Movatterモバイル変換


[0]ホーム

URL:


Aller au contenu
Wikipédial'encyclopédie libre
Rechercher

Origines des Juifs d'Afrique du Nord

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.
Juif algérien auXIXe siècle.

La présence d'établissementsjuifs en Afrique du Nord concerne dans cet article leMaghreb (Libye,Tunisie,Algérie etMaroc)[Note 1]. L'origine desJuifs enÉgypte est abordée dans l'articleHistoire des Juifs en Égypte.

La présence juive est attestée dès leIIIe siècle av. J.-C. Les communautés juives sont renforcées par diverses vagues d'immigration, notamment à la suite de ladestruction de Jérusalem par Titus en 70[1],[2] et lors des diversespersécutions dans lapéninsule Ibérique.

Lejudaïsme nord-africain joue à plusieurs reprises un rôle significatif dans l'histoire juive. Son origine est cependant mal connue et est débattue par les historiens, certains estimant que la majeure partie sinon la totalité du contingent est issue desconversions, tandis que d'autres suggèrent une origine majoritairementjudéenne.

Cet article ne traite pas de l'apportespagnol au judaïsme nord-africain, mieux connu et traité dans les articles relatifs aux Juifs deTunisie, d'Algérie et duMaroc.

Études génétiques

[modifier |modifier le code]
Article détaillé :Études génétiques sur les Juifs.

Les études récentes qui lèvent petit à petit le voile sur le mystère de l'origine des Juifs d'Afrique du Nord, suggèrent que lepatrimoine génétique des Juifs d'Afrique du Nord provient majoritairement duProche-Orient avec toutefois une contributioneuropéenne etafricaine, probablementberbère, minoritaire mais significative[3] et qu'il reste proche du patrimoine génétique des autres communautés juives (Ashkénaze etMizrahim)[4].

Ainsi, en 2012, une étudeautosomale (portant sur les 22chromosomes homologues ouautosomes plutôt que sur les lignées maternelles ou paternelles) de Campbell et ses collègues a montré que les Juifs d'Afrique du Nord (Maroc, Algérie, Tunisie,Djerba et Libye) forment un groupe proche des autres populations juives dont l'origine se trouve auMoyen-Orient avec un apport minoritaire mais significatif degènes d'Afrique du Nord représentant 20 % de leurgénome[5]. Deux sous-groupes principaux ont été identifiés marocain/algérien d'une part et djerbien/libyen d'autre part (les Juifs de Tunisie étant partagés entre les deux sous-groupes)[6]. Les auteurs ajoutent que cette étude est compatible avec l'histoire des juifs d'Afrique du Nord à savoir une fondation durant l'Antiquité avec unprosélytisme des populations locales suivi d'un isolement génétique durant la période chrétienne et islamique et enfin un mélange avec les populationsjuives séfarades émigrées durant et après l'Inquisition.

Origine juive de nombreux Juifs du Maghreb

[modifier |modifier le code]

Outre les juifs déjà présents auMaghreb à l'époque romaine et mentionnés plus haut, une importante immigration juive enMaurétanie se produit auVIIe siècle, à la suite des persécutions dont sont victimes lesJuifs d'Espagne de la part du roiwisigothSisebut et de ses successeurs[7].

Les armées arabes qui font ensuite laconquête du Maghreb, toujours auVIIe siècle, sont suivies de commerçants juifs duYémen et d'Égypte qui pratiquent lejudaïsme babylonien.Kairouan, enTunisie, devient vite un centre de l'orthodoxie juive, qui s'oppose aux pratiques judéo-berbères trop hétérodoxes[8]. Dès sa fondation, la ville de Kairouan, devient la ville la plus populeuse et prospère de Tunisie, en dehors deTunis. Des Juifs d'Arabie, d'Égypte et deCyrénaïque y affluent rapidement, confirmant les récits d'historiens arabes qui affirment que lecalifeomeyyadeAbd al-Malik demanda à son frère, Abd al-Aziz, gouverneur d'Égypte, d'envoyer 1 000 famillescoptes ou juives pour s'y installer. Ils sont bientôt rejoints, à la fin duVIIe siècle, par une seconde vague d'immigrants, alors que le territoire est sous la direction d'Hassan Ibn Numan, le vainqueur de laKahena.

Gérard Nahon avait soutenu cette thèse en affirmant que les juifs d'Afrique du Nord parlentarabe dès leVIIIe siècle mais connaissent aussi l'hébreu et l'araméen, langues des études sacrées[9].

