Élu roi de Grèce à l'âge de dix-sept ans,OthonIer prend la tête d'un pays marqué par quatre siècles d'occupation ottomane et ravagé par uneguerre d'indépendance qui s'est étalée sur presque dix ans. Issu d'une dynastie de traditionabsolutiste, le souverain mène une politique autoritaire, censée rendre à la Grèce sa gloire antique. Sous son égide, et sous celle des fonctionnaires bavarois qui l'entourent, d'importants travaux sont réalisés dans le royaume etAthènes prend progressivement les traits d'une capitale moderne. Surtout, une administration centralisée est constituée dans le pays, longtemps soumis à l'anarchie.
Cependant, la politique du monarque est rapidement mise à mal par les graves difficultés financières que connaît la Grèce. Très lourdement endetté vis-à-vis des grandes puissances qui ont aidé à sa libération (Russie,France etRoyaume-Uni), le pays se révèle incapable de rembourser ce qu'il doit à ses créanciers alors que ses relations commerciales avec l'Empire ottoman tardent à se normaliser. Le royaume de Grèce se retrouve par ailleurs pris dans lesquerelles qui opposent dans la région ses trois « protecteurs ». Othon ne parvient pas à profiter de ces rivalités franco-anglo-russes pour réaliser la « Grande Idée », autrement dit l'union de tous lesGrecs dans un seul et même État. La politique maladroite du souverain aboutit au contraire à de nouvelles humiliations, comme lors de l'Incident Don Pacifico (1850) ou durant laguerre de Crimée (1854-1857).
Fragilisé par le contexte financier et international, Othon doit accepter la mise en place d'uneconstitution après larévolution de 1843. Il parvient néanmoins à maintenir son pouvoir personnel grâce au soutien duPremier ministreIoánnis Koléttis. Finalement, l'incapacité du roi et de sa femme (la princesseAmélie d'Oldenbourg, épousée en 1836) à donner naissance à unhéritier orthodoxe cause leur perte : le couple restant stérile, le princeLuitpold de Bavière, frère cadet du roi, devient son successeur désigné. Or, Luitpold, pas plus qu'Othon ou un autre prince de sa famille, n'accepte d'abandonner lareligion catholique pour embrasser lafoi orthodoxe, qui est pourtant celle de la majorité des Grecs.
Confrontés à cette impasse dynastique et déçus par l'incapacité du souverain à agrandir son royaume, lesGrecs se révoltent en 1862. Destitués, Othon et son épouse s'exilent en Bavière tandis que le pays se lance à larecherche d'un nouveau monarque. Remplacé par le princeGuillaume de Danemark en 1863, Othon meurt à l'âge de52 ans, en 1867.
Sauf indication contraire ou complémentaire, les informations contenues dans cette section proviennent du site internetThe Peerage[1].
Issu de lamaison de Wittelsbach, le roiOthonIer est le deuxième fils du roiLouisIer de Bavière (1786-1868) et de son épouse la princesseThérèse de Saxe-Hildburghausen (1792-1854). Par son père, Othon est donc le petit-fils deMaximilienIer de Bavière (1756-1825), premier roi de Bavière, tandis que par sa mère il descend du ducFrédéricIer de Saxe-Altenbourg (1763-1834).
De santé délicate et d’un tempérament colérique[4], Othon souffre de problèmes d'audition et d’un légerbégaiement[5]. Dès l’âge de quatorze ans, il est envoyé en cure àLivourne, enItalie, pour y soigner ses nerfs[6]. Confié très tôt à la tutelle du prêtreGeorg von Oettl[7], il reçoit l’éducation d’un simple cadet et son père envisage de le faire entrer en religion[8]. Sa formation se résume donc à l’apprentissage dulatin, dufrançais et de l’allemand, à l’étude de l’arithmétique et dupiano et à la pratique de l’équitation et de lanatation[9]. Son destin n'est cependant pas scellé. En 1823, il a seulement huit ans quand son grand-père, le roiMaximilienIer, le nomme lieutenant-colonel du12e régiment d’infanterie bavarois(de)[6].
Dans un premier temps, la candidature othonienne rencontre peu d'écho, que ce soit dans laGrèce insurgée ou du côté des autres nations impliquées dans laguerre d'indépendance (Russie,France etGrande-Bretagne). Après avoir envisagé bien des candidatures (dont celle du princeCharles de Bavière, oncle d'Othon)[11], les chancelleries des grandes puissances offrent finalement la couronne grecque au princeLéopold de Saxe-Cobourg-Gotha (futur roi des Belges) en 1830[12].
D'abord enthousiaste[13],[14], Léopold finit toutefois par renoncer à la couronne grecque parce qu'il considère que les conditions qui lui sont faites sont trop précaires : avec leprotocole de Londres de 1830, la Grèce a certes obtenu sa pleine indépendance mais ses frontières sont fragiles et bien des territoires ayant participé à l'insurrection ont finalement été laissés sousdomination ottomane[14],[15]. Durant les deux années qui suivent, l'instabilité augmente progressivement en Grèce, comme l'illustre l'assassinat deIoánnis Kapodístrias le[16].
Finalement, en, les grandes puissances se tournent vers la cour munichoise et entament des pourparlers avecLouisIer en vue de confier la couronne de Grèce à son deuxième fils. À la demande des puissances, le prince Othon reçoit de son père unapanage enBavière, tandis que le principe d'une régence dirigée par le ministreJoseph Ludwig von Armansperg durant la minorité d'Othon est arrêté. En échange, les grandes puissances s'engagent à prêter à la Grèce une somme de 60 millions de francs-or et à lui attribuer des frontières plus avantageuses que celles prévues en 1830[17],[18], ce qui est concrétisé lors de la signature dutraité de Constantinople[19].
Par le protocole du et letraité de Londres du, les grandes puissances transforment donc officiellement la Grèce en royaume et placent le prince Othon de Bavière à sa tête[20]. La couronne hellène est déclarée« héréditaire par ordre deprimogéniture dans la descendance du roi Othon, ou à défaut, dans celle de son frèreLuitpold, ou à défaut, dans celle de son frèreAdalbert ». Le traité précise toutefois que« dans aucun cas les couronnes de Bavière et de Grèce ne seront réunies sur une même tête ». Enfin, la majorité d’Othon est fixée à ses vingt ans, le, et une régence est mise en place[21],[22]. Aucune précision concernant la religion du jeune roi n'est par contre apportée par le traité. En dépit des supplications des Grecs et des objurgations de la Russie, Louis Ier refuse d'obliger son fils à abjurer lecatholicisme. Il s'engage malgré tout à ce que les futurs enfants d'Othon soient élevés dans lafoi orthodoxe[23],[24].
