Cet article concerne le dieu égyptienOsiris. Pour une description des rites et du symbolisme du culte d'Osiris, voirMystères d'Osiris. Pour les autres significations, voirOsiris (homonymie).
Osiris (dugrec ancien :Ὄσιρις /Ósiris) est un dieu dupanthéon égyptien et un roi mythique de l'Égypte antique. Inventeur de l'agriculture et de lareligion, son règne est bienfaisant et civilisateur. Il meurt noyé dans leNil, assassiné dans un complot organisé parSeth, son frère cadet. Malgré le démembrement de son corps, il retrouve la vie par la puissance magique de sa sœurIsis. Le martyre d'Osiris lui vaut de gagner le monde de l'au-delà dont il devient le souverain et le juge suprême des lois deMaât.
AuMoyen Empire, la ville d'Abydos devient la cité du dieu Osiris. Elle attire ainsi de nombreux fidèles en quête d'éternité. La renommée de cette cité repose sur ses festivités cultuelles duNouvel An et sur une sainte relique, la tête du dieu.
LethéonymeOsiris est unetranslittération enalphabet latin d'un mot issu dugrec ancien :Ὄσιρις, qui a lui-même pour origine un mot de lalangue égyptienne :Wsjr, variablement translittéré selon les auteurs parAsar,Asari,Aser,Ausar,Ausir,Wesir,Ousir,Ousire ouAusare, la prononciation égyptienne d'origine n'étant pas connue du fait que l'écriture hiéroglyphique égyptienne ne restitue pas toutes les voyelles. Plusieurségyptologues ont tenté de donner une signification au théonyme Osiris. En 1980, John Gwyn Griffiths propose queWsjr dérive deWser et signifie « le Puissant ». D'ailleurs, une des plus anciennes attestations du dieu Osiris apparaît dans lemastaba du défunt Netjer-ouser (Dieu-puissant). En 1987, Wolfhart Westendorf propose l'étymologieWaset-jret : « celle qui porte l'œil ». En 1985, David Lorton émet l'hypothèse queWsjr est un mot composé issu dumorphèmeset associé àjret ;set-jret signifiant « l'activité rituelle ». Osiris serait alors« Celui qui bénéficie de l'activité rituelle »[2]. Selon la vision égyptienne, les forces destructrices sont en lutte perpétuelle contre les forces positives. En cela,Seth s'oppose à son frère Osiris, symbole de la terre fertile et nourricière.
Osiris est l'une des principales divinités dupanthéon égyptien. Cependant, les origines de son culte restent encore très obscures. En l'état des connaissances égyptologiques, les plus anciennes attestations d'Osiris remontent auXXVe siècle avant notre ère et datent de la fin de laIVe ou du début de laVe dynastie. Le nom d'Osiris se repère pour la première fois dans une formule d’offrande adressée à Osiris et àAnubis par une probable fille deKhéphren, Hemet-Rê, fille royale et prêtresse d'Hathor. Elle est sans doute décédée sous le règne du roiChepseskaf, le dernier souverain de laIVe dynastie. L'inscription figure sur lelinteau de l'entrée de sa tombe située àGizeh[3].
La première représentation d'Osiris est lacunaire, car figurant sur un fragment du temple haut du roiDjedkarê Isési. Le dieu figure comme un personnage masculin coiffé d'une longue perruque divine[4].
LesTextes des pyramides regroupent deslitanies et desincantations récitées lors des cérémonies funéraires royales. Ces textes sont gravés sur les parois des chambres funéraires à partir du roiOunas, dernier membre de laVe dynastie. On ne parvient guère avec cette documentation à déduire où et quand le culte osirien est apparu. Le chapitre 219 évoque pourtant divers lieux de cultes situés dans plusieurs villes de la vallée duNil dontHéliopolis,Bousiris,Bouto,Memphis etHermopolis Magna. Chose étrange,Abydos n'est pas mentionnée dans cette liste[7]. Le culte d'Osiris est pourtant introduit dans cette ville sous laVe dynastie. Abydos est pour le culte osirien le plus important lieu de pèlerinage à partir duMoyen Empire. LesTextes des pyramides mentionnent en effet que le corps du dieu assassiné fut retrouvé gisant près des rives duNil à Nédit (ou Géhésti), un territoire proche d'Abydos[8].
Selon l'égyptologueBernard Mathieu, l'apparition du dieu Osiris résulte d'une décision royale, car son culte se diffuse soudainement sur l'ensemble du territoireégyptien, lors des débuts de laVe dynastie[9]. Son nom est un jeu graphique volontaire basé sur le hiéroglyphe représentant le trône. Dès le départ, Osiris est donc lié à la déesseIsis, le nom de cette dernière signifiantle trône. Osiris est le roi des domaines funéraires et le juge des défunts. Sa représentation estanthropomorphe, très éloignée des formes animales que peuvent prendre d'autres divinités issues de la périodeprédynastique (bovidés,crocodiles,faucons)[10]. Le dogme osirien est élaboré par le clergé d'Héliopolis sous le contrôle du pouvoir monarchique qui se charge de le diffuser dans tout le pays, sans doute pour mieux asseoir son ascendant sur les grands temples comme ceux deBousiris, d'Abydos ou d'Héracléopolis[11].
Osiris est associé à d'autres divinités. EnBasse-Égypte, àBousiris, il absorbe les qualités d'Andjéty, dieu tutélaire de cette localité dès lapréhistoire[12]. La représentation de ce dieu berger se caractérise par ses deux hautes plumes sur la tête, retenues par un long bandeau, avec dans ses mains lesceptre héqa et leflagellum nekhekh[13]. Osiris est aussi assimilé au dieu funéraireSokar qui veille sur la nécropolememphite. Ce dieu est représenté par l'association d'un corps d'homme, qui est parfois gainé dans unlinceul, et d'une tête de faucon et très souvent sans aucun signe distinctif. On le représente aussi parfois sous la forme d'un faucon momifié[14]. EnHaute-Égypte, Osiris s’implante plus particulièrement dans lenomede la Grande Terre, région entourant la ville deThinis, la plus anciennecapitale de l'Égypte antique[15]. Cette ancienne cité n'est toujours pas localisée avec certitude. On sait toutefois qu'Osiris y fut rapproché du dieuOnouris[16]. Ce dieu est un homme à barbe qui porte une coiffe composée de quatre hautes plumes. Onouris, dans son aspect funéraire, porte l'épithète de Khentamenti, le « Chef de l'Occident »[17]. Lanécropole thinite se situait àAbydos. Là, Osiris s'assimile àKhentamentiou, le « Chef des Occidentaux », divinité funéraire proche d'Oupouaout et représentée sous la forme d'uncanidé noir.
Le dieu Osiris est intimement lié à la monarchie égyptienne. Il est vu comme un roi défunt puis divinisé. Ses attributs sont ainsi ceux des souverains égyptiens. Osiris fut considéré comme un souverain de l'Égypte entière. Ses représentations ne le font pourtant voir qu'avec la couronneHedjet de couleur blanche, symbole de laHaute-Égypte. Cette couronne se présente sous la forme d'unbonnet se rétrécissant vers le haut et se terminant par un renflement. Toutefois, cette couronne peut s'augmenter de deux hautes plumes latérales, probablement d'autruche, on parle alors de la couronneAtef. Ses autres symboles royaux sont lesceptre héqa et leflagellum nekhekh qu'il tient dans ses mains croisées sur sa poitrine. Osiris étant un dieu mort, ses représentations le font voir comme un corps momifié. Ses postures sont diverses, couché sur son lit funèbre, assis sur le trône ou debout tel un être ayant vaincu la mort[18].
Osiris défunt entouré par ses sœurs ailées. Temple deDendérah.