Selon le spécialiste du Moyen-Orient Daniel Zisenwine, il y avait des contacts, surtout commerciaux, entre les communautés juives maghrébines et européennes à l'époque précoloniale. Les principaux points de contact étaientLivourne enItalie, avec son port fréquenté par les commerçants tunisiens, etMarseille enFrance, avec son port pour le commerce avecl'Algérie et leMaroc. La région du Maghreb produisait des épices et du cuir, des chaussures aux sacs à main. Comme beaucoup de Juifs maghrébins étaient des artisans et des commerçants, ils avaient des liens avec leurs clients européens[10].

Premières attestations de centres juifs en Afrique du Nord

[modifier |modifier le code]

Selon les historiensRichard Ayoun etBernard Cohen, l’origine des Juifs d'Afrique du Nord est très ancienne et mal connue. Compte tenu de la faible documentation historique sur cette période, il n'y a aucune certitude sur l'origine des premiers juifs dans la région. Pour l'historienne Karen Stern aussi, ce qui caractérise l'histoire des Juifs de l'Afrique du Nord romaine reste son obscurité, alors que nous disposons de plus d'information sur lesJuifs d'Égypte ou deCyrénaïque.

Les sourcesépigraphiques n'ont pas été complètement étudiées[11] mais selon laJewish Encyclopedia[12], elles sont rares, ce qui laisse penser que les juifs étaient alors peu nombreux. Cependant, à l'époque de la rédaction duTalmud, soit au cours duIer siècle ap. J.-C, une forte présence juive semble attestée entre la ville deSur (Tyr) etCarthage:

« Rabbi Yehouda a dit au nom de Rab que, entre Syr etCarthage, les nations reconnaissaient Israël et le Père qui est aux cieux, mais que, depuis Syr vers l’ouest et depuis Carthage vers l’est, les nations ne reconnaissent ni Israël ni le Père qui est aux cieux[13]  »

Yann Le Bohec[14] pense aussi à une immigration desJuifs d'Italie, car les premières traces sont écrites enlatin. Le pèreDelattre, attribue aussi l'origine de la communauté juive à desjudéo-chrétiens[14].

Plusieurs évènements historiques ont successivement renforcé la présence juive, notamment lors de laprise de Jérusalem par Titus en 70. En effet,Titus auraitdéporté jusqu'à 30 000 Juifs deJudée àCarthage.Flavius Josèphe, quant à lui, estime à 500 000 les juifs des colonies grecques de Cyrénaique[4]. Sous le règne du RomainTrajan, éclate la violenteinsurrection des juifsde Cyrénaïque jusqu'àAlexandrie etChypre. Celui-ci, après les avoir écrasés, déporte les survivants dans la province deMaurétanie auMaghreb actuel.

PourPaul Monceaux, il est probable qu'il existât une communauté juive dans la Carthagepunique[15]. Mais les témoignages de cette présence ne deviennent nombreux et significatifs qu'à l'époque romaine et Carthage paraît être le centre de cette présence juive, avec particulièrement lanécropole juive deGammarth[16],[17]. Comme les autres Juifs de l’Empire, ceux d'Afrique romaine sontromanisés de plus ou moins longue date, portent des noms latins ou latinisés, arborent latoge et parlent le latin, même s’ils conservent la connaissance dugrec, langue de ladiaspora juive de l’époque[18]. L'épigraphie retrouvée indiquerait que les premiers Juifs établis auraient deux origines possibles ; la ville d'Ostie enItalie, qui en commerce avecCarthage, était connue comme foyer d'une communauté juive et d'une importantesynagogue et les régions deCyrène etAlexandrie, colonies à l'origine grecques et foyers, elles aussi, d'une importante communauté juive, qui s'était révoltée contreRome lors de larévolte juive des années 115-117[19].

Maurice Sartre affirme qu'« il est indiscutable qu'il n'y a pas eu d'exil général des Juifs à la suite des révoltes de 66-70 et de 132-135, et encore moins d'expulsion »[20], même s'il y a eu, pour des raisons économiques de surpopulation essentiellement, des déplacements de population à courte distance, notamment deJudée enGalilée, entre l'époque desMaccabées et leIIe siècle[21]. De même, dans un entretien télévisé[22], Sartre relativise l'importance des mouvements de population consécutifs aux deux destructions duTemple de Jérusalem. Flavius Josèphe, le seul historien contemporain de lachute du Temple ne parle, lui, que de 97 000 prisonniers juifs lors de laprise de Jérusalem, sans préciser leur destination dans l'Empire romain[23].

En Libye

[modifier |modifier le code]
Article détaillé :Histoire des Juifs en Libye.
Deux femmes juives de Tripoli en habit traditionnel,1914.

AuIer siècle avant l'ère commune, une importante présence juive àCyrène est attestée parStrabon cité par Flavius Josèphe : « Il y avait à Cyrène quatre (classes) : les citoyens, les laboureurs, les métèques et les juifs. Ceux-ci ont déjà envahi toutes les cités… »[24].

