Son surnomNaso lui vient de son nez proéminent. Il naît un an après l'assassinat de Jules César, est adolescent lorsqueAuguste s'empare du pouvoir pour transformer laRépublique enEmpire, et meurt en exil, trois ans après la mort de ce premierempereur.
Issu d'une famille aisée desAbruzzes appartenant à l'ordre équestre, Ovide est héritier d'une grande fortune. Il étudie larhétorique àRome. À l'âge de dix-huit ans, son père lui permet d'aller voyager àAthènes, voyage qui le marquera et exercera une influence sur ses œuvres, notammentLes Métamorphoses. Après ce long voyage enGrèce, il entre dans la carrière judiciaire pour complaire à son père, siégeant parfois au tribunal desdécemvirs où, selon son propre témoignage, il sait toujours « sans malversations décider de la fortune des accusés[2] » ; choisi comme arbitre de leurs contestations par des particuliers, il est de même loué par la partie déboutée pour son impartialité. Mais délaissant très tôt les carrières juridique et administrative, il est attiré par lapoésie, sa véritable vocation ; artiste mondain, sensible et spirituel, il fréquente les poètesHorace,Tibulle etProperce, et inaugure sa carrière littéraire à vingt-quatre ans, avecles Amours (19 av. J.-C.) ; ce recueil d'élégies développe tous les thèmes érotiques en une sorte de roman d'amour autour d'une certaine Corinne, unehétaïre sous le pseudonyme de laquelle Ovide a dissimulé l'identité de son amante. En2 av. J.-C., Ovide apparaît comme un poète majeur du Principat (le régime instauré parAuguste) car il est choisi pour déclamer en vers l'inauguration du temple deMars Vengeur, à Rome[3].
Ovide avait perdu son père et sa mère ; sa famille se composait d'une fille prénommée Pérille[7] issue des secondes noces du poète et mariée ausénateur Cornelius Fidus ; elle résidait enLibye avec son époux et leurs enfants[8]. Par son troisième mariage avec Fabia, sœur dePaullus Fabius Maximus, Ovide est entré dans une branche de l'aristocratie romaine apparentée àJules César et à l'empereurAuguste lui-même[9], ce qui lui aurait permis, s'il l'avait voulu, de faire une brillante carrière dans lesmagistratures ; mais commeAsinius Pollion, comme le grand juriste AntistiusLabéon ouMessala Corvinus, Ovide, en dédaignant les faveurs qui pouvaient lui être offertes, refusa d'être le complice d'un régime impérial qui avait fait disparaître toutes les libertés politiques et individuelles. Il a cependant joui de l'amitié des plus hautes personnalités romaines de son temps. Parmi ses intimes les plus proches, on compte, outre Paullus Fabius Maximus chez qui il est souvent convié pour des dîners[10], le consul et sénateur Cotta Maximus, le préfet de la bibliothèque impériale d'Apollon,Hygin, et le petit-fils adoptif d'Auguste,Germanicus en personne.
À l'automne de l'an8 ap. J.-C., sur un simple édit d'Auguste[11], Ovide est assigné à résidence enScythie mineure, sur les bords duPont-Euxin (aujourd'hui lamer Noire), àTomis, peuplée deGètes et deGrecs, principalement marchands, marins, pêcheurs et artisans, mais où la culture et les arts de Rome lui manqueront cruellement[12]. La promulgation d'un édit impérial sans nulle forme de procès, permettait d'éviter tout débat judiciaire et de ne pas ébruiter l'affaire. Ovide n'est ni banni dans une île, ni déporté : il est relégué (relegatus). Alors que la déportation entraînait la perte de lacitoyenneté romaine et une confiscation totale des biens du condamné, la relégation laissait à Ovide sa personnalité de citoyen, elle ne touchait pas à sa fortune et n'entamait pas sa liberté de poursuivre sa carrière d’écrivain et de communiquer avec sa femme et ses amis[13].
C'est donc avec ses biens et ses esclaves qu'Ovide arriva à Tomis au printemps de l'an9 de notre ère et c'est dans ce lieu éloigné de Rome, sur une île proche de la côte (mais qui se trouve aujourd'hui dans unelagune au nord deConstanţa, si c'est bien la même) qu'il bâtit sa villa et qu'il passa les dix dernières années de sa vie.
