Le roman se compose de cinquante-neuf chapitres répartis en onze livres de longueur inégale.
Victor Hugo écrit son manuscrit de septembre 1830 à janvier 1831. La taille de celui-ci ne permettant pas la publication en deux volumes, comme prévu initialement avec son éditeurCharles Gosselin, en mars 1831, trois chapitres sont retirés de la première édition par l'auteur. Il s'agit du chapitre « Impopularité » (IV, 6) ainsi que les deux chapitres formant le livre V (« Abbas beati Martini » et « Ceci tuera cela »)[1].
Pour la deuxième édition du roman, considérée comme définitive car incluant ces trois chapitres, parue chezEugène Renduel en décembre 1832, Hugo s'amusa à inventer, dans la préface, une histoire de feuillets manuscrits perdus et retrouvés[1],[2].
Pierre Gringoire. Dessin de Luc-Olivier Merson, vers 1888-1889.
L'intrigue se déroule àParis en1482. Les deux premiers livres (I etII) du roman suiventPierre Gringoire, poète sans le sou. Gringoire est l'auteur d'unmystère qui doit être représenté le auPalais de justice en l'honneur d'une ambassadeflamande. Malheureusement, l'attention de la foule est vite distraite, d'abord par le mendiantClopin Trouillefou, puis par les ambassadeurs eux-mêmes, et enfin par l'organisation improvisée d'une élection du Pape des fous à l'occasion de laFête des Fous qui a lieu ce jour-là. Le sonneur decloches de lacathédrale Notre-Dame de Paris,Quasimodo, est élu Pape des Fous en raison de sa laideur. Le mystère finit par s'arrêter, faute de public. Gringoire, à cette occasion, entend parler d'Esmeralda, une danseusebohémienne, donc « égyptienne » (selon la conception de l’époque sur les Gitans). L'ayant aperçue, il la suit dans les rues de Paris à la tombée de la nuit. Esmeralda manque d'être enlevée par Quasimodo accompagné d'un mystérieux homme vêtu de noir (qui se révélera être l'archidiacre de Notre-Dame,Claude Frollo), mais elle est sauvée par l'intervention d'un capitaine de la garde,Phœbus de Châteaupers. Gringoire, qui a été renversé lors de l'intervention, reprend ses esprits un peu plus tard et erre dans les rues, se retrouvant sans le vouloir au cœur de lacour des Miracles, le quartier hanté par les pires truands de la capitale. Il manque d'y être pendu, et doit la vie à l'intervention d'Esmeralda qui le prend pour mari, mais seulement pour le sauver.
Le livreIV, au cours d'uneanalepse, revient sur les conditions dans lesquelles Frollo a adopté Quasimodo et sur la jeunesse de l'archidiacre. Il était un enfant dur, rigide et triste. Sa vie est entièrement consacrée à la quête du savoir, et il ne porte d'affection qu'à deux personnes : son frère cadet Jehan élevé par lui, un écolier dissipé qui passe son temps au cabaret et dans les maisons de passe ; et le bossu Quasimodo, qu'il a adopté à quatre ans quand il le vit exposé comme enfant trouvé dans la cathédrale. Frollo a fait serment de ne pas avoir de relations sexuelles avec des femmes, dont il a une piètre opinion, et il déteste les bohémiens.
Au livreV, Frollo, à qui son savoir et ses connaissances en théologie ont permis de devenir archidiacre de Notre-Dame, reçoit la visite deJacques Coictier, médecin du roi, accompagné d'un mystérieux visiteur, le « compère Tourangeau ». Tous trois discutent de médecine et d'alchimie, et, en partant, le mystérieux personnage révèle être l'abbé de Saint-Martin de Tours, c'est-à-dire leroiLouisXI en personne. Au cours de la discussion, Frollo a fait allusion à la révolution technique que représente l'invention de l'imprimerie : le livre va provoquer le déclin de l'architecture, qui représentait jusqu'à présent l'œuvre la plus aboutie de l'esprit humain. Dans le chapitre suivant, « Ceci tuera cela », Hugo développe cette réflexion de son personnage.
