Heaviside est né au55 Kings Street[3](actuelPlender Street) àCamden Town à Londres. Enfant chétif et roux, il souffre de lascarlatine et son audition en est affectée. Un modeste héritage permet à sa famille de déménager dans un quartier plus agréable deCamden lorsqu'il a treize ans, où il est scolarisé à laCamden House Grammar School. Il est bon élève, et en sort cinquième sur cinq-cents étudiants en 1865. Cependant, ses parents ne pouvant pas poursuivre sa scolarisation après l'âge de 16 ans, il quitte définitivement l'école et continue son éducation en autodidacte pendant un an[4].
Son oncle par alliance,Sir C. Wheatstone (1802-1875), qui est un expert renommé des télégraphes et de l'électromagnétisme, et qui co-invente dans les années 1830 le premier télégraphe commercialisable, se penche sur l'éducation de son neveu avec attention[5]. Il l'envoie àNewcastle upon Tyne pour travailler dans l'une de ses entreprises de télégraphe, sous la direction du frère aîné de Charles, Arthur.
Deux ans plus tard, Heaviside commence à travailler en tant qu'opérateur de télégraphe pour le compte de laGreat Northern Telegraph Company qui établissait alors une liaison entre Newcastle et leDanemark. Il devient alors électricien et continue d'étudier en autodidacte, si bien qu'à 22 ans, il publie un article dans lePhilosophical Magazine sur l'utilisation optimale d'unpont de Wheatstone[6]. Cet article entraîne des réactions enthousiastes de la part deLord Kelvin et deJ. C. Maxwell, ces derniers ayant échoué à résoudre le problème.
Sa candidature à laSociety of Telegraph Engineers est rejetée en 1873 au prétexte qu'ils« n'acceptaient pas d'opérateurs de télégraphes ». Vexé par ce refus, il finit par être admis grâce au soutien de Lord Kelvin et du président de la société[4]. C'est aussi en 1873 qu'il découvre le récent et bientôt notoireTreatise on Electricity and Magnetism(en) deMaxwell. Il en dira plus tard :
« Je me souviens de la découverte du célèbre traité de Maxwell, lorsque je n'étais qu'un jeune homme… J'ai mesuré à quel point il était immense, plus grand si ce n'est le plus grand de tous, et les opportunités prodigieuses qu'il apportait… J'étais déterminé à en maîtriser le contenu et me mis au travail. J'étais alors vraiment ignorant. Je ne connaissais pas l'analyse mathématique (ayant seulement appris l'algèbre et la trigonométrie à l'école, que j'avais en grande partie oubliées) et il a fallu organiser mon travail moi-même. Plusieurs années ont été nécessaires pour en saisir le contenu aussi bien que possible. J'ai ensuite mis Maxwell de côté pour poursuivre mon propre chemin. J'ai alors progressé plus vite… Il faut bien comprendre que je prêche l'Évangile selon ma propre interprétation de Maxwell[5],[trad 1]. »
Poursuivant ses recherches à la maison, il participe au développement de la théorie des lignes de transmission et de l'équation des télégraphistes. Ses travaux ont beaucoup aidé à la mise en œuvre pratique des télégraphes ; il a en effet prouvé qu'en distribuant l'inductance de façon uniforme le long du télégraphe, et en lui donnant une valeur suffisamment élevée, on pouvait atténuer les pertes et supprimer le phénomène dedispersion — c'est-à-dire le fait que les différentes fréquences composant un signal ne se propagent pas à la même vitesse[7].
Les années à sont consacrées au développement ducalcul opérationnel qui permet de ramener leséquations différentielles à deséquations polynomiales. Sa méthode déclenche une controverse du fait de son manque de rigueur, et il y répond avec une phrase restée célèbre :
« Les Mathématiques sont une science expérimentale, les définitions ne sont pas posées dès le départ, mais apparaissent progressivement. Elles s'imposent d'elles-mêmes, lorsque le sujet d'étude est suffisamment mûr[8],[trad 2]. »
Il défend également son point de vue par l'analogie suivante :« Devrais-je renoncer à mon dîner au prétexte que je ne comprends pas totalement le processus de la digestion ?[trad 3] »
En 1887, Heaviside travaille avec son frère Arthur sur un article intituléThe Bridge System of Telephony. Ce papier est bloqué par le supérieur d'Arthur,W. H. Preece duGeneral Post Office. L'article propose en effet d'ajouter uneinductance grâce à desbobines d'induction aux téléphones et aux télégraphes, notamment auxcâbles télégraphiques transatlantiques, pour corriger la distorsion qui affectait les signaux. Preece s'était opposé à l'usage d'inductances dans ce contexte, et il semblerait qu'il cherchait à préserver sa réputation en entravant les publications de Heaviside. Ce dernier est d'ailleurs convaincu que Preece se trouve derrière le renvoi de l'éditeur deThe Electrician qui a eu pour conséquence le rejet de tous ses articles jusqu'en 1891[9]. Les deux hommes se détestaient de longue date ; Heaviside considérait Preece comme incompétent en mathématiques, une accusation appuyée parPaul J. Nahin :« Preece était fonctionnaire, puissant et très ambitieux, tout en étant un remarquable imbécile. » Ce dernier s'attaquait aux publications de Heaviside pour ne pas avoir à admettre ses propres erreurs[3].
