Mithra (Miθra enavestique,Mihr enpehlevi,Mehr dans le zoroastrisme contemporain) est un dieu vénéré durant l'Antiquité chez les peuples de langue perse, issu d'une divinité indo-perse, tout comme son équivalent dans les religions indiennes,Mitra. Mithra est le dieu garant des contrats, une divinité aux aspects solaires, maître du ciel diurne, qui présente également des aspects guerriers, et dans plusieurs pays est un garant de la royauté. Il est surtout connu par la description qu'en donne un des hymnes de l'Avesta, le texte sacré du zoroastrisme, appeléMihr Yašt. En dehors de cette source, le culte de Mithra dans les pays perses de l'Antiquité est peu documenté, mais il est tout de même attesté sur plusieurs siècles, Mithra restant une figure majeure des cultes perses, sans toutefois égaler en importance le dieu créateurAhura Mazda/Ohrmazd, jusqu'à ce que l'expansion de l'islam ne vienne marginaliser le zoroastrisme.
Mithra est à l'origine une divinitéindo-iranienne, c'est-à-dire une divinité des peuples parlant les langues qui sont les ancêtres des langues indiennes (« Indo-aryens ») et iraniennes. Plus exactement, dans le monde indien se trouve une divinité appeléeMitra, envédique, tandis que dans le monde iranien son nom se rencontre sous la forme Mithra (Miθra ; sauf envieux perse, qui présente la formeMitra). La quasi-similitude des noms laisse peu de doutes sur le fait qu'il existait à l'origine une divinité commune, à une période préhistorique non documentée par des textes, qui est à l'origine des variantes indienne et iranienne, consécutives à la séparation des peuples et leur scission en deux groupes linguistiques. Le nom du dieu dérive du termemitrá signifiant « contrat », avec la connotation d'alliance, d'accord ou de promesse, et qui plus tard ensanskrit prend le sens d'« ami »[1],[2]. Les deux divinités ont également un aspect de dieu solaire[1],[3].
Le Mitra indo-aryen est mentionné dans un traité daté des environs de 1330 av. J.-C., conclu entre un roihittite et un roi duMittani, parmi les divinités garantes de l'accord pour le compte du second. La dynastie du Mittani avait probablement des origines indo-aryennes, et préservé en héritage une poignée de divinités de cette culture, bien qu'elle se soit fondue dans la culture nord-mésopotamienne de son temps, dont la langue dominante était le hourrite. De fait Mitra et les autres dieux indo-aryens ne sont pas attestés par d'autres documents provenant du Mittani, et n'ont manifestement pas eu un rôle important dans la religion de ce royaume[4],[5]. Mitra est surtout attesté dans leRig Veda, texte fondamental de lareligion védique, parmi le groupe de divinités appeléesāditya, dans lequel il est associé au grand dieuVaruna. Un seul hymne du Rig Veda lui est consacré, ce qui semble indiquer qu'il n'a pas une importance significative dans la religion védique[6]. La description de Mitra telle qu'elle ressort de cet hymne présente de nombreux points communs avec les caractéristiques qu'a Mithra dans l'Avesta, ce qui renvoie à leur origine commune. La principale différence entre les deux est le fait que le Mitra védique n'a pas des aspects martiaux aussi prononcés que ceux du Mithra avestique[1],[2].
Mithra est une divinité des peuples de langue iranienne de l'Antiquité, dont les religions présentent des caractéristiques très similaires. Il est courant de les désigner sous le nom de « zoroastrisme », du nom du prophète auquel est attribuée une réforme majeure des cultes iraniens,Zoroastre/Zarathoustra, ou de « mazdéisme », du nom du dieu suprême des Perses,Ahura Mazda. La généralisation de ces dénominations pour les époques antiques est néanmoins discutée (notamment celle de l'Empire achéménide), car la documentation est généralement trop limitée pour trancher[7],[8]. Quoi qu'il en soit, Mithra est une divinité attestée sur plusieurs siècles dans les pays de langue iranienne, depuis l'Avesta et les inscriptions des rois perses de la dynastie desAchéménides, jusqu'aux religions iraniennes de l'Antiquité tardive, comme le mazdéisme de l'époque desSassanides et lemanichéisme.
Un des hymnes (yašt) de l'Avesta, le texte sacré de la tradition mazdéenne, est consacré à Mithra, le dixième hymne, aussi connu sous son nom enmoyen perse,Mihr Yašt (« Hymne de Mihr (= Mithra) »)[9]. C'est un des hymnes les plus longs de cet ensemble de textes, et la source d'informations essentielle sur la figure de Mithra dans la religion iranienne antique. Il est issu d'une tradition orale qui puise sans doute ses racines dans la culture indo-iranienne, ce qui explique les points communs avec l'hymne védique consacré à Mitra[10].
Comme pour les autres textes constituant l'Avesta, la date de sa composition, de ses divers remaniements, et celle de sa fixation par écrit sont débattues : la première élaboration orale peut remonter auVIIIe siècle av. J.-C., la mise par écrit est datée de l'époque sassanide tardive[11]. C'est l'hymne du seizième jour du mois zoroastrien (de trente jours). Il débute par l'ordre du dieu suprême du mazdéisme,Ahura Mazda, que Mithra soit vénéré autant que lui-même, en tant que dieu garant des contrats, et développe ensuite les différents aspects de ce dieu sous la forme de louanges et prières[10],[12],[13]. Le dieu y« est décrit comme le gardien strict du contrat, le patron des guerriers, le maître de l'ensemble des pays iraniens, l'incitateur de l'aube, et le dieu du ciel diurne, qu'il parcourt sur un char entouré d'une escorte d'assistants » (J. Kellens)[14]. Il a un aspect solaire, qui semble tout aussi ancien que son rôle de garant des contrats. Il n'est cependant pas le Soleil lui-même (c'est le dieu Xwar)[1],[3]. Mithra est également chargé de propager la religion mazdéenne[15].
