Vous lisez un « bon article » labellisé en 2006.
Cette page contient des caractères spéciaux ou non latins. S’ils s’affichent mal (▯, ?, etc.), consultez lapage d’aide Unicode.

De nos jours, lesGrecs se désignent eux-mêmes comme « Hellènes » (Έλληνες /Hellênes). Cependant, ils ont porté de nombreuxnoms tout au long de l'histoire. Les soldats qui tombèrent auxThermopyles le firent en tant qu'Hellènes, mais à l'époque deJésus, le terme « Hellènes », dans l'Empire romain, changea de sens et servit à désigner toutes les personnes n'étant pas de confessionjuive, c'est-à-dire lespolythéistes.
À lafin de l'Antiquité, les Grecs se considéraient comme « Romaioi », c'est-à-dire « Romains », tandis qu'« Hellènes » continuait à désigner les polythéistes, en tant que « païens, non-chrétiens ». AuMoyen Âge, lesOccidentaux appelaient « Grecs » tous les chrétiens non-catholiques romains, tandis que les Arabes, les Perses et les Turcs désignaient ceschrétiens non-latins comme « Rum » (« Romains » ou « Roumis »), dont ceux de langue grecque appelés « Yunan » (« Ioniens ») ; pour désigner les chrétiens catholiques de rite latin, le terme était « Franghi » (« Francs »). EnGéorgie, les Grecs sont appelés « ბერძენი » / « berdzènes », venant du mot géorgien « ბერძ » signifiant « sage » ; un nom en lien avec laphilosophie grecque.
L'avènement d'une nouvelle période historique était ainsi accompagné d'un nouveau nom : soit entièrement nouveau, ou repris d'unancien nom oublié, soit puisé dans la tradition ou emprunté de l'étranger. Chaque nom fut significatif en son temps ; il est parfois utilisé de façon interchangeable.
Dans la plupart des langues européennes et dans les langues qui ont emprunté un des mots suivants, le nom de la Grèce possède la racinegr. La racine de ces mots est lelatinGraecus qui désignait les Grecs chez lesRomains.
| Anglais : Greece / Hellas | Islandais : Grikkland | Cornique : Pow Grek | |
| Français : Grèce | Finnois : Kreikka | Gallois : Groeg | |
| Italien : Grecia | Albanais : Greqia | Breton : Gres | |
| Allemand : Griechenland | Roumain : Grecia | Irlandais : An Ghréig | |
| Espagnol : Grecia | Catalan : Grècia | Russe : Греция (Grecija) | |
| Portugais : Grécia | Hongrois : Görögország | Serbe : Грчка (Grčka) | |
| Néerlandais : Griekenland | Slovaque : Grécko | Tchèque : Řecko | |
| Polonais : Grecja | Slovène : Grčija | Bulgare : Гърция (Gǎrcija) | |
| Danois : Grækenland | Letton : Grieķija | Japonais : ギリシャ (Girisha) | |
| Suédois : Grekland | Lituanien : Graikija | Ukrainien : Греція (Gretsia) | |
| Frison occidental : Grikelân | Afrikaans : Griekeland | Estonien: Kreeka | |
| Maltais : Greċja | Féroïen : Grikkaland | Lapon : Greika |
EnAsie Mineure, la racine commune estIun. Cette racine vient probablement du termeIonien, désignant les habitants de la côte ouest de l'Anatolie.
| Arabe : يونان (Yūnān) | Arménien : Հունաստան (Hounastan) | Azéri : Yunanıstan | |
| Syriaque :ܝܘܢܢ (Yunan) | Hébreu biblique : יָוָן (Yāwān) | Hindi : युनान (Yunan) | |
| Turc : Yunanistan | Hébreu moderne : יוון (Yavan) | Indonésien : Yunani |
La troisième racine esthil, utilisée par quelques langues dont le grec :
| Grec ancien/Katharévousa :Ἑλλάς (Hellás) | Norvégien : Hellas | Chinois : 希腊 (Xila) |
| Grec moderne :Ελλάδα (Elláda) | Vietnamien : Hy Lạp | Coréen : 希臘 ou 희랍 (Huirap) |
Dans l’Iliade d'Homère, les forces alliées grecques sont décrites sous différents noms : « Argiens » (engrec ancienἈργεῖοι /Argeîoi, utilisé 29 fois dans l’Iliade), « Danaens » ou « Danaéens » (Δαναοί /Danaoí, utilisé 138 fois) et « Achéens » (Ἀχαιοί /Akhaioí, utilisé 598 fois)[note 1].
