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Wallace Fard Muhammad est reconnu parNation of Islam comme étantAllah et le « Messie » (ou « mahdi ») attendu par les musulmans. L’idéologie développée par l’organisation est un mélange denationalisme afro-américain et de religion. Cette dernière est inspirée par l’islam, mais reste éloignée de l’islam orthodoxe. La NOI est donc considérée comme unesecte par la majorité des organisations musulmanes[4].
SiWallace Fard Muhammad est bien le créateur de l’organisation, c’est son successeurElijah Muhammad qui, entre1934 et1975, lui a donné son orientation, son organisation et sa puissance.Malcolm X a été l’une des figures les plus en vue de l’organisation, jusqu’à sa rupture avec celle-ci, dont il dénonce leracisme au retour d’unpèlerinage àLa Mecque effectué en1964.
Nation of Islam se transforme officiellement en mouvement musulmansunnite peu après la mort d’Elijah Muhammad, en1975. Un groupe de militants refusant cette orientation quitte l’organisation en1978, et reprend le nom deNation of Islam, qui venait d’être abandonné par l’organisation mère. Fidèle à l’idéologie des origines, malgré certaines évolutions, la « nouvelle » NOI est dirigée depuis la scission de 1978 parLouis Farrakhan.
Sur le plan religieux, divers groupes (se réclamant dujudaïsme, duchristianisme ou de l’islam) développent une pensée tournée de façon privilégiée vers les Noirs. Parmi eux une organisation se réclamant de l’islam, leMoorish Science Temple of America, fondé en1913 par Timothy Drew, l'organisation offre un certain nombre de ressemblances avec ce que seraNation of Islam à partir de1930.
Wallace Fard Muhammad (1930-1934) et affaire du sacrifice humain en 1932
Photographie d'identité judiciaire deWallace Fard Muhammad, fondateur de la Nation of Islam, en 1933.
Nation of Islam, ouLost - found Nation of Islam in North-America, parfois aussi appeléeAllah Temple of Islam[source secondaire nécessaire][7] est la matrice de quasiment toutes les organisations musulmanes actuelles de la communautéafro-américaine, et a été fondée àDétroit, dans le Nord desÉtats-Unis, en1930, parWallace Fard Muhammad.Nation of Islam pense que celui-ci est le mahdi attendu par les musulmans. L’organisation finira même par aller sensiblement plus loin, en le considérant commeDieu incarné[8][source secondaire nécessaire].
On connaît très peu de choses à son sujet ou sur son idéologie précise. Pour la Nation de l’islam, il serait venu au monde en1877 àLa Mecque, enArabie saoudite, avant de venir prêcher le « peuple noir » en Amérique, puis d’abandonner son incarnation physique en1934, date à laquelle il disparaît mystérieusement. Pour le FBI, il s’appelait en fait Wallace Dodd Ford ou Wallace Dodd, né en1891 enNouvelle-Zélande, et serait unmétis blanc-polynésien arrivé auxÉtats-Unis en1913. Il aurait été arrêté en1918 pour attaque à main armée, de nouveau arrêté au début de 1926 pour infraction à la loicalifornienne deprohibition de l’alcool, et enfin aurait fait de la prison de1926 à1929 pour infraction à la législation sur lesstupéfiants. Il se serait alors installé à Détroit, avant de créerNation of Islam en1930[9].
Robert Karriem (1888-1935), membre de la Nation of Islam (à l'époque Allah Temple of Islam) et meurtrier de James J. Smith.
Le 20 novembre1932 éclate une affaire qui menace la jeune organisation. Un sacrifice humain est commis par un membre, Robert Karriem (né Robert Harris auMississippi le 3 août 1888 et habitant deDétroit depuis 1929) qualifié de « déséquilibré »[10]. Dans une maison en présence de la femme et des enfants de Karriem et de douze autres personnes, Robert Karriem a escorté James J. Smith, un homme noir né àAtlanta (Géorgie) le 25 décembre 1892, dans une pièce avec un autel de fortune. Il a demandé à Smith s'il était prêt à « sacrifier sa vie pour l'islam ». Après que Smith ait répondu à l'affirmative, Karriem l'a poignardé à la poitrine et battu à mort avec unaxe. Des voisins alertent la police et le corps de Smith est retrouvé sur l'autel avec un magazine à prix modique parlant du « mysticisme du désert » et avec la phrase soulignée : "The believer must be stabbed through the heart" (Le croyant doit être poignardé au cœur). Outre Karriem, Fard est arrêté avec son assistant Ugan Ali à la suite d'une chasse à l'homme.
Policier devant la maison où le sacrifice humain s'est produit.
Le récit du meurtre de Smith est détaillé par Karriem dans son témoignage :
« Smith était assis sur une chaise devant l'autel. Ma femme chronométrait le temps. À l'approche de l'heure, j'ai dit : "Smith, veux-tu toujours te faire tuer?", car le commandement m'ordonnait de ne tuer personne qui ne le souhaitait pas. Smith a hoché la tête. À minuit, j'ai dit : "Smith, lève-toi et monte sur l'autel." J'ai attrapé mon poignard (un couteau de vingt centimètres) et je l'ai poignardé ainsi. Smith est tombé de l'autel, a commencé à gémir et à essayer de se relever. Je l'ai frappé à la tête avec ma barre de fer (un morceau d'essieu arrière d'automobile). »
Karriem déclare que ses enfants, présents durant le meurtre, pleuraient et le suppliaient d'arrêter en disant : « S'il-te-plaît, papa, ne fais pas ça, ne fais pas ça! »[11].
D’après le rapport de police de l'époque, Fard aurait nié toute responsabilité dans le crime et expliqué qu'il n'a jamais enseigné de commettre des sacrifices humains. Au cours de l'interrogatoire, il aurait fini par indiquer que la création de l'organisation était« strictement un racket[12] ». Diagnostiqués « fous », Fard et Ali sont tous les deux détenus dans unhôpital psychiatrique à l'intérieur d'unecellule matelassée et sanglés dans unecamisole de force[13].
Alors que Fard et Ali sont toujours détenus cinq jours après lemeurtre de James J. Smith(en),Elijah Muhammad, qui s'appelait à l'époque Elijah Karriem, conduit plus de 200 membres dans le palais de justice et organise une manifestation au rez-de-chaussé pour protester contre la détention de Fard et Ali. La police a dû passer une journée entière avant de réussir à faire évacuer l'ensemble des émeutiers hors du palais de justice. Robert Karriem est déclaré par la justice coupable du meurtre mais non criminellement responsable dû à la maladie mentale et, atteint deschizophrénie, meurt interné dans un hôpital psychiatrique le 19 juin 1935[13]. L'organisation, à l'époque appeléeAllah Temple of Islam, est dans ce contexte dissoute pour être aussitôt recréée sous le nom deNation of Islam.
En1934, sous la pression de la police, Fard aurait quitté Détroit. Le dossier du FBI propose plusieurs hypothèses quant à ce qu'il serait devenu par la suite, mais n'a pas d’information directe sur ce sujet. Il s'agit pour l'essentiel de références à d’autres sources, comme des articles de journaux[source secondaire nécessaire].
Quelles que soient les motivations réelles du créateur de l'organisation, celle-ci regroupe après sa disparition de1934 un petit groupe d'adhérents convaincus et militants, qui en feront en une trentaine d’années une organisation forte de dizaines de milliers d'adhérents[source secondaire nécessaire].
Elijah Poole est né dans l'État deGéorgie (Sud des États-Unis) en 1897, mais s’est installé àDétroit (Nord des États-Unis) en 1923. Il suivait en cela lagrande migration afro-américaine de l’époque, depuis le sud agricole, pauvre etségrégationniste des États-Unis, vers le nord industriel, plus riche et un peu plus tolérant à l’égard des Noirs. Mais même dans le Nord, les discriminations raciales existent, engendrant, selon Eric Lincoln,« une haine virulente des Blancs[15] ». À Détroit, Poole entre en contact en 1931[16],[17] avec Fard Muhammad, et rallie son organisation naissante. Il prend le nom de Elijah Muhammad, mais se fait aussi connaître sous les noms de Gulan Bogans, ou de Mohamed Rassoul[16].