Othon étant désormais roi, le gouvernement provisoire organise, en juin, des festivités à Argos à l'occasion de son anniversaire[25]. Trois députés grecs (Andréas Miaoúlis,Kóstas Bótsaris etDimítrios Plapoútas) se présentent à la cour des Wittelsbach au nom de la nation hellène, le. Reçus par leur nouveau souverain, les émissaires lui prêtent alors serment de fidélité en présence de l’archimandrite de Munich[26]. Le suivant, un traité d’alliance est signé entre le gouvernement bavarois et les émissaires grecs. Garantissant les traités de Londres et de Constantinople, il met au service du royaume hellène une division bavaroise composée de 3 500 hommes qui doit remplacer les forces françaises présentes dans le Péloponnèse depuis l'expédition de Morée[26].
Othon et son Conseil de Régence (finalement composé de trois Bavarois, le comtevon Armansperg, le comtevon Maurer et le généralvon Heideck, auxquels est associé un membre consultatif, le secrétaireKarl von Abel) quittentMunich le. Ils gagnent l'Italie, où ils embarquent sur la frégate anglaiseMadagascar[27],[28]. Ils arrivent finalement àNauplie le, à une heure de l’après-midi. Le lendemain, le gouvernement grec vient présenter ses hommages au souverain et aux régents. Ce n’est cependant que le( julien) que ces derniers débarquent solennellement en Grèce. Ils reçoivent alors un accueil triomphal, amplifié par la déclaration du jeune roi qui se dit« appelé au trône par les Hautes puissances médiatrices mais aussi par les libres suffrages des Grecs »[29],[30].
Une fois les régents installés à la tête du gouvernement, le nouveau régime se comporte comme unemonarchie quasi-absolue. La régence exerce ainsi son pouvoir par le biais d’ordonnances ayant force de loi. La justice grecque est réorganisée et des tribunaux de première instance, des cours commerciales, des cours d’appel, unecour de cassation et une cour des comptes sont instaurées. Un code civil est également mis en place tandis que la presse est placée sous surveillance. Le pays se dote d'un appareil diplomatique. Après plusieurs années d’anarchie, l’ordre public est progressivement rétabli et des écoles sont construites en grand nombre, à travers tout le pays[31],[32],[33].
L’Église orthodoxe est elle aussi réorganisée. Lepatriarche de Constantinople étant placé sous la dépendance manifeste dusultan ottoman, unconcile réunissant les vingt-trois évêques et archevêques de la Grèce libre est convoqué par la régence. Celui-ci proclame alors, en, l’autocéphalie de l’Église grecque, désormais organisée en unsynode permanent placé sous l’autorité du monarque, seul habilité à nommer les évêques. Parmi les Grecs, cette évolution ne fait cependant pas l'unanimité : Othon étant toujours catholique, certains considèrent comme unehérésie de faire de lui le chef de l'Église nationale[33],[34],[35].
À peine le nouveau régime est-il mis en place que les trois régents se brouillent, pour des questions d'étiquette et de préséance. Lecomte von Armansperg mettant en avant sa qualité de président du Conseil de Régence, lecomte von Maurer, le généralvon Heideck et le secrétairevon Abel se sentent réduits à la position de subalternes. Or, le Conseil de Régence prend ses décisions à la majorité et les projets d'Armansperg sont régulièrement contrecarrés par ses collègues, qui cherchent ainsi à discuter son autorité. Bientôt, les quatre hommes commencent à comploter les uns contre les autres. Ainsi, tandis qu'Armansperg s'appuie sur l'alliance anglaise pour gouverner, Maurer, Abel et Heideck soutiennent quant à eux leparti français[36],[37].
OthonIer ayant pris l'habitude de passer toutes ses soirées chez le comte von Armansperg, les autres régents prennent ombrage de l'amitié qui les lie. Une rumeur, probablement propagée par Maurer et Abel, raconte bientôt que l'épouse d'Armansperg cherche à marier l'une de ses filles au jeune roi et qu'elle complote en ce sens avec le princeÉdouard de Saxe-Altenbourg, commandant de la division bavaroise et oncle maternel du monarque. Vrai ou non, le bruit se répand jusqu'à Munich et le roiLouisIer interdit bientôt à Othon de se rendre chez le couple Armansperg et de fréquenter sa progéniture[38]. Malgré ce rejet royal, les deux filles aînées du régent concluent, en 1835, de brillantes unions en épousant les princesphanariotesMichel et Dimitri Cantacuzène[39].
Isolé pendant plusieurs mois, Joseph Ludwig von Armansperg finit pourtant par retrouver le soutien du gouvernement bavarois. Le, Maurer est en effet rappelé à Munich et remplacé parEgid von Kobell, un ami personnel du président du conseil de Régence[40]. Surtout, ce dernier conserve la tête du pouvoir même après la majorité d'Othon, puisque le jeune roi le nomme, sur le conseil de son père, Premier ministre le jour même de son avènement sur le trône[41]. Il reste que les relations entre le régent et le souverain sont durablement affectées par la crise. Désireux de punir Othon pour l'ostracisme social qu'il leur a fait subir, Armansperg et son épouse s'appliquent à l'humilier publiquement et à se présenter comme les véritables maîtres de la Grèce[42].
Dans cette capitale bien provinciale, le jeuneOthonIer occupe ses matinées à apprendre legrec et à donner des audiences. Écarté des affaires par lecomte von Armansperg, il se distrait, l’après-midi, en réalisant, avec sononcle, des excursions dans les campagnes environnant Nauplie[44]. En, le roi profite de la visite de son frère aîné, le prince royalMaximilien de Bavière, pour partir en expédition à travers son pays et visiter le site d'Athènes. Fasciné par le spectacle des ruines duParthénon, le souverain décide alors de rendre son éclat à la cité et d’en faire la nouvelle capitale de la Grèce régénérée[45],[46]. Ce n'est cependant que le que la ville est officiellement élevée au rang de capitale et que des travaux sont entrepris pour y accueillir des infrastructures dignes d'une métropole moderne[47].
Du côté des Grecs, on espère surtout que le jeune roi profite de son couronnement pour embrasser lareligion orthodoxe. C'est aussi le vœu de Saint-Pétersbourg, qui fait une nouvelle fois pression, à travers ses diplomates, pour qu'Othon abjure lecatholicisme. Ce n'est cependant pas le désir du roi, qui se sent oppressé par les différentes interventions de la Russie et refuse d'aller contre sa conscience[51]. LeSaint-Synode grec ayant finalement refusé desacrer un « schismatique », la cérémonie du couronnement est repoussée et les fêtes qui accompagnent l'intronisation d'Othon sont réduites au minimum, sans qu'aucune légation étrangère ne soit invitée à Athènes pour l'occasion[50],[52].