« Argiens » vient du nom de la première capitale des Achéens,Argos. Ce mot utilise la racinearg- signifiant « ce qui brille » et ayant donnéárgyros (ἄργυρος, « argent »),argós (ἀργός, « brillant »[1]) ou encore lelatinargentum. « Danaens » est le nom de la première tribu à avoir dominé lePéloponnèse et la région d'Argos, et signifie « descendants deDanaos ». Quant à « Achéens », c'est le nom de la tribu qui, avec lesÉoliens, dominèrent en premier le territoire grec et lui donnèrent pour capitaleMycènes.
À l'époque (supposée) de laguerre de Troie, les Hellènes n'étaient qu'une tribu relativement modeste installée enPhthie (Thessalie), autour d'Alos, Alope, Trehine et de l'Argos pélasgique[2]. Diverses étymologies ont été proposées concernant le mot Hellène, mais aucune ne fait l'unanimité. Parmi elles, on trouve,Sal (prier),ell (montagneux) etsel (illuminer). Une étude plus récente fait remonter ce nom à celui de la villeHellas près de la rivièreSpercheus et toujours nommée ainsi de nos jours[3]. Cependant, il est certain que la race hellénique est liée auxSelles (Σελλοί /Selloí), les grands prêtres deDodone enÉpire. Homère décritAchille priant Zeus Dodonien : « Zeus ! Roi Dôdônaien, Pélasgique, qui, habitant au loin, commandes sur Dôdônè enveloppée par l'hiver, au milieu de tes divinateurs, les Selles, qui ne se lavent point les pieds et dorment sur la terre[4]. »
Ptolémée nomme l'Épire la « première Hellas[5] » etAristote rapporte qu'un cataclysme fit des ravages en « ancienne Hellas, entre Dodone et l'Achéloos […], le pays occupé par les Selles et les Graeci, connus plus tard comme les Hellènes[6] ». L'éventualité que les Hellènes aient été une tribu venue d'Épire et qui aurait ensuite migré vers le sud en Phthie (Thessalie) est possible.
Le motHellènes dans son sens large est apparu écrit pour la première fois dans une inscription d'Échembrote, remerciantHéraclès pour sa victoire auxJeux pythiques[7]. Le texte fait référence à laXLVIIIeolympiade, ce qui permet de le dater vers 584av. J.-C. Le mot semble avoir été introduit auVIIIe siècle av. J.-C. avec lesJeux olympiques et était auVe siècle établi de façon permanente. Après lesguerres médiques, une inscription célèbre à Delphes la victoire des Hellènes sur les Perses et le généralPausanias qui les dirigeait[8]. La conscience d'une unité panhellénique était encouragée par les festivals religieux, tout spécialement auxmystères d'Éleusis dans lesquels les initiés devaient parler grec et peut-être encore plus lors des divers Jeux panhelléniques au cours desquels les participants étaient reconnus par affiliation tribale. Seuls les Grecs mâles étaient autorisés à participer. L'exception faite pour l'empereurNéron fut le signe certain de l'hégémonie culturelle romaine.
Bien après la migration vers le sud des quatre groupes tribaux reconnus par les Grecs, le développement de généalogies mythologiques affecta la manière dont les tribus du nord furent perçues. Selon la légende la plus répandue,Hellen, fils deDeucalion etPyrrha eut trois fils de la nympheOrséis :Éole (qui ne doit pas être confondu avecÉole, maître des Vents),Doros, etXouthos et chacun d'entre eux est à l'origine des tribus primaires d'HellasÉoliens,Doriens,Achéens etIoniens. À l'époque de la guerre de Troie lorsqueHellènes désigne la petite tribu de Thessalie à laquelle appartientAchille, Épirotes,Molosses etMacédoniens n'étaient pas, eux, considérés comme Hellènes. Ils ne le sont pas plus considérés par la suite lorsque parHellènes étaient désignés tous les peuples au sud dumont Olympe. Un facteur contribuant à cette exclusion fut leur refus de participer aux guerres médiques, considérées comme une affaire vitale pour tous les Hellènes. Avant les guerres médiques, ces tribus avaient été autorisées à participer aux Jeux Olympiques aux côtés des Hellènes[note 2].Thucydide appellebarbares lesAcarnaniens,Étoliens[9], Épirotes[10] et Macédoniens[11] mais le fait dans un strict sens linguistique. Lorsque l'orateur athénienDémosthène juge les Macédoniens pires que des barbares dans sa troisièmePhilippique dirigée contrePhilippe II de Macédoine, il le fait en respectant leur spécificité culturelle en tant qu'étrangers n'entrant pas dans les standards helléniques, mais l'origine différente ne lui pose aucun problème :« Non seulement il n’est pas Grec et ne tient en rien à la Grèce, il n’est pas même né sur une terre barbare dont on puisse s’honorer ; c’est un misérable Macédonien, il est de ce pays où jadis on n’achetait pas même un bon esclave. » En revanche,Polybe considère les tribus de l'Hellas occidentale, d'Épire et de Macédoine comme helléniques en tous points[12].