Après la disparition du fondateur,Elijah Muhammad serait entré dans un bref conflit avec d’autres leaders de l’organisation, conflit qui l’amène à s’installer avec ses partisans àChicago, loin de la faction hostile de Détroit. Il sort finalement vainqueur de l’affrontement, s’affirmant comme le chef incontesté de la NOI. Claude Clegg[18] parle à propos de la NOI de l’époque d’un climat de« chaos organisationnel et d’intrigues entourant la disparition de son fondateur »[19]. PourNation of Islam par contre, c’estWallace Fard Muhammad qui« l’a choisi pour être son représentant divin dans la continuation de cette si difficile tâche d’apporter la vérité et la lumière à son peuple perdu et retrouvé »[20]. Désormais à la tête de l’organisation, il prend le titre de « messager de Dieu », sous lequel l’organisation continue aujourd’hui à le désigner. Il commence à étendre celle-ci, encore limitée en 1934 à Détroit et Chicago. C’est le Nord-Est industriel qui s’avère le plus réceptif. Muhammad y crée une série de temples (qui seront plus tard rebaptisésmosquées), et les appelle selon leur numéro de création. Ainsi, àNew York, la mosquée historique est toujours désignée sous le nom de mosquée numéro 7 (à l’origine templeno 7), parce que c’est la septième fondée (ou visitée) par Elijah Muhammad.
Après l'assassinat de Malcolm X, NOI devient plus discrète mais son nombre d'adepte continue d'augmenter, en partie grâce à la publicité que lui faitMohammed Ali.
Elijah Muhammad meurt le 25 février 1975. Pour lui succéder, sa famille et ses plus proches collaborateurs se positionnent en faveur de Wallace Muhammad.
Wallace Muhammad, est le jeune frère d'Herbert. Après avoir épousé l'Islam traditionnel, Wallace s'est rebellé contre les enseignements de son père. Il a été exclu de NOI pour avoir contesté les prétentions d'Elijah à être le messager d'Allah. Mais il est finalement réintégré et, avec le soutien de la famille, des plus proches collaborateurs d'Elijah et de Mohamed Ali, prend sa succession à la tête de NOI[21].
Au cours des dix-huit premiers mois, Wallace s'emploie à orienter NOI vers un Islam plus orthodoxe. Il dissout les Fruit of Islam. Déclare que les démons ne peuvent être identifiés par des attributs physiques, ce qui permet aux Blancs d'adhérer au groupe. Enfin, il la renomme en « Communauté mondiale de l'Islam en Occident ».
En 1978, des membres de la NOI, dirigé parLouis Farrakhan, se réorganisent autour des enseignements d'Elijah Muhammad. En 1981, Louis Farrakhan proclame officiellement la restauration de la NOI, et la fidélité aux dogmes d'Elijah Muhammad[22].
Portrait officiel de Wallace Fard Muhammad, tel que diffusé par la NOI.
Concernant la formation de l’idéologie du mouvement, la part exacte à attribuer au fondateurWallace Fard Muhammad et celle à attribuer àElijah Muhammad restent difficiles à établir. Bien que la NOI mette en avant sa nature religieuse, le versant socio-politique de sonidéologie n’en est pas moins fortement affirmé. La vision idéologique deNation of Islam a été formalisée dans leMuslim Program[23] de1965, toujours en vigueur, mais l’essentiel de ces thématiques était déjà clairement affirmé dès lesannées 1930. Malgré une certaine modération de l’interprétation des principes fondamentaux (en particulier le rejet desBlancs), la NOI du début duXXIe siècle a un positionnement idéologique très similaire à celui de ses débuts.
Lathéologie de la NOI est assez éloignée de l’islam orthodoxe ; certains de ses aspects peuvent même en être jugé antagonistes :
Les Noirs étaient les premiers hommes habitants sur terre et ont régné durant des milliards d'années sous la bannière de l'Islam jusqu'à ce que leur autorité soit sapée par une race de diables blancs, ceux-ci devant connaître un jour une fin brutale sous la main d'Allah.
L’islam est la véritable religion del’homme noir, et est réservée aux Noirs, et en théorie aux autres populations « de couleur ». Selon un discours d’Elijah Muhammad :« vous pouvez facilement les distinguer [lesBlancs] de nos peuples (foncé, brun, jaune ou rouge) »[24][source secondaire nécessaire]. En pratique, il n’y a jamais eu de véritable tentative de la NOI de s’adresser à d’autres groupesethniques que lesAfro-Américains. L’islam insiste au contraire sur sa vocation universelle[25].
LesBlancs sont une race inférieure, créée par sélection artificielle à partir de la race première noire par un scientifique noir, du nom deYakub[26][source secondaire nécessaire], il y a 6 000 ans. Ils sont les représentants du diable sur la terre, mais les prophéties annoncent la fin de leur règne.« L’homme noir a produit ces quatre couleurs : brun, rouge, jaune et blanc […] l’homme noir, pourtant, est le créateur de tous […] Maintenant, le grand Mahdi[27] (Dieu en personne) avec sa sagesse, connaissance et compréhension infinies, va remettre l’homme noir originel dans la situation originelle où il était au commencement, le Dieu et le gouverneur de l’univers »[source secondaire nécessaire].« Nous avons vu la race blanche (démons) dans le ciel, parmi les justes, causant des troubles […], jusqu’à ce qu’ils aient été découverts. […] Ils ont été punis en étant privé des conseils divins […] presque ravalés au rang des bêtes sauvages. […] sautant d’arbre en arbre. Les singes en procèdent. […] Avant eux, il n’y avait rien comme les singes et les cochons »[26][source secondaire nécessaire]. Cette idée selon laquelle les noirs sont les humains originels existait déjà dans des organisationsafro-américaines précédentes, commeThe church of God, un groupe d'hébreux noirs créé en1915[source secondaire nécessaire].
Dieu n’est pas un esprit, car« nous vivons dans un univers matériel », et de ce fait« Dieu est un homme »[28].« Dieu doit être un homme, et non un spectre »[29]. En réalité,« il y avait Dieu au commencement qui a créé toutes ces choses et nous savons qu’il n’existe pas aujourd’hui, mais nous savons encore que de ce Dieu, la personne de Dieu a persisté jusqu’à aujourd’hui dans son peuple [les Noirs], et aujourd’hui un être suprême (Dieu) est apparu parmi nous avec la même sagesse infinie pour provoquer un changement complet »[30].« Allah est venu à nous de la ville sainte dela Mecque, Arabie, en1930. Il a employé le nom deWallace D. Fard »[31]. Pour les musulmans orthodoxes, cette disparition du Dieu créateur des origines, et son remplacement par un Dieu collectif racial dont émerge un Dieu/homme supérieur est inacceptable. Ainsi, par exemple, d’après leCoran (33:40)« Muhammad [est] le messager de Dieu, et le dernier des prophètes ». Toute personne prétendant être unprophète depuis la mort deMahomet est donc par définition toujours considérée comme un faux prophète par l’islam orthodoxe,a fortiori s’il se proclame Dieu en personne[source secondaire nécessaire].
L'avion-mère, un vaisseau spatial en forme de roue plane au-dessus de la terre dans l'attente d'anéantir les Blancs le jour du jugement dernier[33]. C'est pourquoi le mouvement est parfois qualifié dereligion ufologique.
Pour NOI, le christianisme est la religion des Blancs.
« La religion, particulièrement lechristianisme, a enseigné partout le mensonge selon lequel nous étions les descendants deKham [un des fils deNoé] condamné, lui et ses descendants, à être esclaves des Blancs[35],[36]. »
La religion des Blancs, lechristianisme, est la religion de l’esclavage et du mal. L’islam orthodoxe admet par contre dans une certaine mesure la validité duchristianisme[37]. On note cependant que sous la direction deLouis Farrakhan, le discours s’est en partie infléchi. Si lechristianisme reste responsable de l’esclavage, il est admis qu’il est porteur d’une certaine valeur s’il se libère de sonracisme historique :
« À mes frères et sœursChrétiens qui sont présents, Jésus n’était pas un accident. Jésus était un homme reconnaissant envers son Père. Il était un homme tellement en accord avecDieu, il est tellement resté dans la lumière de son Père qu’il est devenu la lumière du monde[38]. »
Il y a enfin certaines influences chrétiennes. Les lieux de culte sont à l’origine appelés des temples, par exemple. Les ministres du culte sont appelésministers, et nonimams[source secondaire nécessaire].
L’idéologie deNation of Islam ne se limite pas au domaine religieux. Elle a aussi une forte composante sociale et politique, indifférente d’un point de vue islamique, et que l’organisation peut partager en tout ou partie avec d’autres groupes nationalistesafro-américains. L’idée centrale est l’indépendance du peuple noir en Amérique par le biais d'un séparatisme (essentiellement d'avec les Blancs et le christianisme) et de l'autodétermination dans tous les domaines de la vie sociale, économique et politique.
Il y a des positions communes avec l’islam ou lechristianisme : interdiction des relations sexuelles hors mariage, affirmation des« valeurs familiales », rôle dirigeant de l’homme au sein de la cellule familiale. Ainsi, indique le site officiel de la NOI,« on enseigne à nos femmes un code d’habillement modeste qui encourage la pratique d’une moralité élevée »[40][source secondaire nécessaire].