Osiris est un dieu complexe dont la présence est attestée sur tout le territoire égyptien. Ce dieu regroupe en son sein plusieurs facettes. Ses aspects de dieu funéraire sont bien connus. Mais Osiris est aussi une divinité qui veille au bon fonctionnement de l'univers. Son action bienfaisante est ainsi à l'œuvre dans le défilé des étoiles ou dans le cycle saisonnier de la végétation[19]. Par conséquent, Osiris se présente à ses adorateurs sous une multiplicité de noms. Des litanies sont psalmodiées à « Osiris sous tous ses noms ». Très tôt, Osiris est doté de l'épithète « Celui qui a beaucoup de noms » (ash renou). Cette accumulation d'épithètes et de noms apparaît dans le chapitre 142 duLivre des morts. Ce texte permet au défunt d'accéder à la vie éternelle à l'image d'Osiris. Pour ce faire, le défunt énumère une liste de cent-quinze épithètes attachées au nom d'Osiris. Plus le fidèle énumère de noms, plus il reconnaît et accepte la puissance de la divinité invoquée[20]. Les différentes fonctions du dieu et les différentes villes où son culte est présent s'enchaînent pêle-mêle, sans ordre logique :
OsirisOunennéfer, Osiris vivant, Osiris maître de vie, Osiris maître de l'Univers (…), Osiris qui préside au grain, OsirisOrion (…), Osiris maître des millions d'années, Osiris âme des deux dames, Osiris-Ptah maître de vie, Osiris qui préside à Ro-Sétaou, Osiris régent des rives, qui réside àBousiris (…), Osiris dans son palais à Ro-Sétaou, Osiris dans le nôme d'Abydos, Osiris dans Nedyt, Osiris qui préside à sa ville, Osiris le souverain (…), Osiris dans le ciel, Osiris dans la terre, Osiris l'intronisé (…) Osiris qui régit l'éternité àHéliopolis, Osiris engendreur, Osiris dans la barque de la nuit (…), Osiris qui préside à l'Occident, Osiris dans toutes ses places (…)
Le grecPlutarque est l'auteur de plusieurs traités portant sur lamorale, laphilosophie et lathéologie. Le traitéSur Isis et Osiris se rapporte aux croyances égyptiennes. Cet auteur est le premier à résumer et à exposer lemythe osirien en un récit linéaire. L'histoire débute par l’instauration mythique ducalendrier solaire de 365 jours.Nout, la déesse du ciel, a entretenu une relation amoureuse secrète avecGeb, son frère, le dieu de la terre.Rê, le dieu soleil, en apprenant ces agissements, se met en colère et interdit à Nout d’accoucher durant les jours de l’année.Thot, l'autre frère de Nout, décide alors de jouer aux dés avec la Lune pour lui gagner un soixante-douzième de ses jours de lumière. Ayant gagné cinq jours supplémentaires, il les place à la suite des 360 jours créés par Rê. Osiris naquit le premier jour,Horus l’Ancien le deuxième jour,Seth le troisième jour en déchirant le ventre maternel,Isis le quatrième jour dans les marais dudelta du Nil etNephtys le cinquième et dernier jour. Plutarque ajoute que le véritable père d’Osiris et de Horus l’Ancien serait Rê, que le père d’Isis serait Thot et que seuls Seth et Nephtys seraient les descendants de Geb. Mais il indique aussi une autre version de la paternité d’Horus l’Ancien. Avant même de naître, Osiris et Isis, amoureux l’un de l’autre, auraient conçu Horus l’Ancien dans le sein de leur mère[22].
Le chapitre 219 desTextes des pyramides assimile magiquement lepharaon défunt à Osiris, le dieu qui a été rétabli dans la vie. Tous les dieux de la famille osirienne sont encouragés à rétablir le roi mort dans la vie comme ils l’ont fait pour Osiris. Dans ce chapitre sont mentionnés les différents liens familiaux que les dieux d’Héliopolis entretiennent entre eux. Osiris est le fils d’Atoum, deShou et deTefnout, de Geb et de Nout[23]. D’autres textes nous font comprendre qu’Atoum a créé Shou et Tefnout et que ces derniers sont les parents de Geb et Nout[24]. L’énumération des liens familiaux se poursuit en mentionnant la fratrie d'Osiris, disant qu’il a pour frères et sœurs Isis, Seth, Nephtys et Thot, puis qu’Horus est son fils[25].
Isis fut considérée par les Égyptiens de l'Antiquité comme l'épouse du dieu Osiris. À ce titre, son culte connut une grande popularité, particulièrement durant les années de laBasse Époque. Lorsque le culte des dieux égyptiens commença à péricliter dans leur pays d'origine, la vénération d'Isis, la veuve éplorée qui sauve les initiés de la mort, se poursuivit toutefois hors des frontières de l'Égypte, enGrèce (Athènes,Delphes,Corinthe), enItalie (Rome etPompéi) ou enGermanie (Mayence). Osiris (ou sa forme gréco-romaine deSarapis) lui était toujours associé mais l'épouse éclipsa le mari dans le cœur des dévots[26].
La stèle funéraire d'Amenmès (XVIIIe dynastie), aujourd'hui conservée auMusée du Louvre, est le document archéologique égyptien le plus exhaustif à propos du mythe osirien. On peut y lire unhymne à Osiris. Des passages sont également consacrés à son épouse éplorée.Seth a assassiné Osiris puis a fait disparaître le corps. Isis, par la puissance de sa magie, fait renaître Osiris le dieu au cœur défaillant. Puis après s'être unie à lui, elle conçoitHorus le futur héritier du trône :
« Sa sœur fait sa protection, elle qui éloigne les adversaires. Elle repousse les occasions de désordre par les charmes de sa bouche, l'experte en sa langue, dont la parole n'a pas de défaillance, parfaite en ses ordres. Isis, l'Efficace, la protectrice de son frère, le cherchant sans lassitude, parcourant ce pays, en deuil, ne se repose pas qu'elle ne l'ait trouvé. Faisant de l'ombre avec son plumage, produisant de l'air avec ses deux ailes, faisant des gestes-de-joie, elle fait aborder son frère ; relevant ce qui était affaissé pour Celui-dont-le-cœur-défaille ; extrayant sa semence, créant un héritier, elle allaite l'enfant dans la solitude d'un lieu inconnu, l'intronise, son bras devenu fort, dans la Grande Salle de Geb. »
Dans son traité,Plutarque mentionne qu’Osiris, par méprise, a trompéIsis et que cette infidélité a été commise avec sa sœur jumelleNephtys, l’épouse deSeth. De cette relation adultérine est néAnubis, le dieu à tête de canidé[29]. Un paragraphe duPapyrus Brooklyn (XXVIe dynastie) mentionne que dans la ville deLétopolis se trouve une statue représentant Nephtys sous la forme de la lionneSekhmet enlaçant la momie d’Osiris[30], attitude qui est plus celle d’une épouse officielle que d’une maîtresse. Ce fait est confirmé par deux scènes dutemple d’Edfou où Nephtys porte le nom d’Onnophret. Cette dénomination fait de Nephtys la contrepartie féminine d’Osiris dans son aspect d’Ounennéfer (l'existence parfaite). Dans une scène, Nephtys protège la momie d’Osiris après lui avoir restitué sa tête et la vie. De plus, le nom de la déesse est inscrit dans uncartouche, ce qui fait d’elle une épouse légitime[31].Il faut alors considérer Isis comme l’épouse terrestre d’Osiris et Nephtys comme son épouse éternelle, celle qui l’accompagne dans l’au-delà.Interprétation abusive ? Plutarque écrit à propos des deux sœurs d'Osiris : « Nephtys, en effet, désigne ce qui est sous terre et ce qu'on ne voit pas ; Isis, au contraire, ce qui est sur terre et ce qu'on voit »[32]. Nephtys a été la nourrice du jeuneHorus. Elle l'a protégé de la fureur de Seth en le cachant dans les marais de Khemnis. En échange de cette protection et pour échapper à la vengeance de Seth, elle a obtenu la faveur d’être aux côtés d’Osiris dans le monde souterrain :
« Souviens-toi de ce que j'ai fait pour toi, (mon) enfant : Seth, je l'ai tenu à l'écart de toi, j'ai fait la nourrice en te portant et en ayant du lait. Tu fus sauvé lors de l'affaire de Khemnis, car j'ai refusé de reconnaître le visage de Seth à cause de toi ! Donne-moi une seule heure, que je puisse voir Osiris en raison de ce que j'ai fait pour toi ! »
Osiris momiforme siégeant sur son trône (photographie de 1881).
