d’ailleurs, par exempleSansovino etSanmicheli, adaptèrent le langage de l’Italie centrale à la tradition vénitienne, mais n’assimilèrent jamais complètement, comme le fit Palladio, la magie byzantine, ni l’exquise légèreté et la luminosité de l’architecture vénitienne de la premièreRenaissance. La sensualité du style vénitien fut le catalyseur qui transforma les éléments érudits de la pensée de Palladio en une architecture toute humaine et la rendit accessible aux générations à venir[12]. »
Serlienne. Détail d'un dessin deQuattro Libri dell'Architettura dePalladio.
La fenêtre palladienne (serlienne ou vénitienne) figure largement dans l’œuvre de Palladio. On peut la considérer comme sa marque de fabrique au début de sa carrière. Elle consiste en une baie centrale en plein cintre dont lesimpostes, composées de petitsentablements portés par unpilastre et formantlinteau de deux baies latérales. Dans la librairie de Venise,Sansovino modifia ce concept en remplaçant les pilastres internes par des colonnes. Ce type de fenêtre trouve son origine avecDonato Bramante (1444 ; † 1514) qui fut le premier à utiliser ce système. Plus tard il fut mentionné parSebastiano Serlio (1475 ; † 1554) dans son livre aux neuf volumesTutte l'opere d'archittura e prospetiva[13] exposant les idéaux deVitruve et de l’architecture romaine. En effet, ce type de fenêtre cintrée flanquée de deux ouvertures abaissées est un motif qui apparut avec lesarcs de triomphe de laRome antique. Palladio utilisa énormément ce thème, notamment pour les arcades de laBasilique palladienne àVicence. C’est aussi une particularité de l’entrée des villasGodi Malinverni etForni Cerato[14]. Cette forme de fenêtre est probablement la caractéristique la plus durable de l’œuvre de Palladio. Elle fut maintes fois réutilisée dans les styles architecturaux issus du palladianisme[15].
Inigo Jones fut le premier architecte à appliquer le style palladien à une demeure anglaise avec laMaison de la Reine (Queen's House 1614 - 1617) deGreenwich.
Le disciple anglais de Palladio le plus influent étaitInigo Jones[N 5]. Celui-ci, en compagnie deThomas Howard,14ecomte d'Arundel, visita l’Italie en 1613-14 et put annoter son exemplaire du traité de l’architecte italien[18]. Jones et ses contemporains reproduisirent le « palladianisme » sur les façades des édifices. Cependant ils n’appliquèrent pas forcément à la lettre les proportions palladiennes pour l’agencement du bâtiment. Un petit nombre de maisons de campagne fut construit d’après le style palladien en Angleterre entre 1640 et 1680, tel laWilton House. Ceci résulte du grand succès de la Maison de la Reine de Greenwich et laMaison des banquets deWhitehall commissionné parCharlesIer d'Angleterre[19].
Le Palladianisme eut une destinée particulière en France. Bien que la première traduction du livre de PalladioI Quattro Libri dell'Architettura en 1645 eût été faite en langue française[N 6], le palladianisme n'y est mis en œuvre que par une poignée d'architectes[21], sans influer sur les tendances dominantes de l'époque. AuXVIIe siècle, l’architecture palladienne est fortement concurrencée par levignolisme pour la conception d’édifices italianisants[22]. On peut citer leTraité des cinq ordres d'Architecture de Vignole qui influença fortement l’architecture française. Dans son livreEssai sur l'histoire générale de l'architecture…,Jacques-Guillaume Legrand explique la différence de traitement du vignolisme et du palladianisme par les Français et les Anglais :
« Les Anglais ont adopté Palladio, comme nous avons suivi les ordres de Vignole, avec cette différence, qu’ils ont copié les mêmes masses et tout l’ensemble de ses projets dans leur élégante simplicité, au lieu que nous avons appliqué les formes les plus tourmentées, et que nous les avons longtemps surchargés des ornements les plus bizarres et du plus mauvais goût[23]. »
The Designs of Inigo Jones… with Some Additional Designs, publié parWilliam Kent, 2 volumes, 1727[30].
Le livre en quatre volumesVitruvius Britannicus deColen Campbell eut un franc succès. Campbell était un architecte doublé d’un éditeur. L'ouvrage contenait des plans architecturaux d’édifices britanniques qui avaient été inspirés par les grands bâtisseurs, deVitruve à Palladio. Au début, il s'agit principalement de ceux d'Inigo Jones, et les tomes suivants contiennent dessins et plans de Campbell et d'autres architectes duXVIIIe siècle[31]. Ces quatre livres contribuèrent au retour du palladianisme, qui s'est véritablement enraciné en Grande-Bretagne durant ce siècle[32]. Leurs trois auteurs, considérés comme les architectes les plus chics, furent très sollicités pendant toute cette période. Grâce à son livreVitruvius Britannicus, Colen Campbell fut choisi comme architecte pour concevoir laStourhead House pour le banquier Henry Hoare I, un chef-d'œuvre qui inspira lui-même l'architecture de dizaines de demeures à travers l’Angleterre[33],[34].
