
Lamusique tient une place importante dans la vie sociale, politique et religieuse de laGrèce antique. Pour les Grecs, la musique est le plus beau des arts, en même temps qu'une science, objet des plus hautes spéculations philosophiques ; en ce sens, les Grecs lui ont accordé plus de valeur qu'auxarts majeurs que furent pour eux lapoésie, ladanse et lamédecine.
Le rôle essentiel de la musique dans le monde grec apparaît dans plusieurs de leursmythes : celui d'Orphée, qui réussit grâce à sa musique à convaincre le dieu desenfers,Hadès, de rendre à la lumière du jour son épouseEurydice, est considéré comme le mythe fondateur de la musique ; mais il est attesté surtout par de très nombreux témoignages littéraires,papyrologiques etépigraphiques, par les représentations figurées sur lacéramique, par les vestiges que nous avons conservés de leurs instruments à cordes, à percussion et à vent, et par plus d'une cinquantaine de partitions[1].
À l'époque archaïque (des origines auVIe siècle av. J.-C.), la musique est pratiquée uniquement par des musiciens professionnels, lesaèdes et lesrhapsodes, qui déclament les mythes en s'accompagnant d'un instrument et transmettent la musique oralement. Pendant lapériode classique, duVIe siècle av. J.-C. auIVe siècle av. J.-C., la musique commence à faire partie du système éducatif, et de ce fait devient plus répandue. Dès cette époque, la théorie musicale est connue du point de vue mathématique et acoustique, grâce àPythagore et à ses disciples[2]. Par la suite,Aristoxène deTarente confirme l'importance de l'oreille dans la perception des sons[3].
La Grèce antique donne lesThraces pour inventeurs de la musique[4]. La Grèce ancienne occupe une place importante dans l'histoire de la musique, dont le nom même dérive dugrec ancienΜοῦσαι /Moûsai (« Muses ») : depuis des millénaires, l'humanité avait joué de la musiquepour son efficacité religieuse, magique, thérapeutique et glorificatrice[réf. nécessaire]. Les Grecs sont le premier peuple européen pour qui la musique devient art, manière d'être et de penser en apportant la beauté. Ils sont aussi le premier peuple dont le système musical est connu, et le premier à utiliser la pratique de la notation. Avec lui, l'éducation musicale et l'institution desconcours où le public est appelé à juger de lapoésie et de la musique pour son plaisir ou son édification constituent l'une des trois grandes mutations musicales de l'humanité[a] : la spécialisation qu'elle entraîne fait apparaître deux types d'hommes musiciens, le musicien savant capable de jouer et de produire de la musique, et l'auditeur ou amateur de musique. Les Grecs sont en effet le premier peuple européen qui ait institué de véritables concerts sous forme denomes citharistiques ou de duos d'instruments, ce qui a contribué à former chez eux un public socialement conscient et participant activement à l'audition[5].
La musique antique a été l'objet de grandes spéculations, en raison de l'importance qui lui est attribuée, de sa perfection supposée, et du peu de documents écrits datant de cette époque[6].
Nous connaissons une cinquantaine de traités musicaux, de la fin duVIe siècle av. J.-C. auVe siècle, représentant environ dix siècles de réflexion et de culture musicologique grecques. L'un des plus complets est celui d'Alypius d'Alexandrie (en) (vers 360). Ces traités sont l'œuvre soit de musicographes, soit de théoriciens qui s'interrogent sur la nature de la science musicale, sur sa pratique et ses critères, et qui tentent de déterminer sa place dans le système des connaissances et ses rapports avec les mathématiques ou la physique[7].
Dans le courant duVIe siècle av. J.-C.,Lasos d'Hermione distingue trois parties dans le savoir musical, qui sont les parties technique, pratique et exécutive, elles-mêmes subdivisées en trois branches : la partie technique comprend d'abord l’ἁρμονική, l’harmonique, suivie de la rythmique et de la métrique.
L'harmonie, telle que nous l’entendons, en tant que science des accords et de leurs enchaînements, était ignorée des Grecs. Leur gamme n’avait donc pas de tonique. Mais cependant une note y avait un rôle prépondérant : c’était lamédiante. Dans la gamme dorienne, la médiante était lela. Son nom lui venait de sa position presque centrale, et son importance était due sans doute à ce fait que la plupart des relations mélodiques se percevaient directement ou indirectement par rapport à elle.