La relégation d'Ovide était temporaire (ad tempus) et non pas perpétuelle. Sur le motif de cette sanction, Ovide fut soumis à l'obligation du silence. Par le poète lui-même, nous savons que durant cette décennie d'exil, il apprit lethrace qui lui permit de communiquer avec lesGètes, lesSarmates[14] et avec le roithraceCotys VIII[15] ; au lendemain de la mort d'Auguste, il lut devant les Gètes réunis sur le forum de Tomis, le poème qu'il avait composé en leur langue à la gloire de l'empereur, et reçut d'eux des marques d'enthousiasme[16]. Il écrivit à Tomis ses ultimes vers, lesTristes et lesPontiques, qui contiennent des confidences pleines de mélancolie où s'expriment sa nostalgie, sa douleur et sa détresse d'exilé. Mais à partir de la relégation, aucune de ses œuvres n'entra plus dans les bibliothèques publiques[17]. Ovide tenta en vain de revenir à Rome. Il écrivit pour son amusement un traité sur la pêche, lesHalieutiques, dont la tradition nous a transmis 136 vers, un pamphlet intituléIbis, où il couvre de malédictions l'infidélité d'un faux ami, ainsi que quelques descriptions desThraco-Romains vivant autour de Tomis.
L'« île d'Ovide » au nord deTomis (Scythie mineure) : des ruines d'époque romaine s'y trouvent et l'on suppose qu'Ovide y aurait résidé.
Après sa mort, malgré le souhait d'Ovide, sa famille ne put rapatrier son corps et il fut, selon toute vraisemblance, enseveli àTomis ; on n'a trouvé aucune tombe dans l'île qui porte son nom, mais depuis l'époque où unevilla rustica romaine s'y trouvait, il y a deux mille ans, la surface de cette île a diminué en raison de l'érosion.
À titre symbolique, son exil a été révoqué en décembre 2017 par la municipalité deRome, qui réhabilita officiellement Ovide[18],[19].
Sur les motifs de cette relégation, diverses hypothèses ont été émises. De son propre aveu, Ovide fut condamné sous deux chefs d'accusation distincts : « Deux chefs d'accusation ont causé ma perte, mon poème et une erreur[20].» Le poème (carmen) qui lui valut la sévérité de l'empereur, c'estL'Art d'aimer[21]. Au moment où Auguste se faisait le restaurateur de la moralité, imposant aux Romains une ambiance de conformisme et de pruderie par lesLois Iuliae[22], ce recueil de poèmes fait d'Ovide un « professeur de l'obscène adultère », comme il l'écrit lui-même : « Arguor obsceni doctor adulterii[23] ». Sur l'erreur qui lui fut fatale, Ovide a affirmé n'avoir été qu'un spectateur :
« Je n'ai rien dit, ma langue n'a proféré nul outrage ; des mots coupables ne m'ont pas échappé dans les fumées du vin : c'est uniquement parce que mes regards, sans le savoir d'avance, ont vu un crime, que je suis frappé. Ma faute est d'avoir eu des yeux. »
— Tristes, III, 5, 47-50.
Gaston Boissier, dans son étude consacrée à l'exil d'Ovide, a supposé qu'une relation amoureuse entre la fille d'Auguste — Julie — et le poète aurait déplu à l'empereur. Mais la chronologie s'oppose absolument à cette hypothèse : depuis qu'Auguste avait découvert les débordements de sa fille, c'est-à-dire entre 5 et 2 av. J.-C.[24], il la fit surveiller étroitement, l'exila sur l’île dePandataria, puis, à partir de 5 ap. J.-C., àRegium deCalabre où nul ne pouvait l'approcher, et il est donc impossible qu’une intrigue ait pu alors se nouer entre Ovide et elle[25]. De nombreuses hypothèses ont encore été avancées, certaines hautement improbables. D'autres suppositions mettent en scèneJulia Vipsania[26] ou encore imaginent Ovide dans quelque cérémonie consacrée auculte de la déesse égyptienneIsis ou de laBonne Déesse[27].
Les deux hypothèses les plus solidement étayées à la fois par des faits précis, par les textes d'Ovide et par des indices concordants, sont celles de l'érudit et hellénisteSalomon Reinach[28] et deJérôme Carcopino. Ces deux hypothèses reposent sur le constat que le catalogue juridique des Romains détaillant les chefs d'accusation pour relégationad tempus ne permet de retenir, dans le cas d'Ovide, que la pratique de l'art divinatoire desastrologues et mathématiciens adeptes dunéopythagorisme. Et justement, en fidèle admirateur dePythagore[29], Ovide avoue avoir pratiqué la divination[30] qui était alors illégale, car elle usurpait une des prérogatives essentielles de l'Empereur, etCésar commeAuguste ont sévi avec la dernière sévérité contre les néopythagoriciens et leurs pratiques divinatoires. La culpabilité d'Ovide aurait pu être aggravée du fait que cette séance demantique se serait déroulée dans sa propre maison, ce qui explique que le poète ait pu être dénoncé par« le sacrilège de ses camarades et la trahison de ses serviteurs », comme il l'écrit lui-même[31].