L'Ennéade des dieux d'Héliopolis fut considérée par les Égyptiens de l'Antiquité comme la première dynastie de leurssouverains. Après avoir créé l'Égypte,Atoum-Rê régna sur le pays, puis fut remplacé parShou puis parGeb. Ce dernier en constatant les mérites d'Osiris lui laissa le trône :
« [Osiris] établit solidement l'ordre dans toute l'Égypte. Il place le fils sur le trône de son père, loué de son père Geb, aimé de sa mère Nout […] héritier de Geb pour la royauté du Double-Pays. Comme celui-ci a vu sa perfection, il a ordonné qu'il guide le pays pour une heureuse réussite. »
— Hymne à Osiris du Nouvel Empire (stèle C286 duLouvre)[34].
Le chapitre 175 duLivre des Morts indique que le dieu a été couronné dans la ville deHéracléopolis Magna par le dieu créateurAtoum-Rê. Le couronnement d'Osiris donne l'occasion d'un dialogue où le verbe créateur des deux divinités engendre des faits et des lieux mythiques de la théologie égyptienne ; ci-dessous les bassins sacrés du temple d'Héracléopolis :
« Alors Osiris eut mal à la tête, à cause de la chaleur de la couronne-Atef, qui était sur sa tête (le premier jour où il l'avait placé sur sa tête) afin que les dieux eussent peur de lui. Alors Rê revint en paix à Héracléapolis pour voir Osiris, et il le trouva assis dans sa demeure sa tête étant devenue enflée à cause de la chaleur de la couronne. Alors Rê fit s'écouler ce sang et la sanie de cet abcès, et ils devinrent une mare. Alors Rê dit à Osiris : "Vois, tu as formé une mare du sang et de la sanie qui ont coulé de ta tête."— D'où cette mare sacrée à Héracléopolis. »
— Extrait du chap. 175 duLivre des Morts. Traduction de Paul Barguet[36].
Plutarque rapporte qu'Osiris enseigna à son peuple les manières civilisées afin que les hommes ne ressemblent plus à des bêtes sauvages. Il leur enseigna l'agriculture ainsi que le respect des dieux et des lois[37]. Les plus anciens documents archéologiques égyptiens concernant Osiris confirment les dires de Plutarque. Un fragment d'unearchitrave de laVe dynastie nous fait savoir que, dès ses débuts cultuels, Osiris est nommé « le grand dieu, seigneur de Maât, Osiris qui préside à Busiris et dans toutes ses places »[38].
LaMaât (ordre cosmique) est un concept politico-religieux qui apparaît lors de la formation de l'Ancien Empire. À cette époque, le roi égyptien prend une dimension centrale. Dans un pays unifié, sa personne dépasse toutes les autorités locales. Dans ce cadre, la Maât est un mythe qui permet d'unifier tous les sujets du souverain égyptien sous une seule autorité. La Maât est alors la déification de la volonté et de l'ordre royal. Dire et faire la Maât, c'est obéir et participer à la monarchie[39]. Dans la vie sociale, participer à la Maât c'est participer activement et réciproquement à une nécessaire solidarité humaine, les comportements anti-Maât étant la paresse[40], la surdité mentale[41] et l'avidité[42].
Aux plus forts moments de la royauté de l'Ancien Empire, la Maât est un attribut typique du roi humain. Il en va ainsi du bâtisseur depyramide rhomboïdale, le roiSnéfrou (IVe dynastie). Dans satitulature, ce souverain s’érige en « seigneur de Maât »[43]. La situation politico-théologique change avec laVe dynastie. La puissance suprême passe du monde terrestre au plan divin. La puissance du roi se dévalue et les souverains de cette dynastie deviennent les « fils de Rê »[44]. Dans le même temps, les souverains se voient aussi déposséder de leur autorité sur la Maât au profit d'Osiris. Par là-même, la Maât devient sacrée car confiée au souverain de l’au-delà, qui sanctionne à la fin de la vie humaine tous les actes néfastes. Les rois ne sont plus que des exécutants qui font et qui disent la Maât[45]. Un passage de l’enseignement de Ptahhotep nous fait voir que les lettrés égyptiens ont lié l’instauration de la Maât au règne mythique du roi Osiris :
« La maât est puissante, et de perpétuelle efficacité d’action. On ne peut la perturber depuis le temps d’Osiris. On inflige un châtiment à celui qui transgresse les lois. C’est-ce qui échappe à l’attention de l’avide. »
— Enseignement de Ptahhotep. Extrait de la Maxime 5[46]
La récitation peut se diviser en deux séquences. La première évoque le martyre d'Osiris. Les portes du ciel s'ouvrent pour laisser passer les dieux de la ville dePé, une localité située enBasse-Égypte. Sans doute s'agit-il d'Horus et ses deux filsAmset etHâpi. Les dieux viennent vers le corps d'Osiris, attirés par les lamentations d'Isis et deNephtys. En deuil et en l'honneur du défunt, ils se frappent les cuisses, s'ébouriffent les cheveux, battent des mains tout en niant la mort d'Osiris. Ils l'exhortent à se réveiller pour qu'il puisse entendre ce qu'a fait Horus pour lui. On lui annonce que son meurtre est vengé.Seth avait frappé et tué Osiris comme un simple bovidé puis l'avait ligoté. Horus fait savoir à son père qu'il a fait subir à Seth le même sort puis l'a placé sous la garde d'Isis[48]. La suite de la récitation retrace la renaissance du dieu Osiris. Dans lelac de la vie, le défunt prend la forme du dieu chacalOupouaout. Horus offre à son père ses ennemis séthiens vaincus. Ces derniers sont amenés parThot. Puis le fils intronise le père en tant que chef des défunts en lui donnant lesceptre Ouas. Après avoir été purifié parNephtys, Osiris est parfumé parIsis. Il semble que Seth a aussi dépecé son frère car il est ensuite mentionné que les deux sœurs ont regroupé ses chairs et rattaché ses membres. Ses yeux lui sont redonnés sous la forme des barques du jour et de la nuit (Soleil et Lune). Les quatreenfants d'Horus ont participé au redressement d'Osiris. Pour qu'il soit entièrement calmé, on procède sur lui au cérémonial de l'ouverture de la bouche. Éveillé à la vie parShou etTefnout, Osiris sort de laDouât et monte versAtoum en direction des champs paradisiaques[49].
