Si vous disposez d'ouvrages ou d'articles de référence ou si vous connaissez des sites web de qualité traitant du thème abordé ici, merci de compléter l'article en donnant lesréférences utiles à savérifiabilité et en les liant à la section « Notes et références ».
Si ce bandeau n'est plus pertinent, retirez-le. Cliquez ici pour en savoir plus.
Certaines informations figurant dans cet article ou cette section devraient être mieux reliées aux sources mentionnées dans les sections « Bibliographie », « Sources » ou « Liens externes »().
L’ochlocratie (dugrec ancienὀχλοκρατία /okhlokratía, formé deokhlos, « foule » et–kratos, « pouvoir », via lelatin :ochlocratia) est unrégime politique dans lequel la foule (okhlos) a le pouvoir d'imposer sa volonté[1]. La création de ce terme est souvent attribuée àPolybe (200-120 avant J.-C.), même s'il est probable qu'il provienne en vérité de l'école péripatéticienne comme le rappelle l'historienneJacqueline de Romilly[2]. Le mot fut adopté par la langue française pendant lesguerres de Religion, avant d'être exploité de nouveau entre lachute de Robespierre et le début de la IIIe République, d'après l'historien du droit Oscar Ferreira[3]. Pendant un siècle et demi, le terme tomba en désuétude, mais a été débattu dans les ouvrages dephilosophie politique.
Ochlocratie n'est pas un synonyme de démocratie au sens degouvernement par le peuple. Le termefoule, non le termepeuple, est employé : il suggère dans un sens péjoratif la foule en tant que masse manipulable ou passionnelle. On parle alors dephénomènes de foule, souvent provoqués par ladémagogie ou lepopulisme. Ce trait l'oppose à des formes de gouvernement politique supposées plusrationnelles ou du moins raisonnables, qu'elles soient démocratiques ou non, et pour cela considérées plus souhaitables par principe. En ce sens, ce système politique a toujours excité les craintes des acteurs politiques, y compris des révolutionnaires français, du moins après le tournant du Directoire. Avant la chute de Robespierre, en effet, le concept rencontrait des partisans, en particulier du côté des jacobins, dans la mesure où la foule leur servit de gardien de l'ordre légal à reconstruire après la chute de l'Ancien Régime[4]. Depuis, les politiques ont surtout imaginé des moyens de repousser le pouvoir de la foule, en particulier après l'avènement du suffrage universel qui faisait craindre le pire. Levote familial ou corporatif en un est exemple célèbre[5].
Longtemps présent dans les dictionnaires français, le mot avait disparu du vocabulaire politique depuis la fin du XIXe siècle : leDictionnaire de l'Académie française ne comporte ainsi plus ce terme depuis sa huitième édition de 1932-1935[6].
Toutefois, depuis la fin de l'année 2018, à la suite dumouvement des Gilets jaunes, le mot et son concept ont refait surface dans les médias. L'entrée « ochlocratie » a ainsi réintégré plusieurs dictionnaires majeurs, commeLe Petit Robert en2019[7],[8].
Ce gouvernement par lafoule porte la connotation péjorative implicite d'une série d'associations stéréotypes entre foule, vulgarité, médiocrité et exiguïté, cette dernière étant définie commecaractère de ce qui est insuffisant en quantité[9]. Autrement dit elle est stigmatisée comme entité ontologiquement inapte. En 1584, l'écrivain anglaisJohn Stockwood décrit l'ochlocratie comme unÉtat dans lequel les personnes grossières décident de toute chose d'après leur propre intérêt. Pour les Grecs, l'okhlos, c'est ce qui est inférieur audèmos. Dans cette perspective, l'ochlocratie se caractérise par une décomposition de la loi et des mœurs. C'est lorsque la démocratie dégénère en chaos politique, lutte quotidienne entre les individus et règne de la force. Elle est alors dépeinte comme une configuration historique prépolitique, par contraste aux formes politiques qui sont jugées préférables selon ces vues. C'est-à-dire qu'elle serait en dehors de la politique caractérisée par l'existence d'une conscience collective et d'une auto-organisation de la Cité (lapolis), favorisant la responsabilisation, la coopération et la cohabitation des personnes qui en constitue la communauté.
Le philosopheJacques Rancière développe dans son ouvrageAux bords du politique[10], l'idée selon laquelle l'okhlos« ne serait pas l'addition désordonnée des appétits des individus mais "la passion de l'Un qui exclut", c'est-à-dire le rassemblement haineux des hommes effrayés. Pour qu'il y ait démocratie, il faudrait alors que ledèmos agisse comme élément de division de l'okhlos, qu'une partie de la multitude refuse son incorporation au Un totalisant de la collectivité. »
L'ochlocratie est, dans la théorie de l'anacyclose – théorie cyclique de la succession des régimes politiques[11] — formulée par l'historien grecPolybe (admise parCicéron dans leDe Republica, et reprise parMachiavel) — le pire de tous les régimes politiques. C'est le stade ultime de la dégénérescence du pouvoir. Polybe décrit un cycle en six phases qui fait basculer lamonarchie dans latyrannie, à laquelle fait suite l'aristocratie qui se dégrade enoligarchie, puis de nouveau ladémocratie entend remédier à l'oligarchie, mais sombre, dans une sixième phase, dans le pire des régimes qui est l'ochlocratie[12], où il ne reste plus qu'à attendre l'homme providentiel qui reconduira à la monarchie.
Dans leContrat social,Jean-Jacques Rousseau définit l'ochlocratie comme la dégénérescence de ladémocratie :« En distinguant, la démocratie dégénère en Ochlocratie »[13] L'origine de cette dégénérescence est une dénaturation de la « volonté générale », qui cesse d'être générale dès qu'elle commence à incarner les intérêts de certains, d'une partie de la population, et non de la population tout entière[14]; il peut s'agir, à la limite, d'une « volonté de tous », non d'une « volonté générale ».
En 1791, le philosophe écossaisJames Mackintosh (1765-1832) considère, dans sonVindiciae Gallicae, que « l'autorité d'une populace corrompue et tumultueuse doit plutôt être considérée comme une ochlocratie qu'une démocratie, comme le despotisme de la cohue, et non le gouvernement du peuple ».
↑Jacqueline de Romilly, « « Le Classement des constitutions d’Hérodote àAristote » »,Revue des Études Grecques,no 72,,p. 94-95.(lire en ligne)
↑OscarFerreira, « “ La démocratie dans toute sa pureté ”. Une longue histoire de la sortie en politique du concept d'ochlocratie (1780-1880) »,Revue de la Recherche Juridique - Droit prospectif,vol. 147,no 147,, p. 605–648(lire en ligne, consulté le)
↑Oscar Ferreira, « Un rempart paternaliste à l’ochlocratie : le droit de vote des pères et chefs de famille. Regards franco-portugais, de la fin du XVIIIe siècle à nos jours »,Droit prospectif. Revue de la recherche juridique,vol. 2023-1,,p. 15-49(lire en ligne)
↑Oscar Ferreira, « "La démocratie dans toute sa pureté". Une longue histoire de la sortie en politique du concept d'ochlocratie (1780-1880)" »,Revue de la recherche juridique,, p. 607
Oscar Ferreira,La démocratie dans toute sa pureté. Une longue histoire de la sortie en politique du concept d'ochlocratie (1780-1880), dans Revue de la Recherche Juridique. Droit prospectif, 2013-2 (lire en ligne)
Oscar Ferreira,Le pouvoir de la foule. Horizon de la démocratie, Paris, Eska, 2019, 144 p.