Ahura Mazda dit à Spitana Zarathustra : « Alors, lorsque j'ai créé Mithra aux vastes pâturages, je l'ai fait, ô Spitama, aussi digne d'être vénéré, aussi digne d'être prié, que moi, Ahura Mazda. » Il détruit le peuple tout entier, lemairya (le fourbe) qui trahit le contrat, ô Spitama ! c'est un assassin d’ašavan, autant que de cent kayaδas ; ne romps pas le contrat, ô Spitama, ni celui que tu conclus avec le menteur, ni celui que tu conclus avec l'ašavan à la bonne religion ; car le contrat appartient à tous deux : au menteur comme à l'ašavan. (...) Par sa splendeur et sa gloire, Je veux le vénérer par un sacrifice retentissant, lui, Mithra aux vastes pâturages, avec des libations ; nous vénérons Mithra aux vastes pâturages, aux demeures paisibles, aux bonnes demeures, pour les Peuples Aryens. (...) Nous vénérons Mithra aux vastes pâturages, aux paroles véridiques, éloquent dans les assemblées, aux mille oreilles, le bien formé, aux dix mille yeux, le grand, qui veille au loin, le fort, qui ne dort jamais, qui veille sans cesse. Lui que vénèrent les chefs de peuple, lorsqu'ils vont au combat contre les hordes cruelles qui se rejoignent en phalanges, entre les deux peuples qui combattent.
— Hymne à Mithra (Mihr Yašt), extraits des premières strophes, traduction de P. Lecoq[16].
D'après lecalendrier zoroastrien tel qu'il peut être reconstitué en partant d'éléments glanés dans l'Avesta et complété d'autres sources, il apparaît qu'un mois est consacré à Mithra et porte son nom (Miθrahe en avestique). C'est le septième mois, occupant la position médiane dans le calendrier de douze mois. Un jour du mois zoroastrien est également consacré à Mithra (Miθrahe également), le seizième, donc là encore en position médiane (c'est un mois lunaire de trente jours)[17]. La grande fête consacrée à Mithra, appelée Mihragān à partir de l'époque sassanide, se tient d'ailleurs le seizième jour du septième mois ; elle semble attestée dès l'époque achéménide (voir plus bas)[18]. Des calendriers de tradition zoroastrienne se retrouvent enArménie (calendrier arménien), enCappadoce (calendrier cappadocien), à l'époque sassanide, avec un mois consacré à Mithra (MITHΡĒ en Cappadoce, Mehekan-i en Arménie, Mihr à l'époque sassanide), peut-être dans les Empires achéménide et parthe, et lecalendrier persan moderne comprend un mois nommé Mehr[17].
Il a pu être proposé que Mithra ait été le grand dieu desMèdes, peuple de langue iranienne qui a disposé d'un royaume puissant dans la première moitié duVIe siècle av. J.-C., mais cela reste très conjectural en l'absence de source sur le panthéon mède[1]. Les inscriptions des premiers rois de la dynastie perse desAchéménides (550-330 av. J.-C.), dont les fameuxDariusIer etXerxèsIer, ne mentionnent explicitement que le grand dieuAhura Mazda, aux côtés des « autres dieux qui existent », qu'ils ne nomment pas. Il faut attendre le règne d'Artaxerxès II (404-358 av. J.-C.) pour trouver une mention de certains de ces autres dieux (baga), la déesseAnahita, et le dieu Mithra, invoqués pour protéger le souverain contre le mal. Les raisons de cette évolution ne sont pas déterminées[19],[20]. Les auteurs grecs évoquent également Mithra dans le contexte achéménide :Xénophon dit queCyrus le Grand prêtait serment par le dieu et à l'époque romainePlutarque indique qu'Artaxerxès II fait de même, mais que ce dieu a alors une position mineure[21].
« Grâce à Ahuramazdā, Anāhita et Miθra, j'ai fait cetapadana ; qu'Ahuramazdā, Anāhita et Miθra me protègent de tout mal ; et qu'ils ne détruisent ni n'endommagent ce que j'ai fait. »
— Inscription d'Artaxerxès II commémorant la construction d'un édifice palatial (apadana) et invoquant Mithra[22].
La présence de Mithra se retrouve dans des noms de personnes qu'il sert à former (théophores), attestés par diverses sources sur l'époque achéménide, notamment parmi l'élite dirigeante perse[23] ; ainsi dans des papyri mis au jour àÉléphantine en Haute Égypte (Ve siècle av. J.-C.) se trouvent Mithra-dāta (Mithridate), « (enfant) donné par Mithra » et Mithra-yazna, « celui qui sacrifie à/vénère Mithra »[20]. Il est d'ailleurs possible que le culte de Mithra soit introduit en Égypte à cette période, ou un peu après, puisque deux papyri en grec datés duIIIe siècle av. J.-C. mentionnent apparemment des temples de Mithra (Mithraion /Μιθραίον). Mais ce point est débattu[24],[25].