Les styles architecturaux évoluent et changent pour convenir aux exigences de chaque client. Lorsqu’en 1746,le Duc de Bedford, John Russell décida de reconstruireWoburn Abbey, il choisit le style néo-palladien, le plus en vogue à l’époque. Il choisit l’architecteHenry Flitcroft[37], un protégé de Burlington. Le style de l’architecte anglais, bien que palladien dans son essence, n’aurait pas été reconnu par Palladio lui-même. Le bloc central est petit ; seulement trois baies, le portique est tout juste suggéré. Deux importantes ailes prolongent ce bâtiment et contiennent une vaste suite de pièces qui remplacent les colonnades de l’architecte italien. Les bâtiments de ferme y sont reliés et élevés à hauteur du bloc central terminé par des fenêtrespalladiennes pour garantir le style palladien. Ce développement du palladianisme fut répété un nombre incalculable de fois pour des demeures et des mairies du Royaume-Uni pendant une centaine d’années. Tombé en désuétude à l’époque victorienne avec l'essor dunéogothique[38], le style palladien connaît un nouveau regain de popularité grâce à SirAston Webb pour le ravalement dupalais de Buckingham en 1913.
Les demeures anglaises de style palladien n’étaient plus conçues comme les simples maisons de campagne que l'on pouvait trouver en Italie. Elles n’étaient plus simplement des villas, mais des « maisons de pouvoir » selonJohn Summerson. Elles étaient les centres symboliques du pouvoir desWhigs qui gouvernaient le Royaume à cette époque.
Façade sud de laStourhead House, conçue parColen Campbell et réalisée de 1720 à 1724 par Nathaniel Ireson. Le plan de celle-ci est basé sur celui de laVilla Emo de Palladio.
Pendant la période où le palladianisme connaissait un regain de popularité enIrlande, même les demeures modestes étaient construites sur le modèle néo-palladien. En Irlande, le style architectural palladien se différencie subtilement des réalisations anglaises. En adhérant comme les autres pays aux principes idéels de Palladio, il était souvent plus conforme à l’original. Peut-être parce que les architectes venaient directement du continent et n’étaient donc pas influencés par le palladianisme développé au Royaume-Uni.On peut aussi considérer[évasif] que l’Irlande était plus provinciale et la mode changeait plus lentement.
L’un des pionniers de l’architecture irlandaise[39] SirEdward Lovett Pearce, neveu deJohn Vanbrugh devint un fervent avocat du palladianisme en Irlande. Il était à l’origine l'élève de son oncle, mais rejetant le baroque, il partit trois ans étudier enFrance et enItalie, avant de retourner en Irlande. L’œuvre de sa vie fut la conception des anciennesChambres du Parlement irlandais àDublin. C’était un architecte prolifique qui créa aussi la façade sud de laDrumcondra House en 1727 et leCashel Palace en 1728.
L’un des exemples les plus notables du palladianisme en Irlande estCastletown House près deDublin. Conçu par l’architecte italienAlessandro Galilei (1691-1737)[40], c’est peut-être le seul édifice construit selon les proportions de Palladio.
L’influence palladienne en Amérique du Nord est introduite par le philosophe anglo-irlandaisGeorge Berkeley. Acquérant une grande ferme àMiddletown près deNewport (Rhode Island) à la fin des années 1720, Berkeley la modifia en y ajoutant unchambranle dérivé du travail deWilliam Kent et son livreThe Designs of Inigo Jones. En 1749,Peter Harrison adopte le palladianisme pour sa Redwood Library deNewport, Rhode Island[44],[N 8]. Elle est directement influencée parLes Quatre Livres de l'architecture de Palladio. SonBrick Market, une dizaine d’années plus tard était aussi de conception palladienne.
La rotonde de l'université de Virginie, dessinée par Thomas Jefferson.
Thomas Jefferson, président des États-Unis entre1801 et1809, a manifesté de l'intérêt pour plusieurs domaines dont l'architecture. Ayant séjourné à plusieurs reprises enEurope, il a étudié lesvillas de laRome antique et les édifices dePalladio. De retour en Amérique, il souhaite en appliquer la syntaxe formelle à des édifices publics et privés, en ville et à la campagne. Jefferson considéraitLes Quatre Livres de l'architecture d’Andrea Palladio comme « la Bible » de l'architecture[45]. L’architecte américain acquit les concepts de Palladio et devint le promoteur du palladianisme le plus actif[46]. On peut retrouver l’influence des dessins de ce livre dans la conception des domaines deMonticello[47],Barboursville et l’université de Virginie. Réalisant le pouvoir politique qui revient aux édifices de la Rome antique, Jefferson conçut la plupart de ses bâtiments administratifs dans le style palladien. Monticello (rénové de 1796 à 1808) est un bel exemple de style palladien, elle rappelle l'hôtel de Salm situé à Paris, que Jefferson a pu contempler alors qu'il était ambassadeur de son pays en France[48]. Il utilisa des composants antiques tels que descolonnes doriques, desportiquestétrastyles et undôme central. Le bâtiment est clairement basé sur le modèle de laVilla Capra. Cependant depuis les modifications, la demeure est plus proche du stylecolonial géorgien[49]. La bibliothèque universitaire est située sous unerotonde coiffée d'unecoupole qui s'inspire duPanthéon de Rome. L'ensemble présente une grande homogénéité grâce à l'utilisation de la brique et du bois peint en blanc. Mais ces matériaux la rendent originale par rapport à la tradition palladienne.