La plus récente version du mythe nous fut transmise parPlutarque. Ce philosophe grec fait d'Osiris et d'Isis des souverains bienfaiteurs. Osiris enseigna aux humains les rudiments de l'agriculture et de la pêche, tandis qu'Isis leur apprit le tissage et la médecine. Pendant ce temps,Seth régnait sur les contrées désertiques et hostiles ainsi que sur les terres étrangères. Jaloux de son frère, Seth projeta l'assassinat d'Osiris pour s'emparer du trône d’Égypte qu'il convoitait. Pendant un banquet en l'honneur d'Osiris, Seth offrit à l'assistance un magnifique coffre, jurant de le céder à celui qui l'emplirait parfaitement en s'y allongeant. Aucun de ceux qui tentèrent l'exploit ne parvinrent à remporter le coffre. Quand vint le tour d'Osiris, qui fut le seul à y parvenir, Seth fit refermer et sceller le coffre, tandis que ses complices chassaient les invités et tenaient Isis à l'écart… Seth jeta le coffre dans leNil, qui l'emporta dans lamer Méditerranée. Osiris noyé, Seth profita du meurtre pour asseoir sa domination sur l’Égypte. Isis, la veuve éplorée, rechercha alors à travers toute l’Égypte le corps de son mari et le retrouva àByblos, auLiban. Elle ramena la dépouille du roi assassiné en Égypte et se réfugia dans les marais dudelta du Nil. Au cours d'une chasse nocturne dans les marécages, Seth retrouva le corps haï de son frère. Il entra dans une rage folle et découpa le défunt en quatorze morceaux qu'il dispersa dans toute l'Égypte. Aidée de quelques fidèles dontThot,Nephtys etAnubis, Isis retrouva les parties du dieu, hormis son pénis avalé par lepoisson oxyrhynque. Après en avoir reconstitué le corps, elle procéda à son embaumement avec l'aide d'Anubis en l'enveloppant dans des bandelettes de lin. Le corps du dieu restant inerte, avec l'aide de sa sœur Nephtys, Isis bat des ailes en poussant des cris stridents pour insuffler la vie à Osiris grâce à ses pouvoirs magiques. Ranimé, Osiris ne revient pas sur terre, mais règne désormais sur le royaume des morts. Ainsi, la renaissance d'Osiris annonce toutes les formes de renouveau possibles, que ce soit dans la végétation ou chez les humains. Transformée enmilan, Isis peut être fécondée. De cette union naît Horus l'Enfant (Harpocrate), qu'elle cacha dans les fourrés depapyrus du delta pour le protéger de son oncle Seth[50],[51].
Lepilier Djed est un très ancien fétiche attesté àHiérakonpolis dès l'époque thinite dans le cadre d'un culte rendu àSokar ; un dieu funéraire représenté sous la forme d'unfaucon momifié. La signification d'origine de Djed n'est pas encore connue. Peut-être s'agit-il d'un arbre ébranché. Mais dès ses débuts, ce pilier fait aussi partie des rites agraires de la fertilité du grain. ÀMemphis, le pilier Djed était d'abord érigé en l'honneur dePtah et Sokar. Au début duNouvel Empire, Osiris se fond avec ces deux dernières divinités sous la forme dePtah-Sokar-Osiris. L'érection du pilier Djed symbolise alors la victoire d'Osiris surSeth[52]. Dans ce cadre, le Djed est vu comme l'épine dorsale d'Osiris. Cette vision du Djed apparaît aussi dans leLivre des Morts. Le jour de l'enterrement, uneamulette Djed est placée au cou de la momie :
« Redresse-toi, Osiris ! Tu as (de nouveau) ton dos, (ô) toi dont le cœur ne bat plus ; tu as tes vertèbres, (ô) celui dont le cœur ne bat plus. Mets-toi sur ton côté, que je mette l'eau sous toi ! Je t'apporte le pilier Djed en or ; puisses-tu en être réjoui ! »
À partir duNouvel Empire, lepilier Djed estanthropomorphisé et ses représentations se rapprochent de celles d'Osiris. Sur les reliefs dutemple funéraire deSéthi Ier, le pilier Djed tel un Osiris ressuscité s'anime et reprend vie après avoir été redressé par le pharaonRamsès II. Là, le rite de l'érection du pilier Djed consiste à rendre la vie au dieu Osiris. Le pilier Djed est pourvu de deux yeuxOudjat, de différentes couronnes (dont celle constituée de deux hautes plumes d'autruche) et est revêtu dupagne royal. Dans l'écriturehiéroglyphique, le Djed est le signe de la stabilité. Dans le rituel d'Abydos, cette notion de stabilité renvoie à la nécessaire cohésion duDouble-Pays formé par l'union de laHaute et de laBasse-Égypte[54].
LaDouât est un lieu mythique qui n'a pas de localisation géographique précise. Ce lieu est parfois situé dans le ciel, mais d'autres fois sur terre. Les traductions deségyptologues en font unau-delà ou unenfer. La Douât ne correspond toutefois pas vraiment à ces deux concepts. Enégyptien ancien, la racine du motdouât est proche du verbedouâ qui signifie « prier, adorer ». Quant au motdouât, sous une autre graphie, il peut aussi signifier « louange, hymne, adoration ». De plus le motdouâou signifie « aube, matin et aurore ». Quant à laplanète Vénus elle est soit ledouâou netjer (dieu du matin), soit plus simplementDouât. La région de la Douât est ainsi un point de jonction où les vivants et les morts peuvent louer la renaissance de la lumière quand les ténèbres nocturnes disparaissent face à la renaissance du soleil à l'aube[55].
AuNouvel Empire se crée un nouveau genre de littéraire funéraire ; les « Livres de ce qui est dans la Douât ». Ces ouvrages sont destinés aux personnalités royales et figurent sur les parois de leurs tombes,cénotaphes ousarcophages.
Ces textes, contrairement auLivre des Morts, ne sont pas des compilations de formules magiques de provenance hétéroclite. Ce sont des textes immuables qui décrivent les riches illustrations qui leur sont associées. Le plus ancien ouvrage est leLivre de l'Amdouat apparu sousThoutmôsis III. Si leLivre des Portes apparaît chezHoremheb, le premier exemplaire complet figure sur le sarcophage deSéthi Ier. La douzième et dernière séquence de cette composition contient une représentation de l'instant où le soleil sort du monde souterrain pour renaître à l'aube. Cette scène est une mise en image de la pensée cosmologique des Égyptiens duNouvel Empire[56].
Le dieuNoun semble sortir des eaux primordiales. Il élève de ses deux longs bras la barque solaire. À son bord, lescarabéeKhépri (symbole de la renaissance) tient le disque solaire. De part et d'autre du scarabée, les déessesIsis etNephtys paraissent accueillir ou propulser le soleil renaissant. Ce dernier est reçu dans les bras deNout la déesse du ciel. Représentée à l'envers, la déesse est debout sur la tête d'Osiris dont le corps forme une boucle qui contient laDouât. La notice dit que : « C'est Nout qui reçoit Rê. »[57].
Tel le serpentOuroboros qui se mord la queue, Osiris est lové sur lui-même. Son corps forme un cercle et la notice dit que : « C'est Osiris qui encercle laDouât ». Cette représentation du dieu est une manière de montrer que le temps est cyclique. Le cercle symbolise la perfection et le mouvement. Ce retour permanent des choses et des événements est une succession de régénérations. Osiris et Nout sont représentés à l'envers pour montrer que la Douât n'est pas soumise aux mêmes règles que l'univers ordonné, le soleil y voyageant d'ouest en est. Quand le soleil y entre, il ne peut qu'en ressortir. Le soir, le soleil entre dans l'Occident. Il se régénère lors de son passage dans la Douât. Ce monde de la nuit et de la mort est gouverné par Osiris. Après avoir traversé douze régions et douze portails, le soleil renaît à l'aube quand il sort de l'horizon oriental. Cette sortie du monde souterrain est symbolisée par le second soleil qui se situe à laproue de labarque solaire. Le ciel à traversNout est situé entre la Douât et l'univers ordonné. Il constitue le lien entre les deux mondes[58].