La gamme dorienne est l’échelle fixe des sons dans la musique grecque. Mais elle se transforme en une série de gammes diverses oumodes, selon que l’on en déplace le point de départ et la médiane. Voici les sept modes des Grecs :Dorien,Hypodorien,Phrygien,Hypophrygien,Lydien,Hypolydien,Mixolydien,Hypomixolydien (=Dorien)[b]. La théorie de l'harmonie dans l'antiquité distingue trois modes harmoniques : le premier groupe évoque les lamentations (Mode lydien mixte, mode dorien, mode phrygien et mode éolien) ; le deuxième groupe évoque lesbeuveries (Mode ionien) ; le troisième groupe évoque l'ardeur virile (dorien et phrygien).
Le terme mode utilisé dans le contexte de la musique antique n'a pas nécessairement la même signification que le terme mode utilisé depuis le Moyen Âge dans la musique moderne : On utilise fréquemment des noms grecs issus du système musical de la Grèce antique (ionien,dorien, phrygien, etc.) pour désigner chacun des sept modes diatoniques. Mais la légitimité historique de ces noms grecs dans ce contexte a été contestée au cours duXXe siècle par des musicologues commeJacques Chailley, qui considère que ces noms, outre le fait qu’ils sont « apocryphes » (p. 81)[8] (p. 70)[9], sont trompeurs en ce qu’ils laissent croire que les modes utilisés dans la musique occidentale actuelle sont les mêmes que ceux utilisés dans l’Antiquité (p. 81)[8].Le guide de la théorie de la musique de Claude Abromont souligne également que ces appellations grecques proviennent « d'une lecture erronée de la théorie grecque » (p. 203).
Notre gamme a une tonique qui en est le premier degré. Mais la notion de la tonique n’a de sens qu’au point de vue moderne de l’harmonie. Lagamme fondamentale des Grecs de l’Antiquité était la gamme dorienne au sens antique[c] :mi ré do si la sol fa mi. Mais tandis que notre gamme est essentiellementascendante, la gamme dorienne est essentiellementdescendante : la monter, c’était, aux yeux des Grecs, la prendre à l’envers. La place des demi-tons dans les deux gammes est la même, si l’on considère chaque gamme dans son sens direct, et non dans son sens inverse. N’oublions pas qu’une gamme est un mouvement mélodique, et que la direction de ce mouvement dépend des attractions entre les notes, et par suite la détermination de la place des demi-tons.
De même que nous transposons notre gamme majeure d’ut et notre gamme mineure dela dans douzetonalités différentes par le moyen d’altérations ascendantes ou descendantes, les Grecs usaient detranspositions analogues. Ils surent même moduler à laquinte inférieure par des moyens purement mélodiques.
Nous n’avons exposé jusqu’ici le système musical des Grecs que selon sa forme la plus ancienne qu’ils appelaient legenre diatonique, parce que c’était celui où les cordes de lalyre prenaient le maximum de tension, et qui se caractérisait par la disposition suivante des intervalles dans letétracorde inférieur de la gamme : la-sol-fa-mi.Des complications, sans doute d’origine orientale, s’introduisirent par la suite dans la musique grecque, sous les noms de genre chromatique et de genre enharmonique. Le genrechromatique se définit par la disposition suivante du tétracorde inférieur de la gamme : la-fa#-fa(b)-mi.Quant au genreenharmonique, très différent de notre usage moderne, il introduit dans la gamme lequart de ton. Faute de signes mieux appropriés, nous représenterons par unfa suivi d’unbémol barré lefa descendu d’un quart de ton dans le tétracorde inférieur de la gamme enharmonique : la-fa-fa(b/)-mi
La musique grecque était essentiellementhomophone, comme toutes les musiques de l’antiquité, c’est-à-dire que les Grecs ne considéraient pas comme musicale la production simultanée de deux mélodies différentes et qu’ils ne connaissaient pas l’harmonie au sens moderne du mot. Quand ils chantaient des chœurs, c’était toujours à l’unis ou à l’octave, et déjà le redoublement d’un chant à l’octave, tel qu’il se produit quand on associe des voix d’enfants à des voix d’hommes, leur paraissait d’une complication audacieuse. Les instruments qui accompagnaient les voix se contentaient de doubler leur partie ; parfois cependant ils y ajoutaient une « broderie ».Mais de tels ornements ou de tels mélanges de sons n’avaient, à aucun degré, le caractère ou le rôle de noscontrepoints et de nosharmonies.
La théorie durythme avait, chez les Grecs, une importance capitale, et elle avait pris un développement considérable, dont nous ne trouvons l'analogue que dans des traités de composition tout à fait modernes.