Au livreVI, Quasimodo est jugé auChâtelet pour sa tentative de rapt. L'affaire est écoutée par un auditeur sourd, et Quasimodo est sourd lui-même : le procès est unefarce, et Quasimodo, sans avoir été écouté et sans avoir rien compris, est condamné à deux heures depilori enplace de Grève et à une amende. Sur la place de Grève, dans un entresol, se trouve le « Trou aux rats », qui sert de cellule à une recluse volontaire, la sœur Gudule. Un groupe de femmes, Gervaise, Oudarde et Mahiette, discute non loin de là ; Mahiette raconte l'histoire de Paquette, surnommée la Chantefleurie, dont l'adorable fillette a été enlevée quinze ans plus tôt par des bohémiens alors qu'elle n'avait pas un an, et remplacée par un enfant bossu dont on comprend qu'il s'agit de Quasimodo, plus tard recueilli par Frollo. La Chantefleurie aurait été rendue folle de douleur par la perte de sa fille, qu'elle n'a jamais retrouvée, et qui a été déclarée morte après la découverte d’indices laissant penser qu’elle a été dévorée par des Bohémiens. Mahiette est persuadée que sœur Gudule n'est autre que la Chantefleurie, car celle-ci garde dans sa cellule un petit chausson d'enfant, seul souvenir de sa fille. De plus, la recluse voue une haine féroce aux bohémiens, et en particulier à Esmeralda. Peu après cette conversation, Quasimodo est amené en place de Grève et subit son supplice. Il doit son seul réconfort au geste généreux d'Esmeralda qui lui donne à boire.
Les principaux personnages représentés dans une illustration defrontispice signéeAimé de Lemud (Notre-Dame de Paris, Perrotin éditeur,Garnier frères, 1844).
Pierre Gringoire : le personnage de Gringoire s'inspire librement du poète et dramaturge réel du même nom. Dans le roman, Gringoire est un artiste sans le sou qui cultive une philosophie du juste milieu. Il suit Esmeralda jusqu'à lacour des Miracles, puis est sauvé de la pendaison lorsqu'elle accepte de se marier avec lui (même si elle n'éprouve pas le moindre sentiment à son égard). Gringoire se fait alors truand.
Esmeralda : (appelée « la Esmeralda » dans le roman) bohémienne séjournant à la cour des Miracles, âgée de seize ans, elle gagne sa vie en dansant dans les rues de Paris et sur le parvis de Notre-Dame. Remarquable par sa beauté, elle incarne l'innocence, la naïveté et la noblesse d'âme. Les désirs qu'elle suscite sont le principal engrenage de la fatalité qui lui coûte également la vie à la fin du roman. Le malheur d'Esmeralda est causé par l'amour impossible qu'elle éveille chez l'archidiacre de Notre-Dame,Claude Frollo, qu'elle craint et déteste. De son côté, Esmeralda entretient une passion naïve et aveugle pour Phœbus de Châteaupers, un capitaine de la garde dont elle admire la beauté. Le bossu de Notre-Dame, Quasimodo, qui éprouve envers elle un amour sans illusion, tente en vain de lui faire comprendre que la beauté ne fait pas tout. Considérée par tous comme une « Égyptienne », Esmeralda est en réalité la fille perdue d'uneRémoise nommée Paquette. En effet, le roman dévoile qu'Esmeralda et Quasimodo sont des enfants échangés à leur jeune âge.
Claude Frollo : lointainement inspiré d'un personnage réel, Claude Frollo estl'archidiacre de Notre-Dame, mû par sa foi et son appétit de savoir. Frollo entretient son frère Jehan, après la mort de ses parents causée par la peste en 1466. Par la suite, il a recueilli et élevé Quasimodo. Il se trouve déchiré entre son amour pour Dieu et la passion mêlée de haine qu'il voue à Esmeralda.
Quasimodo : Quasimodo est lecarillonneur de Notre-Dame et ne sort quasiment jamais de la cathédrale. Nébossu, borgne et boiteux, il devint en plus sourd à cause des cloches. Frollo l'a adopté et élevé depuis ses quatre ans alors qu'il venait d'être abandonné. Il est le seul à savoir communiquer avec lui, par signes. Quasimodo apparaît au début du roman comme une brute à la botte de Frollo, mais se révèle ensuite doté de sensibilité et d'intelligence. L'amour et le dévouement qu'il porte à Esmeralda finissent par supplanter son obéissance envers Frollo. Le roman dévoile qu'Esmeralda et Quasimodo sont des enfants échangés à leur jeune âge.
