Si ce bandeau n'est plus pertinent, retirez-le. Cliquez ici pour en savoir plus.
Certaines informations figurant dans cet article ou cette section devraient être mieux reliées aux sources mentionnées dans les sections « Bibliographie », « Sources » ou « Liens externes »().
L'ensemble des nombres réels, noté[2], est alors uncorpstotalement ordonné, c'est-à-dire qu'il est muni des quatre opérations arithmétiques satisfaisant les mêmes règles que celles sur les fractions et ces opérations sont compatibles avec la relation d'ordre. Mais il satisfait en plus lapropriété de la borne supérieure qui fonde l'analyse réelle. Enfin, cet ensemble est caractérisé parHilbert comme plus grandcorpsarchimédien. Dans ladroite réelle achevée les valeurs infinies ne satisfont plus les règles opératoires de corps, l'extension au corps desnombres complexes rend impossible la relation d'ordre total compatible, tandis que l'analyse non standard adjoint des nombres infiniment petits qui invalident le caractère archimédien.
L'adjectif « réel » est utilisé pour qualifier des nombres dès leXVIIe siècle[H 1], mais il n'est explicitement défini par opposition aux nombresimaginaires qu'à la fin duXIXe siècle[3] Il a aussi été opposé à « nombre formel » dans certains traités dethéologie ou dephilosophie de la même époque[H 2].
Représentation de ladroite des réels avec des exemples de constantes réelles.
Les nombres réels sont utilisés pour représenter n'importe quellemesure physique telle que : le prix d'un produit, la durée entre deux événements, l'altitude (positive ou négative) d'un site géographique, la masse d'un atome ou la distance de la galaxie la plus proche. Ces mesures dépendent du choix d'une unité de mesure, et le résultat s'exprime comme le produit d'un nombre réel par une unité. Les nombres réels sont utilisés tous les jours, par exemple en économie, en informatique, en mathématique, en physique ou en ingénierie.
Le plus souvent, seuls certains sous-ensembles de réels sont utilisés :
lesnombres calculables, qui comprennent la quasi-totalité des nombres utilisés en science et en ingénierie (notammente etπ).
Bien que tous ces sous-ensembles des réels soient de cardinal infini, ils sont tousdénombrables et ne représentent donc qu'une infime partie de l'ensemble des réels. Ils ont chacun des propriétés propres. Deux sont particulièrement étudiés par les mathématiciens : lesnombres rationnels et lesnombres algébriques ; on appelle « irrationnels » les réels qui ne sont pas rationnels et « transcendants » ceux qui ne sont pas algébriques.
Laphysique utilise les nombres réels dans l'expression des mesures pour deux raisons essentielles :
Les résultats d'un calcul de physique utilisent fréquemment des nombres qui ne sont pas rationnels, sans que les physiciens ne prennent en compte la nature de ces valeurs dans leurs raisonnements car elle n'a pas de sens physique.
La science utilise des concepts comme la vitesse instantanée ou l'accélération. Ces concepts sont issus de théories mathématiques pour lesquelles l'ensemble des réels est une nécessité théorique. De plus, ces concepts disposent de propriétés fortes et indispensables si l'ensemble des mesures est l'espace des nombres réels.
En revanche, le physicien ne peut réaliser des mesures de précision infinie. La représentation numérique du résultat d'un calcul peut être approchée aussi précisément qu'il le souhaite par un nombre décimal. Dans l'état actuel de la physique, il est même théoriquement impossible de réaliser des mesures de précision infinie (d'après leprincipe d'indétermination d'Heisenberg). C'est pourquoi, aussi bien pour des besoins expérimentaux que théoriques, si le physicien calcule les mesures dans, il exprime les résultats numériques sous forme de nombres décimaux.
Ainsi le physicien utilise les propriétés des nombres réels qui permettent de donner un sens aux mesures qu'il réalise et offrent des théorèmes puissants pour démontrer ses théories. Pour les valeurs numériques, il se contente des nombres décimaux. Quand il mesure la distance que parcourt un point matériel sur un cercle complet, il utilise la valeur sans se poser de question sur son existence, mais un nombre de décimales souvent petit lui suffit pour les calculs.