En revanche Mithra n'apparaît pas dans l'archive des fortifications dePersépolis, qui documente notamment des dépenses effectuées pour le culte de divinités vénérées en Perse. Il n'y a aucune attestation assurée de son culte à l'époque achéménide[1]. Il a néanmoins été proposé que la grande fête mazdéenne dédiée à Mithra, le Mehragān, ait lieu dès cette période, mais les arguments en ce sens sont limités, notamment l'évocation d'une fête appelée Mithrakāna à l'époque achéménide parStrabon, qui écrit plusieurs siècles plus tard[26],[27]. Le mois appelé Bāga-yādi, le mois du « sacrifice au dieu », apparaissant dans l'archive de Persépolis, est peut-être celui de la grande fête de Mithra[17],[20].
Après la chute des Achéménides face àAlexandre le Grand dans les années 330 av. J.-C., une grande partie des pays iraniens passe sous la domination de la dynastie gréco-macédonienne desSéleucides, période durant laquelle l'influence grecque se fait ressentir sur ces régions. Les rois séleucides s'associent à plusieurs reprises à l'image de la divinité solaireHélios, ce qui dans leurs possessions orientales pourrait refléter une volonté de s'approprier l'image des dieux solaires locaux, dont Mithra, et la légitimité qu'ils confèrent aux souverains aux yeux de leurs sujets non-Grecs[28].
Pièce de monnaie d'Artaban II montrant au revers le roi agenouillé devant Mithra.
Puis les régions orientales de l'empire séleucide passent progressivement sous le contrôle de la dynastie des Parthes arsacides, de langue iranienne, à partir de la seconde moitié duIIe siècle av. J.-C. Le culte de Mithra est très peu documenté dans ce contexte, mais il est manifestement présent et important dans l'Empire parthe[29]. Plusieurs rois Parthes portent le nom de Mithridate, composé à partir de celui du dieu, ce qui indique la place importante que le dieu occupe dans le panthéon officiel de la dynastie arsacide[30], avec un possible statut de divinité tutélaire[31]. Dans l'iconographie officielle de l'époque parthe, Mithra reprendrait les traits d'Apollon, sur une pièce de monnaie provenant deSuse qui semble le représenter, datée du règne d'Artaban II (12-38/40 ap. J.-C.). Face à lui se trouve un roi parthe agenouillé. Cette scène trouve un écho dans un discours que tient le roiTiridateIer d'Arménie, descendant des Arsacides, à l'empereur romainNéron, rapporté parDion Cassius, dans lequel le roi arménien évoque le fait qu'en tant que membre de sa lignée il ne se prosterne normalement que devant Mithra (et qu'il est prêt à faire une exception en s'inclinant devant l'empereur romain)[32]. La popularité du dieu dans l'Empire parthe se décèle également par la présence de nombreux noms de personnes composés à partir du nom de Mithra dans lesostraca administratifs mis au jour sur le site de l'ancienneNisa (Turkménistan)[29].
La poignée de main entreAntiochosIer de Commagène et Mithra, photographie d'un bas-relief deNemrut Dağı (dans Carl Humann et Otto Puchstein,Reisen in Kleinasien und Nordsyrien, 1890).
Mithra est surtout attesté pour cette époque dans des royaumes mêlant cultures iranienne et hellénistique situés en Anatolie, région qui a été successivement dominée par les Perses, les Grecs puis les Romains, et a donc connu un important brassage culturel (« persianisme », « hellénisation ») et donc religieux.
Le nom de Mithridate est porté par de nombreux souverains anatoliens, des dynasties d'origine iranienne duPont (dont le fameuxMithridate VI), deCommagène, d'Arménie, d'Ibérie, ce qui indique qu'il est toujours vu dans ces régions comme le garant de l'autorité royale. Ces royaumes sont très marqués par l'hellénisme, aussi Mithra est rapproché de divinités grecques, également liées au soleil,Hélios et égalementApollon. Son nom est transcrit en grec, Μίθρας ou Μίθρης, voire Μίθρα[33],[34].
Le roiAntiochosIer de Commagène (69-34 av. J.-C.) a fait réaliser plusieurs stèles le représentant dans des scènes de poignée de main (dexiosis) avec le dieu solaire, dans un cas identifiable à Mithra, représenté jeune et imberbe (à la manière d'Apollon), vêtu d'un costume de type persan avec des braies, coiffé d'un bonnet phrygien, des rayons de soleil autour de sa tête. Une inscription figurant sur une statue du site deNemrut Dağı, aménagé par ce roi, nomme le dieu « Apollon-Mithra-Hélios-Hermès »[32],[35],[36]. À ce sujet le concept de « bricolage » deClaude Lévi-Strauss a pu être invoqué. Selon P. Swennen et L. Bricault,« la stratégie visuelle autant qu’intellectuelle d’Antiochos n’était pas d’être grec et perse à la fois, mais de faire grec et perse à la fois, dans un espace – l’Asie Mineure – et un territoire – le royaume de Commagène – écartelés ou coincés, comme on voudra, entre hellénisme et persianisme[37]. »
Dans leroyaume d'Arménie, Mithra dispose d'un grand temple à Bagayarič (Turquie), qui aurait été érigé parTigrane II (95-55 av. J.-C.)[38]. Et comme évoqué plus haut,TiridateIer (53-72 ap. J.-C.) proclame àNéron sa dévotion envers Mithra, devant lequel il se prosterne[32],[39]. Letemple de Garni (Arménie), probablement érigé par ce même roi, est souvent présenté comme un sanctuaire de Mithra, mais il n'y a aucune preuve en ce sens[40].