Au cours des siècles suivants,Hellène eut un sens plus large, signifiantpeuple civilisé en général, contrastant ainsi avecBarbare, représentant les non-civilisés.
Les tribus grecques étaient conscientes que leur langue était différente de celles de leurs voisins et utilisaient le termeβάρϐαρος (« barbare ») pour désigner ceux qui « parlaient une langue étrangère ». On pense que le termeβάρϐαρος est d'origine onomatopéique : « bar-bar » signifiantbalbutiant oubégayant pourrait avoir été l'impression que ces langues donnaient aux locuteurs grecs[13]. D'aprèsHérodote, les Égyptiens également appelèrent barbares ceux qui parlaient une autre langue[14]. Plus tard, les Slaves donnèrent aux Germains le nom denemec signifiant « muet » tandis qu'ils se faisaient appelerslověnski ou « peuple du mot »[15]. Dans sa pièceles Oiseaux,Aristophane appelle barbare le superviseur illettré qui enseigne aux oiseaux comment parler[16]. Le sens du terme finit par s'élargir pour désigner le style de vie entier des étrangers et finalement signifier illettré ou non civilisé en général. C'est pourquoi un homme illettré est aussi un barbare[17]. SelonDenys d'Halicarnasse un Hellène diffère d'un barbare de quatre façons : un langage raffiné, l'éducation, la religion, et le respect de lois[18]. L'éducation grecque était considérée comme noble.Paul de Tarse déclara qu'il était de son devoir de prêcher l'Évangile à tous les hommes, « Grecs et Barbares, aux savants et aux ignorants »[19]. La discrimination entre Hellènes et Barbares dura jusqu'auIVe siècle avant notre ère.Euripide estimait que les Hellènes devaient contrôler les Barbares, car les Hellènes étaient destinés à être libres et les Barbares à être esclaves[20].Aristote arrivait quant à lui à la conclusion suivante : « la Nature a voulu que Barbare et esclave ce fût tout un »[21]. La différenciation prétendue raciale diminua sous l'influence desstoïciens qui faisaient la différence entre nature et convention et enseignèrent que tous les hommes étaient égaux devant Dieu et cela par nature et ne pouvaient donc pas être inégaux entre eux. Hellène devint alors, selonIsocrate, un trait d'intellect et non pas de « race »[22].
Les conquêtes d'Alexandre le Grand consolidèrent l'influence des Grecs à l'Est en exportant la culture grecque en Asie et en transformant l'éducation et la société dans la région.Isocrate déclara dans son discoursPanégyrique :« Jusqu’ici Athènes a laissé derrière elle le reste de l’humanité en pensée et en expression, ces enfants sont devenus les professeurs du monde et a fait du nom Hellas non plus une distinction de race mais d’intellect, et du titre d’Hellène un label d’éducation plutôt que de descendance[22]. » La civilisation hellénistique est l'évolution de la civilisation classique grecque, ouverte cette fois à tout le monde. De la même manière, Hellène évolua d'un nom national désignant une ethnie grecque vers un terme culturel désignant toute personne vivant selon les mœurs grecques.

Le terme français « grec » est dérivé du latinGraecus qui lui-même vient du grecΓραικός /Graikós. Plusieurs étymologies ont été proposées pourGraecus. Selon l'une d'elles, il pourrait venir d'un motillyrien, Γραικός -Graïkos signifiant « impétueux »[23]. Selon une autre,Graecus serait issu d'une tribubéotienne ayant émigré en Italie auVIIIe siècle av. J.-C. : c'est donc sous ce nom que les Hellènes se firent connaître en Occident.Homère, lorsqu'il énumère les forces béotiennes dans sonCatalogue des vaisseaux fournit la première référence connue à une ville béotienne du nom deGraea[24]. Pausanias, quant à lui, mentionne que Graea était l'ancien nom de la cité deTanagra.Cumes, près de Néapolis (actuelleNaples), au sud de Rome, fut fondée par des colons deKymi etChalcis de l'île d'Eubée mais aussi par des « Gréens » (habitants de Graea) qui étant en contact avec les Romains pourraient avoir été responsables de l'appellationGraeci de toutes les tribus helléniques.