Enfin, bien que les nombres réels puissent représenter n'importe quellegrandeur physique, les nombres réels ne sont pas les mieux adaptés pour l'étude de très nombreux problèmes physiques. Dessur-ensembles construits autour des réels ont été créés pour pouvoir manipuler certains espaces physiques. Par exemple :
l'espace, pour modéliser des espaces, par exemple dedimension 2,3 (ou plus) ;
l'ensemble desnombres complexes dont la structure possède des propriétés plus fortes que celle de l'ensemble des nombres réels.
Autres remarques sur la notion de « développement décimal infini »
Tout nombre réel peut être représenté sous la forme de « nombre àdéveloppement décimal infini ». Cette définition peut sembler plus simple que d'autres utilisées couramment par les mathématiciens, par exemple lalimite d'une suite convergente. Pourtant, elle apparaît rapidement comme peu adaptée et implique des définitions et des démonstrations bien plus complexes. En effet les nombres réels sont intéressants pour la structure et les propriétés de l'ensemble qu'ils forment : addition, multiplication, relation d'ordre, et les propriétés qui lient ces notions. Ces propriétés sont mal reflétées par la définition « développement décimal infini » et des problèmes théoriques apparaissent :
Certains nombres possèdent deux représentations.
Par exemple, le nombre (les se poursuivent à l'infini) vérifie l'équation. Le nombre (les se poursuivent à l'infini) en est également solution[note 5]. Or l'existence et l'unicité de solution à l'équation, d'inconnue, sont deux propriétés essentielles pour une définition univoque des réels. Pour remédier à cette situation, il devient nécessaire d'identifier les représentations décimales qui sont solutions d'une même équation : la définition devient plus complexe.
Utiliser un développementdécimal fait jouer un rôle particulier à labase dix.
Cette difficulté n'est pas insurmontable. Elle est résolue par l'utilisation d'une base quelconque : on parle alors de développements en base. Il est alors possible de démontrer que les ensembles construits à partir de ces bases sontisomorphes et que les propriétés des nombres réels sont valables dans toutes ces bases. Cependant les démonstrations deviennent lourdes, et la définition perd de sa simplicité.
Enfin, lesalgorithmes naturels pour effectuer uneaddition ou unemultiplication, trouvent leur limite du fait de la double représentation des nombres décimaux.
En effet, les « retenues » se calculent de la droite vers la gauche, et un algorithme effectif demande de ne traiter qu'un nombre fini de décimales (puisqu'il ne peut effectuer qu'un nombre fini d'opérations), c'est-à-dire de tronquer les nombres sur lesquels on calcule : il se peut donc qu'en tronquant aussi loin que l'on veut, on n'ait jamais la moindre décimale exacte, par exemple sur le calcul. Surmonter cette difficulté demande de faire appel à des notions de convergence, qui amènent naturellement vers d'autres modes de définition des réels.
Cependant, une fois établie la structure de l'ensemble des nombres réels, la notation par développement décimal permet des calculs effectifs, en gardant à l'esprit que ce n'est pas tant les décimales exactes d'un nombre qui comptent, que la position du nombre vis-à-vis des autres réels.
Depuis l'Antiquité la représentation d'une grandeur mesurable — par exemple une longueur ou une durée — a répondu à un besoin. La première réponse fut la construction desfractions (quotient de deux entiers positifs). Cette solution, mise en place très tôt chez lesSumériens et lesÉgyptiens, est finalement performante. Elle permet d'approcher une longueur quelconque avec toute la précision souhaitée.
La première formalisation construite en système que l'on connaisse est le fruit du travail d'Euclide auIIIe siècle av. J.-C. Sa construction, inscrite danssesÉléments, apporte deux grandes idées d'un apport majeur dans l'histoire des mathématiques.
Les mathématiques sont formalisées avec des axiomes, desthéorèmes et desdémonstrations. On peut alors construire un système, avec des théorèmes dont les démonstrations s'appuient sur d'autres théorèmes. Les mathématiques sont classées en catégories, lagéométrie et l'arithmétique en sont les deux plus grandes. Parler de construction prend alors tout son sens.
