Nathalie Sarraute, née Natalia Ilinitchna Tcherniak, voit le jour le[1] àIvanovo-Voznessensk, près deMoscou, dans une famille de bourgeoisiejuive assimilée, aisée et cultivée. Ses parents, Ilya Tcherniak et Pauline Chatounowski, divorcent alors qu'elle est âgée de deux ans. Sa mère l'emmène vivre avec elle àGenève, puis àParis, où elles habitentrue Flatters, dans lecinquième arrondissement. Nathalie va à l'école maternelle de larue des Feuillantines. Chaque année, elle passe deux[2] mois avec son père, soit en Russie, soit en Suisse. Ensuite Nathalie Tcherniak ira de nouveau vivre en Russie, àSaint-Pétersbourg, avec sa mère et le nouveau mari de celle-ci, Nicolas Boretzki. Ilya Tcherniak, le père de Nathalie, qui connaît des difficultés en Russie du fait de ses opinions politiques, sera quant à lui contraint d'émigrer à Paris. Il va créer une usine de matières colorantes àVanves. La jeune Nathalie grandit aussi près de son père à Paris et avec Véra, la seconde femme de son père, et bientôt sa demi-sœur Hélène, dite Lili. Cette période, entre 1909 et 1917, sera difficilement vécue par Nathalie Sarraute.
Elle reçoit une éducation cosmopolite et, avant de trouver sa voie, poursuit des études diverses : elle étudie parallèlement l'anglais et l'histoire àOxford, ensuite lasociologie àBerlin, puis fait des études dedroit àParis. Elle devient ensuiteavocate, et s'inscrit au barreau de Paris. Le àParis 6e, elle épouse Raymond Sarraute,avocat comme elle, et dont elle divorcera en 1941. De cette union naissent trois enfants :Claude (1927-2023),Anne (1930-2008) et Dominique (née en 1933).
Parallèlement, Nathalie Sarraute découvre la littérature duXXe siècle, spécialement avecMarcel Proust,James Joyce etVirginia Woolf, qui bouleversent sa conception duroman. En 1932, elle écrit les premiers textes de ce qui deviendra le recueil de courts textesTropismes dans lequel elle analyse les réactions physiques spontanées imperceptibles, très ténues, en réponse à une stimulation : « mouvements indéfinissables qui glissent très rapidement aux limites de la conscience ; ils sont à l'origine de nos gestes, de nos paroles, des sentiments que nous manifestons, que nous croyons éprouver et qu'il est possible de définir ».Tropismes sera publié en 1939 et salué parJean-Paul Sartre etMax Jacob.
En 1940, Nathalie Sarraute est radiée du barreau à la suite deslois anti-juives et décide de se consacrer à lalittérature. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle héberge un tempsSamuel Beckett, dramaturge du théâtre de « l'absurde » recherché par laGestapo pour ses activités derésistance. Elle réussira à rester en Île-de-France non sans se plier à plusieurs changements d'adresse et à l'usage defaux papiers ; elle sera contrainte de divorcer pour protéger Raymond d'une radiation du barreau.
En 1947,Jean-Paul Sartre écrit la préface dePortrait d'un inconnu, qui sera publié un an après par Robert Marin. Il lui faudra attendre la publication deMartereau (1953) pour commencer à connaître le succès. Le livre paraît chezGallimard et elle restera désormais fidèle à cette maison d'édition.
Parallèlement à son œuvre romanesque, elle commence à écrire pour le théâtre, répondant à une proposition deWerner Spies d’écrire une pièce radiophonique pour la Süddeutscher Rundfunk[3].Le Silence paraîtra en1964,Le Mensonge deux ans plus tard. SuivrontIsma,C'est beau,Elle est là etPour un oui ou pour un non. Ces pièces suscitent rapidement l'intérêt des metteurs en scène. Ainsi,Claude Régy créeIsma en 1970, puisC'est beau en 1975 etElle est là en1980 ;Jean-Louis Barrault crée en 1967Le Silence etLe Mensonge à l'Odéon, pièces que montera plus tardJacques Lassalle (1993) pour l'inauguration duVieux Colombier en tant que deuxième salle de laComédie-Française.Simone Benmussa adapte son autobiographieEnfance pour la scène (1984), à Paris (théâtre du Rond-Point), puis à New York sous le titreChildhood (1985) et crée ensuitePour un oui ou pour un non (création mondiale à New York par Simone Benmussa sous le titreFor no good reason en 1985 ; création en France au Théâtre du Rond-Point en 1986). Benmussa réalise aussi le filmPortrait de Nathalie Sarraute, avec Nathalie Sarraute (production Centre Georges Pompidou et Éditions Gallimard), sélectionné dans « Perspectives du cinéma français » pour leFestival de Cannes de 1978.
En 1989 paraîtTu ne t’aimes pas, roman dans lequel certains critiques voient la quintessence de la démarche romanesque élaborée par l’autrice au fil de ses œuvres. Elle y porte à leur degré extrême un certain nombre de procédés formels mis en œuvre dans ses romans antérieurs, tels que la « décontextualisation », la fragmentation du discours, et la « prédominance du dialogue »[4].
Sarraute ambitionne d'atteindre une « matière anonyme comme le sang »[6], veut révéler « le non-dit, le non-avoué », tout l'univers de la « sous-conversation »[7]. Les mots, le temps de leur énonciation, figent ce qu'ils nomment, et installent une conversation dans une routine inauthentique. Nathalie Sarraute veut défaire ces constructions mensongères et illusoires[8]. Elle veut mettre en jeu les « innombrables petits crimes » que provoquent sur nous les paroles d'autrui. Il ne s'agit pas vraiment de mensonges, mais ils sont imposés par le langage lui-même[7].
