Lemur d'Hadrien (enanglais :Hadrian's Wall ; enscots :Hadrian's waw ; enlatin :Vallum Aelium) est unefortification faite de pierre et de terre construite entre 122 et 127apr. J.-C. L'empereur Hadrien fit édifier ce mur de défense sur toute la largeur du nord de l'actuelleAngleterre, qui correspond à peu près à lafrontière Angleterre-Écosse actuelle. Le nom est également parfois employé pour désigner cette frontière moderne, même si celle-ci diffère.
En plus de son utilisation commefortification militaire et comme marque de puissance politique,on[Qui ?] pense que les portes du mur auraient également servi de postes de contrôle pour la perception detaxes sur les produits importés. Celimes breton fortifié est en effet plus symbolique qu'efficace.
Une partie importante du mur existe toujours, en particulier dans la partie centrale où il est encore praticable à pied sans danger. C'est aujourd'hui l'attraction touristique la plus populaire de la région. En1987, l'UNESCO l'a inscrit sur laliste du patrimoine mondial. Lemusée Hancock d'histoire naturelle, àNewcastle, lui consacre une salle entière.
Bien qu’ayant attiré l’intérêt des érudits dès leXVIe siècle, ce n’est qu’auXVIIIe siècle que le mur commence à faire l’objet de recherches plus systématiques. À cette époque, la construction est encore attribuée àSeptime Sévère : bien que Hadrien ait été proposé dès 1527 par l’écossais Hector Boece, puis par l’italien Polydore Virgil en 1534, leurs théories sont mises à l’écart par les érudits anglais, qui refusent que la tradition anglaise soit remise en question par des étrangers. Il faut attendre l’ouvrage de John HodgsonHistory of the Northumberland, paru en 1840, pour que cette idée s’impose enfin[3],[4]. Hodgson rompt également de manière importante avec les écrits antérieurs en ce qui concerne la chronologie relative du mur en avançant que l’ensemble des éléments datent de la période d’Hadrien, alors qu’auparavant levallum était considéré antérieur aux constructions en pierre[5].
L'engouement pour les ruines du mur s'accroît dans les années suivantes, notamment dans le sillage de John Collingwood Bruce, qui fonde en 1849 le pèlerinage du mur d'Hadrien, donne de nombreuses conférences et publie en 1851The Roman Wall, qui contribue à diffuser les idées de Hodgson[6]. Les excavations se multiplient également sous la patronage de philanthropes locaux comme John Clayton, bien que la manière dont elles sont menées conduit parfois à plus de dommages que de bénéfices[7]. Néanmoins, elles permettent de mettre au jour des portes, ce qui révolutionne la compréhension du rôle du mur, qui était jusque-là perçu comme une frontière imperméable[8].
Dans les années 1930 émerge la théorie selon laquelle le mur a été construit, détruit et reconstruit plusieurs fois au cours de son histoire. Cette théorie devient très populaire dans les décennies suivantes et se retrouve dans tous les ouvrages jusqu’à la fin des années 1950, notamment ceux d’Eric Bayley etIan Richmond, qui sont alors considérés comme les autorités sur le sujet. Parallèlement émerge la théorie, soutenue par Bayley, que le mur n’a pas de fonction défensive, mais une simple fonction économique de contrôle des mouvements de population et de marchandises, comparable aumur des Fermiers généraux à Paris auXVIIIe siècle[9].
Le modèle des périodes est toutefois remis en cause au début des années 1960, puis définitivement abandonné dans les années 1970. De nouvelles fouilles mettent en effet en évidence un schéma bien plus complexe, l’histoire du mur ne pouvant pas être considérée de manière globale, avec des variations pouvant être importantes selon les sites[9].
En dehors de quelques rares allusions dans les textes des historiens romains, il n’existe aucune source documentaire sur le mur d’Hadrien. En effet, bien que les forts deVindolanda et Carlisle aient livré plusieurs milliers de tablettes ayant servi à la gestion des troupes basées sur place, ces documents sont antérieurs à la construction du mur et ne livrent donc aucune information à son sujet, même s’ils sont précieux pour comprendre l’organisation des légions sur place au début duIIe siècle[10].
Le corpus des inscriptions comprend davantage d’occurrences, mais fournit des informations plus limitées que ne le ferait un document de gestion : il s’agit essentiellement de dates de construction ou d’éléments permettant de situer la présence d’une unité militaire à un emplacement du mur. Ces inscriptions sont de plusieurs types : millésimes marquant l’achèvement d’une structure,bornes milliaires ou encore pierres tombales, ces dernières n’étant pas nécessairement sur place, mais pouvant se trouver à l’autre bout du monde romain du fait des mouvements de troupes[11].