La mortalité des dieux égyptiens est souvent évoquée dans un cycle où mort et renaissance alternent, le rajeunissement du dieu n'étant possible qu'à travers sa mort[59]. Mais les documents égyptiens qui évoquent la fin définitive du temps et la disparition finale des dieux sont peu nombreux. Le chapitre 175 duLivre des Morts décrit pourtant très clairement cette situation[60]. À la fin des temps, seulsAtoum et Osiris demeureront. Osiris se lamente de devoir rester dans le monde de l'au-delà. Atoum le console en lui disant que le désert desnécropoles est son royaume, que son filsHorus règne sur les hommes et que sa durée de vie va être très longue. Atoum lui annonce qu'eux deux, seuls, perdureront en retournant dans le chaos des origines sous la forme d'un serpent :
« Tu es destiné à des millions de millions d'années, une durée de vie de millions d'années. Mais moi, je détruirai tout ce que j'ai créé ; ce pays reviendra à l'état deNoun, à l'état de flot, comme son premier état. Je suis ce qui restera, avec Osiris, quand je me serai transformé à nouveau en serpent, que les hommes ne peuvent pas connaître, que les dieux ne peuvent pas voir. »
Les Égyptiens désignaient parSȝḥ la constellation d'Orion. Personnifié par un homme portant la couronne blanche deHaute-Égypte, Sah était considéré comme le souverain des étoiles dont il ordonnait la course dans leciel nocturne. Sah est l'âme-Ba d'Osiris ou Osiris lui-même selon les différentes traditions[62] Orion,Saḥ. Plusieurs chapitres desTextes des sarcophages sont consacrés à cette constellation (chap.469, 470, 689, 1017)[63]. Le chapitre 227 permet au défunt de se transformer en successeur d'Osiris. Le défunt, après avoir affirmé qu'il est Osiris, enchaîne en parlant d'Orion :
« Je suis Orion, celui qui a atteint son Double-Pays, celui qui navigue à l'avant de l'armature du ciel [les étoiles] dans le corps de sa mèreNout ; elle a été grosse de moi selon son désir, et elle m'a enfanté la joie au cœur. »
Les chapitres 366 et 593 desTextes des pyramides, très proches dans leur rédaction, relatent la naissance et la conception d'Horus. Il y apparaît que ses parents sont Osiris etIsis[65] :
« Ta sœur Isis est venue à toi, heureuse de ton amour. Après que tu l'as placée sur ton phallus, ta semence a jailli en elle »
— Textes des pyramides. Chap. 366.
La suite du texte est dotée d'une dimension astrale car le fruit de cette union estHor-imy-Sopedet c'est-à-dire « Horus dans la constellation duGrand Chien ». Osiris assimilé à la constellation d'Orion, transmet son essence stellaire à Horus c'est-à-dire l'étoileSirius à travers Isis, la constellation duGrand Chien[66] :
« Ta semence a jailli en elle (Isis), perçante (soped) dansSopedet ;Horus-Soped est issu de toi en son nom de Horus dansSopedet. »
— Textes des pyramides. Chap. 593.
Cette naissance mythique et astronomique est basée sur une série de jeux de mots théologiques :Soped nom égyptien de l'étoileSirius, signifie pointu, acéré, adroit, habile etSopedet signifie triangle et efficacité. L'étoile Sirius-Soped peut alors se référer à une des trois pointes du triangle qu'elle forme avec les étoilesBételgeuse etRigel, Sirius-Soped ayant un rôle plus important car ce triangle équilatéral pointe vers elle. Osiris-Orion est le dieu en léthargie ; trois étoiles forment sonphallus (vues actuellement comme saceinture) pointant vers la constellation duGrand Chien : pour les Égyptiens, celui-ci est Isis sous la forme d'un oiseau, lemilan, qui porte en son sein son successeurHorus-Soped (Sirius), celui qui combat efficacement pour restaurer son père dans sa vie et ses fonctions royales[67].
Osiris debout, momiforme et coiffé de la couronneAtef. Photographie de 1881.Musée de Boulaq.
Daté du règne deRamsès V (XXe dynastie), lepapyrus ChesterBeattyI contient le conte desAventures de Horus et de Seth. L'histoire relate les luttes intestines qui font rage au sein de la famille osirienne[68]. Le roi Osiris est mort. Depuis quatre-vingts ans, Horus et Seth se querellent au sujet de la succession au trône. Les dieux égyptiens siègent en tant quejurés au sein d'un tribunal présidé parRê. Ils sont partagés en deux camps de puissance égale. Horus, adolescent sans grande expérience, est soutenu par une faction menée par sa mèreIsis. Quant à Seth, vaillant défenseur de la Barque solaire face àApophis, sa cause est soutenue par Rê. Si Horus doit faire face aux assauts magiques de Seth, ce dernier doit faire face à ceux d'Isis. Après des milliers de coups fourrés, les dieux du tribunal sont lassés des tergiversations du vieuxRê. Ses jugements successifs sont tous favorables à Horus mais à chaque fois, Seth peut les remettre en cause du fait de son ascendant sur Rê[69]. Sur les conseils deThot et deShou, Rê envoie une lettre à Osiris pour connaître son opinion. En réponse, le dieu défunt met en avant ses propres mérites :
« Pourquoi fait-on tort à mon fils Horus ? C'est moi qui ai fait que vous êtes forts. C'est moi qui ai créé l'orge et l'épeautre pour faire vivre les dieux, de même que les troupeaux sous la garde des divinités. Il ne s'est trouvé aucun dieu ni aucune déesse pour faire cela. »
Peu impressionné, Rê raille la puissance d'Osiris en disant qu'avec ou sans lui, l'orge et l'épeautre existeraient quand même. En colère, Osiris menace les dieux de l'Ennéade. Dans la crainte d'une épidémie, les dieux rendent un jugement définitif en faveur d'Horus. L'argument final est que d'Osiris dépend la bonne santé de la création. Il nourrit les dieux et les hommes en tant que dieu de l'abondance. Mais selon son bon plaisir, il peut lâcher contre ses ennemis et les impies une armée de démons pour qu'ils écourtent la joyeuse vie terrestre des êtres vivants :
« Cela est vraiment parfait, vraiment parfait, tout ce que tu as créé, ô inventeur de l'Ennéade ! Mais on a fait en sorte que la justice soit engloutie au sein du monde souterrain. Considère donc la situation, toi. Ce pays dans lequel je suis est empli de messagers au visage féroce, qui ne craignent aucun dieu ni (aucune) déesse. Si je les fais sortir, ils me rapporteraient le cœur de tous ceux qui ont commis des actions viles, mais ils se manifestent ici, en ma compagnie. Et pourquoi est-ce que je passe ici ma vie, en paix dans l'Occident, alors que vous êtes au-dehors, tous, tous ? Qui parmi eux, est plus fort que moi ? Mais vois, ils ont inventé le mensonge. Et lorsquePtah […] créa le ciel, n'a-t-il pas dit aux étoiles qui s'y trouvaient : "Vous irez vous coucher sur l'Occident, chaque nuit, là où réside le roi Osiris ? Ensuite, les dieux, les nobles et le peuple se coucheront aussi dans l'endroit où tu es"– c'est ce qu'il m'a dit. »
Les anciens Égyptiens ne voyaient pas le décès comme une chose naturelle. En identifiant tous les morts à Osiris, le dieu assassiné, ils ont conçu la mort comme le franchissement d'un seuil situé entre le monde terrestre et le monde de l'au-delà. Le décès est une crise passagère que l'on peut résoudre par le rituel funéraire. Le tribunal d'Osiris symbolise cette étape cruciale car seul celui qui est pur moralement peut prétendre aux rites. Ne se présente devant le tribunal d'Osiris que celui qui est exempt de péchés[71]. Cette pureté est mise en avant dès l'Ancien Empire dans les textes des tombes etmastabas. Les dieux, par l'intercession du roi, accordent aux serviteurs de la monarchie le statut d'Imakhou (possesseur de tombe). Mais on ne peut prétendre à ce privilège que si l'on a respecté et appliqué laMaât. Osiris, en son nom d'Ounennéfer (Existence parfaite), est un modèle à suivre, sa vie exemplaire l'ayant mené à exercer la royauté sur la terre et sur l'au-delà :
« J'ai accompli la justice pour son seigneur, c'est que je l'ai satisfait en ce qu'il aime. J'ai dit lavérité, j'ai accompli la justice, j'ai dit le bien, j'ai répété le bien, j'ai atteint la perfection, car je souhaitais avoir le bien auprès des hommes. J'ai jugé deux plaideurs de sorte qu'ils furent satisfaits. J'ai sauvé le misérable de celui qui était plus puissant que lui en ce sur quoi j'avais autorité. J'ai donné du pain à celui qui avait faim, des vêtements à celui qui était nu, un passage au naufragé, un cercueil à celui qui n'avait pas de fils. J'ai fait une barque pour qui était sans barque. […] »
AuNouvel Empire, le jugement des morts acquiert sa forme définitive tel qu'il apparaît dans leLivre des Morts (chap. 125). Le passage devant Osiris et ses quarante-deux assesseurs ressemble plus à une épreuve qu'à une procédure judiciaire. Le défunt connaît à l'avance ce que l'on peut lui reprocher et se défend en niant en bloc deux listes de péchés. Une première liste de quarante fautes est niée devant Osiris, puis une deuxième liste de quarante-deux fautes est niée devant les quarante-deux assesseurs qui symbolisent l'ensemble du territoire égyptien. Ces lois conditionnaient l'accès au monde de l'au-delà. Mais le chapitre 125 est plus qu'une formule magique destinée à purifier le défunt. L'Égyptien ne comptait pas seulement sur la puissance de la magie pour sauver sonâme[73]. Son passage post-mortem devant Osiris s'accompagnait, durant la vie terrestre, d'une vie inspirée par les lois du tribunal :
« Je suis un noble qui s'est complu en Maât, qui a pris exemple sur les lois de la salle des deux Maât, car j'avais l'intention d'arriver dans la nécropole sans que la moindre bassesse fût associée à mon nom, je n'ai pas fait de mal aux hommes, ni quoi que ce soit que réprouvent leurs dieux. »
À laBasse Époque se développe un culte en l'honneur de cet animal mort mais dans les limites de la ville deMemphis. Le culte se pratique dans les milieux égyptiens mais aussi chez les colons grecs installés à Memphis. Unpapyrus en langue grecque mentionne le dieuOsérapis dès leIVe siècle avant notre ère[77]. Lorsque la dynastie deslagides s'installe en Égypte, elle met en place àAlexandrie, le culte deSarapis. Cette divinité prend les fonctions funéraire et agraire du dieu Osiris mais ses représentations sont celles d'un dieu grec : un homme barbu à la chevelure bouclée couronné soit dumodius (symbole de fertilité) soit de la couronneAtef (caractéristique d'Osiris)[78].