Déclaré majeur le, Othon s'engage à élever ses futurs enfants dans la foi orthodoxe et prête serment de toujours œuvrer en faveur de ses sujets[50]. Une fois aux affaires, le monarque se révèle une personne appliquée, qui étudie consciencieusement les dossiers que lui soumettent ses ministres et qui s'emploie à tout connaître et comprendre. Il se montre cependant hésitant et tarde longuement à prendre les décisions qui lui incombent[53],[54]. Mis sous pression, il a par ailleurs tendance à faire des crises d'angoisse et traverse même des phases deneurasthénie[55],[56].
Dès son élection en 1832, Othon fait l'objet de différentes combinaisons matrimoniales, échafaudées tantôt par les chancelleries des grandes puissances, tantôt par les factions au pouvoir en Grèce. Toujours désireuse de voir le jeune roi se convertir à l'orthodoxie, Saint-Pétersbourg essaie ainsi, à plusieurs reprises, de lui faire épouser la grande-duchesseMaria Nikolaïevna de Russie. Cependant, les maladresses du gouvernement impérial et la ferme opposition duRoyaume-Uni font échouer ce projet, au grand soulagement d'Othon, qui refuse d'abandonner sa religion[57]. De la même façon, leparti français (représenté entre autres parvon Maurer) tente d’unir Othon à l’une des filles du roiLouis-PhilippeIer. Cependant, l’idée échoue devant la ferme opposition du roiLouisIer de Bavière, pour qui lesOrléans ne sont que des usurpateurs[58].
Toujours célibataire au moment de son avènement, Othon prend la décision de retourner enAllemagne afin de s'y trouver une épouse et de stabiliser ainsi sa dynastie. Après avoir redonné la régence aucomte von Armansperg, il quitte la Grèce le et retrouve sa famille enBavière[59]. Sur les conseils de son père et de son ancien précepteurOettl, le roi prend le parti de concentrer ses recherches sur les maisons deHabsbourg, deNassau et deWurtemberg afin d’éviter toute jalousie entre les puissances protectrices[60].
Prétextant un séjour chez sasœur, dans legrand-duché de Hesse-Darmstadt, Othon cherche d'abord à approcher les filles du roiGuillaumeIer de Wurtemberg. Cependant, celles-ci s'absentent opportunément avant son arrivée àStuttgart. Devant cette déconvenue, le roi doit partir à la rencontre d'une autre famille princière. Après avoir un moment envisagé de demander sa main à l'archiduchesseMarie-Thérèse d'Autriche, dont la maison est finalement jugée trop importante pour convenir aux grandes puissances, Othon se tourne vers la princesseThérèse de Nassau-Weilbourg mais, là encore, ses projets font long feu[59]. Ces multiples échecs n’empêchent cependant pas Othon de faire le difficile. Le monarque dédaigne ainsi la candidature de la princesseHélène de Mecklembourg-Schwerin (future duchesse d’Orléans) sous le prétexte qu’il n’aime pas son nez[61].
ÀMarienbad, Othon fait finalement la connaissance de la princesseAmélie d'Oldenbourg, qui prend alors les eaux en compagnie de sa famille. Peu de temps après, le roi retrouve la princesse de dix-huit ans àDresde et les deux jeunes gens prennent la décision de se marier. Un contrat matrimonial est signé le et les épousailles sont finalement célébrées dans legrand-duché d'Oldenbourg, le suivant. Une fois mariés, Othon et Amélie effectuent un séjour à Munich avant de partir s'installer à Athènes, où ils arrivent le[62]. Dévouée à son époux et d'une dignité sans faille, la jeune reine se gagne alors rapidement l'affection et le respect de ses sujets[63].
Depuis son indépendance, leroyaume d'Othon entretient des relations difficiles avec l'Empire ottoman. Les questions du rachat des biens turcs situés en terre hellène et du droit des chrétiens ottomans à émigrer en Grèce divisent en effet les deux pays. De fait, les Grecs rechignent à indemniser les émigrés turcs parce qu'ils considèrent que ces derniers s'étaient emparés indûment des biens dont ils revendiquent la possession. Quant aux Ottomans, ils veulent limiter l'émigration grecque car seuls lesrayasnon-musulmans paient leharadj, qui constitue l'essentiel des revenus de l'Empire. Or, les Grecs ottomans sont à la tête du commerce, de l'artisanat et même de l'administration de laSublime Porte. Cette dernière craint donc de perdre ses élites les plus dynamiques en les autorisant à prendre la nationalité grecque. Afin d'obliger Athènes à accepter ses exigences, Constantinople entrave le travail des commerçants grecs actifs dans l'Empire ottoman : c'est ainsi toute l'économie hellène, traditionnellement basée sur le transport et l'échange de marchandises en Orient, qui est déstabilisée[64].
Or, la maladresse d’Othon ne contribue en rien à améliorer les relations de son pays avec le sultanMahmoudII. En, le jeune roi, qui est encore officiellement mineur, commet l’erreur de se rendre en visite privée àSmyrne pour y retrouver sonfrère aîné. Reconnu par les Grecs de la ville, il reçoit une véritable ovation et l’évêque orthodoxe l’accueille en souverain des lieux. L’événement ne va pas jusqu’à provoquer un véritableincident diplomatique avec la Porte car laRégence parvient à en minimiser la portée. Il aboutit cependant à l’arrestation et à l’exil du métropolite qui s'est aliéné les autorités turques[65],[66]. Deux ans plus tard, en 1835, Othon commet un nouvel impair diplomatique en refusant ostensiblement de saluer l'émissaire turc à Athènes lors d'une réception. On passe alors très près d'une rupture des relations entre les deux pays[67].
Comme la Régence avant lui[68], Othon conduit une politique étrangère dont le but est de réunir toutes les populations grecques dans un seul et même État (après 1843, cette politique est appelée « Grande Idée »). Dès 1835, le roi sollicite ainsi, en vain, le soutien des grandes puissances pour réunir à la Grèce l’île deSamos, constituée enprincipauté ottomane autonome en 1832[69]. Par la suite, le souverain tente de profiter duconflit opposant l’Égypte à l’Empire ottoman pour récupérer la Crète, occupée parMéhémet Ali depuis 1829. Cependant, cette tentative est, elle-aussi, un échec, en dépit dusoulèvement des Crétois en 1841. Par laconvention de Londres, l’île repasse en effet à la Sublime Porte[70].
Indépendante depuis 1830, la Grèce peine de longues années à reconstruire son économie. LePéloponnèse est sorti de la guerre dévasté par les armées d’Ibrahim Pacha et l'économie des îles (Hydra,Spetses,Syros), fondée sur le commerce maritime, est totalement désorganisée par la rupture avec l’Empire ottoman. En outre, le pays échoue à se constituer uncadastre, ce qui rend la levée des impôts difficile et empêche le gouvernement de projeter son budget[71].