Plus largement, diverses inscriptions faisant référence au culte de Mithra indiquent qu'il a pris dans plusieurs parties de l'Anatolie l'aspect d'un culte local durant l'époque hellénistique et que cela se poursuit à l'époque romaine. Par exemple enCappadoce, une inscription provenant de Faraşa mentionne un sacrifice à son intention, dans lequel l'animal doit être battu à mort avec une masse[41]. Le calendrier avestique est attesté dans cette même région comprend un septième mois au nom de Mithra[17],[42]. EnPhrygie, une inscription retrouvée près du lac Simav mentionne la dédicace d'un autel à « Hélios Mithra », en 77/78 ou 131/132 de notre ère. EnLycie, à Oenanda, une inscription identifie ce même « Hélios Mithra » sur un bas-relief représentant un dieu imberbe, radié, daté duIIe siècle ou duIIIe siècle[43].
Dans lePont et enColchide, plusieurs indices plaident également en faveur de la popularité du culte de Mithra, sur une longue période[44],[45] ; durant l'époque romaine impériale, la cité deTrapézonte (l'actuelle Trabzon enTurquie) frappe des monnaies figurant Mithra (voir plus bas)[46].
Les trouvailles artistiques dans les cités grecques des rives nord de lamer Noire (lePont Euxin des Anciens) semblent indiquer que Mithra se diffuse dans cette région à partir duIer siècle av. J.-C. Il y est sans doute arrivé depuis l'Anatolie, puisqu'il semble confondu avec le dieuphrygienAttis (le compagnon deCybèle). Son culte paraît plutôt lié à la fécondité[47].
Dans les contrées orientales du monde iranien, le culte de Mithra est également attesté, avant tout par des monnaies. Il est possible que le dieu ait souvent occupé le rang de divinité suprême dans ces régions[48].
Monnaie du roi Hermaios représentant à l'avers (face) la tête de Zeus-Mithra, de profil et radié.
EnBactriane hellénistique (royaume gréco-bactrien, v. 246-130 av. J.-C.), Mithra semble plus assimilé à Zeus qu'à Hélios ou Apollon, ce qui renvoie à son rôle de garant de la royauté[49]. Le plus grand sanctuaire de la ville d'Aï-Khanoum, le principal site fouillé pour la Bactriane hellénistique, pourrait être consacré à ce Zeus-Mithra[50].
Avec les émissions d'HélioclèsIer (v. 145-130 av. J.-C.) apparaît un dieu barbu, ayant l'aspect de Zeus, avec des rayons solaires irradiant autour de sa tête, qui semble témoigner de ce syncrétisme entre le dieu grec et le dieu solaire local, donc Mithra. Cette figure se retrouve sur des émissions de rois postérieurs, rattachés à la sphère« indo-grecque », qui dominent laKapissa, Amyntas et Hermaios (v. 95-70 av. J.-C.). Le fait que Mithra soit identifié à Zeus dans ces régions pourrait confirmer qu'il y a le rôle de divinité suprême (alors que plus à l'ouest l'assimilation se fait avec Ahura Mazda)[32].
Pièce en or deKanishkaIer représentant Mithra (Miiro) au revers.
Les maîtres suivants de cette partie du monde iranien, lesKouchans, représentent souvent Mithra sur leurs émissions monétaires, mais cette fois-ci sous l'aspect d'un dieu solaire juvénile (du type d'Apollon). Sur les monnaies émises par le principal souverain de cet empire,KanishkaIer (v. 127-153 de notre ère), le dieu est d'abord nommé Hélios, puis Miiro, le nom de Mithra en Bactriane. Parfois seule sa tête est représentée, d'autres fois son corps en entier, vêtu à la perse, et là encore radié, soulignant son aspect solaire. Il brandit souvent une torche ou une couronne à rubans, sans doute des symboles de l'investiture royale, voire de la splendeur divine (xvarənah) royale[32].
Par la suite, les rois « Indo-Sassanides » (ou Kouchano-Sassanides) font également figurer Mithra, à nouveau sous l'aspect du Zeus barbu, nommé Miuro dans une des plus anciennes émissions de la dynastie. Mithra pourrait alors avoir été rapproché du dieu appelé Wēsh (Oēsho), devenu prééminent sous les derniers rois kouchans[51],[32].
Le culte de Mithra est encore présent dans ces régions orientales du monde iranien durant l'Antiquité tardive. Il semble que Mithra soit invoqué dans ces régions sous le nom de Vagh, c'est-à-dire « Dieu », ce qui renverrait à son statut supérieur[48], et que sa fonction solaire y soit très prononcée, puisqu'enBactriane son nom tend à remplacer celui du soleil dans le calendrier et même le vocabulaire courant[52]. F. Grenet propose de retrouver le dieu dans plusieurs représentations de divinités solaires (il peut aussi s'agir deSūrya), notamment une scène peinte dans une des niches du sanctuaire bouddhiste deBamiyan[53], et d'autres enSogdiane représentant un dieu solaire sur un char, dans la cité dePendjikent et dans le palais de Shahristan[54],[32]. Un contrat de mariage provenant deSamarkand et daté de 710 invoque le dieu dans son rôle ancestral de garant du lien social[55].