Jehan Frollo : le jeune frère de Claude Frollo est un étudiant dissipé qui fréquente les truands de la Cour des Miracles, mais compte aussi Phœbus de Châteaupers parmi ses connaissances de taverne. Lors de l'assaut de la cathédrale, il meurt fracassé contre la muraille de la cathédrale puis jeté dans le vide par Quasimodo.
Phœbus de Châteaupers : capitaine de la garde, il est attiré par la gitane Esmeralda sans avoir de réels sentiments pour elle. Il est déjà fiancé à Fleur-de-Lys, qui s'avère très jalouse de sa rivale.
Paquette : surnommée aussila Chantefleurie,la recluse,la sachette, ousœur Gudule. Originaire de Reims, cette femme a choisi de vivre enfermée dans leTrou aux Rats, depuis que sa fille d'un an (qu'elle chérissait) a été enlevée par des bohémiens venus d'Égypte et échangée contre un enfant de quatre ans, hideux, boiteux et borgne (dont on comprend qu'il s'agit de Quasimodo). Elle croit sa fille morte et voue une haine féroce aux Égyptiens en général et à la Esmeralda en particulier.
Fleur-de-Lys de Gondelaurier : fiancée de Phœbus, elle est très jalouse d'Esmeralda.
LouisXI : cruel, avare et calculateur, le roi de France n'apparaît que dans quelques scènes, mais il joue un rôle décisif dans la répression de la révolte des truands qui tentent de sauver Esmeralda. Intéressé par la quête de lapierre philosophale, il vient à Notre-Dame sous une fausse identité, celle du « compère Tourangeau », pour s'entretenir d'alchimie avecClaude Frollo.LouisXI apparaît fréquemment comme un personnage machiavélique dans les œuvres romantiques duXIXe siècle, et en particulier dans les romans deWalter Scott[3].
La liberté guidant le peuple (28 juillet 1830) d'Eugène Delacroix représente lesTrois Glorieuses qui surviennent pendant la rédaction deNotre-Dame de Paris.
Victor Hugo lisant le mot « ἈΝΆΓΚΗ » (fatalité) dans l'escalier des tours de Notre-Dame. Dessin deLouis Boulanger, maison de Victor Hugo,XIXe siècle.
En juin 1830, Hugo commence à rassembler la documentation nécessaire au roman, et rédige, en juin ou en juillet, un premier plan détaillé. Fin juillet, il commence à peine la rédaction du premier chapitre lorsque laRévolution de Juillet éclate à la suite des ordonnances impopulaires prises par le roiCharles X. Hugo met précipitamment sa famille à l'abri et confie ses biens, dont ses manuscrits, à son beau-frère ; pendant ces déménagements, il égare un cahier contenant deux mois de notes de recherches documentaires. Il parvient à négocier un nouveau délai de deux mois, portant l'échéance au1er février 1831[8]. Début septembre, il reprend la rédaction du roman, qui se poursuit cette fois sans nouvelle interruption majeure[9]. Dans une lettre à Gosselin le 4 octobre, Hugo indique que le roman sera probablement plus long que prévu, et demande à disposer de trois volumes, au lieu des deux prévus initialement : Gosselin refuse catégoriquement, à cause des dépenses supplémentaires que cela occasionnerait, ce qui contraint Hugo à mettre de côté trois chapitres (« Impopularité », « Abbas beati Martini » et « Ceci tuera cela »), qu'il compte bien publier plus tard dans une édition complète chez un autre éditeur[10]. La rédaction du roman est achevée le 15 janvier[9].