Pour l'anthropologueJames George Frazer, les dieux Osiris,Dionysos,Attis etAdonis sont des esprits de la végétation. Osiris est comme le grain enterré lors des semailles qui ressuscite lors de la moisson suivante. Le grain est fécondé par l'eau dans le sol puis, lors des récoltes, il est démembré par les faucilles des faucheurs[79].
Il n'est pas encore établi avec certitude si dès le départ Osiris est un dieu de la végétation ou si ce côté de sa personnalité s'est greffé par la suite sur ses aspects de dieu funéraire. La fertilité du sol égyptien est en rapport avec lelimon charrié par la crue duNil à laquelle Osiris est associé. Malgré le découpage du corps d'Osiris en morceaux, sa mort physique est présentée comme uneléthargie. Cette inconscience d'Osiris est comme celle d'Atoum dans leNoun (l'océan primordial) avant la création de l'univers. Le sommeil du dieu Osiris est contraire à l'ordre établi par le dieu créateur. Néanmoins, sa mort est nécessaire pour que l'humanité puisse dépasser ses limites terrestres et atteindre l'éternité divine. Osiris est le dieu qui s'est noyé dans les eaux duNil[80]. Son long séjour dans l'eau est vu comme un retour dans le chaos de l'océan des origines. Or cet océan est le milieu d'où jaillit la vie. Le démembrement d'Osiris en seize morceaux est lié au retour annuel de l'inondation du Nil. La hauteur idéale de la crue est de seize coudées et, lorsque ce niveau est atteint Osiris est reconstitué[81].
« Ô Primordial du Double-Pays tout entier ! nourriture et aliments devant l'Ennéade,Akh parfait parmi lesakhou pour qui leNoun répand son eau […] Les plantes poussent selon son désir et pour lui la terre productive fait constamment naître les aliments […] [Geb] a mis sous sa main ce pays, son eau et son vent, son herbe et tous ses troupeaux, tout ce qui vole et tout ce qui se pose, ses reptiles et ses animaux du désert, (tout cela) offert au fils de Nout : et le Double-Pays s'en réjouit ! […] ce qu'entoure le disque solaire est soumis à ses desseins ; (de même) le vent du nord, le fleuve, les flots, l'arbre fruitier et tout ce qui pousse. C'estNepri qui donne toute sa végétation, la nourriture du sol. Il instaure le rassasiement et le procure à tous les pays. Tout être est heureux, tout cœur est joyeux. »
Élaboré à l'origine à Abydos et Busiris, le rite des festivités du mois de Khoïak gagne dès laXIe dynastie tous les temples censés conserver une relique du corps osirien dépecé[83].
Le cycle de la germination du grain a été vu par les Égyptiens comme une métaphore de leur conception de la mort. Une des images de la renaissance d'Osiris est la figuration d'épis de céréales poussant sur son corps momifié. Cette représentation était réellement mise en œuvre dans les temples selon lerituel du mois de Khoiak. Dans une cuve en forme demomie, les prêtres plaçaient un mélange terreux, où du grain se mettait à germer (lors de recherches sous-marines, une cuve de ce genre a été retrouvée à l'intérieur dutéménos du temple d'Amon etKhonsou de la ville engloutie deHéracléion). CetOsiris végétant, une fois placé au soleil puis desséché, était placé dans une barque sacrée puis transporté vers la nécropole de la ville deCanope. Cette momie végétale y était éliminée, soit enterrée soit jetée à l'eau[84].
Dans les tombes, on pouvait placer des petits moules de ce genre, appelés dans le milieu égyptologique « Osiris végétant » ou « Osiris céréales »[85].
Le culte d'Osiris s'est diffusé sur l'ensemble du territoire égyptien. Cependant plusieurs villes se sont distinguées du fait de leur rapport particulier avec le mythe du démembrement d'Osiris. Les traditions divergent quant au nombre des membres osiriens dispersés dans le pays ; de quatorze à quarante-deux selon les différentes versions. D'aprèsPlutarque, Seth noya son frère Osiris en l'enfermant dans un coffre jeté dans leNil. La dépouille dériva jusqu'àByblos (Liban) où elle fut retrouvée parIsis. La déesse ramena le coffre et le corps en Égypte près deBouto. Mais lors d'une partie de chasse, Seth retrouva le corps d'Osiris. Fou de rage, il démembra le corps en quatorze morceaux et les dispersa de tous les côtés. Désespérée, Isis se mit en quête de les retrouver et partit à leur recherche à travers tout le pays. Chaque fois qu'elle retrouvait un morceau elle en confia la garde au clergé du lieu pour que la mémoire d'Osiris soit honorée[86].
Dans le premier chapitre duLivre des Morts, le défunt se présente comme un prêtre du culte d'Osiris, dans l'espoir de bénéficier lui aussi des rites funéraires inaugurés par le dieu démembré. Le défunt énumère ainsi quelques villes où, de son vivant, il a honoré Osiris. La participation aux rites de ces lieux sacrés permet de gagner la faveur des dieux. Dans l'au-delà, les dieux ne prennent soin que de ceux qui les ont honorés. Participer de son vivant aux rites en relation avec l'embaumement d'Osiris permet, une fois décédé, de pouvoir contempler le dieu et de survivre dans son royaume[87] :
« Je suis avecHorus, comme protecteur de cette épaule gauche d'Osiris qui est àLétopolis ; je vais et je viens, tel une flamme, le jour de chasser les rebelles hors de Létopolis.
Je suis avec Horus, le jour de célébrer les fêtes d'Osiris et de préparer les offrandes pourRê, à la fête du sixième jour du mois et à la fête-deni, àHéliopolis.
Je suis le prêtre-ouâb àBousiris, et j'exalte Celui qui est dans le tertre.
Je suis le prophète d'Abydos, le jour où le sol est haut.