La consommation deporc est interdite, conformément à l’enseignement de l’islam. La NOI insiste aussi sur le respect des cinqpiliers de l'islam. La consommation dedrogue, mais aussi detabac et d’alcool est déconsidérée, en accord avec la vision musulmane traditionnelle[source secondaire nécessaire].
Le changement de nom, et parfois du prénom, est une règle de la communauté, et serait dû à un commandement deWallace Fard Muhammad lui-même. Il s’agit pour le nouvel adhérent d’affirmer la rupture symbolique avec son passé d’incroyant, mais aussi d’exprimer le refus du« nom d’esclave »[16], et donc l’indépendance vis-à-vis du monde blanc. Lesdéportésafricains auxÉtats-Unis recevaient en effet un prénomchrétien et un nom de famille[41], tous deux imposés par le propriétaire du nouvel esclave. Les prénoms des nouveaux membres de la NOI ne sont pas toujours changés, mais quand ils le sont c’est au bénéfice de prénoms islamiques. Les noms de familles sont également fréquemment changés, généralement en faveur d’un nom musulman, mais parfois aussi d’un nom africain ou d’un « X » symbolique, exprimant l’effacement du patronyme historique par l’esclavage[source secondaire nécessaire].
Un code vestimentaire exprimant cette volonté d’ascension sociale est demandé aux membres de l’organisation. Pour les hommes, il s’agit du port d’un strict costume trois-pièces, aveccravate, ou fréquemment avec unnœud papillon. Pour les femmes, il s’agit de tenues modestes[40] mais correctes. D’un point de vue général,Nation of Islam demande à ses membres de rejeter tout laisser-aller vestimentaire exprimant l’échec social, et d’affirmer symboliquement leur volonté d’ascension sociale[source secondaire nécessaire].
Un vendeur de Nation of Islam, vendant l’hebdomadaireCall of Islam, et ce qui ressemble à un assortiment d’huiles et de parfums.
L’indépendance doit aussi se construire dans le domaine économique. Les Noirs doivent prendre leurs propres décisions politiques, sociales, économiques (autodétermination). Notamment créer leurs propres entreprises et leurs propres emplois.
Nation of Islam a très tôt insisté sur la nécessité pour les Noirs en général, et les « Musulmans noirs » en particulier, de construire des entreprises noires et d’acheter préférentiellement dans ces entreprises. Il s’agit d’une part d’acquérir un statut social plus favorisé, et d’autre part de ne plus dépendre des patrons blancs, accusés deracisme. À ce titre, l’organisation a créé dès les années 1930 des entreprises sous son contrôle, mais a aussi encouragé ses membres à créer leurs propres entreprises, tout en favorisant l’emploi des membres de la communauté et les relations économiques avec les autres sociétés « musulmanes ». Le succès a été en partie au rendez-vous, et un tissu petit mais actif d’entreprises liées directement ou indirectement à la NOI s’est affirmé avec les années[source secondaire nécessaire].
La langue anglaise n'est pas considérée comme un signe de soumission (comme cela peut-être le cas dans certaines sous-cultures) mais est nécessaire à la pleine dignité des Noirs. Il faut donc l'étudier et la maitriser en profondeur pour s'exprimer.
Néanmoins l’indépendance doit se construire dans le domaine intellectuel. La NOI accuse en effet le système américain de l’éducation d’avoir toujours maintenu les Noirs dans une situation d’échec scolaire et d’exclusion desuniversités (situation qui a cependant beaucoup évolué depuis lesannées 1960), et d’avoir développé des programmes ethno-centrés développant le mépris pour les Noirs et les civilisations extra-européennes. À ce titre,« nous voulons une éducation égale, mais des écoles séparées jusqu’à l'âge de 16 ans pour les garçons et 18 ans pour les filles, à la condition que les filles soient envoyées dans desécoles et desuniversités pour filles[42]. Nous voulons que tous les enfants noirs soient éduqués, enseignés et entraînés par leurs propres professeurs[43]. »
Le sport et les divertissements sont déconsidérés (voir par exemple les rapports entreMohammed Ali et NOI).
Projet d'une indépendance sociale et politique des Noirs
La mise en œuvre de chacun de ces éléments doit aboutir au niveau territorial à la création d'un État indépendant noir, par exemple dans le Sud des États-Unis, quitte à organiser un déplacement massif des Noirs vers ce nouveau pays.« Nous voulons que notre peuple en Amérique dont les parents et grands-parents étaient des descendants d’esclaves puisse établir un État séparé »[44]. Ce projet n’a cependant jamais réellement été soutenu par des initiatives concrètes :« Le séparatisme racial que Muhammad a pratiqué était plus symbolique que toute autre chose, limité à construire une identité noire et à la création d’institutions et d’entreprises dirigées par des Noirs. Les changements-tremblements de terre, tels que la destruction du « diable blanc » et la tache monumentale du transport et de la réinstallation de vingt millions de Noirs ailleurs, ont été laissés àAllah, qui choisirait sa propre heure pour agir »[19] ».
Sous la direction d’Elijah Muhammad, le groupe devient très missionnaire. Avec le temps, ses prêcheurs ont porté ses enseignements, des rues et des halls de réunion auxprisons américaines. Le nouveau groupe a surtout« attiré desAfro-Américains désabusés et pauvres du nord urbain »[45], encore que la progression ait été lente à ses débuts. Les milieux noirs trèschrétiens duSud des États-Unis, souvent fortement structurés en communautés rurales regroupées autour d’unpasteur, se sont en revanche montrés très difficiles à pénétrer. Ainsi, la NOI n'a eu aucun succès dans le Sud des États-Unis, qui est pourtant paradoxalement l'endroit où il y a le plus d'Afro-Américains dans le pays.
Dès les années suivant la disparition de son fondateur,Nation of Islam met en place leSavior’s Day (jour du sauveur), chaque 26 février, date anniversaire de la naissance supposée du« maître W. D. Fard Muhammad, né le 26 février 1887 [… dans] la cité sainte deLa Mecque »[46]. Avec le temps, leSavior’s Day est devenu une fête religieuse importante de la communauté, servant de marqueur de l’identité de celle-ci, et donnant certaines années lieu à des rassemblements de masse.
En1934 a lieu la première diffusion deThe Final Call to Islam, premier journal de la NOI[47]. Celui-ci et ses successeurs auront des publications intermittentes, mais qui se renforceront avec le temps, améliorant la capacité de communication de la NOI.
À la veille de laSeconde Guerre mondiale, la jeune organisation, encore très modeste, a déjà ses lieux de culte (encore appelés « temples » à l’époque), son idéologie, son encadrement, ses fêtes religieuses et ses organes de communication.
Pendant laSeconde Guerre mondiale, la Nation de l’islam affirme son opposition au gouvernement américain en refusant toute collaboration à l’effort de guerre. D’après un rapport duFBIno 100-9129 du 30 septembre1942,Elijah Muhammad aurait,« à des réunions tenues entre le 11 septembre et le 18 septembre 1942, déclaré que lesJaponais sont leurs frères. […] Des plaintes ont été enregistrées […] àChicago […] accusant le sujet Mohammed […] de sédition [et de] conspiration ». D’après un rapport du FBI du 19 décembre1942, Elijah Muhammad serait à cette date« sous le coup d’une condamnation à trois ans de prison [et] environ 65 membres ont été arrêtés àChicago » (il a été arrêté fin septembre 1942). En1943, encore très petite,Nation of Islam est décrite par un rapport duFBI comme étant« fortement pro-japonaise, et ses leaders conseillent à ses membres de refuser de se faire enregistrer » pour l’effort de guerre en indiquant« qu’ils sont déjà enregistrés àLa Mecque ». Ce rapport indique aussi que« les leaders des temples situés àMilwaukee,Washington etChicago ont été […] inculpés pour sédition »[48].
Ces rapports confirment le rapport très oppositionnel des membres de la NOI avec legouvernement américain, même en période de crise. La NOI n’ayant que quelques centaines de membres à l’époque, son impact sur l’effort de guerre américain a été nul. La guerre a cependant été un moment où l’organisation a pu affirmer de façon spectaculaire son opposition frontale au« gouvernement blanc », contribuant ainsi à se faire connaître.
Après la guerre, la pression policière s’estompe, et la NOI peut reprendre ses efforts de développement. Muhammad lui-même sort en1946 de la prison fédérale de Milan,Michigan, ou il se trouvait depuis1942. En1952, la NOI recrute Malcolm Little, plus connu sous le nom deMalcolm X, qui deviendra un artisan important du fort développement desannées 1950 et du début desannées 1960.
Malcolm X en mars 1964.Des lieux de culte de la NOI, dans un document duFBI datant de 1960.Une carte des temples de la NOI, dans un document duFBI datant de 1960. On note la nette dominance du Nord-Est deÉtats-Unis.Journaux du culte, vers 1960.Mohamed Ali à un meeting deElijah Muhammad.