La première édition deNotre-Dame de Paris paraît ainsi chez Gosselin le 16 mars 1831, précédée d'une brève préface où Hugo évoque l'inscription, gravée enlettres grecquesmajuscules« ἈΝΆΓΚΗ » (c'est-à-direAnanké, qu'il choisit de traduire par « Fatalité ») qu'il aurait vue« dans un recoin obscur de l'une des tours » et qui lui aurait inspiré le roman[9]. Dans cette préface, Hugo inclut une critique brève mais sévère contre les restaurations hâtives dont sont victimes les monuments historiques en général et Notre-Dame de Paris en particulier. Le 12 décembre 1832, libéré de son contrat, Hugo publie chezEugène Renduel une deuxième édition, définitive, intégrant les trois chapitres absents de l'édition Gosselin, ainsi qu'une « Note ajoutée à l'édition définitive »[11]. Dans cette note, Hugo invente l'histoire d'un cahier contenant les trois chapitres qui se serait égaré et n'aurait été retrouvé qu'après la parution de la première édition, ce qui lui permet de passer sous silence ses démêlés avec Gosselin[12]. Il insiste par ailleurs sur le fait que les chapitres sont inédits et non pas nouveaux.
« Hugoth » : dans cette caricature de Victor Hugo parMichel Delaporte,« la silhouette du grand homme se fond dans l'architecture gothique qu'il vient de magnifier » au moyen de son roman (journal satiriqueLa Charge, 1833)[13].
Au moment de sa parution, le roman de Hugo reçoit dans la presse française des critiques en majorité élogieuses[14]. En mars 1831, la critique de laRevue de Paris salue en particulier le talent avec lequel Hugo fait revivre le Paris duXVe siècle, et la façon dont il fait de la cathédrale« la grande figure du roman, sa véritable héroïne peut-être »[15].Paul Lacroix, dans le numéro de mars-avril 1831 duMercure du XIXe siècle, considère lui aussi la cathédrale comme« en quelque sorte le personnage principal du livre », et apprécie surtout la façon dont le roman, qu'il qualifie d'« immense ouvrage », coordonne ses différents éléments, ainsi que« la variété des tons et des couleurs […] l'alliance merveilleuse de la science à l'imagination »[15]. LeJournal des débats, en juin-juillet 1831, salue la puissance imaginative du roman, qui rend notamment possible la reconstitution duParis médiéval, mais aussi la variété et l'éclat de son style[15].
Plusieurs critiques et écrivains, tout en formulant des avis favorables à propos du roman, lui reprochent un manque de spiritualité dans son évocation de la cathédrale et de la religion.Charles de Montalembert, dans le journalL'Avenir des 11 et 28 avril 1831, indique qu'il est de son devoir de signaler comme une erreur un« penchant vers la matière » qui prédomine selon lui dans le roman, et affirme plus loin :« on n'y voit nulle trace d'une main divine, nulle pensée de l'avenir, nulle étincelle immortelle ».Sainte-Beuve, dans un article paru en juillet 1832 dans leJournal des débats, reproche au roman son« ironie qui joue, qui circule, qui déconcerte, qui raille et qui fouille, ou même qui hoche la tête en regardant tout d'un air d'indifférence », tandis que le traitement des personnages n'abandonne cette ironie que pour obéir à une logique de fatalité que Sainte-Beuve juge dépourvue de toute pitié, et il en conclut :« Il manque un jour céleste à cette cathédrale ; elle est comme éclairée d'en bas par des soupiraux d'enfer ». Le poèteLamartine émet un avis proche dans une lettre qu'il adresse à Hugo le1er juillet 1831[16] après avoir lu le roman : tout en qualifiant le livre de« Shakespeare du roman » et d'« épopée du Moyen Âge », il le juge« immoral par le manque de Providence assez sensible ».
L'avis le plus sévère est celui du romancierHonoré de Balzac, qui écrit à Berthoud le 19 mars 1831[17] :« Je viens de lireNotre-Dame — ce n'est pas de M. Victor Hugo auteur de quelques bonnes odes, c'est de M. Hugo auteur d'Hernani — deux belles scènes, trois mots, le tout invraisemblable, deux descriptions, la belle et la bête, et un déluge de mauvais goût — une fable sans possibilité et par-dessus tout un ouvrage ennuyeux, vide, plein de prétention architecturale — voilà où nous mène l'amour-propre excessif. »
Considéré comme une lecture pernicieuse par l'Église catholique,Notre-Dame de Paris fait partie des romans mis à l'Index en 1834[18].