Selon l'historienPaul Sebag, l'expansion dujudaïsme en Afrique du Nord s'est faite en partie par la fuite des Juifs deCyrénaïque venu de l'Est du continent àCyrène (actuelleLibye).En l'an115, de nombreux Juifs de Cyrénaïque fuirent le pays devant la rude répression deMarcius Turbo et trouvèrent refuge parmi les populationsberbères dans la vallée du l'ouedRigh et duMzab dans l'actuelle Algérie et à l'extrémité de la Tunisie[25].Sebag écrit dans son ouvrage dédié auxJuifs de Tunisie :

« On a de sérieuses raisons de penser que le judaïsme commença à se répandre parmi les populations berbères de massifs montagneux et des confins du désert aux lendemains de l'insurrection des Juifs de Cyrénaïque au début duIIe siècle. La nombreuse population juive établie de longue date en ce pays était d'origine judéenne, mais les descendants… à force de vivre au milieu de populations berbères, avaient sans doute fini par se « berbériser » par leur langue et par leur manière de vivre… Nombre d'entre eux (…) purent facilement répandre leurs croyances et leurs pratiques parmi les Berbères auprès desquels ils avaient trouvé refuge. Amorcée dès cette époque, la judaïsation des Berbères se serait obscurément poursuivie duIIe siècle auVIe siècle pour ne recevoir des persécutions byzantines qu'une nouvelle impulsion[26].  »

SelonFlavius Josèphe, la présence juive àCyrène et en Libye est due àPtoléméeIer (305-283) qui demande à des Juifs d'Alexandrie de s'y établir pour lui permettre de mieux assurer son contrôle de la région[27]. Comme Alexandrie, Cyrène était une colonie grecque[28]

En Tunisie

[modifier |modifier le code]
Article détaillé :Histoire des Juifs en Tunisie.
« Famille juive » en Tunisie,Revue régionale illustrée (juin 1900).

Mais ce n'est qu'auIIe siècle que la présence des Juifs enTunisie devient incontestable[29], grâce à l'existence de nombreuses communautés faisant preuve deprosélytisme[30] et facilitant ainsi l'apparition duchristianisme[31]. Le plus ancien témoignage décrivant cette situation est l'œuvre deTertullien qui évoque tout à la fois les juifs et lespaïensjudaïsants d'originepunique, romaine et berbère[32] et souligne la coexistence initiale entreJuifs etchrétiens[33]. Pour ce qui concerne la pratique religieuse, celle-ci voit se mêler lecture desSaintes Écritures enhébreu et engrec ancien et les cérémonies accueillent régulièrement des chrétiens et des païens quise convertissent pour certains d'entre eux, d'abord en ne suivant que partiellement laloi juive (ger toshav) avant de voir leurs enfants se convertir totalement (ger tsedeq)[30]. Et le succès que rencontre le judaïsme pousse d'ailleurs les autorités à tenter de freiner les conversions par le biais de la loi[30] alors que Tertullien rédigeAdversus Judaeos (Contre les Juifs)[34] où il défend les principes du christianisme[33].

Un autre témoignage de cette présence juive dans la Carthage romaine est fourni par leTalmud de Jérusalem, achevé auVe siècle qui mentionne plusieurs rabbins de Carthage : Rabbi Isaac, Rabbi Hanan et Rabbi Abba[35].

À l'appui de ce témoignage sont venues s'ajouter des découvertes archéologiques comme celles d'unenécropole juive àGammarth, au nord de Carthage, la capitale de l'Afrique romaine. Formée de 200 chambres creusées dans la roche et abritant jusqu'à 17 complexes de tombes (kokhim) chacune, elle a d'abord été considérée comme punique avant que le Père Delattre ne mette en évidence, à la fin duXIXe siècle, la présence de symboles juifs et d'inscriptions funéraires en hébreu,latin et grec[36].

Par ailleurs, unesynagogue duIIIe ouIVe siècle[36],[32] a été découverte à Naro (actuelleHammam Lif), au sud-est de Tunis, en1883[37]. La mosaïque couvrant le sol de la salle principale, qui comporte une inscription latine mentionnantsancta synagoga naronitana (sainte synagogue de Naro), atteste la présence d'une communauté juive mais aussi de l'aisance de ses membres qui reproduisent alors des motifs pratiqués dans toute l'Afrique romaine, démontrant de fait la qualité de leurs échanges avec les autres populations[38]. D'autres communautés juives sont attestées par des références épigraphiques ou littéraires àUtique,Chemtou,Hadrumète ou Thusuros (actuelleTozeur)[39]. ÀKelibia, une mosaïque représentant desmenorot est découverte en 2007 par l'Institut national du patrimoine (INP) au pied de la forteresse et remonterait auVe siècle ap. J.-C[40],[41].