Un pont est bâti entre les deux grandes catégories. Cette démarche, permettant d'utiliser des résultats d'une des branches des mathématiques pour éclairer une autre branche est des plus fécondes. Lesnombres sont alors mis en correspondance avec des longueurs de segments.
L'aire du carré bleu est le double de celle du carré gris.
Supposons une longueur donnée choisie comme unité. Un raisonnement géométrique, certainement déjà connu desbabyloniens, montre que si est uncarré de côté l'unité et un carré de côté égal à ladiagonale de, alors l'aire de est double de celle de, autrement dit :.
Probablement auVe siècle av. J.-C.[4], des mathématiciens grecs démontrent que les longueurs de la diagonale du carré et de son côté sontincommensurables : il n'existe pas de segment, aussi petit soit-il, qui permette de « mesurer » exactement ces deux grandeurs. Nous disons aujourd'hui que ce rapport de longueur, qui est laracine carrée de 2, estirrationnel, c'est-à-dire qu'il n'est pas égal à une fraction : si c'était une fraction, en divisant la diagonale du carré en parties égales et son côté en parties égales on obtiendrait bien des segments tous de même longueur.
Ceci met en évidence que les fractions ne peuvent suffire pour représenter les grandeurs mesurables.
Si les fractions permettent effectivement d'exprimer toute longueur avec la précision souhaitée, il faut néanmoins comprendre que les opérations et particulièrement la division deviennent complexes si lesystème de numération n'est pas adapté. Le problème est décrit par l'articlefraction égyptienne qui propose quelques exemples concrets.
Un deuxième problème apparaît alors. Toutes les fractions possèdent undéveloppement décimal dans la mesure où ce développement est infini et périodique, c'est-à-dire que la suite des décimales ne s'arrête pas mais boucle sur un nombre fini de valeurs. La question se pose alors de savoir quel sens donner à un objet caractérisé par une suite de décimales non périodique. Par exemple, le nombre à développement décimal infini qui s'exprime comme
où le nombre de entre les chiffres croît indéfiniment, correspond-il à une longueur ?
Dans la deuxième moitié duXVIIe siècle, on assiste à un extraordinaire épanouissement des mathématiques dans le domaine du calcul desséries et dessuites.
Pire,Liouville en1844, prouve l'existence denombres transcendants c'est-à-dire non racine d'un polynôme à coefficients entiers. Il ne suffit donc pas de compléter les rationnels en y ajoutant lesnombres algébriques pour obtenir l'ensemble de tous les nombres.
Durant la deuxième partie duXVIIe siècle,Isaac Newton etGottfried Wilhelm Leibniz inventent une toute nouvelle branche des mathématiques. On l'appelle maintenant l'analyse, à l'époque elle était connue sous le nom decalcul infinitésimal. Cette branche acquiert presque immédiatement une renommée immense car elle est la base d'une toute nouvelle théorie physique universelle : la théorie de lagravité newtonienne. Une des raisons de cette renommée est la résolution d'une vieille question, à savoir si laTerre tourne autour duSoleil ou l'inverse.
Or le calcul infinitésimal ne peut se démontrer rigoureusement dans l'ensemble des nombres rationnels. Si les calculs sont justes, ils sont exprimés dans un langage d'une grande complexité et lespreuves procèdent plus de l'intuition géométrique que d'une explicitation rigoureuse au sens de notre époque.
L'impossibilité de la construction de l'analyse dans l'ensemble des fractions réside dans le fait que cette branche des mathématiques se fonde sur l'analyse des infiniment petits. Or, on peut comparer les nombres rationnels à une infinité de petits grains de sable (de taille infiniment petite) sur la droite réelle laissant infiniment plus detrous que de matière. L'analyse ne peut se contenter d'un tel support. Elle demande pour support unespace complet. Le mot est ici utilisé dans un double sens, le sens intuitif qui signifie que lespetits trous en nombre infini doivent êtrebouchés et le sens que les mathématiciens donnent aujourd'hui plus abstrait mais rigoureusement formalisé.
Cette notion est tellement importante qu'elle deviendra à l'aube duXXe siècle une large branche des mathématiques appeléetopologie.