AuMaryland, enVirginie et dansles Carolines, le genre palladien est incarné par de nombreuses demeures des plantations agricoles telles queStratford Hall,Westover etDrayton Hall[50] près deCharleston ou encore laHammond-Harwood House àAnnapolis. Ces exemples sont tous des exemples classiques d’architecture coloniale américaine d’inspiration palladienne. L’une des caractéristiques du palladianisme américain réside dans l’utilisation de grands portiques qui, comme en Italie, remplissent la fonction de pare-soleil. Dans les pays d'Europe du Nord, le portique était devenu un simple symbole, seulement esquissé par des pilastres et quelquefois utilisé commeporte cochère dans le palladianisme anglais tardif. En Amérique, le portique palladien regagna ses lettres de noblesse.
Thomas Jefferson dut avoir beaucoup de plaisir comme deuxième occupant de laMaison-Blanche àWashington, édifice assurément inspiré par le palladianisme irlandais.Leinster House de l’architecteRichard Cassels àDublin revendique l’inspiration deJames Hoban qui créa la demeure, construite entre 1792 et 1800[51]. Hoban, né en 1762 àCallan dans lecomté de Kilkenny en Irlande étudia l’architecture à Dublin oùLeinster House fut construit vers 1747. Cet édifice était l’un des plus exceptionnels de l’époque. Le palladianisme de la Maison-Blanche est intéressant car c’est une forme précoce denéoclassicisme, en particulier la façade est qui se rapproche beaucoup deCastle Coole (1790), aussi en Irlande, de l’architecteJames Wyatt.
Pendant les années 1770 en Angleterre, des architectes tels queRobert Adam[N 9] et SirWilliam Chambers répondaient à une demande considérable, mais ils concevaient alors les édifices d’après une large variété de sources classiques incluant laGrèce antique. Ainsi ces formes d’architecture étaient en fait définies comme des œuvresnéoclassiques plus que palladiennes.
Les motifs palladiens, particulièrement les fenêtres, firent une réapparition à la fin duXXe siècle dans le mouvement dupostmodernisme[53]. L’architectePhilip Johnson utilisa fréquemment celles-ci pour concevoir les entrées des édifices comme pour le bâtiment d’architecture de l’université de Houston, le500 Boylston Street de Boston ou encore le musée de la télévision et de la radio de New York. Lorsqu’on l’interroge sur le sujet, Johnson répond :
« Je pense que les fenêtres palladiennes ont une assez belle forme. Je ne cherche pas à en faire un élément plus important[54]. »
↑Ces fermes étaient appeléesbarchessas par les vénitiens.
↑Jones était surnommé le « Palladio de l’Angleterre » selon Jacques Guillaume Legrand dans son livreEssai sur l'histoire générale de l'architecture.
↑La première traduction française deI Quattro Libri dell'Architettura est réalisée par Pierre le Muet en 1645.
↑Giacomo Leoni (1686 - 1746), architecte italien né en Vénétie.
↑achevé en 1750. Considéré comme le premier exemple d'un édifice palladien aux États-Unis lors de son référencement par le National Historic Landmarks en 1960.
↑Robert Adam rejeta le style palladien, le décrivant comme « lourd » et « grossier ». D'après Miles Glendinning, Aonghus McKechnie,Scottish Architecture, Thames and Hudson, 2004(ISBN0500203741),p. 106.
(en)Kenneth Frampton,Studies in Tectonic Culture : The Poetics of Construction in Nineteenth and Twentieth Century Architecture, Cambridge (Massachusetts),MIT Press,(ISBN0-262-56149-2)
Jean-Philippe Garric,Recueils d'Italie : les modèles italiens dans les livres d'architecture français, Editions Mardaga,, 319 p.(ISBN978-2-87009-877-6,lire en ligne)
Jacques Guillaume Legrand, J. N. L. Durand,Essai sur l'histoire générale de l'architecture, pour servir de texte explicatif au Recueil et parallèle des édifices de tout genre, anciens et modernes ... par J.N.L.Durand. : Nouv. éd. corrigée et augmentée d'une notice historique sur J.G. Legrand (par C.P.Landon), Paris, Dom. Avanzo et Compagne,(OCLC78920341)
La version du 12 juillet 2009 de cet article a été reconnue comme « bon article », c'est-à-dire qu'elle répond à des critères de qualité concernant le style, la clarté, la pertinence, la citation des sources et l'illustration.