La construction dupalais d'Othon, à Athènes, est un important poste de dépenses pour le royaume.
Dans ces conditions, le royaume peine à rembourser les dettes qu’il a contractées auprès des banques occidentales. Périodiquement, les porteurs des titres de l’emprunt de 1824-1825 lui réclament le remboursement de leurs intérêts, avec l'appui du gouvernement britannique. Cependant, l’emprunt contracté par les Grecs auprès des puissances protectrices au moment de l’élection d’Othon, en 1832, pose plus de difficultés à l'État hellène[72].
Cet emprunt de 60 millions de francs-or, qui devait être réalisé en trois séries de vingt millions chacune mais dont le dernier tiers n’a jamais été versé à Athènes, a d’abord servi à la Grèce à indemniser l’Empire ottoman. Après la signature dutraité de Constantinople, le royaume a en effet dû verser environ 12 millions de francs (40 millions de piastres) au Sultan pour qu’il reconnaisse son indépendance. Par la suite, l’essentiel de l’emprunt a servi au paiement des salaires des fonctionnaires et du contingent militaire bavarois ainsi qu’au maintien de la cour d’Othon et de ses régents[72].
Dès la fin de l’année 1833, le gouvernement grec essaie donc d’obtenir le paiement du troisième tiers de l’emprunt et les puissances lui demandent alors un état de la situation financière du pays[71]. Devant cette fin de non recevoir, Athènes se résout à contracter un nouvel emprunt d’un million de francs auprès du gouvernement bavarois en 1835[73],[74]. Mais, dès 1836, le royaume doit faire face à une terrible crise financière, qui oblige les grandes puissances à se montrer un peu plus conciliantes et à prêter davantage d'argent à la Grèce[75].
Les années passent, sans que la situation ne s’améliore réellement. En 1843, les finances du pays se révèlent à nouveau critiques, d’autant que l’armée engloutit environ un tiers du budget national[76],[77]. Face aux récriminations des grandes puissances, le gouvernement ferme alors toutes ses légations à l’étranger et cesse de rétribuer les professeurs de l’Université d’Athènes. Nombre d’officiers sont placés à la retraite et privés de leur solde. Othon lui-même abandonne 200 000 drachmes de saliste civile[78]. Cependant, ces efforts ne suffisent pas à normaliser la situation économique du pays, ce qui accentue le malaise provoqué par la politique absolutiste du souverain[79].
Dimítrios Kallérgis se présentant sous les fenêtres d'OthonIer et d'Amélie. Tableau de H. Martens.
Après son avènement, Othon n’a de cesse de prouver à ses sujets qu’il s’est hellénisé. Sur les conseils de sonpère, qui vient lui rendre visite en Grèce en 1836, le jeune roi renonce ainsi officiellement à ses droits de succession sur le trône bavarois et adopte ostensiblement lecostume national grec[80],[81]. Pourtant, la population continue à lui reprocher de ne pas avoir adopté l’orthodoxie et plusieurs crises surviennent en relation avec la religion royale. En 1839, une « conspiration philorthodoxe » cherche ainsi à enlever le roi pour l’obliger à abjurer le catholicisme ou le remplacer par le tsarNicolasIer s’il s’obstine dans l'« hérésie » catholique[82],[83]. Puis, en 1843, le roi doit affronter l’opposition frontale de l’évêque deSellasie, qui refuse de le reconnaître comme chef du Saint-Synode[84].
Malgré ses efforts, le roi continue, en réalité, à apparaître comme un étranger entouré d’une myriade de fonctionnaires germaniques incompétents. En 1837, le remplacement deJoseph Ludwig von Armansperg par un autre Allemand,Ignaz von Rudhart, soulève ainsi le mécontentement des Grecs, qui voient là une nouvelle preuve qu’ils vivent sous le joug d’une « bavarocratie » (Βαυαροκρατία) parasite. De fait, Rudhart ne parle ni grec ni français, ce qui l’empêche de communiquer avec ses ministres qui, eux, ne parlent pas allemand[85],[86]. Plus tard, le choix d’Othon de devenir son propre Premier ministre ne remporte pas davantage le suffrage de ses sujets, qui critiquent ses constantes tergiversations et réclament de plus en plus vivement une constitution[87],[88].
Mariés en 1836, Othon etAmélie tentent, durant quinze ans, de donner le jour à un héritier[93]. Après quelques espoirs malheureux[94] et une série de traitements médicaux tous plus inefficaces les uns que les autres, ils finissent cependant par abandonner l’idée d’avoir un enfant[93]. À l’époque, la stérilité du couple royal donne lieu à bien des spéculations. Si les médecins cherchent plutôt à traiter la reine (dont ils critiquent volontiers l’amour de l’équitation, jugée néfaste aux grossesses)[95], les ennemis d’Othon l’accusent quant à eux d’impuissance et s’en prennent à son goût pour lafustanelle, accusée d’affaiblir les fonctions reproductives[96]. Certains opposants des Wittelsbach vont même jusqu’à douter de laconsommation du mariage royal[97]. De fait, bien que de nombreuses liaisons aient été prêtées au souverain (dont une avec la célèbreJane Digby[98]), il semble que celui-ci n’ait jamais fréquenté aucune autre femme qu’Amélie, excepté peut-être l’une des dames de compagnie de celle-ci, Fotiní Mavromicháli[N 3],[99].
Quoi qu’il en soit, l’incapacité du couple royal à produire unhéritier accentue les critiques à son égard, d’autant que la question de la religion royale ne cesse d'empoisonner la vie politique grecque. Privé d’enfant, Othon est peu à peu contraint de se tourner vers ses frères pour organiser sa succession. Letraité de Londres de 1832 prévoit en effet qu’en cas d'absence de descendance, c’est le princeLuitpold ou, à défaut, le princeAdalbert de Bavière qui doivent lui succéder sur le trône[21]. Or, aucun d’eux ne semble prêt à embrasser l’orthodoxie pour prendre le pouvoir à Athènes. Bien au contraire, en 1844, Luitpold assortit son contrat de mariage avec la princesseAugusta de Toscane d’une promesse d’élever ses enfants dans lareligion catholique, ce qui blesse profondément l’opinion publique grecque[100]. Comme en réponse à l'attitude de Luitpold, l’Assemblée constituante mise en place après larévolution de 1843 décide de modifier lesrègles de succession au trône hellène. Si l’article 40 de la nouvelleconstitution réaffirme que« la couronne de Grèce appartient à ladynastie du roi Othon », il précise aussi que« son successeur professera la religion grecque orthodoxe »[101],[102].