Ce sont ces théorèmes qui intuitivement sont si évidents, que l'on se demande même comment il est possible de les démontrer. Newton a poussé tellement loin les conséquences de cesévidences, que seules quelques rares personnes pouvaient à son époque véritablement comprendre son ouvrage majeurPhilosophiae Naturalis Principia Mathematica. Les preuves se fondaient toujoursin fine sur uneintuition.
Explicitons alors pourquoi la démonstration du théorème des bornes impose une compréhension profonde de la nature topologique des nombres réels. Pour cela considérons la fonction sur les rationnels de l'intervalle dans, où désigne l'ensemble des nombres rationnels, définie par :
Graphe de la fonction.La fonction semble discontinue en un point dont le carré est égal à, mais ce point n'existe pas dans les rationnels, la fonction est donc continue partout où elle est définie. On remarque que lespetits trous rompent notre notion intuitive de continuité. Une descriptioninfinitésimale ne peut donc décrire convenablement une fonction car lespetits trous permettent dessauts qui ne sont pas décrits par le comportementinfinitésimal. Notre notion intuitive de continuité n'a donc pas le même sens dans que dans. Plus l'abscisse se rapproche par la droite de ce point qui n'existe pas dans, plus elle augmente. Il n'existe donc aucun point qui atteint le maximum.
Si l'existence desnombres négatifs apparaît très tôt dans l'histoire (mathématiques indiennes), il faut attendre1770 pour qu'ils obtiennent grâce àEuler un vrai statut de nombre et perdent leur caractère d'artifice de calcul. Mais il faut attendre encore un siècle pour voir l'ensemble des réels associé à l'ensemble des points d'unedroite orientée, appelée droite réelle.
On considère une droite contenant un point que l'on appellera, par convention, origine. Soit un point distinct de appartenant à que l'on identifie au nombre. Par convention, on dira que la distance de à est égale à et que l'orientation de la droite est celle de vers. À tout point de la droite, on associe la distance entre et. Si et sont du même côté par rapport à alors la distance est comptée positivement, sinon elle est négative.
Cette relation que la formalisation actuelle appellebijection permet d'identifier un nombre réel à un point d'une droite.
L'abscisse du point est égale à, et désignant les distances de à et de à respectivement.
Dans son cours d'analyse à l'École polytechnique,Augustin Louis Cauchy propose la première définition rigoureuse d'unelimite. Une séquence de nombres réels indexée par les entiers naturels (appeléesuite) converge vers une limite (nécessairement unique) lorsque la distance devient aussi petite que souhaitée pour suffisamment grand. Il énonce un critère qui porte aujourd'hui son nom, lecritère de Cauchy : il faut et il suffit que les distances soient aussi petites que souhaitées pour et suffisamment grands. Par l'énoncé de ce critère, Cauchy affirme la complétude du corps des nombres réels, propriété sur laquelle peut être fondée sa définition. Cette approche est formalisée parMéray[H 3] en 1869 puis parCantor en 1872. Cette idée, particulièrement adaptée à l'analyse, trouve des prolongements dans les méthodes decomplétion.
Une seconde construction est publiée parRichard Dedekind[H 4] en 1872. Elle découle de l'étude de larelation d'ordre sur les fractions. Unecoupure de Dedekind est un ensemble de rationnels, tel que tout rationnel de est inférieur à tout rationnel du complémentaire de. Un réel est alors représenté par une coupure de Dedekind. Par exemple, la racine carrée de est représentée par l'ensemble des rationnels négatifs et des rationnels positifs de carrés inférieurs à. Il existe des variantes de la définition de coupure selon les auteurs.
Une troisième construction s'appuie sur la méthode des segments emboîtés. Un emboîtement est une suite décroissante d'intervalles fermés de nombres rationnels dont la longueur tend vers. Un nombre réel est alors défini comme une classe d'emboîtements modulo unerelation d'équivalence. SelonMainzer(de)[5],« la vérification des propriétés de corps ordonné est relativement pénible », ce qui explique pourquoi cette approche apparaît moins avantageuse que les deux précédentes. Il existe aussi une autre méthode à partir des développements décimaux, cependant l'addition puis la multiplication ne sont pas des opérations simples à définir.