L'importance des publications effectuées dans "The Electrician" n'est pas comprise avant de nombreuses années, et les découvertes appartenaient alors encore au domaine public. En,AT&T demande à G. A. Campbell etM. I. Pupin d'étudier les travaux de Heaviside pour tenter de les mettre en défaut, ou d'en étendre la portée. Ces efforts débouchent sur une série de brevets, notamment concernant la fabrication des bobines d'inductance inventées par Heaviside. Le respect d'AT&T pour Heaviside pousse l'entreprise à lui proposer de l'argent en échange des droits sur ses inventions, mais il refuse la somme qui lui est proposée si elle n'est pas accompagnée de la reconnaissance complète de sa paternité sur ces inventions. Heaviside vivait pourtant dans la pauvreté, rendant ce refus de l'offre encore plus frappant[10].
Ce contretemps pousse toutefois Heaviside à s'intéresser à un autre sujet, celui durayonnement électromagnétique[9], dans deux publications de et. Il y calcule les déformations des champs électrique et magnétique au voisinage d'une charge en mouvement, et ce qu'il se passe lorsqu'elle pénètre un milieu plus dense. On y trouve en germes une prédiction de l'effet Tcherenkov, et des éléments qui ont inspiré à son amiG. FitzGerald l'idée de lacontraction des longueurs. En, Heaviside établit pour la première fois l'expression de la force magnétique appliquée sur une charge en mouvement[11], à savoir la composante magnétique de laforce de Lorentz.
Dans les années et, il s'intéresse au concept demasse électromagnétique(en). Il la considère comme une masse matérielle classique qui produirait les mêmes effets. Dans le cas de vitesses faibles,W. Wien a été en mesure de confirmer sa théorie. En, les contributions de Heaviside à la description mathématique des phénomènes électromagnétiques sont reconnues par laRoyal Society qui l'accueille commeFellow. L'année suivante, laRoyal Society consacre une cinquantaine de pages dans sesPhilosophical Transactions à ses méthodes de calcul vectoriel appliquées à la théorie électromagnétique.
En, FitzGerald etJ. Perry obtiennent via laliste civile une rente de 120 £ annuelles pour Heaviside, qui vivait alors àDevon. Ils le persuadent de l'accepter, sachant qu'il avait déjà rejeté d'autres offres de la part de laRoyal Society. En, il prédit l'existence de couches conductrices pour les ondes radio qui leur permettent de suivre la courbure de la Terre. Ces couches, situées dans l'ionosphère, sont appeléescouches de Kennelly-Heaviside du nom deA. Kennelly, physicien américain qui eut la même intuition que lui, et sont détectées en parE. Appleton.
Des années plus tard, son comportement devient très excentrique. D'après son associé B. A. Behrend, il devient un ermite avec une telle aversion pour les gens qu'il livre les manuscrits de ses thèses sur l'électricité dans une épicerie, où ses éditeurs peuvent les récupérer. Malgré sa pratique active du cyclisme durant ses jeunes années, sa santé se met à sérieusement décliner lorsqu'il atteint la soixantaine. Il commence à signer ses lettres en ajoutant l'acronyme "W.O.R.M." après son nom, qui en anglais se traduit parver. Il est également rapporté que Heaviside arbore un vernis à ongles rose et possède des blocs de granit à titre de mobilier. En, il devient le premier bénéficiaire de la médaille Faraday, créée cette année-là et attribuée pour des inventions scientifiques notables dans le domaine de l'ingénierie industrielle.
Heaviside meurt le àTorquay dans le comté britannique de Devon, et est enterré aucimetière de Paignton avec son père, Thomas Heaviside (-) et sa mère, Rachel Elizabeth Heaviside. Sapierre tombale est restaurée grâce à un donateur anonyme dans le courant de l'année. Il n'est réellement reconnu qu'à titre posthume.
Pierre tombale des Heaviside, avant et après la restauration de 2005.
Les publications, correspondances, cahiers de notes et documents divers concernant les travaux de Heaviside sur les télécommunications sont conservés dans les archives de l'Institut d'Ingénierie et de Technologie.
Heaviside contribue beaucoup à promouvoir l'usage de l'analyse vectorielle en électromagnétisme[12]. La formulation originale deMaxwell comprend 20 équations et 20 variables. Heaviside emploie lerotationnel et ladivergence pour réduire 12 d'entre elles aux quatre équations utilisées en 2020. La version de Heaviside des équations de Maxwell est légèrement différente de l'originale, qui s'avère être plus adaptée aux applications en mécanique quantique[13]. Il évoque également l'existence potentielle d'ondes gravitationnelles en se basant sur une analogie entre l'inverse du carré de la distance dans les lois de l'électrostatique et de la gravitation[14]. Il participe au développement desquaternions hyperboliques dans le but de régler des problèmes de signe liés à l'utilisation des quaternions.
Heaviside développe la théorie deslignes de transmission qui a permis de décupler le débit des transmissions transatlantiques, passant d'un caractère transmis toutes les dix minutes à un caractère par minute. De même, il établit que les transmissions téléphoniques sont améliorées en plaçant uneinductance en série avec le câble[10],[a]. Il a également redécouvert levecteur de Poynting[16].
Heaviside fait l'hypothèse que les couches supérieures de l'atmosphère contiennent une couche correspondant à l'ionosphère. Il prédit l'existence de ce qui serait appelé plus tard la « couche de Kennelly-Heaviside ». En,E. V. Appleton reçoit leprix Nobel de Physique pour avoir prouvé son existence.
Portrait d'Oliver Heaviside réalisé par Frances Hodge.
Les nombreuses publications de Heaviside ainsi que l'action de ses amis influents lui ont apporté de nombreuses reconnaissances qu'il ne paraissait pas forcément apprécier à cause de sa décision de vivre en ermite.