Aristote, la plus ancienne source mentionnant le terme, décrit un cataclysme naturel s'étant produit enÉpire centrale, un pays où les habitants se sont appelésΓραικοί /Graikoí avant de s'appeler plus tardἝλληνες /Héllēnes[25]. Dans la mythologie, Graecus est le frère deLatinus et son nom semble lié au termeγηραιός /gēraiós (« ancien ») qui était aussi le titre donné aux prêtres deDodone[réf. nécessaire].
La théorie dominante à propos de la colonisation de l'Italie veut qu'une partie de la population d'Épire ait migré enPhthie pour devenir les Hellènes, la tribu qu'Achille mena àTroie. La population restée en Épire se serait par la suite mélangée à d'autres tribus arrivées plus tard, sans pour autant perdre son nom. À partir de l'Épire, ces tribus auraient ensuite voyagé vers l'Ouest, en Italie, avant même que lapremière vague de colons n'arrive auVIIIe siècle av. J.-C. enGrande Grèce.[réf. nécessaire]
Un terme complètement différent s'est imposé en Orient. Les anciens peuples duMoyen-Orient désignaient les Grecs par le termeYunan, dérivant du perseYauna, lui-même emprunté au grecἸωνία (Ionia) désignant la côte ouest de l'Asie mineure. C'est avec la domination des tribus ioniennes par lesPerses à la fin duVIe siècle av. J.-C., que ce nom s'est étendu à l'ensemble des Hellènes. Tous les peuples sous influence perse adoptèrent ce mot et c'est de cette racine que dérive également le termesanskritYavana que l'on rencontre dans d'anciennes sources sanskrit dont la plus ancienne est la grammaire dePānini. Plus tard le terme deYonaka désigna lesIndo-Grecs, tout commeYona enPâli. De nos jours, le termeYunan est utilisé enpersan,arabe (يوناني),turc,hindî (युनान),indonésien etmalais.
Le motYavan ouJavan (יָוָן) était utilisé en Méditerranée orientale pour faire référence à la nation grecque lors des premiers temps bibliques. Un personnage du nom deJavan (יָוָן) est également mentionné enGenèse10[26].
Le nom d’Hellène eut la signification depaïen lors des premiers siècles duchristianisme et ce jusqu'à la fin du premier millénaire, pendant lequel l'Église joua un rôle important dans cette transition. Les contacts avec les Juifs furent déterminants puisque c'est leurs interactions avec les chrétiens qui mena à l'usage d’Hellène dans un but de différenciation religieuse. LesJuifs, tout comme les Grecs, se distinguaient des étrangers. En revanche, contrairement aux Grecs, les Juifs le faisaient selon un critère religieux plutôt que culturel.
La domination des Grecs parRome renforça le prestige des institutions religieuses qui restèrent intactes. Alors que les Grecs considéraient tous les non-civilisés comme des barbares, les Juifs considéraient que les non-juifs étaient desgoyim (littéralement « peuples »). Les premiers chrétiens adoptèrent cette différenciation religieuse et c'est pourquoi le sens culturel du motHellène devint marginalisé par son élément religieux. Par la suite, les Chrétiens appelèrent tous lespaïens « Hellènes ».
Saint Paul dans lesActes aux Apôtres utilise le terme « Hellènes » presque toujours en association avec le terme « Hébreux », probablement dans le but de représenter la totalité de ces deux communautés religieuses[27].Hellène est utilisé pour la première fois avec un sens religieux dans leNouveau Testament. Dans l'Évangile selon Marc, une femme arrive devant Jésus et s'agenouille :« la femme était hellène, syro-phénicienne de race et elle lui demande de chasser le démon hors de sa fille »[28]. Bien que la nationalité de la femme soit syro-phénicienne,hellène (les traductions françaises de l'Évangile utilisent le motGrecque[réf. souhaitée]) désigne cependant sa religion. L'évolution de la signification du terme fut longue et complétée seulement au second ou troisième siècle de notre ère.Aristide d'Athènes identifie les Hellènes comme un des peuples païens du monde avec les Égyptiens et les Chaldéens[29].