En 1899,David Hilbert[H 5] donne la première définition axiomatique du corps des nombres réels. Les méthodes précédentes construisent toutes le « même » ensemble, celui des nombres réels.
LeXIXe siècle montre que cette nouvelle structure, l'ensemble des nombres réels, ses opérations et sa relation d'ordre, non seulement remplit ses promesses mais va au-delà.
Les développements décimaux infinis ont maintenant un sens. De plus, il devient possible de mieux comprendre les nombres réels et de les classifier. Ainsi, outre le corps des nombres rationnels, on découvre lecorps des nombresalgébriques, c'est-à-dire des nombres qui sontracines d'un polynôme à coefficients entiers. Une nouvelle famille de nombres est exhibée : lestranscendants qui ne sont racines d'aucuneéquation polynomiale à coefficients entiers. Les propriétés de ces nombres permettent la démonstration de vieilles conjectures comme laquadrature du cercle.
Enfin, lethéorème de Rolle est généralisé et permet la démonstration d'un résultat essentiel pour l'analyse. Le comportement infinitésimal d'une fonction, par exemple le fait que ladérivée soit toujours positive, permet de déduire un comportement global. Cela signifie par exemple, que si unsolide se déplace sur une droite avec unevitesse instantanée toujours positive, alors le solide a avancé, c'est-à-dire qu'il s'est déplacé positivement (vers « l'avant ») par rapport à l'origine. Cette question qui avait arrêté les Grecs, incapables de résoudre lesparadoxes de Zénon, est définitivement comprise. Ce résultat, que l'intuition déclare évident, a demandé des siècles d'efforts.
Dans le développement du calcul infinitésimal, la manipulation des infiniment petits peut alors être abordée différemment. L'ensemble des nombres réels ne pourra satisfaire tous les mathématiciens. Dans les années 1960,Abraham Robinson met en place la notion denombre hyperréel et permet le développement de l'analyse non standard. Cette nouvelle théorie permet d'exprimer et de démontrer plus simplement certains résultats fondamentaux comme lethéorème de Bolzano-Weierstrass.
L'évolution des concepts de nombre réel et decontinuité est tout aussiphilosophique que mathématique. Que les nombres réels forment une entité continue veut dire qu'il n'y a pas de « saut » ou de « bande interdite ». Intuitivement, c'est tout comme la perception humaine de l'espace ou de l'écoulement du temps. Certains philosophes conçoivent qu'il en est d'ailleurs exactement de même pour tous les phénomènes naturels. Ce concept est résumé par la devise du mathématicien et philosophe Leibniz :natura non facit saltus, « la nature ne fait pas de sauts ».
L'histoire de la continuité débute enGrèce antique. AuVe siècle av. J.-C., lesatomistes ne croient pas seulement que la nature est faite de « sauts », mais aussi qu'il existe des particules de base non divisibles, lesatomes. Lessynéchistes quant à eux clament que tout est connecté, continu[6].Démocrite est un tenant d'une nature faite d'atomes intercalés de vide, tandis queEudoxe le contredit, faisant de ses travaux certains des plus anciens précurseurs de l'analyse. Ceux-ci évoluent plus tard en ce que l'on connaît sous le nom degéométrie euclidienne.
Encore auXVIIe siècle, des mathématiciens énonçaient qu'une fonction continue est en fait constituée de lignes droites infiniment petites, c'est-à-dire infinitésimales. C'est ainsi que le concept d'infiniment petit, vu dans l'optique atomiste, peut promouvoir cette façon de concevoir la nature. La question d'infini est donc centrale à la compréhension de la continuité et des nombres réels.
Lesparadoxes de Zénon illustrent la contre-intuitivité de la notion d'infini. L'un des plus connus est celui de la flèche, dans lequel on imagine une flèche en vol. À chaque instant, la flèche se trouve à une position précise et si l'instant est trop court, alors la flèche n'a pas le temps de se déplacer et reste au repos pendant cet instant. Les instants suivants, elle reste immobile pour la même raison. La flèche est toujours immobile et ne peut pas se déplacer : le mouvement est impossible. Pour résoudre ce paradoxe, il faut additionner ces infiniment petits un nombre infini de fois, par la méthode de lalimite, découverte au cours de l'évolution de l'analyse.