L’archéologie constitue ainsi la principale source d’information sur le mur et son fonctionnement et offre les meilleures perspectives, environ 92% de l’emprise des fortifications, dont la plupart des forts et fortins, n’ayant pas encore été fouillée en 2017[10]. Elle se heurte toutefois à ses propres difficultés : en particulier les couches archéologiques remontant à la période de fonctionnement du mur offrent la plupart du temps de moins bonnes conditions de conservation dumobilier périssable que les couches plus profondes, l’exemple typique de cette situation étant Vindolanda où les tablettes en bois antérieures à la construction du mur ont été préservées, mais pas celles des couches supérieures[12].
La conquête de laBretagne commence en 43 à l’initiative de l’empereur Claude et s’étend pendant plusieurs décennies, jusqu’en 83 et la victoire deJulius Agricola à labataille du Mont Graupius. Dans les années qui suivent, les Romains cherchent à sécuriser lesHighlands avec un réseau deforts s’étendant au nord jusqu’àInchtuthil[13]. Toutefois, peut-être en raison de l’invasion des Daces qui siphonne les troupes disponibles, ces efforts sont presque immédiatement interrompus et les territoires situés au nord d’une ligne courant du fort deTrimontium, près deNewstead, àDalswinton sont abandonnés peu après 86[14].
Le retrait deslégions stationnées en Bretagne se poursuit à l’époque deTrajan, ce qui oblige les Romains à évacuer progressivement le sud de l’actuelleÉcosse. Une ligne de forts est alors construite le long d’uneroute, appelée aujourd’huiStanegate, s’étendant entreCarlisle etCorbridge[15]. L’empereurHadrien visite la région en 121 ou 122 et décide à ce moment-là de faire construire un mur pour délimiter la frontière, décision qui pourrait être en rapport avec les troubles importants qui secouent la région sous son règne. La datation de ce conflit demeure incertaine, mais l’historiographie récente tend à le situer vers 122, l’érection du mur constituant ainsi une réponse à une menace immédiate des tribuscalédoniennes[16].
La construction du mur a dû débuter peu de temps après la visite de l’empereur, probablement en 123[17]. Le chantier est placé sous la responsabilité deAulus Platorius Nepos, un ami d’Hadrien qui devientgouverneur vers le mois de[18]. Le tracé retenu n’est pas celui de la ligne de la Stanegate, mais s’étend plus au nord, le long de l’extrémité septentrionale duTyne Gap[19]. Le projet initial semble avoir été assez différent de ce qui a été effectivement réalisé. Dans un premier temps, les Romains ne commencent en effet à construire un mur de pierre que dans la partie orientale, tandis que de l’Irthing àBowness-on-Solway le mur est en mottes de gazon. Cette différence pourrait indiquer le besoin de disposer rapidement de fortifications à l’ouest[17].
Peu de temps après, le plan général est une nouvelle fois modifié afin de protéger les arrières du mur, du côté du territoire romain donc, avec des levées de terre et un fossé, ouvrages appelés collectivementvallum. Par ailleurs, le tracé initial, qui s’arrêtait à Newcastle, est prolongé jusqu’àWallsend. À peu près au même moment, une partie du mur en mottes de gazon est remplacé par une construction en pierre[17]. Étant donné que les inscriptions encastrées dans le mur ne mentionnent que le nom du gouverneur Nepos et non de son successeur Lucius Trebius Germanus, le mur a été terminé avant 127, date la plus tardive possible de l’arrivée en poste de ce dernier[18].
Le mur dispose encore d’une garnison aux environs de l’an 400, mais a probablement été définitivement abandonné peu de temps après[20]. En effet, les légions stationnées en Bretagne proclament empereur l’un des leurs sous le nom deConstantin III. Celui-ci part immédiatement pour le continent pour s’assurer le trône impérial, en emmenant avec lui une grande partie des troupes supposées défendre la province. Même si une garnison a peut-être subsisté sur le mur, la déliquescence progressive de l’administration et le non-paiement des soldes ont probablement entraîné à court terme la désertion de la plupart de ces troupes, laissant le mur sans défense[23].