En Algérie

[modifier |modifier le code]
Article détaillé :Histoire des Juifs en Algérie.

En Algérie proprement dite, la présence juive est attestée dans la région deConstantine dès les premiers siècles de l'ère commune, comme le montrent des épitaphes (en latin)[42] qu'on y a découvertes[43].Augustin (354-430) écrit un « Traité contre les Juifs ». Puis, les historiens arabes signalent la présence de Juifs dans la région duTouat, dans le sud-ouest algérien dès leVe siècle[44].

Au Maroc

[modifier |modifier le code]
Inscription funéraire au nom en grec de Caecilianus
Inscription funéraire au nom en grec de Caecilianus, mort à l'âge de quarante-cinq ans, huit mois, trois jours. Le défunt est qualifié de chef de la communauté juive de Volubilis et père de sa synagogue. Calcaire duIIIe siècle.
Article détaillé :Histoire des Juifs au Maroc.

AuMaroc, la présence juive est attestée dans la ville romaine deVolubilis[45], probablement avant leIIe siècle et une synagogue y existait[46]. Des inscriptions funéraires juives en grec et en hébreu y ont été découvertes ainsi qu'à Sala, l'ancienneSalé[47].

Théorie des Berbères judaïsés

[modifier |modifier le code]

L'un des principaux artisans de la théorie des Berbères judaïsés estNahum Slouschz, d’origine russe. Il est principalement connu pour sa thèse de doctorat,La Renaissance de la littérature hébraïque (1902)[48]. Slouschz développe sa théorie dans son livreArchives Marocaines. Cette idée est également reprise parStéphane Gsell[49].

Les Juifs d'Afrique du Nord se livrent auprosélytisme comme en témoigne, vers l'an 200,Tertullien[50] qui vivait àCarthage. Mais nous ne savons pas l'importance de ce prosélytisme.

La principale source qui documente la possibilité de conversions importantes parmi les Berbères est l’historien médiévalIbn Khaldoun pour qui, avant laconquête musulmane du Maghreb, plusieurs tribus berbères pratiquaient lejudaïsme[51]. Il rapporte :

« Une partie des Berbères professait le judaïsme, religion qu’ils avaient reçue de leurs puissants voisins, les Israélites de la Syrie. Parmi les Berbères juifs, on distinguait les Djeraoua, tribu qui habitait l’Aurès et à laquelle appartenait la Kahena, femme qui fut tuée par les Arabes à l’époque des premières invasions. Les autres tribus juives étaient les Nefouça, Berbères de l’Ifrikïa, les Fendelaoua, les Medîouna, les Behloula, les Ghîatha et les Fazaz, Berbères du Maghreb-el-acsa[51] ».

Ibn Khaldoun distinguait donc :

  • lesDjeraoua (ouDjerawa), tribu qui habitait lesAurès et à laquelle appartenait laKahena, reine guerrière berbère qui fut tuée par les Arabes à l’époque des premières invasions ;
  • lesNefousas (ouNefzaouas), lesBerbères de l’Ifriqiya ;
  • lesFendelaoua, lesMedîouna, lesBehloula, lesGhîatha et lesFazaz, Berbères duMaghreb-el-acsa (nom arabe correspondant auMaroc).

Les tribus citées par Ibn Khaldoun sont originaires de l’actuelleTunisie (ancienneIfriqiya), desAurès dans l'actuelleAlgérie et de l’actuelMaroc. MaisIbn Khaldoun ne donne pas plus de précisions sur ces tribus. Dans d’autres chapitres de sonL’Histoire des Berbères, Ibn Khaldoun traite de la résistance de laKahena à la conquête arabe ou de l’histoire des tribus citées mais sans plus mentionner leur religion.

Émile-Félix Gautier bâtit sur ce passage une construction historiographique. Il supposa que les juifs deCyrénaïque, insurgés en 117 et écrasés par les armées deTrajan, s’étaient enfuis dans le désert libyen. Là, ils auraient converti des groupesnomades, qui, bientôt maîtres de l’élevage du dromadaire, commencèrent une migration dévastatrice vers l’ouest, dont l’installation des Djeraouas dans l’Aurès aurait été un des moments essentiels. Sans être acceptée dans tous ses détails, la théorie eut un grand succès au milieu du siècle dernier, et conforta la thèse de laKahena juive. D’ailleurs, ajoutait-on, le nom même de celle-ci n’évoquait-il pas les Kohen, les prêtres juifs ?

