Mohamed Bouazizi (arabe :محمد البوعزيزي), de son nom complet[1] Tarek al-Tayeb Mohamed Bouazizi (طارق محمد البوعزيزي), né le àSidi Bouzid et mort le àBen Arous, est un vendeur ambulant[2]tunisien dont lesuicide parimmolation le — il en meurt deux semaines plus tard — est à l'origine desémeutes qui concourent au déclenchement de larévolution tunisienne évinçant leprésidentZine el-Abidine Ben Ali du pouvoir, et par extension aux protestations et révolutions dans d'autres pays arabes connues sous le nom dePrintemps arabe.
Tarek Bouazizi est rapidement appelé Mohamed, pour le distinguer d'un homonyme, puis porte jusqu'à l'âge adulte le surnom deBasboussa[3],[nb 1] donné par sa mère Manoubia.
Manoubia Bouazizi, la mère de Mohamed.
Son père, Taïeb, est ouvrier agricole. Mohamed a un frère, Salem, et une sœur, Leïla. Il a trois ans lorsque son père meurt ; sa mère se remarie avec son beau-frère, avec lequel elle a quatre enfants. La famille Bouazizi connaît un revers de fortune après la perte de terres hypothéquées[4].
À six ans, le jeune Bouazizi participe aux travaux des champs ; à 14 ans, tout en suivant des études au lycée, il est occasionnellementmaçon. Assumant le rôle de soutien de famille qui lui est confié, Mohamed Bouazizi reste àSidi Bouzid, ville agricole de 40 000 habitants, malgré la découverte et l'attrait deSfax, ville maritime économiquement développée. Abandonnant le lycée au niveau de la terminale[5],[6], il s'inscrit dans une association de jeunes chômeurs[4].
Faute de mieux, à 19 ans, il devient marchand ambulant de fruits et légumes, cette activité constituant le seul revenu de la famille de sept enfants. Son rêve est de pouvoir s'acheter unecamionnette pour ne plus avoir à pousser sacharrette[7].
Ne possédant pas d'autorisation officielle, il subit les sévices d'une administration à laquelle il ne peut verser depots-de-vin et qui, pendant sept ans, se sert dans sa caisse, lui applique des amendes ou lui confisque sa marchandise, voire sabalance. À sa sœur Leïla, il déclare :« Ici, le pauvre n'a pas le droit de vivre »[4].
Le, on lui confisque encore une fois son outil de travail (une charrette et une balance). Essayant de plaider sa cause et d'obtenir une autorisation et la restitution de son stock auprès de lamunicipalité et dugouvernorat provincial, il y est bousculé et se fait expulser des bureaux où il est venu se plaindre[7],[8]. Sa sœur Leïla explique :« Ce jour-là, les agents municipaux lui avaient confisqué son outil de travail et l'un d'eux l'avait giflé. Il s'est alors rendu à la municipalité, puis au gouvernorat pour se plaindre, mais ici, à Sidi Bouzid, il n'y a personne pour nous écouter. Ils marchent à la corruption et ne travaillent que pour leurs intérêts[9]. »
Humilié publiquement, désespéré, Mohamed Bouazizi s'immole par le feu devant le siège du gouvernorat[10]. Il est transporté à l'hôpital local, puis àSfax, et enfin au Centre de traumatologie et des grands brûlés deBen Arous, près deTunis[6].
Le décès de Mohamed Bouazizi est annoncé le à Ben Arous où il était hospitalisé[11],[12].
Alors que les réactions à cet acte sont d'abord ignorées par le gouvernement tunisien, sa mère et sa sœur sont reçues le par leprésidentZine el-Abidine Ben Ali, qui limoge le gouverneur de Sidi Bouzid et les agents municipaux concernés[9]. Une auxiliaire municipale accusée d'avoir giflé Bouazizi est mise en détention provisoire sur ordre de Ben Ali[13] ; la gifle est contestée par des témoins et la policière bénéficie d'un non-lieu le[14] après plusieurs mois de détention provisoire[15]. Six mois après la mort de Bouazizi, sa famille a dû quitter Sidi Bouzid pourLa Marsa, accusée de s'être enrichie, et le portrait de Mohamed Bouazizi a été décroché[16] à Sidi Bouzid.
Plusieurs mois après les faits, le récit du suicide fait l'objet de versions divergentes, et la réalité de la gifle reçue par Bouazizi est contestée. Ainsi, Lamine al-Bouazizi, responsable syndical de Sidi Bouzid et anthropologue, raconte :« En fait, on a tout inventé moins d'une heure après sa mort. On a dit qu'il était diplômé chômeur pour toucher ce public, alors qu'il n'avait que le niveau bac et travaillait comme marchand des quatre-saisons. Pour faire bouger ceux qui ne sont pas éduqués, on a inventé la claque de Fayda Hamdi. Ici, c'est une région rurale et traditionnelle, ça choque les gens. Et de toute façon, la police, c'est comme les États-Unis avec le monde arabe : elle s'attaque aux plus faibles »[17] ; il ajoute :« Il a suffi de quelques coups de fil pour répandre la rumeur. De toute façon, pour nous, c'était un détail, cette claque. Si Bouazizi s'est immolé, c'est parce qu'on ne voulait pas le recevoir, ni à la mairie ni au gouvernorat ».
Le, un an après le suicide de Mohamed Bouazizi, une cérémonie de commémoration rassemble plusieurs milliers de Tunisiens à Sidi Bouzid, dont le nouveau présidentMoncef Marzouki[18].
Manifestation le à Tunis devant le siège duparti au pouvoir qui sera dissous deux mois plus tard.