Plusieurs sources de cette époque montrent clairement l'évolution sémantique. Le premier fut peut-êtreTatien le Syrien, dans sonDiscours aux Grecs achevé en170, dans lequel il critique les croyances païennes dans le but de défendre celles des chrétiens. Le texte le plus important fut leContre les Hellènes d'Athanase d'Alexandrie, dont le titre original aurait étéContre les Païens d'après les manuscrits les plus anciens. Le titre fut changé à une époque oùhellène avait entièrement perdu son premier sens. Désormais,Hellène ne désignait plus une ethnie grecque, ou celui qui adhérait à la culture grecque mais païen en général, sans tenir compte de la nationalité. Les tentatives de l'empereurJulien de restaurer le paganisme échouèrent et selonGrégoireIer les choses évoluaient en faveur de la chrétienté et la position des Hellènes s'aggravait[30]. Un demi-siècle plus tard, les chrétiens protestèrent contre l'éparque d'Alexandrie qu'ils accusèrent d'être Hellène.ThéodoseIer initia les premières mesures contre le paganisme, mais ce furent les réformes deJustinienIer qui généralisèrent les persécutions à grande échelle contre les païens. LeCorpus juris civilis contenait deux lois décrétant l'éradication de l'« hellénisme », même dans la vie civique. Elles furent appliquées avec zèle même contre des hommes occupant de hautes fonctions. La volonté de suppression officielle du paganisme faisait des non-chrétiens une menace publique qui porta par la suite atteinte au sens du terme d’Hellène. Paradoxalement,Tribonien, juriste même de Justinien, était selon laSouda, un Hellène (= païen)[31].
Romains est le nom politique sous lequel les Grecs sont connus à la fin de l'Antiquité et auMoyen Âge. Le nom désignait par son sens originel les habitants de la ville de Rome, mais ce sens s'élargit avec l'expansion de l'Empire romain. En 212, l'édit de Caracalla accorda lacitoyenneté romaine à tous les hommes libres des provinces romaines. Les Grecs transformèrent leur nouveau titre (deRomains) en se désignantRomioi (Ῥωμιός /Rōmiós au singulier). Ce nouveau terme fut établi afin de représenter à la fois la citoyenneté romaine des Grecs mais également la culture et la langue de leurs ancêtres hellènes. En général, le mot Romios fut utilisé pour désigner les habitants de l'Empire byzantin. Il est encore utilisé de nos jours (bien que rarement), étant le nom le plus courant aprèsHellène.
L'emprunt d'un nom étranger avait davantage un sens politique que national, ce qui correspondait à l'idéologie romaine qui aspirait à ce que toutes les nations soient réunies sous un seul Dieu. Jusqu'auVIIe siècle, quand l'Empire s'étendait toujours sur un très large territoire et de nombreux peuples, l'utilisation du nomRomain indiquait toujours la citoyenneté et non la descendance. Les différentes ethnies pouvaient utiliser leurs propresethnonymes outoponymes afin d'éviter toute ambiguïté entre citoyenneté et généalogie. C'est pourquoi l'historienProcope de Césarée préfère appeler les Romains d'OrientRomains hellénisés[32], alors que d'autres auteurs parlent deRomhellènes ouGrécoromains[33] dans le but d'indiquer à la fois la descendance et la citoyenneté. Les invasionslombardes etarabes à la même époque engendrèrent la perte de nombreuses provinces en Italie, en Afrique et en Orient à l'exception de l'Anatolie. Les régions subsistantes furent essentiellement celles de la Grèce antique et de l'Anatolie hellénistique, faisant évoluer l'empire en un ensemble cohérent autour de sonhellénisme, développant une conscience identitaire romaine et chrétienne.
La proximité géographique entre lepape et les Germains poussa Rome à chercher une protection auprès des voisins des Lombards, plutôt qu'auprès de la lointaineConstantinople. L'homme qui répondit à son appel futPépin II d'Aquitaine, qu’il nomma « patricien », un titre qui causa par la suite de nombreux conflits. En 772, Rome cessa de célébrer le premier empereur ayant gouverné depuis Constantinople et en 800, Charlemagne fut couronné « empereur romain » par le pape lui-même, ce qui revenait à dénier aux empereurs de Constantinople leur caractère romain (Ῥωμαῖος). Selon l'interprétationfranque des faits, la papauté transféra l'autorité impériale des Grecs aux Germains en la personne de Charlemagne[34].