Le concept de continuité des nombres réels est central enanalyse, dès le début de son histoire. Une question fondamentale est de déterminer si unefonction donnée est en fait unefonction continue. AuXVIIIe siècle, on formulait cette question comme « est-ce qu'une variationinfinitésimale dans son domaine engendre une variation infinitésimale dans son image ? ». AuXIXe siècle, cette formulation est abandonnée et remplacée par celle deslimites.
Dès leXVIIIe siècle, les infinitésimales tombent en disgrâce : elles sont dites d'utilité pratique, mais erronées, non nécessaires et contradictoires. Les limites les remplacent tout à fait et à partir du début duXXe siècle, les infinitésimales ne sont plus le soubassement de l'analyse. En mathématiques elles demeurent en quelque sorte des non-concepts, jusqu'à ce qu'on les réintroduise à grands frais engéométrie différentielle, leur donnant le statut mathématique dechamp tensoriel.
Dans les sciences appliquées, en particulier enphysique et engénie, on se sert toujours des infinitésimales. Cela cause des problèmes de communication entre ces sciences et les mathématiques.
Définitions axiomatiques de ℝ et premières propriétés
On peut caractériser brièvement l'ensemble des nombres réels, que l'on note en général, par la phrase deDavid Hilbert : est le derniercorps commutatifarchimédien et il estcomplet. « Dernier » signifie que tout corps commutatif archimédien estisomorphe à un sous-ensemble de. Ici « isomorphe » signifie intuitivement qu'ilpossède la même forme, ou se comporte exactement de la même manière, on peut donc, sans grande difficulté, dire qu'ils sont les mêmes.
Une approche axiomatique consiste à caractériser un concept par une série de définitions. Ce point de vue, dont Hilbert est le précurseur dans son formalisme moderne, s'est révélé extrêmement fécond auXXe siècle. Des notions comme la topologie, lathéorie de la mesure, ou lesprobabilités se définissent maintenant par une axiomatique. Une approche axiomatique suppose une compréhension parfaite de la structure en question et permet une démonstration des théorèmes uniquement à partir de ces définitions. C'est la raison pour laquelle de bonnes définitions peuvent en mathématiques s'avérer si puissantes. Une définition axiomatique de ne montre néanmoins pas qu'un tel ensemble existe. Il apparaît alors nécessaire deconstruire cette structure (voir l'articleConstruction des nombres réels).
On dispose de plusieurs définitions axiomatiques équivalentes :
est l'unique corps totalement ordonné vérifiant lelemme de Cousin.
La définition 1 est présentée en début de section. L'équivalence entre les définitions 2 et 3 est démontrée dans l'articleConstruction des nombres réels. L'équivalence entre les définitions 3 et 4 est essentiellement un résultat sur les ensembles ordonnés (voir l'articleTopologie de l'ordre).
L'unicité est à isomorphisme (unique) près, c'est-à-dire que si K est un corps totalement ordonné vérifiant les mêmes hypothèses, alors il existe un (unique) isomorphisme strictement croissant de K dans.
Détaillons la définition 2 :
est uncorps commutatif, autrement dit les deux opérations, addition et multiplication, possèdent toutes les propriétés usuelles, en particulier la somme et le produit de deux réels sont réels, ainsi que l'inverse d'un réel non nul (l'adjectifcommutatif signifie qu'un produitab est toujours égal au produitba).
est uncorps totalement ordonné. Cela signifie que tous les nombres peuvent être comparés entre eux (l'un est soit plus grand, soit plus petit, soit égal à l'autre) et que cette relation respecte l'addition et la multiplication. Enlangage mathématique on a :
estarchimédien. Cela signifie que si l'on considère un nombre a strictement positif, par exemple, et que l'on considère la suite c’est-à-dire dans notre exemple alors on obtiendra dans la suite, des nombres aussi grands que l'on veut. En langage mathématique, cela s'écrit
estcomplet. C'est-à-dire que dans, toutesuite de Cauchyconverge (dans ; noter la différence avec. Toute suite de Cauchy de converge dans, mais la limite peut ne pas être dans).