L’histoire du mur dans les siècles postérieures est mal connue, celui-ci n’étant que rarement mentionné. Il semble que certains forts, commeBirdoswald, aient été occupés par des chefs locaux. Le mur se dégrade progressivement sous l’effet du manque d’entretien et du réemploi des pierres par les habitants de la région pour construire églises et châteaux[24]. Ces pillages ne semblent pas avoir été généralisés avant leXVIe siècle, les récits des voyageurs du début de laRenaissance décrivant souvent des structures très visibles dans le paysage[25]. De fait, la ruine du mur survient surtout à la suite de la révolution agricole duXVIIIe siècle qui entraîne son démantèlement afin de permettre l’extension des surfaces cultivées[26].
Les premiers éléments du mur commencent à faire l’objet d’une protection de l’État britannique à partir des années 1930. Le premier site pris en charge est lefort de Corbridge en 1933, suivi d’une petite portion du mur en 1934. Au fil des années l’État a acquis davantage de vestiges et d’autres sont à la charge des collectivités locales, mais la plus grande partie du mur reste toutefois entre les mains de propriétaires privés. L’entretien des sections possédées par l’État est assuré par l’English Heritage, tandis que divers organismes comme leNational Trust, leVidolanda Trust ou encore le service des musées deTyne and Wear s’occupent du reste[27].
Le mur d’Hadrien est inscrit aupatrimoine mondial depuis 1987. Il fait en outre partie depuis 2005 d’un ensemble plus large classé par l’UNESCO et intitulé « Frontières de l’Empire romain », comprenant les différentslimes bâti dans le monde par les Romains[28].
Le mur utilise différents types de pierres : lesparements sont généralement encalcaire ou plus rarement engrès rose aux endroits où il y n’y a pas de calcaire à distance raisonnable, ainsi que dubasalte dans les fondations. S’y ajoutent les matériaux nécessaires à la confection dumortier : lachaux, produite à partir de calcaire et decharbon, l’eau et lesable. De l’argile à blocaux est également utilisée dans le blocage. Enfin le chantier a besoin d’importantes quantités de bois brut, de fer et d’acier pour les ouvrages, mais aussi pour les échafaudages et les outils[29].
L’acheminement des matériaux est la principale difficulté du chantier. Les estimations et les expérimentations montrent en effet qu’une section de quatorze mètres du mur nécessite environ 400 tonnes de pierre et plus de3 500 litres d’eau pour le mortier[30]. Par extrapolation, il est possible d’estimer pour l’ensemble du mur le besoin en pierre à environ 1,5 million de tonnes, auquel s’ajoute pour le mortier environ 2,5 millions de litres d’eau, 15 500 tonnes de chaux et 53 500 tonnes de sable[31].
Conformément à l’usage romain pour les travaux d’infrastructure, la construction est effectuée par les soldats des légions, à savoir lalegio II Augusta, lalegio VI Victrix, lalegio XX Valeria Victrix, ainsi qu’avec les troupes de marine de laclassis Britannica[31]. Une légion se voit attribuer des secteurs d’environ huit kilomètres de long, que lepraefectus castrorum partage ensuite entre plusieurscenturies, sous la responsabilité de leurcenturions respectifs. Il semble que les légionnaires aient plutôt été chargés des travaux de construction, tandis que les auxiliaires sont plutôt affectés à la tâche plus ingrate de préparation du terrain[32]. Celle-ci est le premier travail effectué après que les géomètres aient balisé le tracé du mur et consiste à défricher le terrain, ainsi qu’à creuser levallum et le fossé extérieur[33]. Le sol composé d’argile à blocaux parsemé de blocs dépassant la tonne ou rocheux par endroit rend toutefois ces travaux d’excavation pénibles, au point que le creusement des fossés a été abandonné par endroits[34]. La construction des fortifications commence par les forts milliaires et les tours, qui sont ensuite reliés par le mur[33].
Le mur est formé de deux parements entre lesquels se trouve un blocage dont la nature varie selon les constructions. À l’origine, seul celui des forts milliaires fait usage de mortier, tandis que le mur a un blocage constitué des déchets issus du creusement du fossé, dont la composition est d’environ 75% de pierres de divers calibre et de 25% d’argile à blocaux. Ce type de blocage a toutefois l’inconvénient de rendre la structure instable, et certaines sections ont été ultérieurement reconstruites avec un blocage au mortier, peut-être du fait de leur dégradation, voire d’un écroulement[29].