La scène d'investiture d'un roi sassanide (au centre,Ardashir II ouShapur II) sur un bas-relief deTaq-e Bostan, avec Mithra à gauche, et un autre personnage (Shapur II ouAhura Mazda) à droite.
Mithra (appelé à cette époque Mihr) n'est pas mentionné dans les inscriptions des rois PersesSassanides (224-651), et est assez peu mentionné dans les textes religieux rédigés enmoyen perse (pehlevi) vers cette période. Faut-il supposer que les rois sassanides ont cherché à dégrader un dieu qui avait eu les faveurs de leurs prédécesseurs et adversaires les Arsacides ? Cela reste conjectural. Le dieu apparaît rarement dans l'art officiel. Le seul souverain qui le fait représenter sur des monnaies estHormizdIer (272-273), dans une scène d'investiture. La représentation de Mithra la plus connue de l'époque est un bas-relief rupestre deTaq-e Bostan, figurant Mithra barbu et radié, sur un lotus symbolisant la splendeur divine (xvarənah), tenant un faisceau rituel (barsom), assistant à une scène d'investiture d'un roi[31],[32], plutôt identifié commeArdashir II (379-383)[56] (une interprétation alternative y voitShapur II, 309-379[31]). Le dieu apparaît également sur quelques sceaux de l'époque sous son aspect solaire[31],[32],[57]. La grande fête de Mithra, Mihragān, est l'une des plus importantes de l'Empire, aux côtés de la fête du Nouvel An (Norouz)[58]. Les inscriptions des sceaux de la période sassanide attestent du fait que les noms formés à partir de celui du dieu restent communs[59].
Les sources syriaques de l'époque médiévale évoquent souvent le culte du soleil, donc Mithra. Mithra est évoqué dans la littérature zoroastrienne enpehlevi postérieure à la période sassanide, comme les textes duBundahishn et les Revayats. Il y est notamment dit que le grand dieu Ohrmazd l'a créé pour qu'il soit le plus important des êtres dignes d'être vénérés (yazata). Il est chargé de surveiller le monde et les hommes pour le compte du dieu créateur, parcourt le monde afin de répandre la bonté et l'amitié, protéger les âmes perdues contre l'injustice[61]. Dans les Revayats et les textesparsis engujarati apparait l'expression deDar-e Mehr, ce qui signifie « porte/cour de Mithra », et sert à désigner letemple du feu, lieu de culte zoroastrien. De nos jours il se présente sous la formeDar be-mehr. Cette étymologie n'a pas reçu d'explication qui fasse consensus[62].
Dans le zoroastrisme contemporain, Mithra reste vu comme le garant ultime de la justice, il continue d'être vénéré à travers les anciens hymnes et prières avestiques, célébré en grande pompe lors de sa fête annuelle Mehragān, et le reste de l'année dans des chapelles qui lui sont consacrées[63]. Mehragān se tient en général à l'automne (plus tôt dans la région deYazd). Traditionnellement, la communauté zoroastrienne locale se réunit pour une célébration incluant un mouton ou d'un agneau tué cérémoniellement puis rôti, mais cette pratique tend à se raréfier à partir du milieu duXXe siècle, car elle est perçue comme non conforme aux principes religieux[64].
Durant les premiers siècles de notre ère, le culte de Mithra est introduit dans l'Empire romain, où il connaît une diffusion importante à partir de la fin duIer siècle et surtout auIIe siècle. Il prend alors des traits distincts, qui ne présentent que peu de points communs avec son culte dans les pays de culture iranienne.
La façon dont Mithra devient un dieu du monde gréco-romain n'est pas directement documentée. Les travaux récents ont tendance à considérer que l'Anatolie joue un rôle essentiel. Comme vu plus haut, il s'y produit à l'époque hellénistique un syncrétisme entre Mithra et les divinités du monde grec (Apollon, Hélios). La représentation de Mithra en Commagène annonce celle du monde romain (costume perse, bonnet phrygien). Ces régions passent sous contrôle romain auIer siècle de notre ère, notamment l'Arménie qui est une terre où le culte de Mithra est très important. Les soldats romains ou des marchands ont pu jouer le rôle de passeurs du culte vers l'ouest. Mais cela ne dit pas comment la mythologie et les rites à mystères du culte de Mithra se constituent. Ils n'ont pas d'équivalent identifié en Orient, ce qui plaide en faveur de leur élaboration dans un contexte romain, dans un processus de « bricolage » intégrant des éléments religieux venus de divers horizons (voir plus bas)[65],[66],[67].
Dans le monde romain, le nom du dieu est généralement orthographiéMithra, mais des variantes sont attestées par les inscriptions, notamment l'absence duh, ou bien son positionnement après ler ; dans quelques cas lei est remplacé par uny, ou par une. Cela semble indiquer qu'il y avait différentes manières de prononcer le nom du dieu selon les lieux et les personnes[68].
Les épithètes de Mithra dans les inscriptions renvoient à son invincibilité et à son aspect solaire : il est le « dieu invincible », en latinDeus invictus, parfois abrégéDIM pourDeus invictus Mithra ; il est aussi désigné comme le « Soleil invincible » (Sol invictus, à ne pas confondre avec ledieu du même nom)[69].