Plutarque, dans sa version du mythe d'Osiris rapporte que la déesse Isis retrouva tous les membres dispersés à l'exception duphallus mangé par des poissons. Pour le remplacer, elle en fit une imitation[89]. Cependant, la ville deMendès a conservé une autre tradition mythique. La relique qui est honorée dans cette ville est lephallus attaché à lacolonne vertébrale. Ces deux membres ne font qu'une seule relique car les Égyptiens, (et les Grecs après eux), pensaient que lamoelle osseuse descendait de la colonne vertébrale vers lestesticules et ressortait par le phallus sous la forme dusperme. La semence dans le corps de la femme formait alors lesos de l'enfant, les humeurs féminines formant les chairs[90]. Tardivement, lepilier Djed fut assimilé à cette relique, la ville de Mendès portant en langue égyptienne le nom deDjedet ouPerbanebdjedou ; le dieu de Mendès étant depuis les débuts de l'Égypte pharaonique lebélierBanebdjedet[91]. Ce dernier était considéré comme l'âme-ba d'Osiris. En fait cet animal portait en lui quatre âmes-ba, celles deRê, deShou, deGeb et d'Osiris ; aussi le représentait-on avec quatre têtes de béliers[92].
Horus en crocodile porte la momie d'Osiris hors des marais vers l'Abaton de Biggeh. Relief de la Porte d'Hadrien à Philæ.
Pour les Égyptiens, l'eau de la crue duNil provient du monde souterrain et sort d'une caverne située dans la région de la première cataracte. On situa d'abord cette source mythique àÉléphantine, la ville du dieu bélierKhnoum[93]. Puis, à laBasse Époque, la source du Nil fut surtout assimilée à l'Abaton de l'île deBiggeh. La crue jaillissant de la blessure infligée parSeth à la jambe gauche d'Osiris conservée en ce lieu. Le culte au profit d'Osiris y remonte probablement auVIe siècle à partir du règne dePsammétique II. Abaton est un mot issu dugrec ancien :ἂβατον et signifie « inaccessible ». Les noms égyptiens de l'Abaton sontIat-ouâbet, « La Place pure » etIou-ouâbet, « L'Île pure ». L'Abaton est un des tombeaux d'Osiris. Ce lieu sacré est une nécropole oùIsis retrouva la jambe gauche de son frère démembré[94]. Les cultes d'Osiris de l'Abaton deBiggeh étaient intimement liés à ceux d'Isis de l'île dePhilæ :
« On dit aussi qu'il y a près de Philæ, une petite île à tout le monde inaccessible ; les oiseaux ne s'y abattent jamais, et les poissons ne s'en approchent pas. Toutefois, à une époque déterminée, les prêtres traversent l'eau pour aller y faire des sacrifices funèbres, couronner le tombeau qui s'y trouve et qui est ombragé par un plan de méthida dont la hauteur dépasse celle de tous les oliviers. »
La statue de la déesse sortait en procession tous les dix jours de son temple de Philæ pour se rendre en barque à Biggeh. Isis y effectuait, par l'entremise de ses prêtres, des actes rituels comme des libations de lait pour Osiris ; le but étant de ranimer sa vigueur. Les rites sont tournés vers l'âme-Ba d'Osiris pour qu'il s'unisse à son corps et réveille la momie dormant dans l'Abaton. Outre ces rituels décadaires, les moments forts de l'année sont les séjours d'Isis et d'Harendotès dans le tombeau le treizième jour du mois d'Epiphi et les rituels de régénération du mois deKhoiak[96].
Vers le début duIVe siècle de notre ère, lenéoplatonicienJamblique dans son traité sur lesMystères d'Égypte explique aux adversaires de lathéurgie le mécanisme opératoire des menaces verbales contre les cultes et festivités rendues à Osiris et àIsis[97]. Selon lui, les menaces proférées par le magicien ne sont pas destinées aux dieux (soleil, lune, étoiles) mais à des esprits inférieurs[98]. Ces derniers, sans jugement ni raison, se contentent d'obéir aux ordres de leurs supérieurs divins. Les menaces verbales terrorisent ces esprits. Lors d'un cérémonial, un magicien exercé peut facilement les berner en se présentant à eux sous la forme d'une divinité supérieure.
AuXIIe siècle, le conte desAventures d'Horus et de Seth se termine par une mention de ces esprits inférieurs. Pour obtenir gain de cause, Osiris menace les autres dieux de les envoyer contre eux. SiHorus n'obtient pas le trône alors une horde d'esprits hostiles s'abattra sur la terre et les êtres vivants, dieux et humains, rejoindront plus tôt que prévu le royaume de l'Au-delà[70]. Lespapyrus magiques de Turin sont datés de la même époque[99]. Une formule magique utilise la menace verbale contre les fêtes et les cultes osiriens. Le but de l'incantation est de guérir une personne malade car envoûtée par un envoyé d'Osiris. La guérison passe par un nécessaire désenvoûtement. Le magicien-guérisseur présente la chose sous la forme d'un décret royal rédigé par Osiris. L'ordonnance contraint l'entité maléfique à quitter le corps de la victime. Pour que la chose se réalise, le magicien l'effraye en proférant de sombres menaces sur le culte osirien. La bonne marche de l'univers garantie par le culte rendu à Osiris ne peut se poursuivre qu'à la condition de son départ hors de sa victime[100] :
« Si l'on tarde à chasser l'ennemi, l'ennemie, le mort, la morte, ou n'importe quelle chose exécrable, alors l'ennemi du ciel divisera le ciel, l'ennemi de la terre renversera la terre, etApophis s'emparera de la barque des millions d'années ; l'eau ne sera pas donnée à celui qui est dans le cercueil, celui qui est àAbydos, ne sera pas enseveli, celui qui est dansBousiris, ne sera pas caché, on n'exercera pas des rites pour celui qui est dansHéliopolis, on ne présentera pas d'offrandes aux dieux dans leurs temples, les hommes ne présenteront plus d'offrandes à aucun dieu dans aucune fêtes.
Mais si l'on chasse le mort et la morte, l'ennemi et l'ennemie, l'adversaire mâle et l'adversaire femelle, et les choses exécrables qui sont dans ce corps-ci […] alors le ciel restera stable sur ses quatre piliers, la terre restera dans sa position, l'eau sera donnée à celui qui est dans le cercueil, celui qui est àAbydos, sera enseveli, celui qui est dansBousiris sera caché, on exercera des rites pour celui qui est dansHéliopolis, on présentera des offrandes aux dieux dans leurs temples, les hommes présenteront des offrandes à tous les dieux dans toutes leurs fêtes aussitôt que le mort, la morte, l'ennemi, l'ennemie, l'adversaire mâle, l'adversaire femelle sortiront sur la terre du corps de (nom du malade), fils de (nom de la mère). »
Très anciennement, le dieu funéraire d'Abydos fut le canidéKhentamentiou « celui qui préside les Occidentaux (les défunts) », vénéré depuis la fin de la période prédynastique[102]. Si le culte d'Osiris s'installa dans la ville sous laVe dynastie, il ne prit son essor qu'à partir de laPremière Période intermédiaire, ce qui provoqua la fusion des deux divinités funéraires sous laXIe dynastie, lorsque le roiAntef II fit passer Abydos sous son autorité. Osiris supplanta alors complètement Khentamentiou et ce dernier devint une simple appellation d'Osiris[103]. AuMoyen Empire, la ville d'Abydos s'érigea en tant que lieu principal du culte osirien. Cependant son apogée se situa sous laXIXe dynastie quand les roisSéthi Ier etRamsès II entreprirent de grands travaux.
Le prestige de lanécropole d'Abydos est très ancien car il remonte très loin dans l'histoire ; les tombes ou lescénotaphes des premiers rois égyptiens y étant situés. Les recherches archéologiques ont ainsi mis au jour des tombes royales remontant à ladynastie égyptienne zéro (Scorpion Ier), mais aussi des deux dynasties thinites (Ire etIIe dynastie). Par la suite, la nécropole royale fut transférée plus au nord, àMemphis (Saqqarah). Abydos devint alors un lieu semi-mythique des origines de la royauté[104]. Le tombeau du roiDjer, édifié vers l'an 3000 avant notre ère fut identifié par les croyants duMoyen Empire, (soit un millénaire plus tard), comme étant celui du dieu Osiris[105]. Cette tombe devient auNouvel Empire un lieu de pèlerinage[102].