Cette section est essentiellement technique. Elle traite des propriétés essentielles et élémentaires pour un travail analytique sur.
La propriété suivante peut se déduire du fait que est archimédien.
Entre deux réels distincts, il existe toujours une infinité de rationnels et d'irrationnels (voir l'articleOrdre dense).
Les autres propriétés sont des conséquences de la propriété de la borne supérieure.
Tout ensemble non vide et minoré de admet une borne inférieure (cette propriété se déduit de l'axiome de la borne supérieure, par passage aux opposés).
Toute suite décroissante et minorée dans est convergente (de même, par passage aux opposés).
Deux suites adjacentes convergent vers la même limite. On appelle suites adjacentes deux suites, l'une croissante, l'autre décroissante, dont la différence tend vers (voir l'articleThéorème des suites adjacentes).
Il existe un ensemble de fonctions particulièrement intéressantes, lespolynômes. Un polynôme peut parfois êtrefactorisé. C'est-à-dire qu'il s'exprime sous la forme de produit de polynômes non constants de degrés plus petits. L'idéal étant que l'on puisse factoriser tout polynôme en facteurs de degré (c'est-à-dire sous la forme). Cette propriété dépend du corps sur lequel on construit ces polynômes. Par exemple sur le corps des rationnels, quel que soit entier supérieur ou égal à, il existe des polynômes de degrén irréductibles, c'est-à-dire que l'on ne peut pas les exprimer sous forme de produit de polynômes de degrés plus petits.Pour les nombres réels, on démontre que le plus grand degré d'unpolynôme irréductible est égal à deux. En d'autres termes, si le polynôme ne se décompose pas, c'est qu'il est de la forme. Les corps qui n'ont comme polynômes irréductibles que les polynômes de degré sont ditsalgébriquement clos.
Si n'est pas algébriquement clos, on peut plonger ce corps dans un corps plus vaste. Il s'agit d'un nouveau corps, le corps desnombres complexes. Cependant ce corps n'est pas globalement « meilleur ». Saclôture algébrique est une propriété fort intéressante, mais elle a un coût : le corps des complexes ne peut pas posséder derelation d'ordre compatible avec ses deux opérations. En quelque sorte, ce qui est gagné d'un côté est perdu d'un autre.
La raison d'être des nombres réels est d'offrir un ensemble de nombres avec lesbonnes propriétés permettant la construction de l'analyse. Deux approches utilisant deux concepts différents sont possibles.
On peut utiliser la notion d'espace métrique qui sur associe ladistance usuelle. Cette distance, que l'on note ici, était déjà utilisée par Euclide. Elle est définie de la manière suivante :
Ce concept est le plus intuitif et en général demande des démonstrations un peu plus naturelles. C'est souvent à partir de ce concept que les propriétés analytiques de sont développées et prouvées.
On peut aussi utiliser la théorie de la topologie. Cette théorie est plus générale que celle associée à la distance : à tout espace métrique est associé unespace topologique mais laréciproque est fausse.
Combien y a-t-il de nombres réels ? Uneinfinité, mais laquelle ? Deux ensembles ont mêmecardinal (intuitivement : même « nombre d'éléments ») s'ils sontéquipotents. Par exemple les ensembles (entiers naturels), (entiers relatifs), (rationnels) ou (algébriques)[note 6], bien qu'emboîtés et contenant même chacun plusieurs « copies » du précédent, ont même « taille » : c'est le cardinal desensembles dénombrables, notéℵ₀.Georg Cantor a montré qu'il existe des cardinaux infinis strictement plus grands en fournissant, par son argument diagonal, une preuve que n'est pas dénombrable : voir l'articleArgument de la diagonale de Cantor. En voici une autre.