« Mithraïsme » et « religions orientales » : la nature du culte
Les études sur le culte de Mithra dans le monde romain sont marquées par les travaux du savant belgeFranz Cumont, qui a le premier tenté de reconstituer les mythes liés à ce dieu et l'organisation de son culte. Cela longtemps été perçu comme une sorte de religion à part entière, nommée « mithraïsme », une des « religions orientales » qui se diffusent dans le monde gréco-romain, comme les cultes d'Isis et deCybèle, et qui est également rangée dans la catégorie descultes à mystères (qui concerne aussi des divinités grecques telles queDéméter etDionysos), caractérisés par leur aspect secret et le fait qu'ils sont réservés à des initiés ayant expérimenté divers rites de passage. Le mithraïsme a notamment pu être présenté comme un rival du christianisme naissant. Les études récentes sur les cultes de divinités originaires de l'Orient en général et celui de Mithra en particulier ont développé une vision différente[70],[71]. Il n'y a pas de religion mithriaque à proprement parler, qui prônerait de la même manière que le christianisme le rejet des divinités du paganisme polythéiste et des rites qui leur sont consacrés. Certes le culte de Mithra n'est jamais intégré dans les cultes officiels des cités de l'Empire romain, mais il ne se construit pas pour autant contre eux et ne cherche pas à rompre avec eux, un dévot de Mithra pouvant prendre part aux cultes des autres divinités du polythéisme gréco-romain. Comme les autres cultes de divinités d'origine orientale et à mystères, il propose plutôt à ses dévots une sorte de complément à la religion traditionnelle, une forme d'expérience religieuse dépendant des circonstances propres à chacun et de ses attentes vis-à-vis des dieux[72],[73].
Dans le monde romain, Mithra devient le protagoniste d'un mythe qui circule dans les cercles de ses adeptes. Ses principaux épisodes ont pu être reconstitués par l'analyse des images provenant des lieux de cultes mithriaques. Il est constitué de quatre grandes séquences. Le prélude intègre Mithra dans le cadre mythologique traditionnel de monde gréco-romain : après la création du Monde,Saturne prend le pouvoir, avant d'être détrôné par son fils Jupiter. S'ensuit un conflit entre partisans des deux grands dieux, qui se conclut par le triomphe du fils. L'ordre est rétabli dans l'Univers. Cela dure jusqu'à ce quePhaéton emprunte le char solaire à son pèreSol, le Soleil. Il en perd le contrôle, ce qui entraîne la dévastation du Monde. C'est alors qu'apparaît Mithra : il naît d'une roche (pétrogenèse), et fait jaillir une source d'eau, ce qui permet à la nature d'entamer sa renaissance. Afin de compléter la régénération du monde, Mithra doit capturer un Taureau fabuleux, troisième acte du cycle mythologique. Après la poursuite et la maîtrise du Taureau, le dieu l'emporte dans une caverne où il le met à mort. Ce sacrifice, et notamment le sang et le sperme de l'animal, permettent de nourrir la nature, l'ordre cosmique est rétabli. Le dernier acte du mythe est un conflit entre Mithra et Sol, provoqué par la jalousie du second face au succès du premier. Mithra triomphe, Sol reconnaît sa suprématie et lui fait allégeance. Un banquet scelle leur réconciliation. Mithra prend alors le titre de « Soleil invincible »,Sol invictus. Ce mythe, qui s'inscrit dans l'histoire du monde telle que la relate la mythologie traditionnelle, y intègre Mithra pour l'élever au statut de responsable de l'ordre cosmique[74],[75].
Groupe statuaire du mithréum deSidon, 389. Mithra met à mort le Taureau, encadré par Cautopatès à gauche et Cautès à droite.Musée du Louvre.
Mithra est associé à plusieurs divinités[65], qui jouent un rôle dans son mythe, sont représentées dans les mithréa et font l'objet de dédicaces de la part de ses adeptes. C'est en particulier le cas du Soleil,Sol. La Lune,Luna, apparaît également[76]. Lesdivinités olympiennes sont reléguées à un rôle marginal. Plusieurs représentations deMercure ont été retrouvées dans des mithréa, ce qui semble indiquer qu'il était rapproché de Mithra[77]. D'autres divinités sont propres au culte de Mithra : les frèresCautès et Cautopatès, souvent représentés dans les mithréa, avec un aspect oriental similaire à celui de Mithra, qui accompagnent le dieu après sa naissance et assistent à la tauroctonie[78] ; une troisième figure, énigmatique, est un personnage au corps humain et à tête de lion (léontocéphale)[79].
Le Mithra romain est une divinité « globale » qui, à la différence des divinités des cultes romains traditionnels, n'est pas liée à un lieu en particulier[73]. En plus de ses aspects invincible et solaire qui ressortent de sa geste et ses épithètes les plus courantes, notammentSol Invictus (voir plus haut), certaines inscriptions en font un dieu « tout-puissant » (Omnipotens)[80]. C'est en fin de compte une divinité aux aspects célestes et souverains, qui semble assimilée par moments à Jupiter, même s'il est plus couramment rapproché de la divinité solaire Sol-Hélios, et sa geste en fait plus largement un maître du cosmos et du temps. Il est à plusieurs reprises figuré en train de maintenir la stabilité du monde, et en association au cercle zodiacal, représentation de l'univers[81]. Pour ses adeptes, Mithra est un dieu sauveur et protecteur, comme le met en avant son mythe qui en fait une divinité née expressément pour venir au secours d'un monde en péril. Des inscriptions évoquent sa bonté, sa bienveillance, sa qualité de protecteur[82]. Certaines de ces caractéristiques sont partagées avec le Mithra du monde iranien et sembleraient donc en dériver : l'aspect solaire, son lien avec l'ordre cosmique et social[83].