La thèse que les Juifs de la période préislamique sont le plus souvent issus de tribus berbères qui furentconverties au judaïsme est également soutenue par plusieurs autres historiens[52].

Dès 1963, l’historien israélien Haim Zeev Hirschberg, en retraduisant le texte d’Ibn Khaldoun et en reprenant de manière rigoureuse l’ensemble du dossier, remit en cause cette interprétation, et de manière générale l’existence de grandes tribus berbères juives à la fin de l’Antiquité. Hirschberg considère que les Berbères judaïsés ne constituent qu'une fraction très minoritaire des Juifs d'Afrique du Nord[53]. En étudiant systématiquement les traditions anciennes, il parvient à la conclusion qu’il y a peu de preuves confirmant la thèse des Berbères judaïsés. D’après lui, la plupart des communautés se formèrent beaucoup plus tard, grâce à l’arrivée de commerçants juifs à l’intérieur du pays. Bien qu’il n’exclue pas qu’il ait pu exister des Berbères judaïsés, Hirschberg est sceptique quant à l’importance de ce phénomène[53]. Dans son article publié en 1971,Mohamed Talbi souligne qu'Ibn Khaldoun fait suivre son paragraphe sur les Berbères juifs par le passage suivant[54] :

« C’est Idris le Grand... qui, en se proclamant souverain du Maghreb, vint y effacer les dernières traces des différentes religions et confessions qui avaient subsisté (après l’islamisation). En effet, comme nous l’avons déjà mentionné, les Berbères d’Ifrîqiyya et du Maghreb étaient, avant l’Islam, sous la domination des Francs (Latins ?) et professaient le christianisme, religion qu’ils partageaient avec Byzance. Telle était la situation lorsque commencèrent les invasions musulmanes »

Ce texte refute l'idée acceptée par des nombreux auteurs qui écrivent sur ce sujet qui considèrent qu'Ibn Khaldoun décrit la situation la veille de la conquête musulmane du Maghreb. Comme l'indiqueGabriel Camps, les deux tribus berbères,Djerawa etNefzaouas, étaient de confession chrétienne avant l’arrivée de l’Islam[55].Alexandre Beider souligne la mention de la Syrie dans ce passage d'Ibn Khaldoun[56]. Pourquoi Ibn Khaldoun parle-t-il de la Syrie ? Où exactement vivaient, d’après lui, les Berbères à l’époque de leur conversion présumée au judaïsme et à quelle époque fait-il en réalité allusion ? Pour trouver des réponses à ces questions il suffit de regarder d’autres pages du même volume du même livre d’Ibn Khaldoun. On y lit que :

« les Berbères... descendent de Cham, fils de Noé, et ont pour aïeul Berber, fils de Temla, fils de Mazîgh, fils de Canaan, fils de Cam... On n’est pas d’accord, dit Ibn-el-Kelbi, sur le nom de celui qui éloigna les Berbères de la Syrie. Les uns disent que ce fut David qui les en chassa.... D’autres veulent que ce soit Josué, fils de Noun... El-Bekri les fait chasser de la Syrie par les Israélites, après la mort de Goliath, et il s’accorde avec El-Masoudi à les représenter comme s’étant enfuis dans le Maghreb à la suite de cet événement »[57].

En d'autres termes, les auteurs arabes cités par Ibn Khaldoun parlent ici des temps bibliques et, de plus, l’histoire en question s’incruste dans un texte, purementmythologique, concernant des origines des Berbères au Proche Orient les liant aux événements décrits dans laBible et aux personnages y figurant[56].

SelonHaïm Zafrani, la théorie selon laquelle la majorité des Juifs d'Afrique du Nord seraient d'origine berbère est soutenue par un certain nombre d'historiens[58]. Mais, H. Zafrani indique que leTalmud suggère que ces tribus, bien que judaïsantes, ne se convertissaient pas selon laHalakha. L'auteur ajoute que « nous nous trouvons devant un vide profond et un silence quasi total des sources quant à la période qui sépare l'époque romaine la plus tardive des débuts de la conquête arabe. Avec cette conquête, on assiste à uneislamisation progressive des populations autochtones ou immigrées, y compris une bonne partie des tribus berbères judaïsées »[58]. Ainsi, les sources historiques ne permettent pas de dire dans quelle mesure les juifs d'Afrique du Nord descendent de ces tribus berbères judaïsées.

