Unmythe est uneconstruction imaginaire qui se veut explicative des phénomènes cosmiques, psychologiques et sociaux, à l'image dedieux etdéesses qui proposent une explication pour certains aspects fondamentaux du monde, et de lasociété qui l'a forgée ou qui la véhicule. Le mythe est porté à l'origine par unetradition orale. La construction imaginaire que constitue le mythe est fondatrice d'une pratique sociale en fonction des valeurs fondamentales d'une communauté à la recherche de sa cohésion[1] :
les phénomènes naturels astronomiques, météorologiques, géologiques (astromythologie,géomythologie) ;
le statut de l'être humain, et notamment ses rapports avec le divin, avec la nature, avec les autres individus (d'un autre sexe, d'un autre groupe) ;
la genèse d'une société humaine et ses relations avec les autres sociétés.
L'étude des mythes est lamythologie. La « mythification » est l'action ou le processus par lequel l'historiographie, la production artistique ou les représentations populaires considèrent, interprètent ou transforment un personnage ou un épisode historique en un mythe.
Le terme « mythe » est souvent employé pour désigner unecroyance manifestement erronée au premier abord parce qu'elle n'obéit pas aux critères de la rationalité, mais qui peut se rapporter à des éléments concrets exprimés de façon symbolique[2] et partagée par un nombre significatif de personnes. Il met souvent en scène des êtres incarnant sous une forme symbolique des forces de la nature, des aspects de la condition humaine[3].
Le mythe (qui se veut explicatif en se fondant sur des constructions imaginaires) se distingue de lalégende (qui suppose quelques faits historiques identifiables), duconte (qui se veut inventif sans expliquer), et duroman (qui« explique » avec peu de fondements). Ces quatre types de récits fictifs sont parfois confondus[4].
D'après le Dictionnaire de l’Académie française[5], le sens premier du motmythe, apparu auXIXe siècle, est unrécit fabuleux, pouvant contenir unemorale plus ou moins implicite. Il dérive d’une racineindo-européennemeudh qui évoque le souvenir et la pensée et fait référence à la remémoration[6].
Unmythe implique souvent plusieurs personnagesmerveilleux, tels que des dieux, des animauxchimériques ou savants, des hommes bêtes, desanges ou desdémons, et l'existence d'autres mondes.
Il serait exagéré de prendre unmythe au pied de la lettre, et de croire que les peuples les tiennent pour une descriptionparfaitement exacte (y compris lesaspects surnaturels) du déroulement des événements. Il serait sans doute tout aussi tendancieux de les analyser comme de simples récits poétiques, dépourvus de base réelle, des formes archaïques de réflexions philosophiques et proto-scientifiques, réalisées par uneanalogie poétique plus que sur lalogique, et exprimées sous une formesymbolique, voire une sorte deroman.
Ces histoires ne sont pas arbitraires ; les différentes sociétés, même très différentes et sans contacts culturels, présentent des mythes qui utilisent les mêmesarchétypes et ceux-ci traitent toujours de questions qui se posent dans les sociétés qui les véhiculent. Ils ont un lien direct avec la structurereligieuse et sociale du peuple, et avec leur cosmogonie.
SelonMircea Eliade :« Il serait difficile de trouver une définition du mythe qui soit acceptée par tous les savants et soit en même temps accessible aux non-spécialistes. D'ailleurs, est-il même possible de trouver une seule définition susceptible de couvrir tous les types et toutes les fonctions des mythes, dans toutes les sociétés archaïques et traditionnelles ? Le mythe est une réalité culturelle extrêmement complexe, qui peut être abordée et interprétée dans les perspectives multiples et complémentaires »[7]. Les philosophes de l'époquepost-mythique, tels queProtagoras,Empédocle etPlaton utilisent le mythe comme une mise en scèneallégorique afin de faire percevoir leurs propos d’une manière concrète. Par exemple,Platon crée des mythes originaux, ou réadapte des mythes antérieurs (par exemple lemythe d'Er le Pamphylien). À sa suite, d'autres philosophes ou certains auteurs de discours argumentatifs ont, eux aussi, eu recours au mythe, dans un même emploi.