Dans l'iconographie, l'apparence du Mithra renvoie à ses origines iraniennes qui le distinguent d'un dieu gréco-romain, puisqu'il reprend le type du dieu oriental, connu par d'autres exemples dans le monde romain (Attis,Jupiter Dolichène) et annoncé par les bas-reliefs de la Commagène hellénistique : il porte le bonnet phrygien et le pantalon perse[65],[84].
Le Mithra romain est attesté par des centaines de représentations visuelles, notamment des reliefs et ronde-bosses, parvenus dans un état plus ou moins complet[85].
La scène du mythe de Mithra la plus représentée est de loin la tauroctonie, la mise à mort du Taureau permettant la renaissance du Monde et le rétablissement de l'ordre cosmique, promesse du salut pour les adeptes du culte mithriaque. Une sculpture de Mithra mettant à mort le Taureau figure généralement au bout de l'aile centrale desspelea, ce qui indique son rôle de principal icône du culte. Qu'elle soit sculptée en statue, bas-relief ou haut relief, sur pierre, terre cuite ou bronze, ou encore peinte, cette scène est représentée de façon remarquablement similaire dans les nombreux exemplaires connus provenant des différentes parties du monde romain. Elles se distinguent des statues divines du culte traditionnel, soulignant l'originalité de Mithra et de son culte[65],[86].
La scène de la naissance de Mithra, généré par la pierre (pétrogenèse), est également couramment représentée. Le dieu n'y apparaît pas sous l'apparence d'un nouveau-né, mais sous celle d'un jeune homme vigoureux[65],[87].
Monnaie en bronze deTrapézonte, avec au revers le buste de Mithra coiffé d'un bonnet phrygien et radié.
En revanche Mithra ne figure pas sur des monnaies impériales romaines, à la différence des pays de culture iranienne, car son culte n'y a pas d'aspect officiel. Il se trouve en revanche sur des émissions civiques en Anatolie : dans la cité deTrapézonte dans lePont où les monnaies frappées d'environ 113 à 245 font figurer au revers le buste de Mithra coiffé du bonnet phrygien et radié, puis Mithra sur un cheval, parfois accompagnés deCautès et Cautopatès, ce qui semble indiquer qu'il y dispose d'un culte officiel, différent de celui des cultes mithriaques du reste de l'empire ; dans la cité deTarse enCilicie, du règne deGordien III (238-244), qui font figurer un Mithra tauroctone, mais en habits romains et non orientaux, image qui renverrait à la campagne de cet empereur contre les Perses[46].
Le culte romain de Mithra : acteurs, lieux et rites
Le culte romain de Mithra s'organise autour de petites cellules d'adeptes dispersées dans tout l'empire, avec une prédilection pour les régions occidentales de langue dominante latine, les régions orientales de culte grecque paraissant moins concernées[88]. Les croyants connus par des inscriptions sont exclusivement des hommes. Ils sont surtout des résidents des villes, où ont été découverts bien plus de sanctuaires mithriaques que dans les campagnes. Contrairement à ce qui a longtemps été supposé, ils ne sont pas majoritairement des soldats, mais ont des occupations diverses, en revanche il semble que les différentes communautés aient été relativement homogènes à leur niveau, recrutant de façon préférentielle tantôt des fonctionnaires des douanes, tantôt des soldats de la légion, tantôt des dockers, etc. Les groupes mithriaques ne pratiquent pas leur culte en secret, même s'ils semblent rester discrets, et que les communautés sont généralement de taille modeste. Une organisation interne en grades cultuels est attestée, disposant au moins de trois degrés : les Lions (Leo) constituent la majorité des groupes, les Corbeaux (Corax) sont les novices, et les Pères (Pater) sont les chefs des communautés. Dans certains contextes sept degrés semblent exister[89].
Speleum du sanctuaire mithraïque des Thermes de Mithra, àOstie (Italie).
Les dévots de Mithra se réunissent dans des sanctuaires spécifiques, que les historiens modernes désignent par le termemithréum (ou mithraeum), qui est un néologisme. Dans l'Antiquité, ils étaient désignés simplement comme des « temples »,templum, ou bien on désignait leur pièce principale par le termespeleum ouspelaeum, « grotte »[90]. Ce nom renvoie au lieu où Mithra a mis à mort le Taureau, et au fait que ces sanctuaires cherchent à reproduire ce contexte : il s'agit souvent de cryptes voutées, dans certains cas de grottes aménagées. Ce sont des pièces allongées, reprenant la disposition de salles de banquet, avec des banquettes disposées le long des deux côtés longs, terminées par une niche ou abside où sont célébrés les rites, autour des images de Mithra et des dieux associés à son culte, des autels et supports à offrandes. Des pièces annexes peuvent être aménagées autour[91].
Les rites pratiqués par les adeptes du culte de Mithra restent mal connus. On peut distinguer deux types de rites essentiels : l'initiation des nouveaux membres et les banquets communautaires. Ces derniers occupent une place centrale dans la vie des communautés, comme l'indique le fait que les sanctuaires reprennent l'aspect d'une salle de banquet plutôt que celui d'un temple gréco-romain. Ils renvoient probablement au banquet entre Mithra et Sol qui marque la réconciliation des deux dieux, au cours duquel le Taureau mis à mort par Mithra est consommé. Aucun reste de taureau n'a cependant été trouvé dans un des nombreux mithréa fouillés, les adeptes consommant plutôt des volailles, du porc, ainsi que du gibier[92].