À l’origine, le mur semble avoir été d’abord pensé comme un moyen de contrôle de la frontière. Il doit ainsi être vu à la lumière de la distinction que font les Romains entre ceux vivant dans l’Empire et lesbarbares, c’est-à-dire de leur point de vue ceux vivant en dehors de ses limites. Ceux-ci ne peuvent en effet y entrer que sous escorte militaire, sans armes et en payant des taxes. En imposant le passage à des emplacements prévus, le mur permet donc d’assurer ces contrôles[35].
En dehors de la protection contre les petites bandes volant le bétail, le mur n’a ainsi initialement pas pour objectif de défendre la frontière, rôle dévolu aux forts de la ligne de laStanegate. L’implantation des forts sur le mur peu de temps après le début de sa construction montre toutefois que les Romains ont rapidement réalisé que le mur constitue un obstacle autant pour eux que pour l’adversaire. En effet, l’armée romaine reste à cette époque une force de manœuvre plutôt que de forteresse et ses officiers préfèrent sortir affronter l’adversaire sur un espace ouvert que depuis des murs : en stationnant leurs forces défensives sur la Stanegate, les Romains limitent ainsi fortement leur capacité à manœuvrer, alors que leurs positionnement directement sur le mur leur permet d’agir de manière proactive[36],[35].
Ce rôle hybride de contrôle et de défense et l’ajout de ce dernier après le début des travaux explique probablement pourquoi le mur oscillait entrefrontière ouverte et fermée. La présence de portes donnant sur l’extérieur dans chaque fort milliaire donne en effet l’impression d’une frontière prévue pour être franchie en de nombreux points, mais en réalité ces portes n’ont probablement qu’un rôle militaire en l’absence de ponts pour franchir autant le fossé extérieur que levallum ailleurs qu’à l’emplacement des forts[37],[38]. De même, le mur n’a pas vraiment en lui-même de capacité défensive : le chemin de ronde est par exemple trop étroit et trop difficilement accessible pour permettre de combattre efficacement depuis son sommet, rien n’est par ailleurs prévu pour battre le pied du mur et il n’existe pas non plus d’emplacements pour de l’artillerie[36].
Bien que difficile à documenter, en dehors de quelques traces archéologiques, l’impact du mur sur les populations locales a probablement été très important. Dans un premier temps, cet impact est fortement négatif. Les fermes se trouvant directement sur le trajet du mur sont détruites, sans que l’on sache si leurs propriétaires ont reçu une quelconque compensation. C’est toutefois au niveau de l’organisation foncière que les perturbations sont les plus fortes, le mur coupant les chemins locaux et divisant les parcelles agricoles, dont les parties situées de l’autre côté deviennent inaccessibles[39].
Dans un second temps, le mur a un effet profond sur l’économie locale du fait de la présence de nombreux soldats[39]. Ceux-ci ont besoin d’alimentation, de divertissement et d’autres choses, tout en ayant l’avantage de disposer d’une rémunération régulière et plutôt élevée par rapport au niveau de vie local[40]. Cela entraîne, d’une part, la formation de localités aux abords des forts et, d’autre part, l’adaptation de la production agricole et artisanale locale aux besoins des soldats, avec par exemple une augmentation de la production de céréales[41]. L’effet positif de ces échanges sur les populations locales ne doit cependant pas être surestimé et doit en revanche être mis en balance avec les effets négatifs de la présence des soldats. Les témoignages abondent en effet dans tout l’Empire quant à la dangerosité de ceux-ci, qui volent et molestent régulièrement et en toute impunité les civils[39].
La régularité de ce système a permis de concevoir vers 1920 une méthode de numérotation des ouvrages permettant leur identification précise. Par convention, les fortins sont donc numérotés d’est en ouest, puis du nord au sud le long de la côte de Cumbrie. Les tours situées entre deux portent le numéro du fortin précédent suivi de la mention A ou B : ainsi les tours se trouvant entre les fortins 52 et 53 sont numérotées 52A et 52B. Les forts étant moins nombreux, ils ne sont pas numérotés mais sont désignés chacun par leur nom, le nom moderne étant généralement privilégié du fait de l’incertitude planant sur leur nom latin[2].
Bien qu’il n’ait pas été prévu à l’origine d’implanter des forts directement sur le mur, les plans changent rapidement et quatorze forts sont finalement bâtis directement sur le mur à intervalle régulier, de sorte que le trajet entre deux d’entre eux soit limité à une demi-journée de marche. Il s’y ajoute par ailleurs trois forts à proximité immédiate de la ligne de front[45]. Des forts sont également établis le long de la côte occidentale, mais ceux-ci sont construits en mottes de gazon et en bois plutôt qu’en pierre et sont rapidement abandonnés, dès le milieu duIIe siècle[22].
