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Unmoraliste est unécrivain opérant principalement auXVIIe siècle dans un style littéraire qui propose des réflexions sur les mœurs, les usages et les coutumes humaines, les caractères et lesfaçons de vivre. Il s'agit en somme des actions et des comportementshumains. Il vit le plus souvent à la cour du Roi, comme leduc de Saint-Simon, mais certains moralistes préfèrent la solitude, commeBlaise Pascal.
L'écriture moraliste se caractérise par le choix d'une forme discontinue : l'essai montaignien qui va « à sauts et à gambades » (Montaigne,Essais, III, 9) sans obéir à une organisation préétablie, la collection de maximes chezLa Rochefoucauld, le choix de recueil parLa Bruyère, ou de fables chezLa Fontaine. C'est précisément le signe de cette attitude descriptive propre au moraliste : il refuse par là le discours construit, démonstratif et prescriptif, et conteste ainsi la posture d'autorité et de savoir qui y sont attachées et qui sont précisément celles du « moralisateur », c'est-à-dire duthéologien ou de l'apologète. Le choix de la forme discontinue, soit en privilégiant le désordre (Montaigne), soit en valorisant la brièveté de la notation (La Rochefoucauld,La Bruyère), rend compte et atteste l'infinie diversité des comportements humains et de la complexité d'un réel désormais sans cohérence ni signification assurée.
La critique duXIXe siècle, qui a inventé le nom de ce courant[1] et ses continuateurs ont considéré que le courant moraliste était le caractère le plus distinctif de l'esprit français duXVIIe siècle, d'abord par réaction contre le matérialisme ou l'indifférence morale et religieuse que les scandales des guerres et anarchies civiles et religieuses avaient amenés, ensuite par le développement de lasociété polie contre la grossièreté du siècle précédent[2]. Néanmoins, une telle approche fait se superposer dangereusement les notions de moraliste et de moralisateur, ce que ne sont jamais exactement ces écrivains ; de surcroît, la seule considération de la forme des écrits des moralistes montre une ambiguïté quant à leur signification : en l'absence d'énonciateur à qui rapporter exactement les morceaux détachés, qui fonctionnent comme des quasi-citations, un texte comme lesMaximes deLa Rochefoucauld est susceptible d'interprétations augustiniennes comme libertines. L'hypothèse d'une réaction « spirituelle » ne tient guère, et s'il faut s'en tenir aux thèmes, des moralistes comme La Fontaine ou comme Montaigne sont bien plus proches de l'épicurisme que d'un souci apologétique.
On a même prétendu que cette mode trouva des encouragements dans les fameusesRelazionivénitiennes, où les ambassadeurs s'appliquaient à décrire les traits des personnages les plus importants de lacour duroyaume de France[3]. C'est la fameuse hypothèse des « clés », appliquées notamment auxCaractères de La Bruyère : il y aurait un personnage réel contemporain caché sous chaque portrait moral.La Bruyère a lui-même refusé une telle lecture dans son ouvrage, lecture qui réduit le texte à un amusant document historique.
La période phare des moralistes en Europe couvre duXVIe siècle auXVIIIe siècle[4], bien que certains la circonscrivent historiquement la catégorie des moralistes,stricto sensu, à la seconde moitié duXVIIe siècle, qui succède à la période héroïque et romanesque dela Fronde : les moralistes rendent compte et participent simultanément d'une « destruction du héros » (Paul Bénichou) et de sa mythologie qu'opère le règne deLouis XIV. C'est dans une causalité de ce type qu'on trouvera des éléments permettant d'expliquer l'apparition de ce type d'écriture, marquée par une forme de pessimisme ou de mise en question des valeurs et du sens.