Jérôme Carcopino a émis l'hypothèse que la question posée dans cette séance de divination a peut-être concerné l’éventualité de la mort de l'empereur, ou bien l'éventualité d'une victoire deGermanicus[32]. Dans l'une et l’autre de ces hypothèses, la séance de divination néopythagoricienne était doublement attentatoire aux prérogatives d'Auguste qui ne manquera d'ailleurs pas dès l'année suivante, en 9 ap. J.-C., d'interdire sévèrement la divination privée[33].
Poésie épique : lesMétamorphoses. LesMétamorphoses, comme l'Énéide de Virgile, sont une épopée, genre qui se caractérise par un contenu noble et, au niveau de la forme, par l’utilisation de l’hexamètre dactylique ; ces deux caractéristiques signalent l’expression sublime. Par tous les genres, Ovide se distingue par son goût pour le thème « érotique ».
Consolation à Livie Augusta, nommée par les manuscritsÉpître deConsolation adressée àLivie sur la mort de son Fils. C'est une œuvre hommage d'un proche àNero Claudius Drusus, mort en-9, écrite sousAuguste. Tous les manuscrits l'attribuent à Ovide, la consolation présente plusieurs résonances du poète et des imitations desAmours etTristes, sa technique est pastichée, on soupçonne même une œuvre de jeunesse. L'influence deVirgile est marquée. Mais depuisScaliger, on refuse la paternité à Ovide ouAlbinovanus Pedo car le style est décrit comme négligent, médiocre et répétitif et Ovide ne la mentionne pas parmi ses œuvres, qu'il liste dans lesTristes[34].
Les œuvres d'Ovide ont continué à être lues bien après sa mort. Au Moyen Âge, ses poèmes, par exemple surDédale etIcare dans lesMétamorphoses[35], exercent une forte influence sur les auteurs de poésie et de romans. Des critiques pour évoquer cette influence n'ont pas hésité à qualifier lesXIIIe siècle etXIVe siècle d'âge d'Ovide (aetas Ovidiana). Cette prégnance sur la littérature médiévale commence dès la période carolingienne et se poursuit jusqu'à laRenaissance[36].
Les œuvres d'Ovide font l'objet de nombreuses réécritures, suites ou adaptations sur d'autres supports (notamment des œuvres musicales et des films). Voyez les articles des œuvres elles-mêmes sur ce sujet.
En 1978, l'écrivain australienDavid Malouf publieAn Imaginary Life où il s'intéresse également à l'exil d'Ovide à Tomis.
En 1988, l'écrivain autrichienChristoph Ransmayr publieLe Dernier des mondes (Die letzte Welt) où il imagine un disciple d'Ovide partant à sa recherche dans la région où le poète a été exilé et vivant des aventures teintées de surnaturel.
Ovide est représenté également en peinture, dans le tableau d'Eugène Delacroix de 1859,Ovide parmi lesScythes, visible à laNational Gallery àLondres, qui fait référence au bannissement d'Ovide par l'empereur Auguste dans le port de Tomis[37]. Il réalise une deuxième version en 1862, conservée auMetropolitan Museum de New York[38].
Leministère de la Culture présente, en ligne[39], les collections des musées de France sur les thèmes évoqués dansLes Métamorphoses.
En 2021, l'écrivain catalan Joan-Lluis Lluis publieJunil un roman dont le sujet est une jeune fille fuyant l'Empire romain avec des amis esclaves mais qui a le projet ultime de retrouver Ovide en exil[40].
↑Ovide l’évoque par despériphrases, selon l'usage de ses disciples qui ne nommaient jamais le Maître par son nom :Métamorphoses, XV, 60 et suiv. ;Tristes, III, 3, 59-63.
↑« Jadis mon cœur ne cherchait pas à prophétiser l'avenir, je souhaitais pouvoir vivre une vieillesse paisible ; mais le destin ne l'a pas voulu. » (Tristes, IV, 8, 29-31) ; voir aussi lesPontiques, III, 4, 113-114 : « Dieux dont les prémonitions m'enjoignent d'annoncer l'avenir, approuvez, je vous en prie, mes prédictions. »
Augustin Sabot, « Ovide et la société augustéenne »,Mélanges Pierre Lévêque. Collection de l'Institut des Sciences et Techniques de l'Antiquité,t. 3,no 404,,p. 381-391(lire en ligne)
Biblioteca Classica selecta : Traductions françaises et ressources en ligne sur Ovide sur la Bibliotheca Classica Selecta (Université Catholique de Louvain)