Ce texte soulève les protestations du roiLouisIer de Bavière, qui craint de voir ses descendants exclus de la succession au trône. Il reçoit par contre le soutien du gouvernement russe, qui tente, sans succès, de convaincre Luitpold d'accepter, au moins, de baptiser son deuxième fils à naître dans l'orthodoxie[103]. Durant de longues années, la succession reste donc totalement indécise. Alors que les Grecs se tournent de plus en plus vers Adalbert, qui est encore adolescent[100], Luitpold continue sporadiquement à faire valoir ses droits sur la couronne. En 1846, il annonce ainsi, lors d'un voyage en Grèce et en Orient, que sonfils aîné doit apprendre la langue hellène mais il refuse toute idée de conversion[104]. De son côté, Adalbert ne fait guère plus d'efforts pour se positionner en candidat et son mariage avec l'infanteAmélie d'Espagne en 1856 réduit d'autant plus les chances de le voir abandonner la religion catholique[105],[106].
Dans ces conditions, différents projets sont échafaudés pour trouver un héritier de substitution. Selon certaines rumeurs, la reine Amélie chercherait à imposer sur le trône son demi-frère, le princeÉlimar d'Oldenbourg. Pour d'autres, le roi envisagerait de nommer diadoque son petit cousin, le prince orthodoxeNicolas de Leuchtenberg[107]. Enfin, selon d'autres théories, les grandes puissances conspireraient pour remplacer directement Othon parPhilippe de Wurtemberg[103] ou un prince de lamaison de Savoie[108].
L'ambassadeur britannique Edmund Lyons, ennemi d'Othon (1857).
Contrairement à son pèreLouisIer de Bavière, qui est renversé par unerévolution en 1848, Othon n’est guère ébranlé par les soulèvements qui accompagnent le « Printemps des peuples »[109]. Le roi espère au contraire profiter du réveil des nationalismes pour réaliser la « Grande Idée »[110]. De fait, dans laRépublique des îles Ioniennes voisine[111] comme dans l'Empire ottoman, les populations de langue hellène réclament de plus en plus vigoureusement l'énosis[112]. Cependant, l’opposition active de la Grande-Bretagne empêche le roi de concrétiser ses projets. Ennemi du souverain depuis qu’il a démis de ses fonctions le très anglophilecomte von Armansperg[86],Edmund Lyons, ambassadeur du Royaume-Uni à Athènes, n'hésite pas à traiter publiquement le roi d'imbécile[113] et l'accuse de se comporter en dictateur[114]. Volontiers pointilleux lorsqu’il s’agit du règlement de la dette hellène[115], le diplomate proteste régulièrement contre les « mauvais traitements » infligés par la police grecque aux sujets britanniques, même lorsqu'il s'agit de simples brigandsioniens. L'ambassadeur soutient par ailleurs de tout son poids les réclamations des sujets britanniques qui, comme l’historienGeorge Finlay, ont été expropriés de leurs terrains lors du réaménagement d’Athènes[116].
En 1847, l’Incident Don Pacifico est l’occasion, pour Edmund Lyons, de protester une nouvelle fois contre l’injustice des autorités grecques vis-à-vis de ses ressortissants. Durant uneprocession orthodoxe, la maison de David Pacifico, un commerçant juif portugais jouissant de la nationalité britannique, a en effet été pillée et incendiée sans que la police intervienne. Par la suite, le gouvernement grec a refusé d’indemniser Pacifico pour les pertes subies. Celui-ci s’est donc tourné vers son consulat pour obtenir réparation. Athènes refusant tout dédommagement, l’affaire Don Pacifico contribue à empoisonner davantage les relations gréco-britanniques[117],[118]. Le départ de Lyons pour laSuisse en 1849 n’amène pas de réchauffement dans les relations entre les deux pays. De fait,Thomas Wyse, le nouvel ambassadeur britannique, maintient la même politique de défiance vis-à-vis d’Othon et de son gouvernement. S’y ajoutent même des revendications territoriales, puisque leRoyaume-Uni réclame l’intégration des îlots grecs deCervi et deSapientza à la République des Îles Ioniennes, toujours placée sous protectorat anglais[119],[120].
En 1850, un nouveau rebondissement dans l’affaire Don Pacifico conduit le ministre anglaisLord Palmerston à mettre en marche ladiplomatie de la canonnière. Prétextant œuvrer pour laPax Britannica, ce dernier lance en effet unultimatum en six points[N 4] à Athènes[116]. 14 navires, 731 canons et 8 000 marins anglais commandés parWilliam Parker organisent alors unblocus des côtes hellènes[121]. Plusieurs bateaux de commerce grecs sont arraisonnés et confisqués tandis que l’économie du royaume est asphyxiée[122]. Incapables de résister à la puissance anglaise, Othon et son gouvernement se soumettent[123]. Cependant, l’attitude de Palmerston choque profondément les chancelleries européennes et Londres doit finalement accepter une médiation française[124]. Après quelques rebondissements (parmi lesquels le fameux discours « Civis Romanus Sum » de Palmerston)[125], David Pacifico et les autres sujets britanniques sont alors généreusement indemnisés par le gouvernement grec mais le Royaume-Uni est contraint d'abandonner ses revendications sur les îles de Cervi et Sapientza[126],[127].
L'occupation du Pirée par les forces franco-britanniques
Soutenu par l'opinion publique hellène, Othon finit par intervenir militairement contre l’Empire ottoman. Des troupes grecques pénètrent enThessalie et enÉpire en mais elles sont rapidement balayées par l’armée turque, pourtant affaiblie par les combats contre les Russes[134],[135]. En réaction contre cette intervention militaire, la France et la Grande-Bretagne décident d’occuper Le Pirée pour forcer le royaume hellène à revenir à la neutralité[136]. Le, l'armée d'Orient dugénéral Forey débarque ainsi enAttique. Elle est rejointe par le97e régiment d'infanterie britannique le[137]. Sous la pression étrangère, Othon doit nommer un nouveau gouvernement, avec à sa têteAléxandros Mavrokordátos etDimítrios Kallérgis[138], mais les relations entre la couronne et le cabinet sont difficiles[139].
L'occupation franco-britannique dure jusqu'en 1857 et empêche la Grèce de mener toute nouvelle action contre l'Empire ottoman[140]. Finalement exclue de laconférence de Paris de 1856[141], Athènes n'obtient pas la moindre concession territoriale. Surtout, les grandes puissances profitent de leur nouvel ascendant pour exiger le recouvrement des dettes hellènes et imposer à la Grèce la tutelle d'une commission financière[142]. À ces difficultés diplomatiques et économiques s'ajoute, en 1854, la disparition de la reine-mèreThérèse de Bavière, avec laquelle Othon était resté très proche[143].