À partir de là, la revendication des droits impériaux romains, et la désignation de la « véritable Rome », devinrent une guerre des mots et des noms. Les Germains et les papes ne pouvant nier l'existence d'un empereur à Constantinople, refusèrent de lui reconnaître l'héritage romain, puisque selon eux, il gouvernait sur une terre, la Grèce, et sur un peuple, les Grecs, qui n'avaient rien à voir avec l'héritage romain. Le papeNicolasIer écrivit à l'empereur d'OrientMichel III« vous avez cessé d'être appelé Empereur des Romains depuis que les Romains dont vous vous réclamez l’Empereur » (soit les Francs, aux yeux du pape)« sont selon vous des Barbares »[35].
À partir de ce moment, l'empereur de Constantinople fut appelé en Occident « Empereur des Grecs » et son pays, l'« Empire grec », car le titre « Romain » fut réservé au roi franc et à ses successeurs[36]. Les intérêts des deux camps étaient plus symboliques que réels. Aucun territoire n'avait été revendiqué, mais l'Empire d'Orient considérait comme une injure que des « barbares » lui dénient son caractèreRomain (Ῥωμαῖος) pour se l'approprier. Pour preuve, l'évêqueLiutprand de Crémone, ambassadeur de la cour franque à Constantinople, y fut emprisonné un temps pour ne pas avoir salué l'empereur par son titre approprié d'« Empereur des Romains » (Βασιλεὺς Ῥωμαίων)[37], dans le contexte de la fondation de l'Empire « romain » germanique parOttonIer.
Ceux que nous appelons les « Byzantins », ne se sont jamais désignés ainsi, mais « Romées » (Ῥωμαῖοι / Rōmaíoi), tant pour marquer leur citoyenneté romaine que pour désigner leur identité culturelle, à la foishellénique etchrétienne.
Au moment de la chute de Rome, la plupart des habitants de la partie orientale de l’Empire romain étaient déjà chrétiens et se considéraient comme romains. Le motHellène commençait alors à désigner les Grecs antiques païens. Le terme pour désigner un « Grec romain chrétien » étaitRomée[38].
L'historien allemandHieronymus Wolf introduisit en1557 une historiographie « byzantine » dans son ouvrageCorpus Historiae Byzantinae, afin de distinguer les historiens « grecs » antiques des médiévaux. Plusieurs auteurs reprirent cette appellation par la suite, même si elle resta longtemps relativement inconnue. Lorsque l'intérêt pour cette période augmenta, les historiensanglais utilisèrent le termeRomain (Edward Gibbon en particulier) alors que lesFrançais employèrent davantage le termeGrec[39] ou celui de « Bas-Empire ». L'expression « Empire byzantin » s'est peu à peu imposée dans l'historiographie à partir du milieu duXIXe siècle, et ce même en Grèce malgré les objections deConstantin Paparregopoulos selon qui l'empire devrait porter le nom d’Empire Grec. Quelques auteurs grecs utilisèrent l'expression d’Empire byzantin auXIXe siècle qui ne devint populaire que dans la deuxième moitié duXXe siècle.

L'usage du termeHellène se raviva auIXe siècle après que le paganisme eut été complètement éclipsé et qu'il ne fut plus une menace pour le christianisme. Ce regain suivit la même voie que son déclin. Le terme avait glissé d'un nom national pendant l'Antiquité vers une référence culturelle pendant la période hellénistique avant d'avoir une signification religieuse au début du christianisme. Avec la disparition du paganisme et le renouveau de l'éducation dans l'Empire byzantin, le terme regagna son sens culturel, et auXIe siècle retrouva son sens antique de « Grec ethnique », synonyme à l'époque de « Romain ».
Les écrits duXIe siècle à nos jours (d'Anne Comnène,Michel Psellos,Jean III Doukas Vatatzès,Gemiste Pléthon et plusieurs autres) montrent que le renouveau du termeHellène eut lieu. Par exemple,Anne Comnène décrit ses contemporains en tant qu'« Hellènes », et n'utilise pas ce mot en tant que païens. De plus, elle se vante de son éducation grecque classique et parle en tant que Grecque de naissance et non en tant qu'étrangère ayant appris le Grec.
La refondation de l'Université de Constantinople entraîna un renouveau de l'intérêt pour l'éducation, particulièrement dans l'étude dugrec.PhotiosIer de Constantinople était irrité du fait que les études helléniques étaient préférées aux travaux spirituels.Michel Psellos prit comme un compliment les louanges deRomain III d'avoir été élevé d'une manière hellénique et considérait comme une faiblesse pour l'empereurMichel IV d'être dénué d'éducation hellénique[40].