Daniel J. Schroeter invite à garder un esprit critique quant à l'importance et à la véracité de la théorie des Berbères judaïsés. En effet, il rappelle que « quelle que soit notre opinion au sujet de la conversion des tribus berbères au judaïsme dans l’Antiquité, on peut affirmer que des mythes sur les juifs berbères ont existé au Moyen Âge et que ces mythes concernaient également l’origine des Berbères dans leur ensemble. Ces mythes ont été élaborés afin de légitimer le pouvoir mérinide auXIVe siècle, avant d’être reformulés durant la période coloniale. L’historicité des légendes sur l’expansion du christianisme et du judaïsme parmi les Berbères à l’époque pré-islamique a pu servir les besoins de l’administration coloniale dans sa volonté de séparer les Berbères des Arabes. »[59]

Analyse linguistique selon Paul Wexler

[modifier |modifier le code]

Dans son étude non conventionnelle fondée sur lalinguistique, Paul Wexler[60],linguiste israélien, conclut : « les Juifs séfarades sont les descendants en premier lieu des Arabes, des Berbères et d'Européens convertis au judaïsme entre la période de la création, enAsie occidentale, en Afrique du Nord et dans leSud de l'Europe, des communautés de la première diaspora juive et leXIIe siècle de notre ère, approximativement. La composante judéo-palestinienne de cette population séfarade était minimale. »[61]. Wexler est arrivé à cette conclusion en examinant l'évolution des langues parlées par ces populations. Ces langues ont des origines d'une hétérogénéité surprenante mais ne contiennent que très peu d'élémentsjudéens[62]. Des mots d'originejudéo-arabe du Maghreb et des vestiges de coutumes berbères se retrouvent. Si l'influence de la languearabe y était dominante au niveau syntaxique, l'influenceberbère y était encore plus grande du point de vue du bagage culturel-religieux.

En revanche, l'hébreu et l'araméen n'apparurent vraiment dans les textes juifs qu'à partir duXe siècleapr. J.-C. Ce ne furent donc pas des exilés ou des émigrés de Judée arrivés en Espagne auIer siècle de notre ère qui apportèrent avec eux leur langue d'origine[60]. L'hypothèse émise est donc que les premiers bourgeonnements du judaïsme dans lapéninsule Ibérique firent leur apparition au cours des premiers siècles de l'ère chrétienne, véhiculés par des soldats, desesclaves et des commerçants romains convertis[63]. Plus tard, la cruauté duroyaume wisigoth à l'égard des Juifs et des nouveaux convertis, surtout au cours duVIIe siècle, incita un grand nombre d'entre eux à s'enfuir et à émigrer en Afrique du Nord[64].

Analyse onomastique selon Alexander Beider

[modifier |modifier le code]

PourAlexander Beider spécialiste de l'onomastique juive,« la théorie selon laquelle une grande partie des juifs du Maghreb descend des Berbères convertis au judaïsme est purement spéculative. » Il montre que tous les arguments basés sur les noms de famille suggérés par les partisans de la théorie des Berbères judaïsés tentant de rattacher ces noms aux prosélytes berbères au judaïsme sont indéfendables. Pire, il s'avère que pour corroborer ses thèses, le fondateur de cette théorie,Nahum Slouschz est allé jusqu'à inventer des noms de lieu qui n'ont jamais existé. De plus, l'origine berbère n'est valable que pour plusieurs dizaines de noms de famille juifs du Maroc, ainsi que quelques noms de famille dans l'est de l'Algérie. Ces noms sont apparus dans les communautés juives qui utilisaient unidiome berbère commelangue vernaculaire. Rien n'indique qu'ils existaient déjà au Moyen Âge[65].

« C'est la considération du corpus des prénoms et des idiomes judéo-arabes qui apporte à cette théorie le coup de grâce : aucun substrat berbère n’y est identifiable. »

Beider souligne que le texte d’Ibn Khaldoun ne laisse aucun doute sur la signification du nom rendu dans la traduction française comme laKahena. Il s’agit d’une transcription du nom commun arabekâhina كَاهِنَة « celle qui prédit l’avenir », précédé par l’article défini arabeal- (traduit comme « la » en français). Ibn Khaldoun indique que son vrai nom était Dihya (ou Dahya), alors queal-Kâhina n’était que son sobriquet. Sûrement, ce surnom ne corrobore pas sajudéïté et encore moins son lien imaginé avec les prêtres juifs. Toutefois, Alexander Beider précise bien que son travail n'aborde pas la question de l'origine des Juifs qui vivaient avant leXIVe siècle en Afrique du nord. Mais rien n'indique que leur origine soit différente de celle des Juifs de l'espace arabo-musulman qui s’était formé après les invasions arabes et qui incluait l'Afrique du Nord, l'Espagne et la Sicile[65].