Lesannées 1950 et le début desannées 1960 ont vu l’organisation passer de quelques centaines de membres (500 estimés en1952) à des dizaines de milliers (30 000 estimés en1963).« Jusqu’en 1964 Malcolm X, fut le principal porte-parole de la doctrine de Elijah Muhammad »[49], et devient le leader le plus visible et connu de la NOI[50], surtout après sa nomination comme « porte-parole national deNation of Islam ».
Malcolm Little (1925-1965) est né àOmaha, dans leNebraska. Son père était un prédicateurbaptiste et un défenseur deMarcus Garvey (unnationaliste noir), et est mort de façon controversée (peut-être assassiné[51]) en1931. Après une scolarité prématurément interrompue et des placements dans différents foyers d’accueil, Malcolm Little s’installe àBoston, chez sa demi-sœur, puis part pourHarlem (New York), où il devient rapidement un délinquant.
Pendant laSeconde Guerre mondiale, il est réformé 4-F (mentalement perturbé)[52]. D’après son autobiographie, il aurait déclaré, en vue d’être refusé, qu’il voulait une arme pour« tuer descrackers », terme péjoratif désignant les Blancs. Bien avant son autobiographie, le FBI cite d’ailleurs un courrier du où il écrit« ils ne m’accepteront jamais dans l’US Army. Tout le monde a toujours dit Malcolm est fou, aussi n’est-il pas difficile de convaincre les gens que je le suis »[53].
À 21 ans, en1946, il est condamné à une peine de huit à dix années[54] de prison à la suite de cambriolages[52]. En1948, son frère Reginald, qui s’est converti àNation of Islam, lui adresse un courrier où il le presse de se convertir, ce qu’il fait peu de temps après. Après sa conversion, il devient un prisonnier avide de lecture, se constitue une bonne culture autodidacte et commence à correspondre par courrier avecElijah Muhammad.
Après sa libération en août1952, il rencontre celui-ci àChicago. Selon une des pratiques de la NOI, il change son nom de famille[55], et prend celui de « X ». Repéré parElijah Muhammad, il devient un prêcheur efficace et dynamique, d’une grande loyauté vis-à-vis de celui-ci. Pour ces raisons, il monte rapidement les échelons de la petite organisation qu’est encoreNation of Islam.
Six mois seulement après sa libération, en février1953, preuve de son importance croissante, leFBI ouvre un dossier le concernant. Il y est suspecté de sympathiescommunistes[56].
En1953, à 27 ans, il devient d’abord un assistant du templeno 1[56], puis le responsable du templeno 11, àBoston. En1954, il devient celui du templeno 7 deHarlem (New York), surLenox Avenue, puis ouvre de nombreux temples à travers le pays. Le rapport duFBI du 16 mars 1954 le décrit« voyageant à travers les États-Unis, prenant des contacts avec différents temples du […] culte »[56]. Ses discours enflammés et sa personnalité charismatique en font bientôt l’homme le plus en vue deNation of Islam aprèsElijah Muhammad[réf. nécessaire].
L’organisation se développe rapidement dans les milieux noirs et pauvres, et bénéficie également indirectement du développement de lalutte pour les droits civiques des Noirs (à partir de1955) ainsi que du développement du militantisme noir qui l’accompagne. Les prêches ont un succès particulier dans les prisons.
Entre1952 et1963, Nation of Islam serait passé de 500 à 30 000 membres[57]. Cette croissance spectaculaire est due à la rencontre entre le réveil du militantisme noir dans tout le pays et une idéologie de la fierté noire particulièrement radicale. Mais il est indéniable qu’elle est aussi largement due à l’activité missionnaire deMalcolm X. C’est dans le cadre de cette croissance spectaculaire des adhésions qu’en1955 Louis Eugene Walcott, chanteur decalypso etvioloniste, rejoint la Nation de l’islam, et prend le nom deLouis Farrakhan.Nation of Islam attire aussi le célèbre boxeurCassius Clay, qui prendra le nom musulman de Mohammed Ali.
À partir de la fin desannées 1950, la NOI gagne une visibilité médiatique croissante. C’est en particulier le documentaire télévisé de Mike Wallace en1959,The Hate that Hate Produced (« la haine que la haine a produit »), qui révèle la NOI au niveau national. Meilleur orateur de l’organisation,Malcolm X devient un habitué des plateaux télévisés, et est régulièrement interviewé par la presse écrite et radiodiffusée. À l’heure des premièresindépendances africaines et de lalutte pour les droits civiques des Noirs, la croissance rapide de la NOI inquiète et fascine lesmédias. Preuve de l’importance croissante de l’organisation, X est intégré en tant que représentant de la NOI au sein d’un comité de personnalités noires de divers horizons qui rencontreFidel Castro le 19 septembre1960[58], lors de la visite de celui-ci auxÉtats-Unis.
Le,Elijah Muhammad et ses fils font le pèlerinage àLa Mecque[59]. Malgré son éloignement de l’islam orthodoxe, les autoritéssaoudiennes ont laissé le leader deNation of Islam participer auhajj pour des raisons inconnues, peut-être par ignorance de l’organisation.
Malcolm X n’est pas le seul vecteur médiatique de l’organisation. Celle-ci s’exprime aussi largement à travers la presse noire américaine.« Les hommes de la Nation de l’islam ont venduThe Crusader etThe Pittsburgh Courier,the Amsterdam News etthe Westchester (N.Y.) Observer parce qu’ils contenaient le message de M. Muhammad, souvent entouré dans la même page par des annonces pour les entreprises à capitaux musulmans qui soutenaient le travail de M. Muhammad. DansThe Curier etThe Crusader, la colonne s’est appeléeMr Muhammad Speaks. DansThe Amsterdam News elle était intituléeLe Monde de l’Islam etThe Observer a publié les enseignements de M. Muhammad dans une série appelée :Le Paradis de l’homme blanc est l’enfer de l’homme noir ». Certains de ces journaux avaient une large diffusion, puisque leThe Pittsburgh Courier auraient distribué 350 000 copies par semaine en1957[47].
Enfin, dans lesannées 1950 se développe ce qui est souvent présenté comme la branche paramilitaire de l’organisation,Fruit of Islam, présenté par la NOI comme le service d’ordre de l’organisation, affecté à la sécurité des responsables et des militants. Pour ses détracteurs,Fruits of Islam est en fait une force paramilitaire potentielle. Le groupe recrute chez des ancienspoliciers,militaires, mais aussidélinquants, et applique une très stricte discipline interne.
Tout d’abord des affaires de mœurs : des rumeurs couraient depuis quelque temps sur les nombreux adultères commis par Elijah Muhammad avec de jeunes secrétaires du mouvement.Warith Deen Muhammad, le propre fils d’Elijah Muhammad, et un ami proche de X, informa ce dernier« en1963, que son père Elijah Muhammad avait mises enceintes six de ses secrétaires »[60].
L’adultère est totalement contraire aux enseignements deNation of Islam. Après avoir écarté ces informations,Malcolm X aurait fini par en obtenir confirmation en1963. Elijah Muhammad lui-même[61] aurait fini par indiquer qu’étant l’envoyé de Dieu sur terre, il n’était pas soumis aux mêmes règles que le commun des mortels[62]. Ces évènements semblent avoir fortement altéré la confiance de X dans la sainteté d’Elijah Muhammad.
Le second sujet de divergence porte sur la politique :Malcolm X était intéressé par lemouvement pour les droits civiques des Noirs tels qu’il se développait depuis1955. Si l’idéologie officielle du mouvement était opposée aunationalisme noir et revendiquait simplement un statut d’Américain normal pour les Noirs, X considérait qu’il devait y avoir une présence desnationalistes noirs et desblack muslims dans ce qui apparaissait comme le premier grand mouvement de masse noir de l’histoire des États-Unis.Elijah Muhammad était par contre hostile à la fin de laségrégation raciale[63] et au soutien à un mouvement dans lequel se trouvaient de nombreux Blancsprogressistes. Il craignait la dissolution des Noirs dans un ensemble américain dominé par les Blancs.
Le troisième contentieux porte sur lareligion : Malcolm X a commencé à s’intéresser à l’islamsunnite officiel et s’est rendu compte que lareligion prêchée par Elijah Muhammad en était très éloignée. L’intérêt montré par X à l’égard de l’islam orthodoxe ne pouvait donc que l’éloigner de son mentor.
On peut enfin citer des divergences d’ambitions : l’aura de X au sein de la communauté noire en général et deNation of Islam en particulier, sa médiatisation importante, semblent avoir inquiété Elijah Muhammad et suscité sa jalousie.