La Grèce face au soulèvement de l'Italie et des Balkans
Le pays libéré et la question de l'emprunt progressivement réglée, laGrèce connaît une véritable renaissance économique et culturelle. Laguerre de Crimée ayant abouti à l’internationalisation du Danube, la marine marchande hellène s’impose plus que jamais dans lesBalkans et deux cents des trois cents navires qui parcourent régulièrement leDanube sont bientôt issus du royaume hellène[144]. Partout dans le pays, la navigation à vapeur se développe[145]. Dans lePéloponnèse, de fructueuses fouilles archéologiques sont organisées et Othon relance bientôt son projet demusée archéologique (1858). DesJeux olympiques sont également recréés grâce au mécénat du philanthropeEvángelos Záppas (1859)[146].
À ces événements s’ajoutent le déclenchement duRisorgimento italien (1859-1860). En quelques mois, labotte s’unifie et lesAutrichiens sont contraints d’abandonner l’essentiel de la péninsule, ce qui impressionne grandement les Grecs, qui n’ont pas réussi à reprendre la moindre parcelle de territoire à l’Empire ottoman en l’espace de trente ans[152]. Or, Othon se montre pour le moins réticent vis-à-vis de l’unification italienne. La reine des Deux-SicilesMarie-Sophie est en effet sa cousine et il n’éprouve aucune sympathie pour l’Expédition des Mille deGaribaldi. Ce manque d’enthousiasme de la couronne est donc vu comme une nouvelle trahison par l’opinion publique hellène, qui se détache progressivement du roi[153].
Il reste qu'Othon ne se contente pas d'observer passivement le soulèvement de ses voisins. Il cherche, au contraire, à nouer une alliance avec les autres États balkaniques afin d'organiser le partage de l'Empire ottoman. Des tractations diplomatiques sont entreprises, en ce sens, avec Belgrade et les deux gouvernements conviennent de les étendre progressivement au Monténégro et à la Roumanie[154],[155].
Othon vieillissant, la question de la succession au trône devient de plus en plus épineuse. Les princesLuitpold etAdalbert de Bavière ayant tous deux fait élever leurs enfants dans le catholicisme, les Grecs se montrent de moins en moins confiants dans ladynastie des Wittelsbach. En 1856, le roi effectue donc un long séjour àMunich afin de convaincre sa famille d’accepter la conversion de l’un de ses membres. Cependant, son voyage est un échec. Les frères cadets d’Othon sont si réticents à l’idée de faire de l’un de leurs enfants un orthodoxe qu’ils envisagent de renoncer à leurs droits en faveur dudeuxième fils du roiMaximilienII de Bavière et aucune décision n'est finalement prise[156]. Face à ces tergiversations, l’opinion publique grecque s’impatiente et on parle, à Athènes, de plus en plus ouvertement de changer de dynastie. Parmi les noms évoqués pour succéder à Othon, ceux deNicolas de Russie, d’Élimar d'Oldenbourg et deNicolas de Leuchtenberg, obtiennent le plus de soutiens. En 1858, desplacards sont ainsi affichés, dans la capitale, pour demander la désignation du petit-fils d'Eugène de Beauharnais comme héritier d'Othon[157].
Pourtant, le roi n’a pas renoncé à transmettre ses droits à l’un des membres de sa maison. En 1861, Othon retourne une nouvelle fois à Munich pour discuter de la succession avec sa famille. Cette fois, une bonne nouvelle l’attend. Âgé de seize ans, le princeLouis de Bavière, fils aîné de Luitpold, fait connaître sa volonté de monter sur le trône hellène. Malgré leurs réticences, ses parents finissent par accepter le principe d’une conversion, qui serait cependant repoussée à sa majorité, fixée au. Un mariage orthodoxe est par ailleurs envisagé pour l’adolescent, que l’on souhaite fiancer à la princesseEugénie de Leuchtenberg, sœur de Nicolas. Afin d’officialiser le règlement de la succession, un voyage à Athènes est prévu, pour Louis et son frèreLéopold, au[158]. Cependant, le climat politique continue à se détériorer dans le royaume hellène. Des insurrections populaires éclatent dans le pays au moment où les deux princes entreprennent leur voyage en Grèce, ce qui les oblige à rebrousser chemin peu après leur arrivée dans lesîles Ioniennes[159].
De l'attentat contre Amélie aux révolutions de 1862
Le, un étudiant du nom d’Aristídis Dósios tire un coup de pistolet sur la reine Amélie alors qu’elle exerce la régence en l’absence d’Othon. La souveraine n’est pas blessée mais l’attentat illustre la montée du mécontentement vis-à-vis de la couronne[160]. Quelques mois plus tard, le, une insurrection éclate àNauplie avec à sa tête plusieurs personnalités de renom commeDimítrios Grívas,Pétros Mavromichális ouDimítrios Bótsaris[161]. Dans un premier temps, la révolte semble faire des émules et des émeutes se produisent àSantorin,Hydra,Tripolizza et enMessénie[162]. Cependant, le pouvoir parvient rapidement à reprendre la situation en mains et la révolte est réprimée dès le[163].
Dans ce contexte mouvementé, Othon et Amélie partent, le, pour un grand voyage en province afin de raffermir les liens entre le peuple grec et la couronne. Cependant, unenouvelle insurrection éclate deux jours plus tard àVonitsa, sur legolfe d’Arta, avant de se propager àMissolonghi etPatras. Le, l’insurrection s’étend à la capitale et un gouvernement provisoire ayant à sa têteDimítrios Voúlgaris,Konstantínos Kanáris etBenizélos Roúphos est mis en place. Dès le lendemain, les révolutionnaires proclament la destitution du couple royal et convoquent une assemblée destinée àélire un nouveau monarque[164]. Malgré tout, lamaison de Wittelsbach n'est pas officiellement déchue de ses droits et un prince bavarois semble encore pouvoir monter sur le trône[165].
Le couple royal est alors amené deKalamata par le ministre de la police et placé sous la protection d’un navire de guerre britannique, leScylla. Dans le même temps, les biens des souverains restés aupalais royal sont inventoriés avant d’être rendus à leurs légitimes possesseurs. Conseillés par les ambassadeurs des puissances, Othon et Amélie abandonnent alors la Grèce et prennent le chemin de l’exil. Malgré tout, le roi refuse d'abdiquer et n'envisage pas son départ comme définitif[166].