Letemps premier, qui sert de base au système, est la valeur de durée la plus petite, labrève (∪) dont le multiple est lalongue (—) qui vaut deux brèves. En combinant ensemble longues et brèves, on obtient différents rythmes élémentaires oupieds qui correspondent aux « temps » de nos «mesures» : l'iambe (∪—), letrochée (—∪), le tribachys (∪∪∪), ledactyle (—∪∪), l'anapeste (∪∪—), lespondée (— —), etc. En réunissant plusieurspieds ensemble, on forme desmètres, comme nos « mesures » se composent de « temps ». L'union de plusieurs mètres donne lieu à un membre de phrase oukôlon. Laphrase est généralement faite de deuxkôla.Les phrases se regroupent enpériodes et les périodes enstrophes qui se présentent d'ordinaire suivies de l’antistrophe (reprise), et de l’épode (coda). Des lois très minutieuses et très variées étaient appliquées par les Grecs à la construction de ces grands ensembles rythmiques que sont uneode dePindare ou telle scène tragique d'Eschyle, fort analogues par leur architecture à nossonates et à nossymphonies. Ces règles de construction furent tout à fait ignorées duMoyen Âge. Retrouvées d'instinct par les grands maîtres classiques, elles ne furent énoncées très explicitement par les théoriciens modernes qu'à la suite de la découverte auXIXe siècle de la véritable signification de la doctrine des anciens.
Différents intervalles ont été prêtés aux Grecs de l'Antiquité :
D'après les tables d'Alypius (en), les Grecs de l'Antiquité disposaient de deux systèmes de notation, l'un pour la musique instrumentale et l'autre pour la musique vocale[11]. Pour cette dernière on utilisait les lettres de l'alphabet (A-Ώ, du plus aigu au plus grave), éventuellement déformées (lettres amputées, allongées, tournées ou doublées, par exemple)[12].

Parmi les instruments à cordes, les plus répandus sont lalyre et lacithare, montées pendant longtemps à sept cordes. Lapandoura, ancêtre du luth, est attestée dans le monde gréco-romain à partir duIVe siècle av. J.-C. environ[13]. Lepsaltérion est également attesté.
Les principaux instruments à vent sont l'aulos, instrument àanche double (proche d'un doublehautbois), la syrinx (sorte deflûte de Pan) et lasalpinx (trompette droite et évasée).
Les percussions comptent lescrotales oucymbales antiques (sortes d'ancêtres descastagnettes), lessistres et lestambourins.

Les Grecs ont connu la musique purement instrumentale. Dès leVIe siècle avant notre ère, le jeu de l'aulos en solo, appelé l’aulétique, était un art très développé en Grèce, et l'on commençait à mettre en honneur le jeu en solo de lacithare (citharistique). Dans certaines fêtes solennelles, de grands concours publics avaient lieu entre les virtuoses les plus renommés. Nous avons conservé le plan d'unnome appelépythicon, et qui était une sorte de « sonate à programme » décrivant la lutte d'Apollon contre le serpentPython : 1° introduction ; 2° provocation ; 3° iambique (combat, fanfare, imitation des grincements de dents du dragon) ; 4° prière (ou célébration de la victoire) ; 5° ovation (chant de triomphe). Tous les instrumentistes les plus fameux de l'antiquité brillèrent à tour de rôle dans l'exécution de leur « pythicon ».
Mais si le jeu des instruments en solo prit de plus en plus d'importance dans la vie sociale de la Grèce, primitivement la musique grecque fut vocale et surtout chorale. Les œuvres lyriques de tous les anciens poètes étaient composées pour être chantées, comme ce fut le cas en particulier pour lesOdes triomphales dePindare. Latragédie grecque elle aussi était un drame en grande partie musical : les chœurs y étaient chantés, surtout à l'origine, par exemple dans les œuvres d'Eschyle. Et l'on sait qu'à Athènes notamment, les représentations de tragédies étaient des cérémonies officielles et des fêtes populaires auxquelles toute la cité prenait part. C'est dire quelle place l'art musical, associé à la poésie, à la danse, à la mimique, tenait dans la Grèce antique. Quand nous parlons de la danse dans lethéâtre antique, n'imaginons rien de semblable à nos ballets modernes. C'était une danse sans virtuosité, sans « soli », sans couples (les chœurs de danses n'étaient formés que d'hommes[réf. nécessaire]), sans rapidité, une danse où le mouvement des mains et les attitudes du corps jouaient un aussi grand rôle que les pas eux-mêmes.