Notre-Dame de Paris relève du genre duroman historique, qui est à la mode au début duXIXe siècle[19], de même que la période duMoyen Âge qui suscite un intérêt nouveau de la part des écrivains et des poètes à partir des années 1820, sous l'impulsion d'auteurs commeChateaubriand ouMadame de Staël[20]. Le chapitre « Paris à vol d'oiseau », en particulier, présente une tentative de reconstitution historique du Paris de 1482.
Mais Victor Hugo ne se considère pas comme tenu de respecter la vérité historique à tout prix et n'hésite pas à modifier le détail des faits et à resserrer l'intrigue pour faire mieux ressortir le caractère de personnages historiques commeLouisXI ou pour mettre en avant sa vision de l'Histoire[21]. En cela, il applique à son roman les principes exposés dans un article « À propos de Walter Scott » qu'il a publié en 1823, et où il affirme :« j'aime mieux croire au roman qu'à l'histoire, parce que je préfère la vérité morale à la vérité historique[22] ».
Pourtant, dans ce roman, le personnage Louis XI n'était autre qu'une imagination d'Hugo. En effet, selon les études de Joseph Vaësen[23] et son livre publié en 1909, le roi Louis XI passa à Paris, pour la dernière fois, le 15 juin 1480. Et en 1482, il ne quitta jamais le pays de la Loire sauf le pèlerinage versSaint-Claude (voirVoyage de Louis XI). L'auteur du roman connaissait toutefois bien sûr le futurCharles VIII,Anne de France,Marguerite d'Autriche, le cardinalCharles II de Bourbon. Ce dernier aussi avait été choisi par Hugo pour le personnage de ce roman. S'il s'agit d'une fiction, Victor Hugo connaissait bien la caractéristique de Louis XI, notamment son enthousiasme pour l'intérêt économique, sa proximité du peuple « Je suis de l'avis du roiÉdouard : sauvez le peuple et tuez les seigneurs », mais aussi sa foi profonde en faveur de Notre Dame, laquelle provoque une fin tragique « Ils assiègent dans sa cathédrale Notre Dame, ma maîtresse ! ... C'est contre moi. »
La réflexion philosophique : entre progrès de l'histoire et drame de la fatalité
Le roman historique tel que le conçoit Hugo comporte également une part de réflexion philosophique et morale[24]. Sa mise en scène duXVe siècle et d'événements tels que le soulèvement populaire pour libérer Esmeralda vise moins à une reconstitution exacte de l'époque qu'à nourrir une réflexion politique adressée aux lecteurs français duXIXe siècle vivant sous la monarchie deCharlesX. Le roman propose unephilosophie de l'histoire et une théorie duprogrès exposées en détail dans le chapitre « Ceci tuera cela ». Quant au sort tragique des personnages principaux, il nourrit une réflexion sur le destin traversée par la notion d'Ananké (Fatalité).
La Sachette supplie qu'on épargne la vie de sa fille. Toile d'Henri Coeylas, 1891.
La Esmeralda conduite au gibet. Lithographie deMaurin, maison de Victor Hugo, 1834.
La dimension politique du roman fournit à Hugo l'occasion d'affirmer, de manière plus ou moins directe, ses convictions politiques sur plusieurs sujets. Le combat le plus explicite mené par l'auteur à l'occasion du roman est un plaidoyer pour la préservation du patrimoine architectural dont lacathédrale Notre-Dame de Paris n'est que l'un des représentants les plus connus, et qui est mis en péril à l'époque du roman par des destructions pures et simples ou par des restaurations qui défigurent l'architecture d'origine des monuments : Hugo poursuit en cela le combat entamé plusieurs années plus tôt, par exemple dans un article qu'il publie en 1825, « Guerre aux démolisseurs ! », dont des rééditions paraissent en 1829 et 1832 (la seconde remaniée et augmentée)[25].