L'acte désespéré de Bouazizi, qui« préfère mourir plutôt que de vivre dans la misère », provoque la colère parmi les habitants de Sidi Bouzid : des dizaines de personnes manifestent devant le siège du gouvernorat. Le mouvement social s'étend spontanément à d'autres municipalités du pays, malgré la répression[9]. À l'appel de militants syndicaux, la révolte atteintTunis, la capitale, le, avec environ mille citoyens exprimant leur solidarité avec Bouazizi et les manifestants de Sidi Bouzid[19]. Le, le président Ben Ali, qui s'est rendu au chevet du jeune homme, déclare à latélévision nationale :« J'ai suivi, avec inquiétude et préoccupation, les événements survenus ces derniers jours à Sidi Bouzid »[9]. D'autres suicides ont suivi ainsi que des manifestations de grande ampleur réprimées dans le sang, dans le centre et le sud-ouest du pays.
Les manifestations insurrectionnelles vont néanmoins continuer, engendrant une révolution qui conduit au départ de Ben Ali enArabie saoudite le et à la désignation d'un nouveau président.
Kamel Morjane, ministre des Affaires étrangères du nouveaugouvernement Ghannouchi, affirme fin janvier dansLe Figaro :« Ça faisait un moment que les Tunisiens contenaient leur colère et avec l'immolation du jeune Bouazizi, tout a fini par lâcher, comme un élastique ! »[20]
Selon le psychanalysteFethi Benslama,« Bouazizi est devenu un exemple, et non un mythe, celui de chaque homme réduit par leqahr — un mot que l'on peut traduire par « impuissance totale »[nb 2] — et qui préfère l'anéantissement total plutôt que de vivre comme un rien »[21].
Victime de « menaces » et de « rumeurs malveillantes », la famille Bouazizi déménage à plusieurs reprises après la révolution. La sœur de Mohamed Bouazizi, Leïla, immigre auQuébec au début de2013 afin de poursuivre des études. Elle est rejointe àMontréal par sa mère, son mari, ses deux demi-frères et sa demi-sœur au printemps2014. Leur demande d'asile est acceptée par laCommission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada[22].
Centre de traumatologie et des grands brûlés de Ben Arous où est mort Bouazizi et renommé en son honneur par le gouvernement de transition.
La municipalité deTunis annonce, le, vouloir rebaptiser l'une des avenues les plus importantes de la capitale tunisienne, l'avenue du 7-Novembre — ainsi nommée en référence à la date symbole de la prise du pouvoir par Ben Ali — pour lui donner le nom de Mohamed Bouazizi[23]. Le, laPoste tunisienne émet untimbre postal à son effigie[24].
Lemaire de Paris,Bertrand Delanoë, indique vouloir donner à un lieuparisien le nom de Mohamed Bouazizi,« figure emblématique qui, par son acte de résistance, symbolise le combat des Tunisiens pour la démocratie, la justice et la liberté »[25]. Par dérogation à une règle qui interdit que le nom d'une personne soit donné à une voie publique de Paris si elle est morte depuis moins de cinq ans, il est décidé qu'une place du14e arrondissement de Paris portera le nom de « place Mohamed-Bouazizi en hommage au peuple tunisien et à sa révolution de », une stèle commémorative devant y être apposée[26]. Cette place, située près duparc Montsouris, est inaugurée le par le maire de Paris, en présence deMokhtar Trifi, président de laLigue tunisienne des droits de l'homme[27].
Le romanciermarocainTahar Ben Jelloun publie en 2011 chezGallimardPar le Feu, court récit de fiction qui reconstitue les dernières semaines de Bouazizi et qui se termine sur un hommage à « un homme simple, comme il y en a des millions, qui, à force d'être écrasé, humilié, nié dans sa vie, a fini par devenir l'étincelle qui embrase le monde »[30].
Le, un monument commémoratif représentant le chariot de Bouazizi, entouré de chaises vides en symbole des « dictateurs » arabes déchus, est dévoilé, à Sidi Bouzid, « sous les applaudissements de la foule »[31]. Le quotidienThe Times désigne Mohamed Bouazizi « personnalité de l'année 2011 » le, attribuant à son immolation le rôle de catalyseur du « Printemps arabe »[32],[33].
Les éditions Cérès publient le une biographie de Mohamed Bouazizi signée par Lydia Chabert-Dalix, journaliste et écrivaine qui s'est rendue, dès, à Sidi Bouzid et a été reçue par la famille de Bouazizi ; l'ouvrage relate l'enfance, l'adolescence et les grands moments qui ont marqué sa vie.
Le, deux jours avant la sortie de son quatrième album, l'artisteKenza Farah publie unclip dédié à Mohamed Bouazizi[34].
Le, un jeune marchand ambulant de cigarettes originaire deJendouba décède après s'être immolé par le feu, la veille, sur l'avenue Habib-Bourguiba à Tunis[35].
La mémoire des circonstances de sa mort perdure en2016 : lorsque leMarocain Mouhcine Fikri décède dans des circonstances analogues[nb 3], plusieurs médias se demandent s'il faut voir en lui le« Bouazizi du Maroc »[36],[37],[38].
En2022, le filmHarka de Lotfy Nathan, tourné à Sidi Bouzid même, s'inspire fortement du parcours de Mohamed Bouazizi jusqu'à son immolation devant le siège du gouvernorat.
↑Le vendeur de poissons marocain ne se suicide pas, mais meurt dans des« circonstances atroces », liées à la confiscation de ce qui lui permet de travailler. Des manifestations s'ensuivent.