En1963, après l’assassinat du présidentKennedy, toutes ces divergences éclatèrent sur la place publique, après une déclaration controversée de X. Celui-ci déclara en effet que la violence que Kennedy n’avait pas pu arrêter se retournait contre lui. Il ajouta« Chickens coming home to roost never made me sad. It only made me glad » (« les poulets revenant au poulailler ne me rendent jamais triste, ils me rendent seulement heureux » - En français,Chickens coming home to roost a une signification proche de « qui sème le vent récolte la tempête »). Cette phrase pouvait se comprendre comme une approbation de l’assassinat. Elijah Muhammad désavoua cette déclaration, ordonna que la Nation of Islam envoie officiellement ses condoléances à la famille Kennedy et interdit à X toute déclaration publique pendant 90 jours, injonction à laquelle Malcolm X obéit. Mais les relations entre les deux hommes atteignaient leur point de rupture. Dans son autobiographie, X affirme même qu’un de ses assistants lui aurait alors indiqué avoir reçu l’ordre de la direction de la NOI de le tuer[64].
Le, Malcolm X annonça son départ de la Nation de l’islam. Le, il annonçait la création de sa propre organisation « The Muslim mosque inc. ». Peu de temps après, il se convertit à l’islamsunnite orthodoxe. Le, Malcolm X partit de l’Aéroport international de New York - John-F.-Kennedy pour faire le pèlerinage àLa Mecque (lehajj) dont il revint sous le nom musulman de Malik El-Shabazz[65]. Sa femme et ses filles prirent alors le nom de famille de Shabazz.
Il condamna leracisme antiblanc deNation of Islam. Mais Malcolm X resta fidèle à une action tournée de façon privilégiée vers le peuple noir. Il refusa aussi de condamner la violence des opprimés et eut des paroles assez dures pour les tenants de la non-violence, qu’il accusa d’encourager à la soumission[66].
Peu de temps après son retour deLa Mecque, Malcolm X fonda l’« organisation pour l’unité afro-américaine », un groupe politique non religieux. Il affirme ainsi sa volonté de mener à la fois une lutte religieuse pour l’Islam, et une lutte politique pour les Noirs, les deux fonctionnant de façon autonome.
La tension entre Malik El-Shabazz etNation of Islam ne cessa de croître. Le, sa maison fut l’objet d’un attentat à la bombe, et il fut assassiné de 21 balles le. Deux mois auparavant,Louis Farrakhan avait écrit« un tel homme est digne de mourir »[67]. Trois membres deNation of Islam seront reconnus coupables en1966 : Norman 3X Butler, Thomas 15X Johnson et Talmadge Hayer. L’organisation elle-même niera toute participation à l’assassinat.« Betty Shabazz [la femme de Malcolm X], qui est morte en 1997, a publiquement accusé Farrakhan d’un rôle dans le meurtre »[67]. Celui-ci a admis au début2007« j’ai pu être complice en mots », tout en niant une implication directe de l’organisation[67]. En1994, Qubilah Shabazz, une des filles de Malcolm X sera arrêtée et inculpée pour avoir payé un tueur à gage chargé de tuer Farrakhan, accusation abandonnée en1995[68]. Il a également été envisagé que leFBI ait eu connaissance du projet d’assassinat et l’ait couvert, voire aidé. Cette hypothèse a été reprise par la NOI[69]. Les trois militants accusés de l'assassinat de Malcolm X sont incarcérés pendant vingt ans, jusqu'en 1985. La justice établit leur innocence en 2021 ; leNew York Times souligne que les procureurs, le FBI et la police de New York « ont dissimulé des preuves cruciales » lors de l’enquête[70].
À sa mort, le projet de Malcolm X de créer un islamsunnite au sein de la communauté noire, intégré dans l’islam mondial et rompant avec leracisme semble un échec. Son organisation restera groupusculaire, et Elijah Muhammad maintiendra fermement son emprise sur l’islam noir américain jusqu’à sa mort, en1975.
Le, Elijah Muhammad meurt. Conformément à ses croyances numérologiques, il désigne son septième fils,Warith Deen Muhammad (né Wallace D. Mohammed en1933) pour lui succéder. Celui-ci reconnaîtra plus tard avoir été influencé par la pensée deMalcolm X (dont il était un ami proche), lequel sera d’ailleurs réhabilité par le mouvement (unemosquée prendra même son nom).
En trois ans, entre1975 et1978, il transforme de fond en comble l’idéologie du mouvement, et l’amène sur une base religieusesunnite, tout en rompant avec l’idéologieraciste et nationaliste de son père.« L’idée que nous avons eu de la communauté n’est pas islamique, et vient des jours dunationalisme noir »[71]. Le projet d’un État indépendant pour les Noirs est donc abandonné.
La forte centralisation typique deNation of Islam est réformée, afin de favoriser une large décentralisation desmosquées, plus conforme à la tradition dusunnisme :« notre religion n’exige pas le degré d’organisation et de contrôle centralisé que nous avons utilisé. Les Musulmans sont juste des Musulmans, et ils vont à la mosquée, et c’est tout »[71]. Les communautés relevant de ce mouvement sont ouvertes à toutes les races, même si elles restent en pratique surtout composées d’Afro-Américains[72].
Warith Deen Muhammad est devenu un leader religieux respecté et incontournable auxÉtats-Unis. Il lui sera demandé en1992 de faire une prière auSénat américain, et c’est lui qui fera la prière musulmane lors de la prière interconfessionnelle pour l’investiture du présidentClinton, en1997[73].
En1978, un groupe de membres historiques deNation of Islam, dirigés parLouis Farrakhan, décide de se réorganiser autour des enseignements de Elijah Muhammad. En1981, Louis Farrakhan proclame officiellement la restauration deNation of Islam, et la fidélité aux dogmes de Elijah Muhammad. La « nouvelle » NOI s’affirme comme la légitime continuatrice de l’organisation créée parElijah Muhammad, tant sur le plan religieux que sur le plan dunationalisme afro-américain. En pratique, le contexte a évolué par rapport auxannées 1930 ou1960, en particulier dans trois domaines :
Le rapport aux autres Noirs. Avec le développement de la déségrégation et le développement d’une classe moyenne noire mieux intégrée, la NOI a été amenée à développer un dialogue plus important avec les autres groupes de la communauté noire que ce que pratiquaitElijah Muhammad. Sous la direction deLouis Farrakhan, l’organisation est même devenue très unitaire, insistant sur la nécessaire unité de la communauté noire, alors qu’Elijah Muhammad restait à l’écart des grandes organisations noires anti-ségrégation :« Minister Farrakhan […] a été le bienvenu dans d’innombrables églises ». Pour« la véritable réhabilitation politique de la communauté [noire],minister Farrakhan s’est ré-enregistré pour voter en juin 1996 et a formé une coalition d’organisations religieuses, civiques et politiques pour porter la voix de ceux qui sont privées des droits civiques dans le paysage politique »[74].
Le rapport aux autres musulmans noirs. À la suite des réformes du fils d’Elijah Muhammad, les sunnites sont devenus majoritaires au sein des communautésBlack Muslims. L’obligation de se définir par rapport à eux est donc devenue essentielle, et a entraîné un rapprochement avec les pratiquessunnites, même si les doctrines restent différentes sur certains points.
Le rapport à la société américaine en général. Avec son développement et son institutionnalisation, l’organisation a dû évoluer quant à son rejet radical des États-Unis. La critique est toujours là, mais le refus des membres de la NOI de se considérer comme américains, refus souvent répété à l’époque deElijah Muhammad est progressivement tombé en désuétude avec l’appel à participer aux élections[74], même si la revendication d’État séparé n’a pas été retirée dumuslim program de1965, toujours officiellement en vigueur.
Un logo deFruit of Islam, la branche « sécurité » de l’organisation.
Nation of Islam s’est« impliquée dans la campagne présidentielle deJesse Jackson en novembre 1983 »[75]. Le soutien à ce candidat à l’investituredémocrate pour les électionsprésidentielles de novembre1984 est une innovation par rapport à l’attitude traditionnellement distante de la NOI par rapport aux institutions américaines et aux autres organisationsafro-américaines. L’organisation deLouis Farrakhan insiste désormais sur son soutien à tout ce qui peut faire avancer la condition noire aux États-Unis.« C’est [le groupe de sécurité]Fruit of Islam, [filiale de la NOI] qui a gardéJesse Jackson pendant la campagne présidentielle de 1984 avant que leSecret Service ne s’en charge »[75].
En,« Farrakhan a averti le parti démocrate que si les demandes de Jackson n’étaient pas prises au sérieux lors de la convention nationale »[75], il mènerait« une armée d’hommes et de femmes noirs àWashington D.C., et nous […] négocierons pour un État ou un territoire séparé »[76]. Ce type de déclaration « anti-américaine », ainsi que l’image anti-blanche et anti-juive de l’organisation a posé certains problèmes àJesse Jackson, qui a dû prendre ses distances. La campagne de Jesse Jackson a cependant été un moment important pourNation of Islam, qui s’est ainsi retrouvée sous le feu desmédias, et a pu affirmer son militantisme noir, trois ans seulement après la refondation officielle de l’organisation.