De l'exclusion des Wittelsbach à l'élection deGeorgesIer
Lorsque éclate la révolution àAthènes, les gouvernements des puissances protectrices sont d'abord préoccupés par la volonté expansionniste des Hellènes.Londres,Paris etSaint-Pétersbourg craignent en effet que les révolutionnaires déstabilisent l'équilibre international en déclarant la guerre à l'Empire ottoman pour mettre en œuvre la « Grande Idée »[167]. Cependant, le gouvernement provisoire se montre particulièrement mesuré et prend garde de ne s'aliéner ni les grandes puissances, ni laSublime Porte[168]. Ainsi, alors qu'un premier projet prévoyait de convoquer des représentants des Grecs de l'Empire ottoman au sein de la nouvelle Assemblée nationale, il est finalement décidé que seuls les Grecs de l'intérieur pourraient y siéger[169]. Rassurés par l'attitude d'Athènes, leRoyaume-Uni, laFrance et laRussie acceptent donc de s'occuper de la succession et de travailler de concert[170].
Mais, rapidement, des dissensions se font jour entre Londres et Saint-Pétersbourg[171]. En effet, en Grèce, deux noms circulent désormais pour succéder à Othon sur le trône. Leparti anglais soutient activement la candidature du princeAlfred du Royaume-Uni, second fils de lareine Victoria, tandis que leparti russe préférerait voir le ducNicolas de Leuchtenberg, neveu du tsarAlexandreII, monter sur le trône. Pour la population hellène, le premier candidat offre l'espoir d'un rattachement desîles Ioniennes (encore sousprotectorat anglais) à la Grèce et surtout la possibilité d'un rapprochement avec le Royaume-Uni, protecteur traditionnel de l'Empire ottoman. Le duc de Leuchtenberg offre quant à lui l'avantage d'être deconfession orthodoxe (comme le stipule l'article 40 de laconstitution grecque de 1844) et d'être un proche parent du tsar[172].
La table sur laquelle a été signé le décret de déposition d'Othon de 1863 et la couronne brisée de l'ex-roi.Musée d'histoire nationale d'Athènes.
Cependant, letraité signé par les grandes puissances lors de la Conférence de Londres de 1832 interdit aux princes issus des maisons régnantes d'Angleterre, de Russie et de France de monter un jour sur le trône hellénique[173]. Le prince Alfred est donc clairement exclu de la succession. Il n'en va pas de même du duc de Leuchtenberg que Saint-Pétersbourg considère comme dynaste parce qu'il n'est pas unRomanov alors que le Royaume-Uni désire fermement l'exclure parce que c'est un proche parent du tsar[171]. Pendant plusieurs semaines, les tensions sont donc fortes entre les deux puissances et, tandis que Saint-Pétersbourg refuse d'exclure le duc de Leuchtenberg[174], Londres menace d'accepter la candidature du prince Alfred[175].
Si les puissances protectrices sont divisées à propos de la succession d'Othon, les Grecs se prononcent peu à peu, dans leur majorité, en faveur de la candidature du prince Alfred[176]. Face au risque d'une élection britannique, le gouvernement russe finit donc par accepter officiellement l'exclusion du duc de Leuchtenberg le. En contrepartie, la reine Victoria renonce définitivement, le lendemain, à la candidature de son fils et un accord est signé à ce sujet entre les deux pays le[177]. Pourtant, les Grecs sont loin d'avoir renoncé au candidat anglais et un référendum organisé entre le 6 et le aboutit à l'élection du prince Alfred comme nouveau souverain. Malgré tout, la consultation populaire ne change rien à l'attitude britannique et Londres refuse une nouvelle fois la couronne hellène le[178].
En Grèce, l'incapacité du gouvernement et des puissances à trouver un souverain pour le pays favorise l'instabilité. Des groupes de pression, qui soutiennent chacun un candidat différent, apparaissent : leclan des Mavromichális désire le retour desWittelsbach, celui desMavrocordato continue à soutenir le prince Alfred, le parti militaire deGrivas appelle de ses vœux la candidature duduc d'Aumale tandis que d'autres groupes se prononcent pour un prince de lamaison de Savoie[179]. Dans le même temps, la « Grande Idée » redevient une priorité pour la population hellène et les autorités reparlent d'une guerre contre l'Empire ottoman. Des émeutes se produisent dans différents points du territoire et le brigandage augmente[179]. Décidée à contrer l'influence anglaise en Grèce, la Russie offre son soutien aumouvement expansionniste. Avec l'Italie et laBavière, elle semble également donner son appui à une restauration des souverains déchus[180].
Dans ces circonstances, le gouvernement provisoire grec émet, le, une série de décrets qui réaffirment la déposition d'OthonIer et d'Amélie en y ajoutant celle de toute la maison de Wittelsbach. Un autre décret reconnaît l'élection d'Alfred lors du référendum de décembre et le proclame roi[181]. Encore une fois, le gouvernement britannique rejette cette offre, ce qui blesse fortement l'opinion publique grecque[182]. Finalement, les grandes puissances parviennent à se mettre d'accord sur la candidature du princeGuillaume de Danemark, qui présente l'avantage d'être à la fois le beau-frère duprince de Galles et le futur beau-frère dutsarévitch de Russie[183]. À partir du est organisée à Londres uneconférence internationale qui réunit, entre autres, les représentants des puissances protectrices et qui doit régler la question de la succession grecque. Pour le Royaume-Uni, la France et la Russie, il s'agit à la fois de faire reconnaître la vacance du trône hellénique (que la maison de Wittelsbach continue à nier) et à rendre possible l'avènement du prince danois[184]. Cependant la Bavière, conviée à participer à la conférence, s'entête et refuse d'envoyer un de ses représentants reconnaître la déchéance de sa dynastie. Le, les puissances protectrices finissent donc par passer outre l'abstention bavaroise et par proclamer officiellement la nécessité de trouver un autre roi pour la Grèce[185]. Le suivant, une délégation grecque proclame officiellement, àCopenhague, le prince Guillaumeroi des Hellènes sous le nom deGeorgesIer[186].
Chassés deGrèce, Othon etAmélie sont reçus àMunich par le roiMaximilienII de Bavière et la reineMarie de Prusse[187]. Cependant, après un an d'exil et sans espoir de retour à Athènes, le couple déchu reçoit l'ordre de quitter la capitale pour s'installer àBamberg. Le frère d'Othon estime en effet que, depuis l'abdication deLouisIer de Bavière en 1848, il y a assez de deux rois à Munich. Surtout, les relations deMaximilienII avec sa belle-sœur sont tendues : le souverain et sa famille accusent en effet Amélie d'avoir conspiré pour imposer son frèreÉlimar sur le trône de Grèce et d'avoir ainsi affaibli la position desWittelsbach. D'abord blessé de ne pas avoir été consulté par son frère, Othon se montre finalement satisfait par cette mise à l'écart, d'autant qu'elle est assortie d'une assez confortable pension[188]. À laNeue Residenz de Bamberg, le roi peut reprendre lafustanelle et former une petitecour avec les fidèles qui l'ont suivi en exil. Chaque jour, entre six heures et huit heures, legrec moderne redevient la langue officielle du palais et la vie politique du royaume hellène reste au cœur des préoccupations des résidents, qui se moquent volontiers du nouveauroi des Hellènes et de sa maladresse[189].