L'anthropologue françaisClaude Lévi-Strauss, offre cet avis :« Un mythe se rapporte toujours à des événements passés avant la création du monde […] ou […] pendant les premiers âges […] en tout cas […] il y a longtemps […]. Mais la valeur intrinsèque attribuée au mythe provient de ce que les événements, censés se dérouler à un moment du temps, forment aussi une structure permanente. Celle-ci se rapporte simultanément au passé, au présent et au futur »[8].Le spécialiste de lamythologie gréco-latine,Pierre Grimal, concède cette définition généraliste où il prend parti finalement d'accepter le mythe pour lui-même :« C'est à la Grèce que l'on doit le nom et la notion même de mythologie. L'esprithellène opposait, comme deux modes antithétiques de la pensée, lelogos et lemythos, le « raisonnement » et le « mythe ». Le premier, c'est tout ce dont on peut rendre compte rationnellement, tout ce qui atteint à une vérité objective, et qui est identique pour tous les esprits. Le second, c'est tout ce qui s'adresse à l'imagination, tout ce qui n'est pas susceptible de vérification, mais porte sa vérité en soi-même, dans sa vraisemblance, ou, ce qui revient au même, la force de persuasion que lui confère sa beauté[9] ».
Le mythe est une paroleperformative etagentive[10] pour celui qui appartient à la culture qui l'a créé. Cette parole raconte une histoire sacrée qui relate non seulement l'origine du monde, des animaux, des plantes et de l'homme, mais aussi tous les événements primordiaux à la suite desquels l'homme est devenu ce qu'il est aujourd'hui, c'est-à-dire un être mortel, sexué, organisé en société, obligé de travailler pour vivre, et vivant selon certaines règles.
Le mythe se déroule dans un temps primordial et lointain, untemps hors de l'histoire, un Âge d'Or, un temps du rêve. Le mythe cosmogonique est « vrai » parce que le monde existe. Le mythe d'identité est « vrai » parce que la communauté dont il est l'image existe. Le mythe d'origine est « vrai » parce que la communauté le répète pour continuer de vivre. En ce sens, le mythe contient quasiment toujours des éléments de liturgie.
Réciter le mythe produit une re-création du monde par la force du rite. L'exigence du sacrifice est l'un des plus puissants. Le mythe n'est pas récité n'importe quand mais à l'occasion de cérémonies :naissances,initiations,mariages,funérailles, et tout un calendrier de fêtes et célébrations, c'est-à-direà l'occasion d'un commencement, d'une transformation ou terminaison dont il rend compte (ourend conte, c'est selon). Les mythes sont des références essentielles des incantations, notamment dans le chamanisme[11].
Lathéogonie raconte la naissance des dieux. Le poème d'Hésiode intituléThéogonie consiste en une théogonie : il raconte la naissance des dieuxgrecs antiques (laThéogonie inclut aussi une cosmogonie, puisque certains des tout premiers dieux, commeGaïa etOuranos, forment le monde physique) et leurs générations successives.
le chapitre 1 duLivre de la Genèse constitue le premier récit de laCréation, et correspond à unecosmogonie à partir d'un substrat existant dechaos et d'eaux primordiales ;
EnInde, les sacrifices aux dieux les font monter au ciel et ils abandonnent les hommes.
Mythe de l'enfant berger futur grand artiste, Un enfant garde des bêtes dans la campagne, pour se distraire de cette tâche monotone, il dessine avec un charbon de bois sur un rocher, passe alors un haut personnage qui décèle le talent du futur artiste, voirGiotto,Jean-Pierre Franque,Simon Mathurin Lantara, autre mythe la mouche peinte par l'apprenti sur un tableau du maître en son absence, à son retour celui-ci cherche à faire partir l'intruseQuentin Metsys et encoreLantara.
Mythe des gens de caverne repris dans leCoran, et racontant l'histoire à la fois fascinante et douloureuse de certains précurseurs croyants du christianisme, qui furent persécutés et s'enfuirent vers une caverne pour s'y abriter. À force de prier Dieu pour les protéger, le miracle divin fait qu'ils s'endormirent trois siècles et quelques années pour assister à l'avènement sinon la propagation de la nouvelle religion sur toutes les sphères de la société.