Les liens entre le Mithra iranien et le Mithra romain ont suscité diverses hypothèses chez les historiens. Pour Franz Cumont, le culte romain de Mithra est directement importé depuis le monde iranien. À sa suite, les premières générations de spécialistes des études mithriaques ont conclu à une continuité entre les deux cultes, et au fait que c'étaient deux figures divines identiques qui étaient vénérées dans les deux sphères culturelles, suivant des modalités similaires. Depuis les dernières décennies duXXe siècle, cette interprétation a changé, grâce à une meilleure connaissance du culte romain de Mithra. Les similitudes entre les Mithra iranien et le Mithra romain sont désormais plutôt considérées comme limitées à des traits généraux, comme l'aspect solaire du dieu, et peut-être aussi son lien avec le taureau qui pourrait avoir des parallèles en Iran. L'aspect oriental du Mithra romain renvoie plutôt à un « orientalisme » romain, la mise en avant de traits vus comme exotiques par les adeptes de ce culte, puisque son origine perse n'est jamais oubliée et paraît même être une partie intégrante de son image et de son attrait. Mais les éléments mythologiques et rituels réellement importés d'Orient sont probablement limités si ce n'est insignifiants, en tout cas il semble bien que lors de leur arrivée dans le monde romain Mithra et son culte fassent l'objet d'une véritable réinvention[65],[66],[67]. Selon P. Swennen et L. Bricault, c'est« une construction assimilable à un « bricolage », à une hybridation intégrant et combinant des éléments variés d’origines diverses, parfois réinterprétés et qui ne sont d’ailleurs pas tous présents dans les premières manifestations du culte rendu au Mithra romain à la fin duIer siècleapr. J.-C.[93] »
Reposant sur de petites communautés, sans doute soutenues par des personnages éminents, le culte de Mithra connaît des fortunes diverses selon les endroits. Les créations comme les disparitions de communautés sont donc un phénomène normal. Mais leIIIe siècle semble voir s'amorcer un déclin du culte de Mithra, lié à l'affaiblissement des entrepreneurs urbains qui constituent le socle des dévots, et aussi les tourments que traverse plus généralement l'Empire à cette période. Puis la christianisation de l'Empire et les lois anti-païennes accentuent probablement la disparition du culte de Mithra. Des créations de nouvelles communautés sont certes attestées jusqu'à la fin duIVe siècle, et le culte de Mithra connaît un succès inédit dans l'élite sénatoriale demeurée païenne. Mais le début duVe siècle voit la disparition des derniers groupes connus d'adeptes de Mithra. Il y a peu de cas où les sanctuaires de Mithra semblent avoir été détruits de façon violente, ou convertis en église, et d'une manière générale la christianisation ne porte pas forcément l'essentiel de la responsabilité du déclin du culte de Mithra[94].
Le culte romain de Mithra est redécouvert progressivement à partir de la Renaissance, par la découverte d’œuvres d'art représentant la tauroctonie et d'autres épisodes du mythe romain de Mithra, puis la mise au jour de sanctuaires de Mithra. Au tournant duXXe siècle, les travaux deFranz Cumont sur les « Mystères de Mithra » connaissent une grande diffusion et popularisent la vision d'un mithraïsme revivifiant le paganisme en voie de disparition et concurrençant le christianisme[95]. Ces analyses, bien que remises en cause par les travaux académiques postérieurs, restent courantes dans les réceptions contemporaines du Mithra romain. Par exemple, des fictions imaginent un monde dans lequel le mithraïsme s'est répandu dans le monde à la place du christianisme. Une autre idée reçue sur le culte de Mithra est le fait que le choix de la date du 25 décembre pour la fête de Noël lui a été repris par le Christianisme, alors qu'elle vise en fait à se substituer à la fête de la divinitéSol invictus, distincte de Mithra[96].
↑Julie Dalaison et Bernard Rémy, « Les divinités d’origine indigène et iranienne sur le monnayage des cités du Pont sous les premiers Sévères »,Revue Numismatique,vol. 170,,p. 40-42(lire en ligne) ⟨halshs-01429175⟩.
↑Laurianne Martinez-Sève, « Pouvoir et religion dans la Bactriane hellénistique : Recherches sur la politique religieuse des rois séleucides et gréco-bactriens »,Chiron,no 40,,p. 9-10.
↑Frantz Grenet,« Mithra au temple principal d’Aï Khanoum ? », dans Paul Bernard et Frantz Grenet (dir.),Histoire et cultes de l’Asie centrale préislamique. Sources écrites et documents archéologiques, Paris, CNRS Éditions,,p. 147-151.
LaurentBricault et PhilippeRoy,Les cultes de Mithra dans l'Empire romain, Toulouse, Presses universitaires du Midi,
LaurentBricault,RichardVeymiers, NicolasAmorosoet al.,Le mystère Mithra : Plongée au cœur d'un culte romain (Catalogue de l'exposition présentée au Musée royal de Mariemont, du 20 novembre 2021 au 17 avril 2022, au musée Saint-Raymond de Toulouse du 14 mai au 30 octobre 2022 et à l'Archäologisches Museum Frankfurt du 19 novembre 2022 au 15 avril 2023), Mariemont,Musée royal de Mariemont,, 573 p.(ISBN978-2-930469-85-0)