Le terme « tropisme », emprunté au langage scientifique, désigne l'orientation des plantes en fonction de leur milieu. Chez Sarraute, qui a intitulé sa première publicationTropismes, ce vocable renvoie à des mouvements intérieurs presque insensibles dus à des causes extérieures : phrases stéréotypées, conventions sociales. Sous la banalité apparente de ces conventions langagières, il existe en effet des rapports humains complexes, des sentiments intenses, voire violents (sensations d'enfermement, d'angoisse, de panique). Sarraute les décrit comme des mouvements instinctifs, déclenchés par la présence d'autrui ou par les paroles des autres.Tropismes, refusé par Gallimard et par Grasset, ne sera reconnu par la critique qu'une quinzaine d'années après sa parution.
En 1983, Sarraute publieEnfance, qui fait revivre le monde disparu des émigrés russes à Paris au début duXXe siècle. Dans ce recueil de scènes isolées, l'auteure s'efforce de retrouver ce qui constitue sa personnalité, s'attachant en particulier à reconstituer ses premières rencontres avec les mots, le plaisir de la lecture et l'activité introspective de l'écriture. Écriture à deux voix, ce texte se présente sous la forme d'un dialogue entre l'écrivain et son double, qui soumet l'entreprise autobiographique à un contrôle à la fois constant et rigoureux.
L’article que Sarraute consacre à Flaubert en 1965 et qu’elle intitule significativement « Flaubert le précurseur », contient une revendication explicite de filiation, étayée sur une analyse aiguë de l’œuvre. Evoquant essentiellementMadame Bovary, qui synthétise à ses yeux la poétique flaubertienne, Sarraute déclare que « cet élément neuf, cette réalité inconnue dont Flaubert, le premier, a fait la substance de son œuvre, c’est ce qu’on a nommé depuis l’inauthentique. »[1]
Le romanesque tend alors à s’identifier non seulement à l’extraordinaire, au merveilleux et à l’extravagant, mais à l’illusoire, au factice, à ce que Nathalie Sarraute appelle, à propos de Flaubert, l’inauthentique, cet imaginaire en trompe-l’œil qui caractérise par exemple le rapport au monde d’Emma ou de Frédéric. C’est cette tradition du désenchantement romantique qui met en avant la part de mensonge et de fausseté du romanesque. Tout le sérieux du roman, à l’âge d’or du réalisme au XIX° siècle, résiderait dans ce qui échappe au romanesque, dans l’ambition de représenter la société telle qu’elle est et de se faire porteur d’un savoir sur le monde et sur l’homme (Balzac, dans l’Avant-propos de laComédie humaine, Zola et le projet des Rougon-Macquart).
Elle est la mère deClaude Sarraute (journaliste, romancière et comédienne), d'Anne Sarraute (assistante de réalisation, chef monteuse et secrétaire de rédaction deLa Quinzaine littéraire) et de Dominique Sarraute (photographe).
Paul Valéry et l'enfant d'éléphant paru en 1947 dans la revueLes Temps modernes, suivi deFlaubert le précurseur, Paris, Gallimard, 1986(ISBN978-2070188703)
Lettres d'Amérique, Paris, Gallimard, 2017
Une réalité inconnue. Essais et entretiens, 1956-1986, Paris, Gallimard, 2023
Coffret hommage à Nathalie Sarraute :Tropismes,Entre la vie et la mort,L’Usage de la parole,Tu ne t’aimes pas,Ici (CD MP3), 15h18, « La Bibliothèque des voix »,des femmes-Antoinette Fouque, Paris,2009.(EAN3328140021202)
Danièle Sallenave,Nathalie Sarraute. À voix nue, inFrance Culture, 23-
Michèle Pardina,Un entretien avec Nathalie Sarraute, inLe Monde,
Isabelle Huppert,Rencontre avec Nathalie Sarraute, inCahiers du cinéma, 477,
Heinz-Norbert Jocks,Das Ungesehene ist nichts als das noch nicht Gesehene. Un entretien avec Nathalie Sarraute. En:Basler Zeitung. 22., Nr.221, 2010, p. 45.
Antoine de Gaudemar,Sarraute, nulle part ailleurs, inLibération,
Livre catalogue d'exposition de la Bibliothèque nationale de France, Nathalie Sarraute, portrait d'un écrivain, par Annie Angremy avec la collaboration de Noëlle Giret, 1995
Sabine Raffy (éd.), Actes du Centre culturel international de Cerisy-la-Salle del 9-10 luglio 1989, inAnnales de l'université de Besançon,no 580, Paris, Les Belles Lettres, 1995
Christine Cormier, « Topos, tropismes et toponymes dansPortrait d’un inconnu de Nathalie Sarraute »,Études françaises,vol. 36,no 1,,p. 109-125(lire en ligne)
↑D'après laBibliothèque nationale de France, catalogue BN-Opale-plus, fiche FRBNF11923722 créée le 3 novembre 1976, dans sa mise à jour du 15 février 2006.
↑Il[le lecteur] est plongé et maintenu jusqu’au bout dans une matière anonyme comme le sang, dans un magma sans nom, sans contour. dans L'Ère du soupçon.