Les forts sont construits selon un plan standardisé qui se retrouve dans tout l’Empire. Chacun est protégé par une courtine d’environ 4 m de haut garnie de tours et précédée d’un ou plusieurs fossés en V d’environ 5,5 m et 3 m de profondeur[45]. L’espace intérieur est divisé en quatre quartiers par lavia principalis et lavia prætoria, à l’intersection desquelles se trouve le quartier général, ouprincipia, où se situent le tribunal, le trésor, lesacellum, sanctuaire où sont rangés les étendards et les images impériales ainsi que les chambres dessigniferi et ducornicularius. De part et d’autre de laprincipia se trouvent le prétoire (prætorium, où loge le commandant de la garnison) et les greniers (horrea)[46]. De chaque côté de cette travée centrale se trouvent les ateliers (fabricæ) et les étables (stabuli), puis derrière ceux-ci les baraquements des soldats. Ceux-ci sont des blocs oblongs abritant unecenturie, avec à une extrémité un grand appartement pour l’officier commandant puis dix chambres logeant chacune uncontubernium de huit hommes[47]. Dans les forts de cavalerie, les baraquements abritent à la fois les hommes et leurs chevaux[48].
Les forts milliaires suivent pour la plupart un plan standardisé quadrangulaire, dont le côté nord est aligné sur le mur, sans saillie du côté de l’attaque. Les forts milliaires permettent de franchir le mur par deux portes àarc en plein cintre percées respectivement dans le mur au nord et dans le mur d’enceinte du fortin au sud. La porte donnant sur l’extérieur est coiffée d’une petite tour installée à cheval sur le mur avec deux portes donnant sur le chemin de ronde. Ce dernier est lui-même accessible par un escalier se trouvant dans l’angle nord-est du fort. Les fortins sont tous construits en pierre, mais certains ont dans un premier temps eu des murs en gazon avant d’être reconstruits ultérieurement[49]. En revanche, les forts milliaires situés le long de la côte occidentale sont restés dans leur état d’origine et n’ont pas été reconstruits du fait de l’abandon définitif des fortifications côtières dès le milieu duIIe siècle[22].
Les forts milliaires servent de base de vie aux soldats patrouillant sur le mur. L’espace intérieur est donc occupé par un ou deux bâtiments oblongs servant de baraquements et par un four à pain implanté dans l’angle nord-ouest. Au vu de leurs dimensions réduites, ces fortins ne pouvaient probablement accueillir guère plus de huit hommes en même temps, mais du fait de la rotation des gardes, jusqu’à trente-deux soldats auraient pu y être rattachés[49].
Les tours d’intervalle placées sur le mur sont toutes construites sur le même modèle avec un plan carré d’environ trois mètres de côté pour une hauteur estimée d’environ neuf mètres. Ces tours, qui sont toujours construites en pierre, ne présentent pas de saillie du côté de l’attaque, leur face nord étant dans l’alignement du mur. Elles comportent un rez-de-chaussée avec une porte donnant sur le côté intérieur du mur et un étage de plain-pied avec le chemin de ronde ; la couverture de l’ensemble n’est pas connue, mais il y a consensus pour dire qu’il s’agissait probablement d’une toiture enbâtière. L’étage est accessible par une échelle amovible depuis le rez-de-chaussée ou par deux portes donnant de chaque côté sur le chemin de ronde[50].
Ces tours sont moins des postes de combat que des abris pour les soldats patrouillant sur le mur le temps de leur garde. À ce titre, le rez-de-chaussée est équipé d’un foyer ouvert permettant de se réchauffer et de cuisiner[50].
Le mur doit traverser trois grands cours d’eau sur son trajet : laNorth Tyne à hauteur dufort de Chesters, l’Irthing et l’Eden. Aucun élément n’est connu sur le pont sur l'Eden, mais les deux autres partagent les mêmes caractéristiques. À l’origine il s’agit de grandes passerelles construites sur despiles hexagonales et prolongeant le chemin de ronde du mur au-dessus de l’eau plutôt que de ponts routiers. L’accès est gardé de chaque côté par une tour-porte[48],[51].