À partir du début desannées 1980, la NOI et les sunnites suivant le fils de Elijah Muhammad se développent de concert, obligés cependant de se définir l’un par rapport à l’autre.
Les orthodoxes limitent la spécificitéethnique de leur mouvement. Tout en conservant une sensibilitéafro-américaine marquée, ils insistent sur leur intégration dans l’islam mondial et au sein de la nation américaine. À ce titre, ils suppriment les spécificitésthéologiques qui les différenciaient des autres musulmans, et ils insistent sur la compatibilité entre le fait d’être un bon musulman, et un bon Américain[77]. L’interdiction de voter ou de s’engager dans l’armée a été levée[78]. Les partisans deWarith Deen Muhammad« professent maintenant l’harmonie raciale, l’amour fraternel et le patriotisme américain »[79].Warith Deen Muhammad participera ainsi à une prière œcuménique auCongrès américain dans lesannées 1990, sous la présidence du démocrateBill Clinton.
La NOI, de son côté, reste officiellement fidèle à ses particularismes, tant théologiques (vis-à-vis dusunnisme) que politiques (vis-à-vis desÉtats-Unis). On note cependant une certaine évolution des pratiques de l’organisation. Les citations duCoran se font plus nombreuses, les « temples » sont rebaptisés « mosquées », le respect des cinqpiliers de l’islam est mis en avant, l’attitude anti-blancs est fortement modérée[80], le vote aux élections est désormais encouragé. On peut y lire une tentative d’adaptation de l’organisation face à la légitimité religieuse islamique plus importante desblack muslimssunnites, mais aussi la volonté d’obtenir une certaine respectabilité en rapport avec le poids croissant de la NOI.
Il s’agit d’une grande manifestation organisée àWashington, D.C. en1995 par la NOI. Il ne s’agit cependant pas d’une manifestation religieuse, mais d’une manifestation communautaire, sociale et politique.« La marche […] a été organisée le 16 octobre comme un saint jour d’expiation, de réconciliation et de responsabilité »[74]. Les objectifs de la marche sont l’encouragement desAfro-Américains à voter lors des élections américaines (ce qui est en rupture avec le traditionnel abstentionnisme de l’époque d’Elijah Muhammad), et l’encouragement des membres de la communauté à se prendre en main pour sortir des problèmes dedélinquances, dedrogue et depauvreté[5]. Les orateurs critiquent également beaucoup les réductions par lecongrèsrépublicain issu des élections de1994 (dans le cadre du programme « contrat avec l’Amérique ») des programmes d’aides sociales, comme leMedicaid, les programmes de logement, les bourses d’étudiants et les programmes d’éducation.
La manifestation se veut ouverte à tous les hommes noirs, mais ni aux femmes ni aux Blancs[5]. En pratique, un certain nombre de femmes noires ont participé à la manifestation, mais de façon assez minoritaire. Ces exclusions par le sexe ou larace ont provoqué de fortes polémiques[5].
Le nombre exact des participants a été discuté (400 000 pour la police[81], 1,5 à 2 millions pour les organisateurs[82]), mais semble se situer un peu en dessous de 1 million. Le succès de la marche en a fait une des références de la NOI actuelle, qui l’utilise abondamment dans sa communication, en particulier avec la notion deMillion more movements, appel lancé en2005 à l’ensemble de la communauté noire pour organiser d’autres grandes mobilisations à travers les États-Unis.
Au-delà du nombre de participants, la marche est un succès politique pour la NOI, laquelle a obtenu la participation de l’association des élusdémocrates noirs à laChambre des représentants des États-Unis (leBlack Caucus), et même la participation d’un élurépublicain[5].
The million march man de1995 confirme la dimension très politique et pas seulement religieuse queNation of Islam a pris, au contraire des musulmans noirs sunnites. Bien que ceux-ci représentent probablement plus de 80 % ou 90 % desBlack Muslims américains, ils apparaissent de fait comme moins militants dans le domaine politique, et donc comme moins visibles. Grâce à sa présence sur le terrain, la NOI arrive à influencer desBlack Muslims sunnites. Le cas deKeith Ellison est de ce point de vue révélateur. Bien que converti à l’islam sunnite en1983, et bien que pour tout sunnite orthodoxe la NOI ne puisse être qu’unesecte non musulmane, il s’est très fortement rapproché d’elle au moment de la marche, avant de s’en éloigner à nouveau. De fait, alors que les musulmans extérieurs à la communauté noire rejettent généralement très fortement la NOI, lesBlack Muslims sunnites montrent souvent une certaine sympathie pour celle-ci, non pas tant pour son discours religieux (trophétérodoxe) que pour son discours et sa pratique militante en faveur de la communauté noire. Le séparatisme racial toujours revendiqué par la NOI n’est par contre pas accepté.
Au-delà de son succès événementiel,The million march man de1995 apparaît donc comme un marqueur de la capacité qu’à la NOI actuelle à influencer la communauté noire bien au-delà de ses frontières religieuses.
Un prêcheur de la NOI, entouré de membres deFruit of Islam, en 1999 en Angleterre, lors d’une tentative pour élargir les bases de l’organisation hors des États-Unis.
À compter desannées 1980,Louis Farrakhan a déployé une action grandissante à l’extérieur desÉtats-Unis. Certaines de ces actions visent à implanter de nouvelles filiales de la Nation de l’islam, d’autres semblent surtout avoir un objectif en termes d’image, et d’autres enfin visent à l’obtention de financements.
Un « centre d'étude » de la NOI àToronto, auCanada, en 2007.
En matière de création de nouvelles branches de la NOI, le résultat semble avoir été modeste. La branche canadienne serait la plus développée, eu égard à sa proximité avec le centre historique de l’organisation, dans le Nord-Est des États-Unis. Une branche dissidente de l’organisation y a même été créée en1997,Nation of Islam of Canada[83]. Il existe une petite branche française[84], ou s'est formé idéologiquement (avant de la quitter) le militant noir radicalKémi Séba[85]. L’organisation a également essayé sans grand succès de s’implanter en Grande-Bretagne dans lesannées 1990. L’organisation n’en revendique pas moins« desmosquées et des groupes d’études dans plus de 120 citées enAmérique, enEurope, aux Caraïbes, et des missions en Afrique de l’Ouest et enAfrique du Sud, dévolues aux enseignements de l’honorableElijah Muhammad. […] Louis Farrakhan a été reçu dans beaucoup de pays musulmans comme un important penseur et enseignant musulman, et est le bienvenu à travers toute l’Afrique, lesCaraïbes et l’Asie, en tant que champion de la lutte pour la liberté, la justice et l’égalité »[74]. Ces activités en dehors des États-Unis sont parfois mal perçues. Ainsi, le gouvernement britannique a-t-il interdit l’entrée sur son territoire à Louis Farrakhan en1986, à la suite de sa déclaration selon laquelleHitler avait été« un grand homme »[86].
Louis Farrakhan a prêté une attention particulière à l’Afrique, et y a effectué plusieurs voyages[87], bien qu’une implantation permanente ne semble pas avoir été obtenue, ni forcément recherchée.
En1986, par exemple, Farrakhan organise un voyage de cinq jours au Nigéria« avec 14 assistants et gardes du corps »[88], provoquant certaines réactions négatives dans le pays[89].
En, Farrakhan se rend« àLibreville, auGabon pour participer au second sommet africain-afro-américain […]. En octobre 1994,Minister Farrakhan emmena 2 000 Noirs de l’Amérique versAccra, auGhana, pour le premierInternational Saviour’s Day deNation of Islam [journée internationale du sauveur] »[90]. Le président GhanéenJerry Rawlings ouvrit et clôtura officiellement cette convention de 5 jours[74].
Parmi de nombreux autres déplacements, on peut aussi citer la participation du dirigeant de la NOI (dans l’assistance) à la cérémonie inaugurale de l’Union africaine de2002. Le journal de la NOI a mis en valeur ses rencontres avec« le secrétaire général des Nations unies,Kofi Annan ; le vice-président duLiberia ; Amara Essy, secrétaire général de l’Union africaine ; et le secrétaire général de laCommunauté économique des États d’Afrique de l’Ouest »[91].
En1996, Farrakhan s’est rendu enLibye, à l’époque sous sanction desNations unies, pour recevoir leprix Kadhafi des droits de l'homme, assorti d’une somme de 250 000 dollars[92]. Le mouvement a emprunté 8 millions de dollars américains au cours du temps auprès deKadafhi dont 3 pour acquérir le quartier général au sud de Chicago et 5 pour des arriérés d'impôts et des coûts du logement d'Elijah Muhammad[93].