Il existe une soixantaine de fragments musicaux grecs, très fragmentaires, transmis essentiellement par despapyrus d'époque gréco-romaine trouvés en Égypte. Peu de pièces sont intégralement connues : l'épitaphe de Seikilos (IIe s. ap. J.-C.), quelquesHymnes deMésomède de Crète, musicien attitré d'Hadrien, au moyen de manuscrits médiévaux, pièces instrumentales anonymes. Enfin, il reste trente-sept notes de l'Oreste d'Euripide et environ vingt notes de l'Iphigénie à Aulis, du même auteur. Le fragment depapyrus de l'Oreste, publié en 1892, a été ré-analysé entre 2012 et 2016, avec des découvertes étonnantes : l'abattement est indiqué par une mélodie descendante, l'idée de sauter par un saut d'intervalle, et la structure harmonique de la pièce est tonale (malgré la présence d'intervallesenharmoniques)[11]. Ce papyrus a été reconstitué et joué à l'Ashmolean Museum d'Oxford en juillet 2017.
Parmi les pièces fragmentaires, les plus importantes sont lesHymnes deDelphes, deux hymnes duIIe siècle av. J.-C. découverts en 1893-1894 parThéodore Reinach. Notons aussi l'hymne d'Oxyrhynque, unique pièce de musique chrétienne de l'Antiquité grecque.
Récemment a été redécouvert, aumusée du Louvre, un fragment d'un extrait de la tragédieMédée, du poète tragiqueCarcinos le Jeune.
Les Grecs attribuaient toutes sortes de vertus à la musique, un pouvoir merveilleux sur les âmes. Leurs philosophes avaient défini très minutieusement l'expression ou le caractère moral (êthos) de chaquemode. Ledorien était austère, l’hypodorien fier et joyeux, l’ionien voluptueux, lephrygien bachique, etc. Telle musique disposait au courage, à l'action, telle autre, à la sobriété, à la retenue, telle autre, à la mollesse, au plaisir.

Dans l'éducation des enfants et des jeunes gens, la musique avait une place de première importance, et elle était considérée comme indispensable pour former le caractère. À Athènes, les enfants suivaient pendant trois ans un enseignement musical chez un cithariste, qui était à la fois professeur delyre et maître de musique ; cet enseignement dispensait vraisemblablement les rudiments de la pratique vocale et instrumentale, mais ne permettait pas de déchiffrer une partition ou d'écrire la musique : le citoyen athénien devait en effet être simplement en mesure de chanter et de jouer au moins de la lyre, instrument réservé aux amateurs (lacithare étant réservée aux seuls professionnels)[1].Platon etAristote aux livres VII et VIII de saPolitique ont longuement développé la théorie de l'influence de la musique sur les passions et sur la moralité. Ils ont soigneusement distingué la musique qui relâche les mœurs de celle qui tend l'âme vers le bien de l'individu et vers celui de la Cité. Ils ont fait de l'éducation musicale une question d'État à proprement parler, et en cela, ils étaient absolument d'accord avec leurs contemporains. L'État a le devoir de veiller au maintien de la morale, et pour cela, de réglementer l'usage de la musique. À cet égard,Platon propose l'Égypte pour modèle : il voudrait que soient fixés par des lois les chants qui sont absolument beaux et que ceux-là seuls soient appris à la jeunesse. Les anciens Grecs appelaient les mélodies de leurs chants deslois[d], indiquant par là que c'étaient des formules-types, des formules consacrées, auxquelles il était interdit de changer quoi que ce soit[14]. Et nous voyons ainsi combien cet art musical de l'antiquité restait encore voisin des pratiques religieuses avec lesquelles il avait été d'abord intimement uni et même confondu.
C'est enIonie, précisément àMagnésie du Méandre et àTéos qu'on trouve la trace d'un enseignement musical à la fois théorique et pratique destiné à permettre à deséphèbes de jouer de la cithare, avec et sansplectre. Les meilleurs élèves étaient récompensés par un prix demélographie et derythmographie, c'est-à-dire d'écriture mélodique et d'écriture rythmique, après la pratique approfondie d'un instrument à cordes. Cet enseignement théorique a eu comme représentant le plus illustre lecithariste athénien Stratonicos qui, le premier, conçut undiagramme musical[15]. Outre cet enseignement, des musiciens professionnels comme un certain Hégésimachos d'Athènes, mais aussi des médecins ou desrhéteurs pouvaient donner des auditions et des conférences sur la pratique musicale et l'histoire de la musique[16].
Études critiques et historiques :