AuMoyen Empire, le prestige d'Abydos tenait au fait que la ville était la dépositaire d'une relique osirienne confiée par les dieux ; ces derniers ayant trouvé la tête d'Osiris non loin de la nécropole :
« Le 19 du quatrième mois du printemps, c'est le jour où fut trouvée la tête établie dans le Gebel de l'Ouest.Anubis,Thot etIsis s'étaient rendus à la nécropole ; un oiseau-qebeq et un loup veillaient sur elle. Thot souleva la tête, et trouva sous elle un scarabée. Alors, il fit qu'elle reposât dans la nécropole d'Abydos jusqu'à ce jour. On a appelé Abydos : la ville du scarabée, à cause de cela. Quant à l'oiseau-qebeq, c'est Horus, maître deLétopolis. Quant au loup, c'est Anubis. »
La relique est un objet sacré mais fragile. Dans la crainte d'un éventuel attentatséthien, la relique est déposée et cachée dans unreliquaire. Ces derniers peuvent prendre différentes formes, coffre, obélisque, vase, peau d'animal. La relique d'Abydos est renfermée dans une corbeille juchée sur un poteau :
« Quant au reliquaire-insout, c'est une corbeille de roseaux (n sout), c'est-à-dire de jonc. La tête du dieu y est enveloppée. Autrement dit, le reliquaire est appelé « roi » (nesout) à cause de la tête (qui y est placée) dans un coffre mystérieux inconnu. Celui-ci est une corbeille de (joncs) tressés, une châsse dont on ignore ce qui est à l'intérieur. La tête vénérable avec une couronne blanche est en elle, faite en pâte, enveloppé d'or. Sa hauteur est de trois palmes, trois doigts (28,2 cm). »
— Mur du temple deDendérah. Traduction de Sylvie Cauville[107].
Les temples égyptiens étaient des lieux fermés au public profane. La statue du dieu restait cachée tout le long de l'année dans lenaos (ou saint des saints) de l'édifice religieux. Cependant le dieu sortait annuellement au dehors du temple. Cette sortie était le prétexte d'une grande fête où lors de quelques moments forts, tout un chacun pouvait participer. ÀAbydos, cette sortie se déroulait en début d'année au commencement de la saison de l'inondation. La statue du dieu Osiris transportée dans une barque quittait son temple pour se rendre en grande pompe jusqu'à sa tombe située dans un lieu dénommé Ro-Peker. Là, on commémorait sa mort puis son triomphe sur ses ennemis. Après cela, la statue regagnait son temple[108]. Les festivités osiriennes d'Abydos s'inspirent des rituels funéraires royauxmemphites du temps des pyramides et célébrés pour les pharaons décédés de l'Ancien Empire, transposés sur le plan divin et répétés annuellement pour Osiris[109].
Ikhernofret, sursa stèle conservée àBerlin, relate les évènements festifs qui se sont déroulés sous sa direction, durant la19e année du règne du roiSésostris III. Alors âgé de vingt-six ans, il est envoyé sur ordre royal à Abydos. Il doit rendre hommage à Osiris, en le comblant d'or après une victoire du roi contre lesNubiens. Avant de participer aux célébrations osiriennes en jouant le rôle d'Horus, Ikhernofret fait rénover la barqueNeshmet, fait façonner des statues et fait reconstruire leurs chapelles[110]. Les festivités se déroulent en quatre actes :
La procession d'Oupouaout, l'Ouvreur de Chemin. La divinité est ici une manifestation d'Horus qui combat au nom de son père Osiris contre ses ennemis séthiens. Les ennemis sont symboliquement écrasés lors d'un rituel magique où des statuettes de cires et des vases les représentants sont malmenés puis détruits[111].
« Je « jouai » la sortie de « l'Ouvreur-de-chemins », lorsqu'il s'avance pour venger son père ; je chassai les ennemis de la barque Neshmet, je repoussai les ennemis d'Osiris. Je « jouai » ensuite une grande sortie, tandis que Thot dirigeait droitement la navigation. »
La procession de la barqueNeshmet. C'est la grande procession des funérailles du dieu Osiris. La statue du dieu, dans sa barque, quitte le temple en direction de la nécropole. Ce rituel sacré est si grand que même les défunts souhaitent y prendre part. La formule magique 138 duLivre des Morts permet ainsi d'y assister post-mortem[113].
« J'avais équipé d'une belle chapelle la barque (appelée) « Celle qui apparaît en gloire grâce à laVérité-Justice », et, ayant fixé ses belles couronnes, voilà le dieu qui s'avance vers Peker, je nettoyai le chemin qui mène à son tombeau face à Peker. »
La fête de Haker, la nuit d'Horus le combattant. Cette nuit correspond dans le culte funéraire à la nuit de la justification où le jugement du mort est ritualisé pendant des veillées nocturnes[114].
« Je vengeaiOunennéfer (Osiris), en ce fameux jour du Grand Combat, et je terrassai tous ses ennemis sur la rive de Nedyt. »
La procession vers le temple d'Osiris. C'est le dernier acte de la fête avec le retour triomphal de la statue du dieu Osiris vers son temple, justifié et ressuscité[115].
« Je fis qu'il s'avance à l'intérieur de la barque (appelée) « la Grande » et que celle-ci portât sa beauté. Je réjouis le cœur des collines du désert occidental, je créai l'exultation dans ces collines, lorsqu'« elles » virent la beauté de la barque Neshmet, tandis que j'abordai à Abydos, (la barque) qui ramenait Osiris, seigneur de la ville, vers son palais. Je suivis le dieu dans sa maison, fis qu'il se purifie et qu'il rejoigne son trône… »
AuMoyen Empire, le roiSésostris III de laXIIe dynastie a encouragé le culte d'Osiris àAbydos en renouvelant le matériel cultuel, en faisant construire un temple d'Osiris et pour lui-même un complexe funéraire pyramidal[116]. À cette même époque, un grand nombre de particuliers aisés, motivés par leur piété envers Osiris, se font construire des chapelles-cénotaphes sur la « Terrasse du Grand Dieu » près du temple d'Osiris. Ces bâtiments sont édifiés en briques crues et sont entourés d'un enclos rectangulaire. Certaines chapelles présentaient une salle voûtée où se trouvait la statue du défunt avec des stèles votives encastrées dans les murs intérieurs. D'autres étaient pleines avec des stèles fixées sur les murs extérieurs. Le point central de ces constructions étaient donc des stèles célébrant la mémoire du défunt et de sa famille[117]. Ces pièces archéologiques se trouvent aujourd'hui dispersées dans les musées du monde entier. En 1973, 1 120 stèles allant de laVIe à laXIVe dynastie ont été inventoriées ; 961 d'entre elles invoquent Osiris[118]. À la fin de laXIIe puis sous laXIIIe dynastie ces stèles ne sont plus un privilège pour les fonctionnaires de haut rang. Des personnes de condition modeste déposent des stèles dans des chapelles plus petites où se les font déposer dans un monument d'un particulier plus aisé. La stèle du harpiste Néferhotep a ainsi été déposée par son ami Nebsoumenou, porteur de briques, dans la chapelle d'Iki, supérieur des prêtres[119]. Cette pratique funéraire perdure auNouvel Empire et durant laBasse Époque.
HolgerKockelmann, « L'Abaton, tombe et lieu de culte sur la première cataracte »,Égypte, Afrique et Orient n°60, Avignon, 2010/2011,p. 31-44(ISSN1276-9223).
La version du 18 septembre 2011 de cet article a été reconnue comme « bon article », c'est-à-dire qu'elle répond à des critères de qualité concernant le style, la clarté, la pertinence, la citation des sources et l'illustration.