Le, Farrakhan a pu rencontrer le cheikMohammed Sayed Tantawi, le responsable d'Al-Azhar, la plus prestigieuse mosquée sunnite du monde[94].
Ces voyages renforcent la visibilité médiatique de la NOI, et réaffirment les liens entre l’Afrique et« les fils et les filles de l’Afrique auxÉtats-Unis d’Amérique, dans lesCaraïbes, en Amérique centrale et du Sud, ainsi qu’auCanada »[91]. Ils renforcent le rapprochement symbolique avec le monde musulman. Ils entretiennent également certaines polémiques aux États-Unis, autour des liens de l’organisation avec des régimes ou des organisations considérées comme hostiles aux États-Unis, ainsi qu’autour des sources de financement de l’organisation.
Fruit of Islam est la branche sécurité de l’organisation. Développée dès lesannées 1950, c’était à l’origine un simple service d’ordre, célèbre pour l’élégance stricte de ses membres. Sous la supervision deLouis Farrakhan, c’est devenu aussi une véritable entreprise de sécurité commerciale, qui loue le service de ses membres à des organisations, desmunicipalités ou des personnalités. Ainsi,« Michael Jackson a employé des gardes du corps de la Nation pendant ses poursuites pour mauvais traitements sur enfant »[95].
Les firmes liées à la FOI suscitent parfois une certaine méfiance. D’une part, elles recrutent beaucoup chez d’anciens détenus. Il s’agit là d’une caractéristique de tous les groupesBlack Muslims, qui ont une activité importante dans lesprisons[97] en vue d’amener les détenus à la « repentance » et au « salut ». Cette activitémissionnaire et d’ailleurs dans une certaine mesure favorisée par les autorités carcérales elles-mêmes, à travers lesaumôniers musulmans. La stricte discipline, qui est une des caractéristiques deNation of Islam en général et deFruit of Islam en particulier, a à ce jour évité tout débordement important, malgré certains problèmes (usage excessif de la force ou défaut de coopération avec lapolice, par exemple).
D’autre part, certains craignent le développement d’une véritable branche paramilitaire de la NoI, en relation avec ses objectifs « anti-américains », comme la création d’un État noir indépendant (cet objectif est toujours affiché sur le site de la NoI, mais ne semble pas activement défendu). À ce titre, certaines déclarations ont pu renforcer les soupçons. Ainsi,« William/Abdul Sharieff Muhammad,Suprem Captain deFruit of Islam, indiquait [en 1992] àthe Final Call, le bulletin officiel de la NOI, « nous avons une structure militaire au sein de laquelle nous entraînons nos hommes »[96].
Enfin,certains[Qui ?] voient dans FOI un des indices de la transformation de la NOI de structure religieuse en entreprise économique.
De son côté, la NOI ne nie pas recruter d’anciensdélinquants. Ainsi« le Capitaine True C. Allah, responsable deFruit of Islam à la mosquée Muhammad N°11 de Boston [est] un ancien membre d’ungang de rue »[98]. Mais elle insiste sur sa capacité à les ramener du côté de la loi, et sur la compétence qu’ils apportent dans la compréhension de ladélinquance : en matière de sécurité,« Nation of Islam a de la crédibilité dans les rues »[98]. L’organisation insiste d’ailleurs toujours sur les causes sociales et morales de la violence :« le niveau de pauvreté », et« une société où Dieu est en dehors de nos vies »[98].
Au-delà de ces polémiques,Fruit of Islam témoigne du dynamisme de la NOI, bien au-delà de son positionnement religieux originel, la réputation d’efficacité deFruit of Islam participant d’ailleurs à la popularité deNation of Islam dans des quartiers pauvres en proie à la délinquance.
L’idéologie de la NOI a été exprimée en 12 points parElijah Muhammad dans sonMessage to the Blackman in America publié en1965[99]. Bien qu’il n’y ait pas d’évolution sur ces dogmes, l’interprétation que la « nouvelle » Nation of Islam en donne s’est quelque peu normalisée. La revendication d’un « islam » particulier, ou celle du séparatisme noir (État indépendant, écoles séparées, refus des mariages mixtes) sont donc toujours officiellement en vigueur, mais avec des inflexions.
Le rejet duchristianisme, religion des Blancs, s’est fortement atténué. La NOI, conformément à son discours « unitaire »afro-américain a beaucoup développé ses relations avec lespasteurs noirs américains, et n’insiste donc plus guère sur le rejet militant du christianisme.
Les pratiques religieuses se sont aussi rapprochées de l’islam sunnite. Farrakhan insiste désormais énormément sur les pratiques classiques de l'islam sunnite, y compris le pèlerinage à la Mecque, et a réussi à rencontrer des dirigeants musulmans importants, comme en le responsable de la grandemosquée Al-Azhar duCaire[94]. Les thèses les plus hétérodoxes d'Elijah Muhammad, comme celle selon laquelle le dieu créateur de l'univers a disparu pour revenir sous les traits de Wallace D. Fard ne sont plus mises en avant, sans être officiellement rejetées.
Leracisme anti-blanc n’est plus officiellement soutenu :« la supériorité et l’infériorité sont déterminées par notre droiture et pas par notre couleur »[80]. Le rapport au blanc, et en particulier auxJuifs, est cependant très ambigu : d’un côté, les Juifs ont apporté à l’humanité le message deDieu, et ont donc manifestement un rôle spécial aux yeux de Dieu :« Cela signifie pour moi que le peuple Juif est spécial aux yeux de Dieu, parce que s’il ne l’était pas, pourquoi enverrait-Il tellement de ses serviteurs à cette communauté ? »[100].
D’un autre côté, la NOI estime que les Juifs ont été en partie responsables de l’esclavage des Noirs et de ses horribles conséquences (cette thèse repose sur un livre très contestéThe Secret Relationship Between Blacks and Jews, publié en1990 sous l’égide de la NOI) :« Les Juifs ont été impliqués dans l’affreuxcommerce des esclaves et ont donc une certaine responsabilité dans les résultats terrifiants de notre mise en esclavage et du vol de nos culture, nom, langue, Dieu, religion et histoire[100]. »Steven Hahn[101] critique dansLe Monde diplomatique de mai2006 ce livre comme étant un« Bobardantisémite »[102]. Plusieurs études universitaires montrent que les sentiments anti-juifs sont toujours bien présents au sein de la NOI[103]. Louis Farrakhan a également pu déclarer dans une interview :
« Beaucoup desJuifs qui ont possédé les maisons, les appartements de la communauté noire, nous les avons considérés comme des suceurs de sang. […] Quand les Juifs partent, lesArabespalestiniens viennent, lesCoréens viennent, lesVietnamiens… nous les appelons les suceurs de sang[5]. »
Le rejet des autres communautés se fait donc à travers une double thématique, à la fois nationaliste et sociale.
LeSaviour’s Day, à l’origine la fête en mémoire deWallace Fard Muhammad, était placé le. Louis Farrakhan a déplacé le jour de la fête au, date anniversaire de la naissance d'Elijah Muhammad. La fête célèbre aujourd’hui les deux hommes.
Domaine où la fidélité est totale,Louis Farrakhan insiste énormément, commeElijah Muhammad, sur la responsabilité de l’homme vis-à-vis de la femme (les mères célibataires abandonnées sont un fléau de la communauté noire), sur le refus de ladélinquance, sur l’importance de l’éducation et de la création d’entreprise par des Noirs pour sortir de la pauvreté. Ce discoursconservateur, apprécié et très militant donne à Farrakhan une aura incontestable au sein de la communauté noire, bien au-delà du cercle de ses fidèles. Il a même attiré ponctuellement les éloges de certains dirigeants duparti républicain[104].
En pratique, le positionnement deNation of Islam est aujourd’hui ambigu :
Pas sunnite, mais insistant beaucoup sur les points communs avec l’islam. En particulier, les membres deNation of Islam respectent les cinqobligations fondamentales du Musulman, mais leur croyance maintenue selon laquelleWallace Fard Muhammad était Dieu incarné est inacceptable pour un musulman orthodoxe.
Plus officiellement raciste, mais pas toujours très loin d’un dérapage.
Insistant sur la responsabilité des hommes par rapport aux femmes maltraitées de la communauté, mais dans une perspective plutôt sexiste de domination naturelle de l’homme sur la femme[105].
La perception deNation of Islam est donc également ambiguë. Son discours noir militant lui donne une réelle influence sur la communauté noire, mais ses positions à la lisière duracisme et les reproches desexisme lui valent une certaine méfiance. En2000,Warith Deen Muhammad etLouis Farrakhan se sont ainsi officiellement réconciliés[106], mais les divergences n’ont pas disparu pour autant.