Montrons que l'intervalle n'est pas dénombrable, en montrant qu'une suite dans n'est jamaissurjective. Il suffit de trouver un point dans qui n'est pas dans l'ensemble image de la suite. Pour cela,définissons par récurrence deux suites, telles que :
Initialisons nos deux suites en posant :
Il est évident que la propriété est vraie si est égal à.Définissons alors nos suites pour le rang.
L'intervalle étant inclus dans l'intervalle, il ne peut contenir d'élément de la suite d'ordre strictement inférieur à,par hypothèse de récurrence. Par construction, il ne peut pas non plus contenir et la propriété est vérifiée.
Les deux suites étantadjacentes (), leurlimite commune appartient, pour tout, à l'intervalle, donc est différente des premières valeurs de la suite. Comme est quelconque, la proposition est démontrée.
Le cardinal de l'ensemble des nombres réels est appelé lapuissance du continu et parfois notéc. Il est aussi noté car est en fait équipotent à l'ensemble des parties de — ce qui, par un autrethéorème de Cantor, fournit une preuve plus précise de sa non-dénombrabilité :
.
Cantor s'est posé la question de l'existence d'un cardinal strictement compris entre et. Son hypothèse, appeléehypothèse du continu, est qu'un tel cardinal n'existe pas. La question des cardinaux a été englobée par Cantor dans une théorie plus vaste, lathéorie des ensembles, qui sert maintenant de fondement à la majeure partie des mathématiques. Il a fallu attendre la deuxième moitié duXXe siècle pour trouver la réponse à la question de l'hypothèse du continu : elle estindécidable dans la théorie des ensembles usuelle (ZFC). Cela signifie qu'il est impossible de démontrer aussi bien l'existence que la non-existence d'un tel cardinal si l'on ne modifie pas la base axiomatique utilisée.
L'ensemble des réels muni de l'addition usuelle et de la multiplication par desrationnels est unespace vectoriel sur (ensemble des rationnels). En 1905, lors de la recherche de solutions noncontinues à l'équation fonctionnelle de Cauchy[7],Georg Hamel exhibe unebase de considéré comme espace vectoriel sur. L'existence d'une telle base est assurée si l'on suppose l'axiome du choix[8]. Une base de Hamel de est non dénombrable[9].
↑Cette partie entièrepar troncature, désignant les chiffres « à gauche de la virgule » ne correspond pas forcément à lapartie entière par défaut : dans le cas d’un nombre réel négatif comme −1,3, la partie entière par défaut vaut −2.
↑Seul le nombrezéro est à la fois positif et négatif.
↑Certaines listes infinies de décimales peuvent être qualifiées de « non standard » si tous les chiffres sont égaux à 9 à partir d’un certain rang. Dans ce cas, le réel considéré est unnombre décimal et admet aussi une écriture standard comportant un nombre fini de décimales.
↑Par exemple, 3/41=0,0731707317... avec une période de 5 chiffres.
↑L'ensembleℚ des nombres algébriques est laclôture algébrique ducorps ℚ des rationnels (ce qui explique sa représentation par un “q majuscule ajouré et surligné”), laquelle contient tous les rationnels, mais aussi tous les irrationnels non transcendants.
↑Jean Dhombres, « Réels (nombres) »,Dictionnaire des mathématiques, fondements, probabilités, applictions, Encyclopædia Universalis et Albin Michel, Paris 1998.
↑Les lettres grasses étant difficiles à reproduire en écriture manuscrite, la graphie ℝ tend à se généraliser avec un doublement de la barre verticale.
↑Georg Cantor,Les fondements de la théorie des ensembles, 1883.
↑K. Mainzer, « Les nombres réels », dansLes Nombres : Leur histoire, leur place et leur rôle de l'Antiquité aux recherches actuelles (éd. Vuibert) 1998.
↑Charles Méray, « Remarques sur la nature des quantités définies par la condition de servir les limites à des variables données »,Revue des sciences savantesIV (1869).
↑Richard Dedekind,Stetigkeit und Irrationale Zahlen, Braunschweig 1872.
Isaac Newton, préface deVoltaire et traduction d'Émilie du Châtelet,Philosophiae naturalis principia mathematica (« Principes mathématiques de la philosophie naturelle »), Dunod
Références sur les nombres réels et l'analyse élémentaire