Le mur d’Hadrien n’est pas gardé par les légions, qui sont stationnés bien plus au sud, mais par des troupes auxiliaires[52]. Celles-ci sont de trois types : lesalae, unités de cavalerie, lescohortes peditata composées d’infanterie et lescohortes equitatae, unités composites contenant à la fois de l’infanterie et de la cavalerie. La majeure partie sont ditesquingenaria, c’est-à-dire qu’elles comptent environ cinq cents hommes, mais quelques-unes sont ditesmilliaria, avec un effectif plus ou moins doublé[53]. De manière générale, la cavalerie est concentrée à proximité des routes et dans l’ouest, notamment auxforts de Stanwix, deChesters et deBenwell, tandis que l’infanterie est chargée des secteurs plus isolés[54].
Composées denon-citoyens, ces troupes auxiliaires sont formées en unités ethniques recrutées principalement en Gaule et en Germanie, mais certaines unités viennent d’aussi loin que l’Hispanie, comme l’ala I Hispanorum Asturum quingenaria ou de Thrace, comme la cohors I Thracum quingenaria equitata[55]. Toutefois, les unités perdent progressivement leur caractère ethnique à mesure que le temps passe lorsqu’elles sont stationnées loin de leur région d’origine, les trous dans les effectifs étant comblés avec des recrues locales. Il est ainsi probable que beaucoup de ces unités comptaient une proportion plus ou moins importantes de Bretons[56].
Si, comme il est probable, l’organisation militaire le long du mur d’Hadrien est la même que dans le reste de l’Empire, environ 25% de l’effectif monte la garde quotidiennement, le reste étant affecté à l’entretien et à l’approvisionnement du camp ou détaché pour des missions extérieures, par exemple en tant que gardes auprès du gouverneur provincial[57]. Les conditions de vie des soldats sont bonnes dans l’ensemble, et au demeurant souvent meilleures que celles des civils. L’alimentation est basée sur lerégime méditerranéen, avec l’adjonction toutefois de produits plus septentrionaux comme lacervoise[58]. Tous les forts disposent également de thermes construits à proximité[59]. Bien que le règlement militaire interdit en théorie aux soldats de se marier, les mariages de fait ne sont pas rares. De la même manière, la distinction entre espace civil et espace militaire est probablement moins stricte que ne pourraient le faire croire les règles, des soldats faisant venir leur épouse dans le forts, tandis que d’autres s’installent avec elle dans les villages avoisinants[60].
Chez les auteurs duHaut Moyen Âge le mur d’Hadrien devient un accessoires de récits moralisateurs. Ainsi,Gildas raconte que les Bretons, attaqués par les Scots et les Pictes, demandent de l’aide à Rome, qui les aide en envoyant une légion. Ayant vaincu les ennemis, celle-ci rentre chez elle en conseillant aux Bretons de construire un mur, mais ceux-ci étant incompétents et mal dirigés, ils construisent un mur en terre qui ne résiste pas, obligeant les Romains à revenir à leur aide. Ceux-ci construisent alors un mur en pierre pour les Bretons avant de repartir, mais du fait de leur paresse et de leur manque de courage ces derniers ne défendent pas le mur correctement et sont envahis par les barbares[61]. Une histoire similaire, en dehors de quelques variations, se retrouve chezBède[62].
Ces histoires mettent l’accent sur la responsabilité des Bretons desLowlands dans l’invasion des tribus païennes, la menace qui en résulte pour le christianisme et, partant de là, pour la vie même puisque de leur point de vue les païens sont des sauvages assoiffés de sang[63]. Cela permet de présenter ensuite la conquête de la région par les rois deNorthumbrie comme une libération de celle-ci par les successeurs de l’Empire romain :Oswald triomphe ainsi des païens àHeavenfield, à quelques encablures du mur, et protège ainsi les chrétiens de la région comme l’avaient fait les Romains avant lui[64].
Cette construction identitaire se développe au cours duXVIIIe siècle chez les érudits. Les auteurs anglais commeWilliam Stukeley se présentant comme les continuateurs des Romains défendant la civilisation depuis le mur, tandis que les auteurs écossais commeAlexander Gordon se représentent en descendants de Pictes détruisant le mur pour libérer la contrée de l’esclavage romain[69].
Christine Hoët-Van Cauwenberghe, « Le « Mur d’Hadrien » et la frontière bretonne de l’Empire romain. Histoire et réception »,Raison présente,no 202,,p. 9-19(lire en ligne, consulté le).
Macha Séry,Sur le mur d'Hadrien. Voyage aux confins de l'Empire romain, Stock, 2024.