En2007, le nombre desAfro-Américains est estimé à 40 millions, soit environ 12,85 % de la population américaine totale[107].
Il n'y a pas de recensement précis du nombre des musulmans noirs américains. LeCouncil on American-Islamic Relations indiquait dans une étude de2001 « Les évaluations d'une population musulmane totale de 6-7 millions en Amérique semblent raisonnables »[108], mais d'autres études donnent un chiffre moitié moins élevé : 2,8 millions pour leAmerican Jewish Committee[109]. Par ailleurs, l'étude duCouncil on American-Islamic Relations indiquait[110] que lesAfro-Américains étaient 30 % des personnes participant au culte (plus 3,4 % d'immigrants d'Afrique sub-saharienne). Sur un total de 3 à 6 millions de musulmans, on arrive ainsi à un chiffre de 1 à 2 millions deBlack muslims, conforme aux estimations souvent données. L'université deGéorgie (États-Unis) donne par exemple le chiffre de 2,1 millions de musulmans afro-américains[111], tout commeThe New York Times dans un article du 28 février 2000[112], et d'autres plutôt 1 million[113].
Les partisans de Nations of Islam (membres et sympathisants). Ils seraient 20 à 40 000, sans compter les sympathisants, soit 5 à 10 % du total.
Diverses dissidences historiques : quelques pour cent.
Depuis lesannées 1970, on trouve aussi des immigrés africains musulmans aux États-Unis. Ils peuvent se joindre aux communautés locales, ou constituer les leurs sur des bases d'origines communes.
↑« Nous croyons que Allah (dieu) est apparu dans la personne du maître W. Fard Muhammad, en juillet 1930 (WE BELIEVE that Allah (God) appeared in the Person of Master W. Fard Muhammad, July, 1930) ».THE MUSLIM PROGRAM, site officiel deNation of Islam.
↑Cette personne aurait pris à la lettre une prophétie de Fard selon laquelle il fallait tuer quatre « démons caucasiens » pour qu’il puisse revenir chez lui à La Mecque, mais c'est pourtant un autre homme noir qu'il a tué. VoirÀ l’Ouest d’Allah, deGilles Kepel,p. 33.
↑« Nov 21, 1932 (Monday), Pg 2, Column 2 »,Detroit Free Press,,p. 2(lire en ligne, consulté le)
↑Clifton Marsh, dans son livreFrom Black Muslims to Muslims, The Transition from Separatism to Islam, Scarecrow Press, Inc. Meteushen, NJ, 1984, indique page 53 un chiffre de 8 000 adhérents à la disparition de Wallace D. Fard, ce qui est une estimation élevée. Les discussions sur le nombre d’adhérents sont habituelles, l’organisation n’ayant jamais donnée de statistiques vérifiables. Si le chiffre de 8 000 membres en 1934 est juste, il a dû connaître une forte chute sous la direction de Elijah Muhammad, les membres étant plutôt estimés à quelques centaines au début des années 1950.
↑Claude Andrew Clegg est professeur d’histoire à l’université de l’Indiana, àBloomington. Il est l’auteur de divers articles surNation of Islam, et du livreAn Original Man: The Life and Times of Elijah Muhammad, St. Martin’s Griffin, janvier 1998,(ISBN0312181531).
↑Coran,Saba (sourate) v.28.Bilal, un ancien esclave d’origineafricaine fut ainsi un des premiers compagnons duprophète. C’est en son souvenir que la faction majoritaire de l’ancienne NOI qui évoluera vers lesunnisme prendra pendant un temps le nom deBilillian Community. Sur la position religieuse de l’islam sur la question duracisme, voir par exemple le site musulman francophone Ummah.com[1].
↑a etbChapitre 55 deMessage to the Blackman in America, par Elijah Muhammad, 1965.Voir le chapitre 55.
↑Pour un exemple de raisonnement numérologique, voir le chapitre 55 deMessage to the Blackman in America, par Elijah Muhammad, 1965.Voir le chapitre 55.
↑« Ceux qui croient, ceux qui pratiquent lejudaïsme, ceux qui sontchrétiens ou cabéens, ceux qui croient en Dieu et au Dernier Jour, ceux qui font le bien : voilà ceux qui trouveront leur récompense auprès de leur Seigneur. Ils n’éprouveront plus aucune crainte, ils ne seront pas affligés »Coran, II, 62 Le Coran admet également lesévangiles, et reconnait la sainteté de Marie et deJésus, ce dernier considéré comme un envoyé de Dieu parmi d'autres.
↑Louis Farrakhan, LA GRÂCE DE DIEU - « Extrait d’un discours délivré par le Ministre Louis Farrakhan le 25 novembre 1990 à laMosquée Maryam », traduit sur lesite français de la Nation de l’islam.
↑Il a cependant existé d'autres traites, mais sans rapport avec le sort des Noirs américains, et ignorées par la NOI. Voir les articlesTraite musulmane etVeritas ipsa.
↑Le nouveau nom de famille pouvait être le nom de famille du propriétaire, celui d’une personnalité qu’appréciait ce dernier, ou une caractéristique physique du déporté.
↑Nation of Islam refuse la mixité scolaire des races, mais aussi des sexes.
↑Point 9 de « ce que les musulmans veulent » dans leMuslim program de 1965, toujours en vigueurSite officiel de la NOI.
↑Free At Last ?, Carl F. Ellis Junior, Downers Grove,InterVarsity Press, 1996,p. 100.
↑Lechristian research institute n’hésite pas à le considérer comme lesaint Paul de la NoI, et le principal responsable de l’expansion rapide de l’organisation ;voir PDF.
↑AuxÉtats-Unis, les peines de prison peuvent être définies par une fourchette, la durée précise étant décidée plus tard, au vu du comportement du prisonnier.
↑En Amérique, les noms de famille des Noirs datent en général de la période de l’esclavage et ont été donnés par les propriétaires d’esclaves, d’où leur refus parNation of Islam. Les noms sont remplacés par des noms musulmans, africains, ou par un « X » exprimant l’inconnue du nom originel africain.
↑« Nous croyons que les mariages mixtes ou le mélange des races devraient être interdits » :THE MUSLIM PROGRAM, texte d’Elijah Muhammad, sur le site officiel de la NOI.
↑Il est à noter que dans les dossiers du FBI apparaissent la reproduction de lettres du début des années 1950, que X signe sous le nom de Malachi Shabazz, une version très proche de son nouveau nom musulman de1964. Voir par exemplela page 10 du dossier PDF.
↑Voir à ce sujet son célèbre discours du 3 mai 1964, peu après son retour de la Mecque(en)The Ballot or the Bullet, où il menace de recourir à la violence et traite certains politiciens blancs decrackers, un terme péjoratif anti-blanc.
↑ab etcVoir sur le site deCBS le compte rendu de son émission60 Minutes de janvier2007, ou Farrakhan a admis pour s’en excuser« que ce que j’ai dit a causé la perte de la vie d’un être humain ».
↑« Citation de Louis Farrakhan rapportée dansLouis Farrakhan Is Not a Muslim », par Daniel Pipes,The Washington Post, 2 juillet 1984[7]
↑Ainsi, la page d’entrée du siteThe mosque cares, un site institutionnel dépendant de Warith Deen Mohammed, indique sous un drapeau américain :« le message de l’islam, [porté par Warith deen Mohammed…] a été un […] facteur pour augmenter la tolérance, la compréhension et la coopération entre les Américains de différentes origines ethniques et religieuses ».
↑« The return of the Million Man March: Why is it even an issue ? », Anthony Asadullah Samad-Guest,The final call (journal de la NoI), 19 janvier 2005,[10]
↑Voir le site internet officiel de la branche française de la Nation de l’islam[12], ainsi que l’article en anglais sur le site deFinal Call, l’hebdomadaire de la NOI : Nisa Islam Muhammad « Nation of Islam in Paris, France »,FinalCall.com, 10 janvier 2007.
↑Noir et Français, écrit parStephen Smith et Géraldine Faes, 2006
↑a etbInterview de Louis Farrakhan par Jeffrey Goldberg, 1998, intégralement publiée ici :1re partie,2e partie,3e partie.
↑Professeur d’histoire des États-Unis à l’université de Pennsylvanie, auteur deA Nation Under Our Feet: Black Political Struggles in the Rural South From Slavery to the Great Migration, Harvard University Press, Cambridge, 2003. Le livre a obtenu en 2004 lePulitzer Prize for History, leBancroft Prize de l’université de Columbia, et leMerle Curti Prize in Social History de l’Organisation des Historiens Américains.
↑Voir par exemple (au format PDF) :Étude d’un courant antisémite au sein de la communauté noire américaine dans les années 1990 de François-Xavier Fauvelle-Aymar, Institut d’Études africaines (CNRS), Aix-en-Provenceici