Aristote écrit :« Aussi, l'amateur de mythes [philomuthos] est philosophe [philosophos] en quelque sorte, car le mythe est composé de merveilles »[14]. Le commentateur Toula Vassilacou-Fassea soutient qu'Aristote pense que le mythe est digne d'être respecté, mais qu'il ne fait pas avancer lascience. Plus ancien que laphilosophie, il lui sert surtout d'illustration une fois qu'elle est constituée[15].
De nos jours, les principaux représentants des religions monothéistes, comme ceux desnéo-païens, n'éprouvent aucune difficulté à considérer que certains aspects de leurs textessacrés relèvent du mythe. Cette considération n'enlève rien au fait qu'ils contiennent aussi un grand nombre de vérités religieuses, divinement inspirées mais révélées au moyen des catégories de pensées et de langage d'une culture et d'une époque données. Parler de mythe ou demythologie, en ce qui concerne les monothéismes, n'implique aucun jugement de valeur sur lafoi qu'ils proposent, mais offre un outil technique de réflexionherméneutique. Ainsi, les historiens utilisent les mythes comme des textes témoignant des croyances d'une société, et non comme une source d'information sur les événements politiques. Ce sont donc essentiellement les historiens des mentalités qui les utilisent comme sources historiques. Parmi eux, on peut citer, pour les mythes grecs,Jean-Pierre Vernant, pour lamythologie romaine,Georges Dumézil ou, du point de vue anthropologique,René Girard.
Après la désagrégation des repères culturels ou religieux, le relativisme des sciences, la crise de l'idée deprogrès, l'humanité confrontée auxfaillites écologiques, économiques et sociales, et l'échec patent desutopies révolutionnaires, ledésenchantement du monde caractérisé par le recul descroyancesreligieuses etmagiques au profit des explicationsscientifiques, aurait pu annoncer la fin des mythesModèle:Parti pris. Mais « l'homme moderne qui se sent et se prétend areligieux dispose encore de toute une mythologie camouflée et de nombreux ritualismes dégradés »[16] qui correspondent à une réactualisation des mythes jouant toujours le même rôle (fonction cognitive, sociologique et psychologique, fonction d'intégration, d'explication et de légitimation). Ces derniers prospèrent même dans de nouvelles formes que sont les mythes urbains et les mythes modernes, bien que leur portée ne soit pas à mettre sur le même plan que les mythes fondamentaux des sociétés passées.
L'approche comparatiste montre que chaque ère culturelle produit lesarchétypes qui seront utilisés en tout ou en partie puis embellis et complétés dans les mythes de chacune de ces civilisations. Quelques-uns d'entre eux survivent à la civilisation qui leur a donné naissance par le recyclage littéraire ou théologique. Ainsi en est-il par exemple dumythe d'Orphée. On peut clairement voir que dans la littérature contemporaine on trouve de nombreux exemples de réécritures d'un mythe. Ainsi, commeAlbert Camus etLe mythe de Sisyphe, en 1942, ou encore Jean Anouilh et sonAntigone, en 1946. Le mythe de nos jours, prospère grâce à la portée littéraire qu'il prend sous la plume des auteurs. C'est une forme de prospérité du mythe qui le fait basculer du côté de la culture. Une véritable appropriation du mythe[17] a lieu, à travers le prisme des préoccupations contemporaines. Ils servent d'intermédiaire pour exprimer des problèmes universels, mais auxquels les sociétés humaines donnent des réponses très variées : l'identité, la résistance, la volonté, le pouvoir…
Un des théoriciens les plus importants du mythe est l'anthropologue contemporainRené Girard, dans sa théorie mimétique qui propose pour la première fois une théorie générale dureligieux, donne une explication rationnelle de la genèse du mythe. Le mythe raconte, d'une façon déformée, un évènement réel à l'origine de l'ordre social qui régit la communauté, cet évènement étant l'expulsion ou le meurtre d'une victime au cours d'une crise de violence généralisée. Ce meurtre a ramené la paix d'une façon qui semble mystérieuse aux yeux des individus et la victime apparaît tout à la fois comme responsable de la crise terrifiante - c'est dans cette conviction qu'on l'a éliminée - et comme ayant apporté la paix miraculeuse qui a suivi son meurtre : ses pouvoirs apparaissent comme transcendants, elle est ainsidivinisée. Dans le récit de l'évènement, elle sera un dieu doté des traits négatifs de culpabilité que possédait la victime aux yeux du groupe qui l'a lynchée, et des traits positifs de l'être transcendant qui a sauvé le groupe. On peut arriver ainsi à comprendre le sens des caractères surnaturels des dieux dans le mythe. L'analyse que Girard fait de très nombreux mythes dans son œuvre permet de comprendre le caractère surprenant des figures du mythe : le dieu mauvais apparaît comme une victime injustement accusée, le dieu bon comme un chef sans scrupule, etc., la jeune fille transformée en vache ou en nymphe est probablement une victime de sacrifice humain, le dieu qui féconde par une pluie d'or est un riche suborneur, le cheval de Troie une traîtresse ambassade de paix qu'un peuple las de la guerre accepte imprudemment, au besoin en tuant les oiseaux de mauvais augure comme Laocoon et ses fils qui le défendent, etc.