Dans la journée, Amélie reprend ses chevauchées dans les forêts entourant laNeue Residenz tandis qu'Othon préfère rester dans son palais[190]. Hommesuperstitieux, l'ancien roi cherche, dans son quotidien, quantité de signes qui pourraient indiquer son retour prochain en Grèce et il écoute avec avidité les « prophéties » qui circulent dans le royaume hellène à ce sujet. La correspondance de l'ex-souverain fourmille ainsi d'anecdotes censées démontrer l'imminence du retour du couple royal à Athènes[191]. Pourtant, lapresse hellène ne se montre pas tendre avec les exilés et Othon est régulièrement blessé par les attaques qu'elle lui adresse et qu'il juge injustes. Cela n'empêche pas l'ancien monarque de se montrer généreux avec les Grecs[192]. L'un de ses derniers actes politiques consiste ainsi à offrir 100 000 florins (l'équivalent de la totalité de sa pension annuelle) pour aider à financer larévolte crétoise de 1866[193],[194].
La disparition du roiMaximilienII de Bavière en 1864 amène un réchauffement dans les relations entre Othon et sa famille.LouisII, le nouveau monarque, éprouve en effet de l'affection pour son oncle, d'autant que ce dernier partage son goût pour l'opéra. Sous son règne, les anciens souverains grecs sont donc reçus à plusieurs reprises à Munich, même s'ils conservent leur résidence à Bamberg[195].
OthonIer s'éteint brusquement àBamberg, le, à la suite d'une épidémie derougeole. Toujours aussi attaché auroyaume hellène, c'est à lui que ses derniers mots sont dirigés. Après avoir conjuré les Grecs à ne plus se rebeller et à soutenirGeorgesIer pour pouvoir libérer laCrète, le souverain déchu s'éteint en disant, d'une voix tremblante :« Grèce, Grèce, ma chère Grèce… »[196].
Vêtue du costume national grec, la dépouille mortelle d'Othon est ensuite conduite à l'église des Théatins deMunich, où elle est placée dans la crypte familiale desWittelsbach. À cette occasion, des funérailles officielles sont organisées, auxquelles participe lecorps diplomatique dans son intégralité[196].
En Grèce, la disparition du souverain est reçue avec tristesse et nombreux sont les journaux qui lui dressent un dernier éloge. Même l'opposition insiste sur l'amour du défunt pour le pays et son peuple, sur son patriotisme et sur son sens moral irréprochable. Pourtant, le dernier vœu du souverain, faire ériger à sa mémoire un petit monument enmarbre duPentélique dans lesjardins dupalais royal, n'est pas exaucé par son successeur[197].
La reine Amélie survit à son époux jusqu'en 1875, date à laquelle sa dépouille est, à son tour, transférée à laTheatinerkirche[197].
Après la mort d’Othon et d’Amélie, la famille royale de Bavière se détourne de la Grèce, à laquelle elle réclame toutefois, sans succès, le remboursement des sommes prêtées par le roiLouisIer à son fils[198]. Tous lesWittelsbach n’ont cependant pas la même attitude vis-à-vis de la nation hellène. L’impératriceÉlisabeth d’Autriche, née duchesse en Bavière, effectue ainsi de nombreux séjours en Grèce durant le règne deGeorgesIer[199]. À partir de 1888, elle fait même construire une villa, l’Achilleion, sur l’île deCorfou, rattachée au royaume de Grèce en 1864[200]. Après l’assassinat de l’impératrice en 1898, sa fille cadette, l’archiduchesseMarie-Valérie d'Autriche, hérite du palais mais s’en sépare en 1907[201].
Par la suite, les Wittelsbach perdent tout lien direct avec la nation hellène et il faut attendre 1959 pour que les héritiers d’Othon reconnaissent officiellement la dynastie deGeorgesIer. Cette année-là, le ducAlbert de Bavière, arrière-petit-fils du princeLuitpold et nouveau chef de la maison royale, envoie son filsMaximilien-Emmanuel àAthènes afin de remettre au roiPaulIer de Grèce, petit-fils deGeorgesIer, lesregalia emportés par Othon et Amélie en 1862. Par ce geste, l’héritier du trône bavarois marque la réconciliation des deux dynasties et reconnaît la légitimité desGlücksbourg[202].
EnBavière, la commune d'Ottobrunn, située au sud-est deMunich, doit son nom au roi Othon, qui est parti de là rejoindre sa nouvelle patrie. Une colonne de pierre destyle dorique, appeléeOttosäule, y marque l'endroit précis où le roi a pris congé de sonpère[203].
EnGrèce, la première résidence athénienne d'Othon abrite aujourd'hui lemusée de la Ville d'Athènes. Parmi ses collections, se trouvent nombre d'objets ayant appartenu à l'ancien souverain[207].
Fondée en 1837, l'Université nationale et capodistrienne d'Athènes s'est d'abord appelée Université othonienne. Débaptisée en 1862, elle conserve, sur sa façade, une fresque représentant le roi Othon entouré des principales sciences[209].
En 2011, le septième épisode dudocufiction grec1821 produit par la chaîneSkai TV évoque le roiOthonIer de Grèce et les conditions de son élection au trône.
(de) LudwigTrost,KönigLudwigI. von Bayern in seinen Briefen an seinen Sohn, den König Otto von Griechenland, Bamberg, C.C. Buchnersche Verlagsbuchhandlung,(lire en ligne).
ÉdouardDriault et MichelLhéritier,Histoire diplomatique de la Grèce de 1821 à nos jours : Le Règne d'Othon - La Grande Idée (1830-1862),t. II, PUF,(lire en ligne).
ÉdouardDriault et MichelLhéritier,Histoire diplomatique de la Grèce de 1821 à nos jours : Le Règne deGeorgesIer avant le traité de Berlin (1862-1878) - Hellénisme et slavisme,t. III, PUF,(lire en ligne).
↑GéraldinePago, « L'utilisation et la perception de la référence antique dans la Grèce moderne : l'exemple de l'architecture néo-classique à Athènes. Analyse et témoignages »,Dialogues d'histoire ancienne,vol. 30,no 1,,p. 125 et 130(lire en ligne).
↑GéraldinePago, « L'utilisation et la perception de la référence antique dans la Grèce moderne : l'exemple de l'architecture néo-classique à Athènes. Analyse et témoignages »,Dialogues d'histoire ancienne,vol. 30,no 1,,p. 135 et 141(lire en ligne).
↑Michel & BéatriceWattel,Les Grand'Croix de la Légion d'honneur de 1805 à nos jours : Titulaires français et étrangers, Paris, Archives & Culture,(ISBN978-2-35077-135-9),p. 420.
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