Hugo mène également une réflexion sur la justice : la justice médiévale est présentée dans le chapitre « Coup d'œil impartial sur l'ancienne magistrature » comme une mascarade injuste où l'accusé pauvre est condamné d'avance et est tournée en dérision jusqu'à l'absurde dans une scène desatire féroce (le procès de Quasimodo, accusé sourd condamné par un juge sourd sans que ni l'un ni l'autre n'aient rien compris à l'affaire) ; mais elle est aussi montrée comme soumise à l'irrationnel et à la superstition (le procès d'Esmeralda condamnée pour sorcellerie)[26]. De plus, lorsqu'il décrit le gibet de la place de Grève, Hugo donne une évocation effrayante de lapeine de mort, qu'il dénonce comme barbare et qu'il affirme destinée à être abolie par le progrès de l'Histoire : il poursuit en cela le combat entamé avecLe Dernier Jour d'un condamné, dont la première édition paraît anonymement en 1829 (avantNotre-Dame de Paris) et qu'il complète d'une préface signée de son nom lors de la réédition de 1832.
Enfin, le roman contient une réflexion politique sur le pouvoir royal à travers le personnage deLouisXI.
Les dimensions philosophique et politique du roman n'empêchent pas par ailleurs celui-ci d'emprunter en partie ses procédés auroman gothique anglais duXVIIIe siècle, avec la part defantastique qu'il contient : le principal personnage deNotre-Dame de Paris rattachant le roman à ce genre est l'archidiacreClaude Frollo, qui s'inscrit dans la lignée de la figure de l'homme d'Église maudit et possédé par le démon tel qu'il apparaît dans les textes fondateurs du genre commeLe Moine deLewis (paru en 1796) ouMelmoth ou l'homme errant deCharles Robert Maturin (paru en 1820). Plusieurs scènes de l'intrigue reprennent des procédés narratifs courants du genre, comme les enlèvements, les enfermements ou la persécution d'un personnage par un autre (en l'occurrence celle d'Esmeralda par Frollo).
Si aucun événement du roman ne relève réellement du surnaturel, les personnages baignent dans un univers de croyances qui provoque leur effroi ou, dans le cas de Frollo, une dérive vers le mal et la folie ; le fantastique réside davantage dans la perception qu'ont les personnages du monde qui les entoure, et que Hugo rend sensible grâce aux procédés de la narration romanesque qu'il emprunte au roman gothique[27].
Gérard de Nerval, dès 1832[28], mentionne le roman dans un poème, « Notre-Dame de Paris », où il évoque les hommes de l'avenir qui viendront contempler la cathédrale,« Rêveurs, et relisant le livre de Victor »[29].
En 1833, l'historienJules Michelet évoque le roman dans le deuxième tome de sonHistoire de France :« Je voulais du moins parler de Notre-Dame de Paris, mais quelqu'un a marqué ce monument d'une telle griffe de lion, que personne désormais ne se hasardera d'y toucher. C'est sa chose désormais, c'est son fief, c'est lemajorat de Quasimodo. Il a bâti, à côté de la vieille cathédrale, une cathédrale de poésie, aussi ferme que les fondements de l'autre, aussi haute que ses tours »[30].
En 1873, Victor Hugo lui-même inspire à l'enfant prodigeClotilde Cerdà i Bosch, fille répudiée de l'architectebarcelonaisIldefons Cerdà, le pseudonyme d'Esmeralda Cervantes[31], en hommage à l'héroïne de son roman, ce qui lance la carrière de la jeune musicienne en Europe[32].
Jordi Brahamcha-Marin, « Le personnage de Pierre Gringoire », Journée d'étude du 25 novembre 2017 : Victor Hugo et le romantismeNotre-Dame de Paris à vol d'oiseau, 2018,lire en ligne.
Caroline Julliot, « Philosopher loin de Gringoire : Quelques réflexions sur le chapitre « Une larme pour une goutte d'eau » (Victor Hugo,Notre-Dame de Paris, Livre VI, ch. IV) »,Journée d'étudesNotre-Dame de Paris à vol d'oiseau, novembre 2017, Le Mans, France,lire en ligne.
MyriamRoman, « Notre-Dame De Paris,Les Proscrits,Maître Cornélius : variations philosophiques sur le roman Moyen Âge »,L'Année balzacienne, Paris, Presses universitaires de France,no 7,,p. 119-141(lire en ligne).