Après le sac de Constantinople lors de laquatrième croisade, le nationalisme grec s'accentua. L'historienNicetas Choniates insista sur l'utilisation du terme « Hellènes », soulignant les outrages commis par les « Latins » contre les « Hellènes » dans le Péloponnèse et comment la rivièreAlphée pourrait transporter la nouvelle jusqu'aux Barbares de Sicile, lesNormands[41].Nicéphore Blemmydès fit référence aux empereurs byzantins en tant qu'Hellènes[42], etTheodore Alanias écrivit dans une lettre à son frère que bien que le pays ait été capturé, Hellas existait toujours dans chaque homme sage[43].
Le secondEmpereur de Nicée,Jean III Doukas Vatatzès écrivit dans une lettre au PapeGrégoire X à propos de la sagesse qui inondait la nation hellénique. Il estimait que le transfert de l'autorité impériale de Rome à Constantinople était nationale et non géographique et qu'il n'appartenait donc pas aux Latins d'occuper Constantinople : selonJean III Doukas Vatatzès, l'héritage deConstantin était passé aux Hellènes et eux seuls en étaient les héritiers et ses successeurs[44].
Théodore II Lascaris, le fils deJean III Doukas Vatatzès, désira mettre le nom des Grecs en avant avec une réelle ferveur nationaliste. Il le fit à un point que « la race hellénique se dessine au-dessus de toutes les autres langues » et que « toute sorte de philosophie et forme de connaissance est une découverte des Hellènes... Qu'avez-vous, ô Italiens, à présenter ? »[45]
L'évolution du nom fut longue et n'a jamais remplacé complètement le terme « Romain ».Nicéphore Grégoras appela son ouvrageHistoire romaine. L'empereurJean VI Cantacuzène, un grand défenseur de l'éducation grecque, appelle les Byzantins « Romains »[46] alors que dans une lettre du sultan d'ÉgypteNasser Hassan Ben Mohamed, celui-ci l'appelle « Empereur des Hellènes, Bulgares, Sassanides, Valaques, Russes, Alains », mais pas des « Romains »[47]. Pendant le siècle suivant,Gemiste Pléthon fit remarquer àConstantin XI Paléologue que le peuple qu'il dirigeait était les « Hellènes, telles que leur race et leur langue le prouve »[48] alors queLaonicus Chalcondyles était en faveur d'un changement du terme « Romain » vers « Grec »[49].Constantin Paléologue lui-même proclama finalementConstantinople « refuge des Chrétiens, espoir et joie des Hellènes »[50].
La grande majorité des « Byzantins » avait pleinement conscience qu'il y avait une véritable continuité entre eux et la Grèce antique. Même si les Grecs antiques n'étaient pas chrétiens, les « Byzantins » les considéraient toujours comme leurs ancêtres. Graekos (Γραῖκος) fut alors un substitut commun au termeHellène pour remplacerRomios. Ce terme fut souvent utilisé par les « Byzantins » en tant qu'identification ethnique.
On trouve le terme « Graekos » dans les travaux dePriscus, un historien duVe siècle. Il écrit qu'alors qu'il était en visite non officielle auprès d'Attila le Hun, il y rencontra quelqu'un habillé comme unScythe mais parlant le grec. Lorsque Priscus lui demanda où il avait appris cette langue, l'homme sourit et dit qu'il étaitGraekos de naissance.
De nombreux auteurs « byzantins » parlent des autochtones de l'Empire en tant queGrecs [Graekoi] ouHellènes (Έλληνες, « Héllēnes / Éllines »), comme le faitConstantin VII Porphyrogénète auXe siècle. Il rapporte la révolte decommunautés slaves dans la région dePatras (Péloponnèse) : elles mettent tout d'abord à sac les habitations de leurs voisins, les Grecs (ton Graikon) avant de s'en prendre aux habitants de Patras.
Peu de temps après la chute de Constantinople,Nicolaos Sophianos réalise une carte de Grèce, la première dessinée par un Grec. Elle s'intituleTotiusGraeciae Descriptio. Elle est totalement en latin, mais son cartouche comporte le mot « Ellas[51] ».
De manière générale, la continuité avec la Grèce antique était évidente tout au long de l'histoire de l'Empire romain d'Orient. Les « Byzantins » n'étaient pas qu'une population chrétienne orthodoxe se définissant uniquement comme « romaine ». Ils utilisaient aussi le terme à des fins légales et administratives, d'autres termes étant utilisés pour les distinguer ethniquement. En bref, les habitants grecs de l'Empire romain d'Orient étaient parfaitement conscients de l'héritage de la Grèce antique et furent capables de préserver leur identité en même temps que s'adapter aux changements que le monde subissait à cette époque.