Le meilleur moyen de rendre compte de la spécificité de l'écriture moraliste consiste à la comparer à ce qu'elle n'est pas. On compte de nombreux écrivains apparemment très proches de cette littérature moraliste, amateurs ou de profession, et de valeur inégale :Nicolas Coeffeteau,Marin Cureau de La Chambre,Jean-François Senault ouMlle de Scudéry, de même que les traductions de moralistes étrangers, telsPétrarque, plus ancien, ou l'EspagnolBaltasar Gracián. À strictement parler, ces écrivains ne sont moralistes que par des thématiques comparables ; leur mode d'exposition et de pensée est radicalement différent, et détermine un mode de lecture tout autre. En effet, ces auteurs, en choisissant le genre du traité continu et démonstratif, exposent de façon assertive et définitive une vérité qu'ils donnent pour certaine ; tandis que, comme l'a montré Marc Escola[5], la forme discontinue, définitoire d'une écriture moraliste, oblige quant à elle le lecteur à intervenir et reconstruire des liens multiples de continuité entre les fragments, et le laisse largement responsable du parcours du sens. C'est là une manière pour les moralistes de rendre compte précisément d'une vérité désormais mouvante, ondoyante et labile, d'une ambiguïté nouvelle des signes et des comportements ; l'économie textuelle est l'équivalent d'un réel dont l'assiette, pour reprendre une expression deMontaigne (Essais, III, 2) , n'est plus stable, et fait éprouver au lecteur cette instabilité.
Si l'on rattache justementMontaigne à ce corpus, c'est d'une part que la posture moraliste y est pour la première fois inventée, d'autre part que lesEssais constituent le livre de chevet duXVIIe siècle, et spécialement des auteurs ici considérés.
Si l'on joint également lesPensées deBlaise Pascal à l'écriture moraliste, c'est le fait d'un accident de l'Histoire : lesPensées sont ce qui reste sous forme fragmentaire d'un projet d'apologie duchristianisme ; elles ne se rattachent au genre que du fait de leur inachèvement à la mort de Pascal, et le projet initial, apologétique, et donc doté d'une forme organisée et démonstrative, aurait procédé d'une posture rien moins que moraliste[réf. souhaitée].
AuXVIIe siècle, les différents genres inventés, ou plutôt dotés d'une dignité littéraire, parLa Rochefoucauld,La Bruyère etLa Fontaine, sont abondamment repris par une série d'imitateurs ou de continuateurs, parmi lesquels on ne peut guère retenir, pour la qualité de leurs productions, queVauvenargues,Chamfort etRivarol.
C'est par une double extension de la définition que l'on a pu procéder à un élargissement du corpus des moralistes, non sans mettre à mal la pertinence de la notion :
Les contemporains deLa Rochefoucauld et deLa Bruyère qui écrivent au sujet des mœurs, mais dans une forme cette fois-ci organisée et parfaitement convenue. AinsiPierre Nicole et sesEssais de Morale,Jacques Esprit et son traitéLa Fausseté des vertus humaines,Saint-Evremond et sesDissertations, ou leDescartes du traité surLes Passions de l'âme. Certains d'entre eux, notamment Esprit, adoptent de surcroît des vues fort proches d'unLa Rochefoucauld et ces deux derniers ont même collaboré à la conception de leurs œuvres respectives. Néanmoins, il demeure une différence essentielle entre ces auteurs et les moralistes au sens strict, différence formelle qui détermine, on l'a vu, un mode de lecture et de pensée irréductible à des points communs thématiques. En ne saisissant pas le rapport polémique qu'entretient le moraliste au discours philosophique, la critique duXIXe siècle a souvent assimilé les moralistes à une branche de laphilosophie ou de laphysiognomonie : c'est rendre inutilisable la notion, et être particulièrement inattentif à la spécificité formelle de ces textes, pour une large part responsable de leur succès comme de la permanence de leur lisibilité aujourd'hui et de leur annexion à la notion de littérature telle qu'elle s'élabore à la charnière duXVIIIe siècle et duXIXe siècle.A contrario, il n'y a guère de philosophes qui rangeraient ces moralistes dans sa[Laquelle ?] discipline, et cela, à raison[réf. nécessaire].
Tout individu qui écrit au sujet des mœurs et de l'homme sans pour autant adopter la forme du traité philosophique, sans souci de système ni de démonstration peut être défini comme moraliste. Le point commun avec les moralistes classiques réside dans l'utilisation d'une forme brève,maxime,fragment,apophtegme ouaphorisme. On a pu ainsi annexer aux moralistes des écrivains aussi divers queJoubert,Lichtenberg,Schopenhauer,Nietzsche[6] (à partir deHumain, trop humain),Cioran,Maurois,Camus ouQuignard : le recours à une forme discontinue pour rendre compte des comportements humains procède chez eux d'une toute autre configuration intellectuelle et historique qu'auXVIIe siècle et l'on peut considérer cette annexion comme abusive.