Sources

[modifier |modifier le code]

Sur les autres projets Wikimedia :

Articles connexes

[modifier |modifier le code]

Notes

[modifier |modifier le code]
  1. « Ce qu’il est d’usage d’appeler l’Afrique du Nord comprend le Maghreb c’est-à-dire le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et la Libye : tous ces pays ont été originellement peuplés de tribus berbères et ont subi l’influence de diverses colonisations : carthaginoise sur le littoral maghrébin, grecque en Cyrénaïque, romaine, vandale, byzantine dans toute la partie septentrionale de l’Afrique jusqu’à l’Atlantique et arabe jusqu’au Sahara. »D'aprèsLes Juifs en Afrique du Nord parDavid Bensoussan

Références

[modifier |modifier le code]
  1. Allouche-Benayoun et Doris Bensimon 1989,p. 12-13
  2. Richard Ayoun et Bernard Cohen,Les Juifs d'Algérie, deux mille ans d'histoire, éd. J-C Lattès, Paris 1982,p. 27
  3. Dans son étude Lucotte rapporte en effet une proportion de 27 % d'Haplotypes IV et V, qu'il considère comme africains, chez les Juifs d'Afrique du Nord (soit Haplotype V : 18,6 % et Haplotype IV : 8,4 %). Cette fréquence est de 3,1 % chez les Ashkenazes, de 10,7 % chez les juifs orientaux, de 17,3 % chez les Palestiniens et de 20,4 % chez les Libanais,Y-chromosome DNA haplotypes in Jews: comparisons with Lebanese and Palestinians, Lucotte et al. 2003
  4. a etb(en)Christopher L. Campbella, Pier F. Palamarab, Maya Dubrovskyc, Laura R. Botiguée, Marc Fellous, Gil Atzmong, Carole Oddoux, Alexander Pearlman, Li Hao, Brenna M. Henn, Edward Burns, Carlos D. Bustamante, David Comas, Eitan Friedmanc, Itsik Pe'er et Harry Ostrera, « North African Jewish and non-Jewish populations form distinctive, orthogonal clusters », surPNAS, Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America
  5. Fig. 5. Fraction of genome with ancestry labeled as reference population, Campbell et al. 2012
  6. (en) Campbell C, Palamarab F, Dubrovskyc M, Botiguée L, Fellous M, Atzmong G, Oddouxa C, Pearlman A, Haoi L, Hennj B, Burnsg E, Bustamantej C, Comase D, Friedman E, Pe'er E and Ostrer H, « North African Jewish and non-Jewish populations form distinctive, orthogonal clusters »,PNAS,‎(lire en ligne)
  7. (en)William Marçais, « Algeria », surJewish Encyclopedia
  8. Allouche-Benayoun et Doris Bensimon 1989,p. 13. Ces auteurs citent Ansky :Les Juifs d'Algérie, du décret Crémieux à la Libération, Paris, Éditions du Centre, 1950,p. 18
  9. Gérard Nahon,Le judaïsme algérien, de l'Antiquité au décret Crémieux, dans lesNouveaux Cahiers,no 29, 1972, page 1-13
  10. NaomiLubrich, « Qui étaient les juifs d’Afrique du Nord? Quatre questions à Daniel Zisenwine », surJüdisches Museum der Schweiz,(consulté le)
  11. Stern 2008,p. 1
  12. (en) William Marçais, « Algeria », surJewish Encyclopedia
  13. Talmud, traité Ménachoth 110a
  14. a etbStern 2008,p. 2
  15. Monceaux 1902,p. 2
  16. Monceaux 1902,p. 4
  17. Bernard Allali, « La nécropole juive de Gammarth, Arts et traditions populaires des Juifs de Tunisie »,
  18. Sebag 1991,p. 30.
  19. http://www.akadem.org/sommaire/themes/histoire/diasporas/les-juifs-sefarades/les-juifs-au-maghreb-dans-l-antiquite-02-03-2011-12841_77.php
  20. Sartre 2009,p. 16
  21. Sartre 2009,p. 17-18.
  22. Entretien télévisé de Maurice Sartre.
  23. Flavius Josèphe, « La guerre des Juifs, VI, 420 »
  24. Flavius Josèphe, « Antiquités judaïques, XIV, 7, 2 », sursite de Philippe Remacle
  25. [1] Sur le site alger-roi.fr
  26. Cités dansSebag 1991,p. 35
  27. Flavius Josèphe, « Contre Appion, livre II, IV », surPhilippe Remacle
  28. « Site archéologique de Cyrène », surUNESCO Centre du patrimoine mondial(consulté le).
  29. Sebag 1991,p. 21.
  30. ab etcSebag 1991,p. 25.
  31. Sebag 1991,p. 22.
  32. a etbJacques Taïeb,Sociétés juives du Maghreb moderne (1500-1900),p. 25