Après la chute de l'Empire byzantin et pendant l'occupation ottomane, il y eut une bataille idéologique à propos des trois noms nationaux des Grecs. Cette controverse aurait pu s'éteindre après laguerre d'indépendance grecque, mais elle ne fut résolue qu'auXXe siècle après la perte de l'Asie Mineure au profit desTurcs.
Cette controverse reflétait la divergence de point de vue entre classicistes et médiévistes (katharévousa etdémotique) dans leur tentative de définir la nationalité grecque à une époque où le concept d’Hellène, pour une personne d'origine grecque, était déjà bien ancré dans les grands centres urbains depuis la fin du Moyen Âge. Cependant, pour la majorité de la population, et spécialement celle des zones rurales, la perception dominante était toujours celle d'être desRomioi, c'est-à-dire descendant des anciens citoyens de l'Empire byzantin. C'est à ce titre queRigas Feraios appela collectivement les Grecs, Bulgares,Arvanites, Arméniens et Roumains à lever les armes contre les Ottomans[52].
Le mot « Grec » (Γραικός) était le moins populaire des trois termes, et reçut une attention disproportionnée de la part des lettrés par rapport à son usage réel.Adamántios Koraïs, un classiciste renommé, justifia sa préférence dansDialogue entre deux Grecs :« nos ancêtres se faisaient appeler Grecs mais adoptèrent par la suite le nom d’Hellènes […]. Un de ces noms est notre vrai nom. J’ai approuvé « Grèce » parce que c’est la façon dont nous appellent les nations éclairées d’Europe[53]. » Pour Koraïs, les Hellènes sont les habitants de la Grèce pré-chrétienne.
La disparition de l'État byzantin mena petit à petit à la marginalisation du mot « Romain » et permit à « Hellène » de refaire surface en tant que principal nom national.Dionysius Pyrrus appelle à l'usage exclusif du mot hellène dans saCheiragogie : « Ne désire jamais nous appeler Romains mais Hellènes, car les Romains de l'ancienne Rome ont asservi et détruit l'Hellas[54]. » En1790, des envoyés grecs allèrent demander à la TsarineCatherine II de donner à la Grèce son petit-fils Constantin. Ils se présentèrent non pas comme des Romains, mais comme des « Hellènes, descendants des Spartiates et des Athéniens[55] ».Alexandre Ypsilántis lorsqu'il appelle au soulèvement qui déclenche laguerre d'indépendance grecque, commence saDéclaration par : « Le temps est venu, hommes, Hellènes »[56]. Après que ce mot eut été accepté par les autorités spirituelles et politiques du pays, il se diffusa rapidement au sein de la population, particulièrement avec le début de la guerre d'indépendance où de nombreux chefs et figures de l'époque faisaient une différence entre les Romains restant endormis et les Hellènes se rebellant[57]. Le GénéralKolokotronis en particulier mit un point d'honneur à appeler ses troupes Hellènes et portait même un casque de style antique.
Le généralMakriyánnis dit d'un prêtre qu'il fait son devoir face aux Romains (les civils) mais espionne secrètement les Hellènes (les combattants)[citation nécessaire].Romain finit alors par être associé à l'idée de passivité et d'asservissement, etHellène ramena les souvenirs de gloires passées et de lutte pour la liberté. L'historien Ambroise Phrantzes écrit qu'alors que les autorités turques deNiokastro s'étaient rendues à l'armée grecque, ils lancèrent des cris de défiance qui conduisirent à leur massacre par la foule : « Ils appelaient les simples Hellènes « Romains ». C'était comme s'ils les appelaient « esclaves » ! Les Hellènes, ne supportant pas d'entendre ce mot leur rappelant leur situation et l'issue de la tyrannie... »[58]
Les citoyens dunouvel État grec se nommèrent Hellènes, pour établir un lien incontestable avec la Grèce antique. Cela entraîna en retour une certaine fixation sur la période antique, négligeant ainsi les autres périodes de l'histoire, en particulier celle de l'Empire byzantin. Ce point de vue des classicistes fut vite mis en balance par laGrande Idée qui prévoyait de rétablirConstantinople comme capitale et de rétablir un Empire byzantin. En 1844,Ioannis Kolettis déclare devant l'Assemblée constituante : « leroyaume de Grèce n'est pas la Grèce ; ce n'en est qu'une partie, une petite et pauvre partie de la Grèce... Il y a deux grands centres de l'hellénisme. Athènes est la capitale du royaume. Constantinople est la grande capitale, la Cité, rêve et espoir de tous les Grecs. »[59]