Dans le contexte moderne, on peut observer certains récits qui ont toutes les caractéristiques de mythes mais sont soit très récents de construction, soit encore en cours d'assemblage. On parle alors demythes urbains ou, plus couramment, delégendes urbaines. Mais on peut aussi parler de mythes modernes en référence à la réflexion qu'a menée le philosophe et sociologueGeorges Sorel qui a analysé leur émergence dans et par l'avènement de faits extraordinaires, comme des épopées guerrières comme celles de la Révolution française ou les grèves ouvrières de la fin duXIXe siècle[18]. Il s'agit alors de mythes sociaux que les masses emploient pour se mobiliser. Au cours duXXe siècle, le mythe a été utilisé comme instrument depropagande par lefascisme, en particulier pour exalter la Nation. On peut estimer qu'aujourd'hui lapublicité fonctionne en créant des mythes vendeurs. Le mythe moderne est donc tantôt une manifestation sociale spontanée tantôt une manipulation d'ordre politique ou commercial. Il semble alors que dans les sociétés modernes actuelles, le mythe soit un organe de propagande comme les autres, voilà pourquoi il faut nuancer leur portée.
Julien d'Huy,Cosmogonies : La Préhistoire des mythes (préf. Jean-Loïc Le Quellec), La Découverte, coll. « Sciences sociales du vivant », 1er octobre 2020, 384 p.(ISBN9782348059667)
Julien d'Huy,L'Aube des mythes : Quand les premiers Sapiens parlaient de l'Au-delà, La Découverte, coll. « Sciences sociales du vivant », 21 septembre 2023, 400 p.(ISBN9782348072789)
Santiago Guillén, « Comment les Dieux naissent-ils ? À propos de la création et de la transformation des figures divines dans les discours mythiques » [en ligne], SHS Web of Conferences, Actes du 8e Congrès Mondial de Linguistique Française 2022, F. Neveu, S. Prévost, A. Steuckardt, G. Bergounioux and B. Hamma (dirs.) (2022/138), disponible sur <https://shs.hal.science/halshs-03628674>[20].
↑Dont le mécanisme est notamment explicité dans les quatre volumes desMythologiques deClaude Lévi-Strauss.
↑Pierre Erny,Contes, mythes, mystères : éléments pour une mystagogie, Harmattan,,p. 17.
↑Frédéric Chaberlot,La Science est-elle un conte de fées ?,CNRS Éditions,,p. 84.
↑[1. Récit fabuleux, transmis par les traditions, qui contient en général un sens allégorique. Mythes égyptiens, grecs. Un mythe oriental. Le mythe de Prométhée, d’Orphée, d’Œdipe. Le mythe de la naissance de Vénus. Le mythe des quatre âges, voir Âge. Un mythe solaire. Un mythe cosmogonique, théogonique, eschatologique. Par ext. Récit à caractère poétique par lequel un philosophe donne à entendre sa conception de certaines réalités. Mythe platonicien. Le mythe d’Er, dans « La République » de Platon. Titres célèbres :Le Mythe et l'Homme, de Roger Caillois (1938) ;Le Mythe de Sisyphe, d'Albert Camus (1942).].
Les premiersphilosophes (telDémocrite) ont démythifié la métaphysique, c'est-à-dire qu'ils ont apporté des explications rationnelles à des phénomènes naturels autrement que par des mythes (comme la théorie des atomes, par exemple).