  33. a etbSebag 1991,p. 26.
  34. Tertullien,Adversus Judaeos, traduit par E.-A. de Genoude, 1852 (Tertullian Project)
  35. Talmud de Jérusalem XVI, I ; Kil. Ib, Babylone Bera, 29a ; Ketoufot, 27b ; Baba Kamma, 114b (cité dansRichard Ayoun et Bernard Cohen,Les Juifs d'Algérie, deux mille ans d'histoire,Jean-Claude Lattès,)
  36. a etbSebag 1991,p. 27.
  37. Jean-Pierre Allali, « Les Juifs de Tunisie. Saga millénaire »,L'Exode oublié. Juifs des pays arabes, éd. Raphaël, Le Mont-Pèlerin, 2003
  38. Sebag 1991,p. 28.
  39. Sebag 1991,p. 28-29.
  40. « Mise au jour d'un monument sacré du judaïsme en Tunisie », surRTL Belgique,(consulté le)
  41. « Tunisie : De nouveaux vestiges d'une présence juive antique »
  42. (en) David Corcos, « Constantine », surJewish Virtual Library
  43. (en)Isidore Singer etIsaac Broydé, « Constantine », surJewish Encyclopedia
  44. (en) « Tuat », surJewish Virtual Library
  45. « Liste du patrimoine mondial - Volubilis (Maroc) », surUnesco
  46. Yann Le Bohec, « La Maurétanie Tingitane : le Maroc des Romains », surClio,(consulté le)
  47. Yassir Benhima, « Quelques remarques sur les conditions de l’islamisation du Maghreb al-Aqsā : aspects religieux et linguistiques »(consulté le)
  48. (en)NahumSlouschz (translated by Henrietta Szold),The Renascence of Hebrew Literature (1743-1885), The Jewish Publication Society of America,,1re éd.(lire en ligne), « Translator's note »,p. 5–6
  49. « North African Mosaic: A Cultural Reappraisal of Ethnic and Religious Minorities », Nabil Boudraa & Joseph Krause,p. 172
  50. Tertullien, « Contre les Juifs », surThe Tertullian Project
  51. a etbIbn Khaldoun,Histoire des Berbères et des dynasties musulmanes de l’Afrique septentrionale, traduction de William McGuckin de Slane, éd. Paul Geuthner, Paris, 1978,tome 1,p. 208-209.
  52. Voir, par exemple, Richard Ayoun, Bernard Cohen,Les Juifs d’Algérie, édition Jean-Claude Lattès.
  53. a etbH. Z. Hirschberg, « The problems of the Judaized Berbers »,The Journal of African History, 4, 1963.p. 312-339
  54. YvesModéran,Les Maures et l’Afrique romaine (IVe – VIIe siècle), Publications de l’École française de Rome,(ISBN 9782728310036,lire en ligne),p. 199
  55. Gabriel Camps,Les Berbères – Aux marges de l’histoire.
  56. a etbAlexander Beider,Les origines (pseudo-)berbères des Juifs du Maghreb »,Généalo-J: Revue du Cercle de Généalogie Juive, 135, 2018.p. 18-24
  57. Ibn Khaldoun,Histoire des Berbères et des dynasties musulmanes de l’Afrique septentrionale, traduction de William McGuckin de Slane, éd. Paul Geuthner, Paris, 1978,tome 1,p. 176-177.
  58. a etbHaïm Zafrani,Juifs d'Andalousie et du Maghreb, Maisonneuve & Larose, 2002,p. 22
  59. La découverte des juifs berbères.
  60. a etb(en) Paul Wexler,The non-Jewish origins of the Sephardic Jews, New York, SUNY,(lire en ligne).
  61. Wexler 1996,p. XV.
  62. Wexler 1996,p. 105-106.
  63. Alfredo M. Rabello,Les Juifs d'Espagne avant la conquête arabe, à la lueur de la législation (en hébreu), Jérusalem, Zalman Shazar, 1983,p. 29-30
  64. The Jews in the Visigothic and Prankish Kingdoms of Spain and Gaul (1937), Solomon Katz New York, Kraus Reprint, 1970,p. 42-56. Chapitre « Jewish Proselytism » qui traite du rapport des Wisigoths à la conversion
  65. a etbBeider 2018

Voir aussi

[modifier |modifier le code]

Bibliographie

[modifier |modifier le code]

Lien externe

[modifier |modifier le code]
v ·m
Histoire des Juifs en Afrique du Nord
OrigineOrigines des Juifs d'Afrique du Nord
Articles par pays
Algérie
Article de qualitéLibye
Maroc
Article de qualitéTunisie
Langues
Ce document provient de « https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Origines_des_Juifs_d%27Afrique_du_Nord&oldid=228670648 ».
Catégories :
Catégories cachées :

[8]ページ先頭

©2009-2025 Movatter.jp